L’été à Noirmoutier : Agnès Varda expose à la Fondation Cartier

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - par R.V.

Du 18 juin au 8 octobre 2006, la Fondation Cartier offrait aux visiteurs 10 installations d'Agnès Varda avec pour fil directeur l'île de Noirmoutier. Après des études en histoire de l'art et ses débuts professionnels dans la photographie, accompagnant dès l'origine le Festival d'Avignon de Jean Vilar, puis le Théâtre National Populaire, Agnès Varda se lance dans le cinéma en 1954 avec La Pointe Courte, préfigurant la Nouvelle Vague, alternant par la suite courts et longs métrages, fictions et documentaires. C'est avec curiosité que l'on découvrait cette exposition, point d'orgue d'incursions récentes dans le domaine des arts plastiques, à la Biennale de Venise en 2003, ainsi qu'à la Galerie Martine Aboucaya en 2005.

Tout(e) Varda, arte éditions
Tout(e) Varda, arte éditions

Disons-le d’emblée, cette exposition nous a séduit. On retrouve entier l’univers de la cinéaste, son attachement très fort aux lieux et aux personnages qui y vivent, la tendresse, la bienveillance et la fidélité envers les personnes, l’attrait pour les enfants et leurs jeux innocemment impertinents, l’obsession du temps qui s’écoule et de la mort inéluctable, le goût pour les jeux de mots et l’humour.

Sur la forme, le passage à l’installation est également réussi, conservant sa manière singulière d’opérer où elle investit la réalité montrée, où elle expose ouvertement son point de vue sur les choses, non par narcissisme ou m’as-tu-vu, mais pour renseigner le spectateur sur les modifications du réel observé, induites par le regard même de l’observateur. Avec cette construction du réel sur un mode expérimental et jubilatoire, Agnès Varda gagne son pari de l’art contemporain. Elle nous place immédiatement dans des œuvres qui nous touchent profondément, le tout avec inventivité, légèreté et malice.

 

La Cabane aux portraits, 2006 . © Agnès Varda . Photo Agnès Varda

Voici un petit aperçu de l’exposition. Dès l’abord, l’attention est attirée par des objets bricolés et bariolés, des sons familiers et festifs. A côté des deux cabanes, grandeur réelle : La Cabane aux portraitsun salorge à l’intérieur duquel, sur les grands côtés, 30 portraits d’hommes accrochés côte à côte font face à 30 portraits de femmes ; sur les petits côtés, deux vidéos se répondent, un phare et une coque ouverte sur le sable touchée par les vagues, donnant gentiment une connotation sexuelle à l’ensemble – et Ma cabane de l’Échec, fabriquée sur le modèle des cabanes des pêcheurs ou des ostréiculteurs du pays, faites d’assemblages hétéroclites de matériaux de récupération, à partir de bouts de pellicule du film Les créatures (1966) qui n’eut aucun succès à sa sortie.

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Ma Cabane de l´Échec, 2006 . © Agnès Varda . Photo Agnès Varda

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Ping-Pong, Tong et Camping, 2005-2006. © Agnès Varda . Photo Patrick Gries

L’installation Ping-Pong, Tong et Camping fait résonner le bruit des balles de ping-pong des campeurs, dont le film, projeté sur un matelas gonflable en guise d’écran, récupère les images de vêtements et d’accessoires aux couleurs vives de l’été, pendant qu’un diaporama de tongs multicolores défile à l’intérieur d’une grosse bouée de plage accrochée au mur.

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Le Passage du Gois, 2006 . © Agnès Varda . Photo Patrick Gries

Au sous-sol, l’accès à l’exposition est empêché par une barrière automatique. L’installation Le Passage du Gois (pour information, le Gois fait partie intégrante du patrimoine culturel de Noirmoutier ; il s’agit d’une route submersible à marée haute, passage pour atteindre l’île à pied ; à marée basse, les Noirmoutrins se rendent sur place pour y ramasser coques et palourdes) où une vidéo montre en accéléré la mer qui monte et qui descend sur la route, est projetée sur la totalité du couloir d’accès. A marée basse, la barrière se lève et le visiteur peut continuer sa route.

