Des virus, des bactéries et des hommes

La longue histoire des épidémies

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 01/10/2020 par Alain Caraco

Depuis la mi-mars, nous vivons en France un moment inédit. Les déplacements sont réduits au minimum et soumis à autorisation. Les activités du plus grand nombre sont arrêtées ou ralenties, tandis que l'effort collectif se concentre sur l'approvisionnement, les soins et la sécurité. Personne ne se souvient d'un événement d'une telle ampleur. Pourtant, l'histoire des épidémies est aussi ancienne que celle de l'humanité.

Les grandes épidémies classées par mortalité
Les grandes épidémies classées par mortalité (Source : https://www.visualcapitalist.com/history-of-pandemics-deadliest/)

Les épidémies peuvent être causées par des virus (variole, grippe et ses dérivées), ou par des bactéries (typhus, peste, choléra). Cependant, le mot peste a longtemps servi à désigner toutes les épidémies, quelle que soit leur origine.

La présence éventuelle d’épidémies chez les chasseurs-cueilleurs n’est pas connue. On a cependant des raisons de croire que l’agriculture et l’élevage ont fourni des conditions de choix aux virus et bactéries pour s’attaquer aux humains. Des populations sédentaires, plus nombreuses, en contact permanent avec des animaux d’élevage et pratiquant le commerce avec d’autres populations sédentaires sont forcément propices à la contagion.

430-426 av. JC : Thucydide et la peste d’Athènes

La plus ancienne épidémie connue a eu lieu en Grèce, de 430 à 426 avant JC. Appelée peste d’Athène, il s’agirait d’un typhus. On estime qu’elle aurait tué plus du quart de la population de l’Attique, dont le stratège et homme d’Etat Périclès. Son histoire nous est parvenue par Thucydide, qui en lui même été réchappé, après avoir été atteint. Dans L’Hisoire de la Guerre du Péloponèse, Thucydide décrit sobrement le symptômes et les conséquences sociales de l’épidémie, sans chercher à en attribuer l’origine à une cause surnaturelle.

Une longue litanie d’épidémies arrive ensuite jusqu’à nos jours. On se contentera d’évoquer les plus célèbres.

165-190 : Gallien et la peste antonine

Il s’agit probablement d’une épidémie de variole, qui a touché l’Empire romain de 165 à 190 de notre ère, pendant les règnes de Marc Aurèle et de Commode. Elle est connue par plusieurs écrits antiques, en particulier ceux du médecin Gallien.  La peste antonine aurait tué environ 10 % de la population de l’Empire romain, soit plusieurs millions de personnes.

La peste à Rome

La peste à Rome, gravure du XIXes iècle Jules-Élie Delaunay (Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_angel_of_death_striking_a_door_during_the_plague_of_Rome_Wellcome_V0010664.jpg)

541-767 : la peste de Justinien, première pandémie

Il s’agit là d’une vraie peste (Yersina Pestis), au sens moderne du terme. Probablement venue d’Asie par la route de la soie, elle tire son nom de son arrivée à Constantinople en 542, sous le règne de Justinien. Citée par plusieurs auteurs, dont Procope de Césarée et Grégoire de Tours, on estime qu’elle a fait 25 millions de morts autour de la Méditerranée et en Europe. La peste de Justinien ressurgira une vingtaine de fois pendant plus de deux siècles. Elle est considérée comme la première pandémie de peste.

1347-1352 : la peste noire

Curieusement, on n’entend plus parler de grandes épidémies pendant près de six siècles.

Mais c’est pour repartir de plus belle en 1347, avec probablement la plus grande épidémie de l’histoire de humanité, la peste noire. Selon les estimations, elle a tué entre le quart et la moitié de la population européenne, soit plusieurs dizaines de millions de personnes. Cette fois encore, la peste arrive par la route de la soie. Constantinople est la première ville européenne touchée. Le peste se diffuse en France à partir du port de Marseille. Elle atteint l’Europe jusqu’aux Iles britanniques et à la Scandinavie. Certaines villes et régions, comme Bruges, Milan, le Béarn et la Pologne, parviennent cependant à y échapper grâce à un confinement très strict.

