Danse

Raimund Hoghe jette son corps dans la bataille

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 04/03/2020 par Hélèna D.

Les créations du chorégraphe et danseur allemand Raimund Hoghe ont fait le tour du monde. Tout au long de sa carrière, il reçoit diverses distinctions. Il est notamment consacré meilleur danseur de l'année en 2008. Quel est son rapport avec son corps, avec les lieux qu'il investit ? Danse, théâtre, spectacle, performance, rituel, sacrifice ? Comment nommer ce que fait cet artiste sur scène ? Comment joue t-il avec l'Histoire et l'intime ? Quelle importance a la musique dans son travail et comment joue t-il avec l'art de la relecture ?

Festival d
Festival d'Avignon / 2007 / 36, avenue Georges Mandel - Raimund Hoghe @Emile Zeizig

Né en 1949, Raimund Hoghe débute comme écrivain et reporter. Journaliste, il est connu pour ses portraits dans Die Zeit. De 1980 à 1990, il devient le dramaturge de Pina Bausch. Il l’assiste au Tanztheater Wuppertal. Depuis 1992, il travaille en collaboration avec le plasticien Luca Giacomo Schulte. Il se construit une famille de danseurs que l’on retrouve au fil de ses créations.

Sa bosse comme un étendard

Bossu depuis sa naissance, c’est en 1994, à l’âge de 45 ans, qu’il se décide à monter sur scène pour la première fois avec son solo Meinwärts (Vers moi-même). ll n’hésite pas à exposer sa bosse, nue, sous les projecteurs. 

Son visage et son corps de petit garçon, la couleur très pâle de sa peau, son regard intense, tout cela est assez troublant. Avec sa frêle silhouette, il peut se transformer en cygne ou en diva. Pour lui, monter sur scène, c’est “jeter son corps dans la bataille”, selon les mots de Pasolini, c’est prendre position contre les normes ou les discriminations. Cela oblige le spectateur à se questionner sur la beauté, la différence et ce qui est montrable ou pas.

Son rapport au lieu

Raimund Hoghe investit des lieux qui l’inspirent et les sacralise en posant au sol bougies, fleurs, glaçons… L’atmosphère du lieu prime sur le reste. Cela s’explique par l’attention particulière que l’artiste porte au monde qui l’entoure. C’est le cas dans la Pièce pour le collège des Bernardins, qui a été pensée spécifiquement pour l’espace de la nef. Il s’agit d’une création in situ qui ne fait qu’une avec l’atmosphère du lieu.

En 2009, dans sa pièce Sans titre, Raimund Hoghe, en maître de cérémonie, quadrille le plateau de bougies ou de pierres et délimite le lieu du rite. Il guide les mouvements du chorégraphe et danseur congolais Faustin Linyekula, “dont la solennité est accentuée par la musique de Bach et Purcell. Tandis que le corps du jeune danseur, comme possédé, commence à onduler comme une flamme, Hoghe accomplit des gestes ténus…” (Source) Cette pièce politique rassemble deux danseurs, qui refusent “de (se) poser en victimes ou de (se) reposer sur (leur) passé ».

Danse, théâtre, spectacle, rituel, sacrifice ?

Festival d’Avignon / 2018 / Canzone per Ornella – Raimund Hoghe @Emile Zeizig

Entre danse et théâtre, Raimund Hoghe ne refait pas du Pina Bausch. Sa danse est proche du rituel dansé. Dans ses pièces, il se passe peu de choses et pourtant tout semble faire mouvement. Il aime citer ce dicton indien « Regarde quand il n’y a rien à voir et écoute quand il n’y a rien à entendre ». Les accessoires, la dramaturgie et la chorégraphie sont dépouillés de tout superflu. Cela aboutit à une esthétique du vide, comme celle du Butô et de Kazuo Ohno, un de ses mentors.

