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Palm Springs 1960

Robert Doisneau

Novembre 1960, Robert Doisneau prend pour la première fois l'avion pour les Etats-Unis afin d’honorer la commande d’un reportage. Le magazine Fortune l'envoie pour ramener des images de la construction de golfs en plein désert californien, à Palm Springs.

Robert Doisneau nous est connu comme photographe humaniste, arpentant avec son Rolleiflex les rues de Paris et de sa proche banlieue, ayant travaillé en noir et blanc, fasciné par la qualité et les variations de la lumière, et auteur fameux du Baiser de l’hôtel de ville et du portrait de Jacques Tati avec son vélo. La surprise est totale quand on découvre la couverture de son ouvrage Palm Springs 1960 montrant  la photographie en couleur d’une voiture américaine roulant, isolée et minuscule, au beau milieu d’une vaste zone désertique.

Selon le témoignage de sa fille cadette, Francine Déroudille, Robert Doisneau aurait aimé photographier plus souvent en couleur : « Mon  père adorait la couleur. Il était excité par ce nouveau médium, mais deux facteurs ont freiné son enthousiasme, comme d’ailleurs celui de Boubat ou d’Izis : le coût dissuasif pour ces reporters désargentés et la pérennité de leurs images. Ils avaient le sentiment de travailler sur du sable. » Profitant des moyens offerts par le magazine Fortune, et soucieux de rendre compte au mieux de la débauche et de la singularité des couleurs du paysage urbain – « Mais depuis mon arrivée à Palm Springs c’est un enchantement surtout le soir – façades vert-de-gris, toits orangés et palmiers couleur lilas, il y a d’autres combinaisons bien sûr, à l’infini, mais toutes ravissantes, d’ailleurs tout le monde est bien content. » – et des objets du décor, Doisneau réalise l’intégralité de son reportage en utilisant des pellicules couleur, Ektachrome et Kodachrome.

Quand Robert Doisneau découvre Palm Springs, c’est l’étonnement complet, il a le sentiment de débarquer sur une autre planète : « Je me fais l’effet d’être d’un autre âge comme un fauteuil Louis XV sur un aérodrome ou un violoncelle devant l’immeuble de Life ». Voici ce qu’il voit dans les maisons : « piscines dans le salon pour deux vieillards, jardins de plastique, faux Utrillo dans les cabinets, bouteilles sortant giclant plus exactement sur le bar et du violet, du vert, du mauve, je ne sais plus, des tapis où je me tors les chevilles… ». Palm Springs répond à un rêve américain, celui de personnes âgées et très riches, à la recherche d’un lieu de villégiature ensoleillé et chaud à privatiser. Peu importe l’éloignement ou le climat, l’environnement hostile sera domestiqué et embelli quel qu’en soit le coût : piste d’atterrissage pour avions particuliers, autoroute, terrains de golfs et plantation de palmiers, maisons avec piscine et climatisation, décoration luxuriante.

L’édition de l’ouvrage est particulièrement réussie. Outre la préface très intéressante de Jean-Paul Dubois, le livre présente deux portfolios complémentaires – l’un contient des photos réalisées par Doisneau lors de ses trois voyages aux Etats-Unis, l’autre, la première double page de l’article du magazine Fortune -, ainsi que deux lettres adressées à son ami Maurice Baquet où il fait partager ses premières impressions. L’organisation de la succession des photos est elle aussi excellente, avec un mouvement d’approche, de focalisation, d’accoutumance, puis d’éloignement : le paysage urbain, des individus aux attitudes étranges, la vie domestique, les loisirs, et pour finir, visions nocturnes de la ville.

Malgré le premier étonnement suscité à la découverte du livre, on retrouve très vite le Doisneau qu’on aime. Bien que n’appartenant pas au même monde, Robert Doineau, très touché de l’accueil chaleureux qui lui est fait, s’applique de son mieux, avec respect, bienveillance et application, à rendre compte de ce qu’il voit,  sans jouer le rôle de témoin à charge. Son attitude est proche de celle d’un Jacques Tati qui découvre, avec humour et nostalgie, les excès dans les innovations de la modernité et de la société de consommation, où l’individu se perd dans la rationalisation à outrance et dans la jouissance de la possession de biens matériels, ou celle de Martin Parr qui montre avec une certaine jubilation les travers excentriques et l’attrait pour le kitch de ses contemporains. Ce constat amusé se double cependant chez Doisneau, doté d’un irréductible esprit d’indépendance, d’une dénonciation sans concession de l’uniformisation des comportements, des rêves étriqués et du manque de goût d’une élite argentée, mais aussi de la solitude engendrée par la vieillesse et la quête de l’entre-soi.

Voir dans le catalogue de la BML

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