La peste noire à Tournai

Les habitants de Tournai enterrent les victimes de la peste en 1353 (Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Doutielt3.jpg)

XIVe-XIXe siècles : la deuxième pandémie de peste

La Peste noire et ses nombreuses réapparitions, jusqu’au début du XIXe siècle, constituent la deuxième pandémie. Quelques épisodes sont restés dans les mémoires.

Lyon est frappée plusieurs fois au début du XVIIe siècle. En 1643, les échevins de Lyon font le voeu de rendre chaque année hommage à Marie si elle les protégeait de la peste. Ce voeu est l’origine lointaine de la Fête des lumières.

Carte postale commémorant le voeu des échevins de Lyon

Carte postale commémorant le voeu des échevins de Lyon (source: Bibliothèque municipale de Lyon / B02CP6900 001391)

La grande peste de Naples, en 1656, aurait tué plus de la moité de la population de la ville, estimée à 450 000 habitants.

La grande peste de Londres, en 1665-1666, fait près de 100 000 morts, soit 20 % de la population de la ville. Le grand incendie de 1666 aurait facilité la fin de l’épidémie.

Arrivée par un navire marchand, à Marseille en 1720, la peste tue environ 100 000 personnes dans toute la Provence, jusqu’en 1722. C’est la dernière grande épidémie de peste sur le sol français.

1500-1800 : trois siècles de variole

La variole est connue dès l’Antiquité dans l’Ancien monde. Mais c’est surtout au XVIe siècle qu’elle fait des ravages aux Amériques. Importée d’Afrique par des négriers européens, on lui doit la disparition de la majorité des Amérindiens en quelques dizaines d’années.

Pour lutter contre la variole, on invente la variolisation, inoculation préventive mais risquée de variole, afin de développer un immunité naturelle. A la fin du XVIIIe siècle, le médecin anglais Jenner développe l’inoculation de la variole des vaches, ou vaccine, beaucoup moins risquée. Ce sera le début du succès de la vaccination.

Le docteur Jenner pratiquant la première vaccination sur le jeune James Phipps, en 1796 (Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jenner_phipps_01.jpg)

1817-1923 : le siècle du choléra

Originaire d’Asie, le choléra atteint au XIXe siècle l’Europe et l’Amérique, à travers six pandémies, faisant des millions de morts.

1855-1945 : la peste de Chine, troisième pandémie

Malgré son nom, la dernière pandémie de peste fait surtout des ravages en Inde (plusieurs millions de morts) et, dans une moindre mesure, dans d’autres pays d’Asie. Ses quelques manifestions en Europe et en Amérique sont bien maîtrisées.

1918-1919 : la grippe espagnole

La grippe espagnole est la plus forte pandémie ayant frappé l’Europe depuis la peste noire du XIVe siècle. Probablement venue d’Asie, elle se manifeste d’abord aux Etats-Unis, en mars 1918, dans un camp militaire du Kansas, où s’entraînent les soldats devant participer à la guerre en Europe. A l’automne 1918, la pandémie est installée dans le monde entier, jusqu’en 1919. Le nombre de morts est estimé entre 20 et 100 millions, à comparer aux 10 millions de morts de la Première guerre mondiale.

En France, on estime que la grippe espagnole est à l’origine de 240 000 décès. Dans les dernières décennies du XXe siècle, elle était encore bien présente dans la mémoire des personnes âgées, qui se souvenaient des victimes dans leur entourage.

Mais pourquoi parle-t-on de grippe espagnole ? Si l’Espagne a bien été touchée, avec 200 000 morts, ce pays n’est pas à l’origine de la pandémie. Mais étant neutre pendant la Première guerre mondiale, elle a été la première à publier des informations non censurées sur l’étendue des dégâts. Les journaux français, anglais et allemands les ont reprises sous le nom de grippe espagnole, un nom qui est resté jusqu’à nos jours.