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La Grande Carte postale ou Souvenir de Noirmoutier, 2006 . © Agnès Varda . Photo Patrick Gries

Deux autres installations d’envergure occupent l’espace. La Grande Carte postale ou Souvenir de Noirmoutier est un hommage aux anciennes cartes postales présentant une baigneuse nue vue de dos, avec de petits volets contenant des vues touristiques disposées en accordéon. Agnès Varda nous propose sa propre carte de vacances : une immense image murale de pin-up, allongée au soleil sur la plage, et qui a le visage de sa fille Rosalie, avec des écrans vidéo à découvrir à partir d’un pupitre. Le spectateur commande le visionnage de chaque film : à la place de l’image de la mouette volant dans le ciel bleu, le film propose la vision d’un oiseau englué dans une marée noire, à l’endroit de la mer, le corps d’un marin noyé flottant entre deux eaux, à l’emplacement du bras du modèle, la main de Jacques Demy laissant échapper du sable, rappelant le sablier qui décompte le temps.

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Les Veuves de Noirmoutier, 2004-2005 . © Agnès Varda . Photo Patrick Gries

L’installation intitulée Les Veuves de Noirmoutier, quant à elle, se compose d’un écran de cinéma, où sont projetées des images de veuves défilant sur une plage, encadré de 14 postes de télévision, où chaque veuve individuellement s’exprime dans un entretien sur les conditions de vie de son veuvage. Les postes de télévision sont reliés chacun à un casque dont le fil court au sol jusqu’à une chaise particulière sur laquelle le spectateur est convié à s’asseoir. Par ce dispositif, Agnès Varda, qui s’intègre aux 13 autres veuves interviewées, oblige le spectateur à se placer dans une relation intime et privilégiée avec la personne qui parle à l’écran, mais aussi à attendre qu’une chaise avec son casque se libère, le faisant entrer dans la peau d’une mouette guettant le poteau vacant.

Sites Internet

Fondation Cartier pour l’art contemporain
– Site officiel de la Fondation Cartier.

Livres

L’île et elle, par Agnès Varda, Éd. Actes Sud
– Carnet de notes ou catalogue en préparation, ce livre accompagne l’exposition L’île et Elle et fait voir les lieux et les gens de l’Île de Noirmoutier qui ont inspiré Agnès Varda.

Cléo de 5 à 7, par Agnès Varda, Éd. Gallimard
–  Le scénario intégral du film Cléo de 5 à 7, précédé d’une courte préface de l’auteur.

Agnès Varda, présenté par Michel Estève, Lettres modernes/Minard
–  Un numéro de la revue « Etudes cinématographiques » de 1991 qui fait toujours autorité, rassemblant 10 écrits de critiques de cinéma, mettant en lumière les composantes thématiques et esthétiques des films d’Agnès Varda, de La Pointe courte à Jacquot de Nantes. Une filmographie détaillée des films réalisés et des projets non aboutis, ainsi qu’une bibliographie abondante de livres ou d’articles, complètent cet ouvrage.

Varda par Agnès, Cahiers du cinéma
– Ouvrage de référence réalisé par Agnès Varda elle-même, varié, richement illustré, mêlant réflexions et anecdotes.

Sans toit ni loi, L’Avant-Scène Cinéma ; N°526, nov. 2003
– Découpage plan par plan du film. Comprend également un entretien avec Agnès Varda par Yves Alion, un article de Jean-christophe Berjon sur son rôle novateur au cinéma, ainsi qu’une revue de presse du film à sa sortie en 1985.

Agnès Varda : le cinéma et au-delà, sous la direction de Anthony Fiant, Roxane Hamery et Éric Thouvenel
– Ce volume est issu d’un colloque international organisé à l’université Rennes 2 en novembre 2007. Il réunit une vingtaine de textes qui mettent en évidence la richesse et la cohérence du cinéma d’Agnès Varda ainsi que ses prolongements et saluent ce parcours unique, d’une liberté jamais démentie.