Il donne à voir et à entendre, sans information excessive pour une meilleure perception. Raimund Hoghe évoque le jeu des enfants, cette capacité à jouer pour et en eux-mêmes. C’est une qualité qu’il cherche à retrouver chez ses interprètes.  La virtuosité ne l’intéresse pas. Pour lui, un tout petit geste peut déclencher une grande émotion. C’est le cas d’Ornella Ballestra dans Swan Lake, qui en un mouvement d’épaule évoque un cygne. Le spectateur est ainsi contraint parfois à se concentrer sur des actions dont la lenteur s’apparente à du rituel.

La valse entre le collectif et le personnel

En 2016, sa pièce La Valse, portée par la musique de Ravel, aborde la réalité des migrants. Raimund Hoghe s’inspire de l’actualité, et en particulier du petit enfant syrien découvert noyé sur les côtes turques en septembre 2015. “Ce que je veux affirmer, dit-il, dans cette œuvre, c’est que tout le monde a le droit de vivre.”

Le chorégraphe aime osciller entre passé et présent. La valse parle aussi des camps de concentration. “Il faut revisiter l’histoire allemande, et ce qui se passe avec les réfugiés. Il ne faut pas oublier l’histoire. Comment les familles ont été séparées. C’est semblable à ce qu’on fait aujourd’hui avec les réfugiés. »

Raimund Hoghe s’intéresse aux liens entre biographie personnelle et collective, comment chacun peut se retrouver dans la mémoire et la culture collective. Le solo Meinwärts fait référence au ténor juif Joseph Schmidt, homme de petite taille, qui a fui les nazis pour mourir en 1942 dans un camp. « En même temps [autour de 1992], plusieurs personnes mourraient du sida, des écrivains, des artistes. Je voulais dire quelque chose de l’histoire allemande, mais aussi de ces gens. » Car Raimund Hoghe lie dans ses œuvres la grande histoire et le souvenir intime. Pour moi, c’est un artiste proche du plasticien Christian Boltanski.

La musique, source d’inspiration

La musique est vitale dans la vie de Raimund Hoghe et elle est aussi à la base de son travail. Toutes ses créations partent de la musique. Elle révèle le langage corporel de chacun des interprètes. Il met un morceau et observe, à la recherche d’une émotion originelle. Pour cela il utilise des chansons populaires et sentimentales (chansons de Dalida par exemple), des opéras ou des classiques.

 

En 2007, dans la pièce, 36, avenue Georges Mandel (voir extrait ci-dessus), il renoue avec Maria Callas 10 ans après sa création à la Chapelle des Pénitents blancs. Il adore cette musique et pense que c’est important de ne pas l’oublier.
La musique est sa première source d’inspiration. Il dit “qu’il faut la suivre, qu’elle indique les mouvements, la dramaturgie, et que tout en découle naturellement, lui même n’étant là que pour organiser les conditions pour que quelque chose se passe.” (Source)

L’art de la relecture

Après avoir mis en scène, en 2004, une version du Sacre du Printemps sur la musique de Stravinsky intitulée Sacre – The rite of spring, Raimund Hoghe poursuit son exploration des pièces mythiques du répertoire classique. Swan Lake, 4 acts, Boléro Variations, sur des musiques variées de boléros, indiquent l’intérêt de cet artiste pour l’art de la relecture.

En 2005, dans Swan Lake, 4 acts, avec la musique emblématique de Tchaïkovsky, que tout le monde connaît, l’artiste cherche à créer des liens entre mémoire personnelle et mémoire collective. Il veut faire apparaître ce qui nous rapproche en tant qu’êtres humains. Conçue avec des danseurs ayant interprété pour certains la version classique du Lac des Cygnes, cette pièce est nourrie par les couches de gestes et de mémoire des danseurs, qui ont dansés ce ballet par le passé.

Les pièces de Raimund Hoghe sont des expériences uniques pour le spectateur. Elles interrogent notre rapport au corps, à la beauté et à la laideur. Cet artiste a fait du plateau un espace de résilience. Il parle de ce que les gens font pour être aimés, à travers les pièces qu’il dédie à ses interprètes ou aux personnalités auxquelles il rend hommage. Monter sur scène, transformer sa vulnérabilité et sa différence en force, c’est peut-être le chemin qu’il a trouvé pour être aimé.

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