Port du masque dans les transports pendant la grippe espagnole

Pendant la grippe espagnole, certains réseaux de transport imposent le port du masque (source : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=593461)

1955-2009 : les grippes asiatiques

Le XXe siècle connaît d’autres épidémies de grippe, toutes originaires d’Asie. La grippe asiatique fait au moins un millon de morts de 1956 à 1958, essentiellement en Asie. Elle laisse peu de souvenirs en France, où elle serait la cause de 15 000 décès.

De 1968 à 1970 sévit la grippe de Hong Kong. Elle cause environ un million de morts, dont 30 000 en France, essentiellement pendant l’hiver 1969-1970, soit deux à trois fois la mortalité de la grippe saisonnière. Les autorités réagissent peu, craignant plus la psychose collective que l’épidémie.

La grippe de 2009, dite grippe porcine ou H1N1, est encore présente dans les mémoires. Elle n’a cependant pas été plus létale que les grippes saisonnières habituelles.

Depuis 1981 : le SIDA

Depuis son apparition en Afrique en 1981, le SIDA a causé 25 millions de morts dans le monde entier, dont 70 % en Afrique. Encore très présent dans les mémoires, il est cependant moins médiatisé depuis son pic de mortalité, en 2005. En France, il a causé jusqu’à 5000 décès annuels au milieu des années 1990, pour redescendre à moins de 500 aujourd’hui.

2020- ? : le Covid 19, continuités…

Depuis le début de l’année 2020, une nouvelle pandémie se rappelle au souvenir de notre société, qui croyait que ce genre de soucis appartenait au passé, le Covid 19.

L’histoire nous montre pourtant que l’humanité a toujours connu les pandémies, qu’elles soient d’origine virale ou bactérienne. Les pandémies voyagent à travers les continent au rythme des moyens de déplacement de leur époque. En revanche, nous sommes quatre fois plus nombreux sur terre qu’à l’époque de la grippe espagnole, il y a un siècle, vingt fois plus qu’à l’époque de la Peste noire du XIVe siècle et quarante fois plus qu’à l’époque romaine. De plus, nous vivons majoritairement dans des concentrations urbaines.

A l’arrivée de chaque nouvelle épidémie, l’humanité est prise au dépourvu, puis finit par trouver des remèdes, à moins que le mal finisse par disparaître de lui-même, au bout de quelques mois, quelques années ou quelques siècles. Faute de pouvoir détruire la cause de la maladie, l’humanité dispose d’un stock limité de réactions : le confinement, le panique et la recherche irrationnelle de responsables.

…et différences

Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour prétendre tirer des conclusions de la toute jeune histoire du Covid 19. On peut néanmoins observer quelques indices.

Pour l’instant, le Covid 19 a causé un peu plus de 180 000 décès dans le monde, dont 20 000 en France. C’est environ le double de la grippe saisonnière, mais cela reste faible par rapport à la grippe espagnole. A la différence des siècles précédents, nous vivons éloignés de la mort et cette surmortalité est donc une grande cause d’angoisse.

Le confinement n’a jamais été employé à une telle ampleur, puis qu’il concerne plus de la moitié de la population mondiale. En l’absence de médicament et de vaccin, il semble avoir pour l’instant produit l’effet attendu. Selon l’Institut Pasteur, le premier mois de confinement a évité plus de 60 000 décès en France. Et en laissant la maladie se propager jusqu’à atteindre l’immunité collective, la France aurait connu 250 000 morts, soit autant qu’avec la grippe espagnole.

Enfin, le Covid 19 est la première pandémie de l’époque des réseaux numériques. Pour les personnes confinées, cela signifie la possibilité de maintenir un lien avec leurs proches, leur travail, et de s’informer, s’instruire et se divertir. Pour la communauté de la recherche, cela permet de faire circuler l’information scientifique plus vite que la contagion et de rapprocher l’humanité de l’espoir d’un vaccin.

Les épidémies les plus mortelles

(Source : https://www.visualcapitalist.com/history-of-pandemics-deadliest/)

Pour aller plus loin

La Bibliothèque municipale de Lyon étant fermée au public pendant le confinement, seules des ressources en lignes sont mentionnées ici.