 

DVD

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Le bonheur
(Ciné-Tamaris)


Le bonheur, Ciné-Tamaris
– Film de 1964 que l’édition en DVD nous fait découvrir avec ses couleurs originales ; ce qui est important pour un film chromo, aux couleurs de l’été, aux fondus à la couleur, aux couleurs impressionnistes. L’histoire du film, parfaitement sous-tendue par la musique de Mozart, montre l’irruption de la mort, ultime réalité, dans le monde idéalement affiché du bonheur familial. François toujours très amoureux de sa femme Thérèse, entretient une relation amoureuse avec une autre femme, Emilie. Ne souhaitant pas se priver, ni se cacher, un jour de communion avec la nature lors d’un pique-nique, François apprend à sa femme cette aventure, qui ajoute selon lui du bonheur à son bonheur. Un moment plus tard, il la retrouve noyée. La fin du film reprend les mêmes images d’une famille unie et heureuse, se promenant la main dans la main dans la même forêt, simplement avec Emilie à la place de Thérèse. A propos de ce film, Agnès Varda note en 1965 : « Le bonheur, c’est du trompe-malheur et le film sera subversif dans une grande douceur. Ce sera un beau fruit d’été avec un ver dedans. » et en 2006 « … son sujet reste vrai : que fait-on du désir de l’autre ? ». Parmi les bonus, Agnès Varda revient sur les lieux du tournage pour interroger aujourd’hui les protagonistes du film, les habitants de Fontenay-aux-Roses, quatre personnalités, sur le film lui-même, qui a suscité à l’époque de très nombreuses réactions vives et contradictoires, ou leur propre idée du bonheur.

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Cléo de 5 à 7
(Ciné-Tamaris)


Cléo de 5 à 7, Ciné-Tamaris
– Film en noir et blanc de 1961. Cléo, vedette de la chanson, belle et superficielle, qui ne se soucie guère que des images reflétées par les autres et de son apparence rendue par les miroirs, apprend qu’elle a peut-être un cancer. Cette annonce déclenche aussitôt un retour sur soi, et entraîne une modification radicale de sa personnalité, indiquée dans le film par un changement de tenue : elle arrache sa perruque et change de robe. D’un accueil passif des autres, elle passe alors à la volonté de découvrir autrui. Dans l’attente des résultats de son analyse médicale, elle effectue un parcours dans les rues de Paris où ses diverses rencontres familiales, amicales et professionnelles se soldent par un échec de la relation. Seule la dernière, avec un soldat en permission, parvient à toucher Cléo qui, malgré la confirmation de sa maladie, trouve les ressources suffisantes pour envisager désormais l’avenir sans peur. Un film magnifique, représentatif du style de la Nouvelle Vague, avec une succession de scènes dont le réalisme est notifié à l’écran par leur chronométrage, élaboré avec une grande liberté de ton et de mouvement, ainsi qu’une photo lumineuse. A ranger à côté des chefs-d’oeuvre de l’époque : Les Quatre Cents Coups, A bout de souffle, Hiroshima mon amour et Muriel.

Le DVD inclut, entre autres, deux films majeurs :

L’Opéra Mouffe
– Court métrage de fiction en noir et blanc de 16 mn (1958). Agnès Varda, enceinte, profite de cet état qui modifie sa perception des choses pour réaliser un film expérimental, mêlant des images documentaires prises sur le vif de passants dans la rue Mouffetard à des images oniriques du bonheur charnel d’un jeune couple, ainsi qu’à d’autres images réalistes à caractère symbolique -la courge ventrue éventrée par un couteau pour libérer ses graines. Un film opéra, où la très belle musique originale de Georges Delerue se développe en contrepoint aux images et aux textes poétiques, qui invite à une réflexion sur les âges de la vie, les vieux qui ont été des bébés, les jeunes couples qui font les bébés.

Daguerréotypes
– Long métrage documentaire en couleur de 75 mn (1975). Un film qui décrit la vie des commerçants de la rue Daguerre, entre le n° 70 et le n° 90. Avec l’urgence de témoigner avant leur disparition des petits commerces traditionnels où elle aime se rendre, Agnès Varda entreprend d’enregistrer les faits et gestes de ceux qui y travaillent. S’installant aussi discrètement que possible dans chaque échoppe – quincaillerie, mercerie, auto-école, boulangerie, boucherie, salon de coiffure, marchand d’accordéons, etc. – elle dresse avec plaisir l’inventaire des échanges qui s’y déroulent : de l’accueil du client à l’attention à sa demande, du travail précis et soigneux fourni pour la satisfaire, des paroles proférées avec les habitués pour le bon entretien des relations amicales. Elle saisit également le ballet merveilleux, parfaitement réglé, de l’ouverture et la fermeture des boutiques, qui engagent quotidiennement les mêmes gestes, la même répartition des tâches entre époux. Agnès Varda prend le temps de filmer un monde enchanté, qui semble immuable, rassurant, à l’abri du temps.