Les lecteurs de la BML peuvent accéder au texte intégral des articles du Monde réservés aux abonnés via Europresse. Vous pouvez vous inscrire gratuitement en choisissant l’abonnement “Connexion”.

Histoire générale des épidémies

Visual Capitalist présente une infographie des pandémies de l’histoire de l’humanité et de leur mortalité, très parlante et actualisée régulièrement.

Deux articles de Wikipédia, avec de nombreux liens, permettent d’approfondir chaque épidémie :

L’historien Olivier Faure rappelle, dans Le Figaro, que Non, la France ne traverse pas la plus grande crise sanitaire de son histoire.

Plusieurs articles récents du Monde apportent un éclairage historique sur la réaction des sociétés face aux épidémies :

Pestes de l’Empire romain

Laurent Ripart, historien et militant politique : Les épidémies ont-elles provoqué la chute de l’empire romain ? L’apport majeur des thèses de Kyle Harper

Peste noire du XIVe siècle

Une vidéo pédagogique de deux minutes pour comprendre la peste noire sur le site d’Universalis.

Deux articles scientifiques :

Voeu des échevins lyonnais de 1643

Deux articles sur le voeu des échevins lyonnais du 12 mars 1643

Résurgence de la peste à Paris en 1920

Zineb Dryef : Mai 1920, quand la peste a frappé aux portes de Paris, in Le Monde du 3 avril 2020

Grippe espagnole 1918-1919

Dans l’Influx :

Christian Chavagneux : Comment la grippe espagnole a changé le monde, in Alternatives économiques, 23 mars 2020

Guillaume Lachenal : C’était en 1918… l’épidémie de grippe espagnole, sur Vie publique

C’était le temps de la grippe espagnole… sur le site de Tous les jours curieux. Nombreuses photos, essentiellement en provenance des Etats-Unis. L’avant-dernière photo représente l’hôpital militaire américain d’Aix-les-Bains.

Grippe de Hong Kong 1968-1970

Laure Lugon : Quand l’Europe se moquait des épidémies, in Le Temps du 6 avril 2020

Covid 19

Une vidéo et deux articles récents du Monde :

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5 thoughts on “La longue histoire des épidémies”

  1. THIBONNET dit :

    Magnifique documentaire. Je vous en remercie. La grippe espagnole m’a touchée dans mon histoire familiale, ma Grand Mère née en 1887, a perdu son 4ème Enfant en fin de gestation en 1919. Roger a emporté le virus et a “sauvé” sa Maman.
    Nous sommes en 2020, 101ans nous sépare de cette pandémie où l’on confinait tous les malades ensembles dans les conditions et connaissances du moment…
    MERCI à Toutes et Tous qui vous mobilisaient pour gérer et accompagner la vie.

    1. Alain Caraco dit :

      Merci pour votre commentaire.

  2. FOISY Michel dit :

    C’est curieux que vous n’ayez pas fait état de mon Mémoire d’Histoire de la Médecine soutenu le 7 décembre 1982 à la Faculté de Médecine Lyon II sur le sujet suivant, bien local : “L’épidémie de fièvre typhoïde de la banlieue lyonnaise lors de l’hiver 1928-1929”. Je vous en ai remis pourtant un exemplaire, ainsi qu’aux Archives de la Ville !
    Il m’a pourtant valu le 2e prix de la Société Française d’Histoire de la Médecine …

    M. Foisy 29 avril 2020

    1. Foisy dit :

      Rectificatif : au lieu de “Faculté de Médecine Lyon II”, lire : “Faculté de Médecine Lyon-Sud, Université Claude Bernard Lyon I”.
      M.F.

    2. Alain Caraco dit :

      Bonjour,
      Merci pour votre commentaire. Cet article a été écrit en télétravail, loin des collections de la bibliothèque. Le choix a été fait de ne citer que des références accessibles à distance pendant le confinement. Les lecteurs intéressés par votre mémoire pourront bien sûr le lire dès la reprise de la distribution des documents du silo.

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