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Sans toit ni loi
(Ciné-Tamaris)


Sans Toit ni Loi, Ciné-Tamaris
– Long métrage de fiction en couleur de 105 mn (1985). Une jeune femme est trouvée morte dans un fossé. L’enquête de gendarmerie débute, celle d’Agnès Varda aussi, mais trouver les réponses à d’autres questions que celles posées par les gendarmes, visant à savoir si la mort était naturelle ou provoquée. A l’époque du film, on commençait déjà à parler des “nouveaux pauvres”. Agnès Varda, attirée par les exclus et ceux qui osent dire non, relie les pauvres d’aujourd’hui à ceux qui jadis sillonnaient à pied la campagne, et entreprend de mieux les connaître. Que sait-on d’une femme seule et vagabonde ? Comment vit-elle ? Les derniers jours de Mona, fière, sale et rebelle, sont retracés dans une fiction inspirée de témoignages de personnes réelles, la fiction elle-même prenant des accents de documentaire, en proposant l’accumulation des nombreux témoignages de ceux qui l’ont croisée. L’articulation du film se fait par douze travellings qui s’enchaînent formellement, filmés à contresens de droite à gauche, suivant les déplacements du personnage qui va à la mort, en un véritable chemin de croix. Une fois encore, la cinéaste se garde bien de fournir une explication toute faite à un être qui intrigue par son comportement asocial, qui évolue en marge de la société bien pensante. Le personnage de Mona rendu plus proche par le film reste cependant opaque, mais les différents portraits dressés par les gens à son égard renseignent beaucoup sur leurs propres petits arrangements avec la vie.

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Les glaneurs et la glaneuse
(Ciné-Tamaris)


Les glaneurs et la glaneuse, Ciné-Tamaris
– Long métrage documentaire en couleur de 78 mn (2000). Tourné entre septembre 99 et avril 2000, Agnès Varda parcourt la France à la rencontre des glaneurs d’aujourd’hui. Quelques représentations de glaneuses dans la peinture du 19e siècle fournissent le point de départ à l’enquête sur le glanage dont les formes ont varié jusqu’à nos jours, mais dont les gestes fondamentaux subsistent. Des glaneuses en groupe récoltant les épis après la récolte, on passe aux glaneurs solitaires des villes, récupérant les surplus de production, les objets déclassés, jugés impropres à la consommation ou abandonnés par leurs propriétaires. Agnès Varda s’approche d’eux, nous fait faire connaissance, nous montre que le glanage peut répondre à une nécessité non seulement économique, mais aussi esthétique ou éthique. A une image toute faite de voleur, qu’elle s’applique à casser en convoquant sur le lieu du délit des hommes de loi qui rappellent ouvertement la légalité de la pratique, elle en substitue d’autres qui nous rendent chaque glaneur bien sympathique. Libérée du poids de la technique par l’adoption d’une petite caméra numérique, elle intègre la compagnie des glaneurs, et nous livre dans la confidence, avec lucidité et malice, en quelques plans furtifs, son portrait de femme vieillissante. Les spectateurs ont témoigné par un abondant courrier de leur attachement à ce film. Agnès Varda en a fait une suite en 2002 sous le titre Deux ans après, retrouvant les personnes du film précédent et offrant de nouvelles rencontres.

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Tout(e) Varda
(Arte editions)


Tout(e) Varda, Arte editions
– L’intégrale des films d’Agnès Varda, de 1954 à 2012, pour la première fois réunis dans un sublime coffret de 22 DVD comprenant 20 films restaurés dont 9 inédits et 16 courts métrages.

 

Estampes de l’artothèque

Jean Vilar et les dix premières années du Festival d’Avignon
– 99 tirages photographiques de la troupe et des spectacles de Jean Vilar, lors du Festival d’Avignon.

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