DE L'HISTOIRE DES IMAGES 1

L’ailé et l’aptère : l’art alchimique inspiré et inspirant

L'alchimie, l'art alchimique, les artistes alchimiques

- temps de lecture approximatif de 27 minutes 27 min - Modifié le 25/02/2023 par AGdG

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Aurora Consurgens 1420, Zürich, Zentralbibliothek, Ms. Rh. 172: Aurora consurgens (https://www.e-codices.ch/en/list/one/zbz/Ms-Rh-0172).

L’alchimie ?
“Tous les dragons de notre vie”

Elle s’appelle Cupriavidus metallidurans. Il s’appelle Nathan Magarvey.

Elle “mange” des métaux toxiques et en fait de l’or .

Il l’a découverte, elle et son don de chrysopée, un matin doré, dit-on.

Les origines de l' alchimie par Marcellin Berthelot, 1885

A eux deux, ils auraient fait sans doute rougir d’excitation Cléopâtre l’Alchimiste (4e siècle ap.J.C), l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de cette source de connaissances et de créations inouïes : l’alchimie.

L’alchimie est tout d’abord une connaissance visant à la transformation des métaux vils en or (la chrysopée) via le Grand Oeuvre et à la recherche du remède de longue vie. Il s’agissait notamment de rendre fixe ou aptère (“qui n’a pas d’ailes”) la matière ailée, volatile.

Souvent parée à outrance d’oripeaux ésotériques, de pensées magiques, l’alchimie est pourtant aujourd’hui admise comme une part de l’histoire de la chimie.

Mais elle est plus que cela.

Si on suit la voie des chercheurs comme  Bernard Joly ou encore Didier Khan,  l’alchimie se dévoile comme une forme de savoir multiséculaire et colossale, posée sur papier dans des traités d’alchimie, conservés et mise en ligne par de prestigieuses bibliothèques, comme la notre. Et puis, si elle est la recherche de la matière contenue dans la nature, elle est aussi une philosophie, une pensée, une quête, un parcours initiatique et spirituel de l’Être, une recherche de Salut, de transformation intérieure, celle de l’alchimiste lui-même, un savoir universel fondé sur le principe de l’accord des opposés (concordia oppositorum).

Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses attendant de nous voir beaux et courageux
Lettre à un jeune poète de Rainer Maria Rilke (1875-1926).

L’art alchimique ?
“Autant de sommes que la nuit de l’or”

Deux vicaires temporels très différents sont à la disposition des mortels : l’image, le mot.
L’image voit ce qui manque.
Le mot nomme ce qui fut. Derrière l’image, il y a le désir, c’est le fantasme le jour, c’est le rêve la nuit, c’est l’oracle la veille.
Sur l’image qui manque à nos jours de Pascal Quignard.

Mais l’alchimie est bien plus qu’une pensée posée sur papier.

Plastiquement, l’alchimie a créé. 

L’alchimie fut (est ?) inspirée graphiquement.

Elle est en effet à l’origine d’un corpus d’images époustouflantes, du Moyen Age au 18e siècle. 

Selon l’histoire d’art belge Jacques Van Lennep, L’image fut pour l’alchimiste un moyen d’expression primordial (…) Ce répertoire qui n’intéressa jusqu’ici que les esprits avides d’hermétisme, doit entrer triomphalement dans le domaine de l’histoire de l’art”.

Il  y a des images “techniques”, représentant des ustensiles ou des fours, comme dans cet ouvrage conservé par exemple à la bibliothèque universitaire de Santé de Paris, de 1529, ci-contre.

Et puis, il y a les images symboliques, métaphoriques, comme le . Sujettes aux interprétations fumeuses ou autocentrée , elles sont pour les initiés, un langue des oiseaux limpide. Ailée et aptère, l’art alchimique est “le seul qui, depuis le moyen âge employa l’image comme des mots et les assembla en “textes” allégoriques défendant une philosophie ou retraçant des opérations mystiques.” explique J. Van Lennep.

vue 21 - page 8

MUTUS LIBER, Bibliothèque nationale de France

D’une beauté éblouissante, certaines images sont de purs chefs d’oeuvres, des gravures souvent anonymes et siégeant dans des manuscrits ou des ouvrages imprimés qui sont devenus des pièces maîtresses de l’histoire de l’alchimie en image,  comme le MUTUS LIBER. Véritable “livre d’artiste”, sa position radicale sans texte (!) découle d’une tradition de l’image qui s’est développée à partir du 14e siècle et qui s’étire jusqu’au 18e siècle.
ou l’ AURORA CONSURGENS, chef d’oeuvre, ci-dessous :

«L’alchimie qui ne cessera jusqu’à la fin du 18e siècle de produire d’admirables œuvres d’art souvent anonymes, peintures d’une interprétation ardue sous leur revêtement d’époque, et surtout illustrations de livres qui sont autant de « sommes » que la nuit de l’or. » L’Art Magique (p.166) par André Breton

 Les artistes et l’alchimie ?
“Say my name”

L’alchimie a irrigué l’oeuvre de certains artistes. Ils en ont fait leur matière à penser, à créer.
L’art alchimique eut enfin des répercussions et des influences manifestes sur les créations artistiques traditionnelles. De nombreux artistes tels Bosch ou Bruegel puisèrent dans ses trésors symboliques.” souligne J. Van Lennep.

 L’alchimie leur est inspirante.

Pour Nicolas Bourriaud, théoricien majeur de l’art contemporain notamment sur la question de l’esthétique relationnelle, l’alchimie et les artistes contemporains auraient développé des process communs :
Le laboratoire alchimique n’est finalement qu’un lieu de pratique qui n’aboutit pas à un résultat, puisque par définition, l’or de l’alchimie est un or philosophique. C’est dans l’oratoire que se déroule véritablement la pratique alchimique qui est une ascèse. Le laboratoire n’est ici qu’une métaphore : le lieu où l’on effectue les gestes qui légitiment le travail de l’oratoire. En un sens, c’est très proche de ce que font les artistes aujourd’hui. Le laboratoire est devenu effectivement une sorte de forme pour l’atelier qui, de plus en plus, n’est pas le lieu où se fabriquent les choses mais où on les pense.” L’étincelle, journal de création de l’IRCAM.

 “Say my nameWalter Hartwell White

HICHAM BERRADA (1986-…) 

Artiste contemporain de reconnaissance internationale, toute son oeuvre explore les entrelacements entre sciences et art.

Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme et la lumière.

Des nuages se forment, des sédiments se créent, sous nos yeux, fulgurants. De la nature et des interactions entre la matière, il sonde les possibles, il en filme les réactions, dans des béchers ou à ciel ouvert.

Il est l’artiste alchimiste. Sa démarche n’ambitionne pas la chimie pure mais l’état d’âme.

Je choisis un référentiel; il s’agit souvent d’un aquarium, d’un terrarium ou de tout autre contenant clos dans lequel je peux contrôler les paramètres. A partir de là, je procède comme un scientifique, alternant expériences et intuition. C’est un aller-retour. Je choisis des conditions de départ en terme de température, de taux d’acidité, de matériaux que je fais progressivement  évoluer en fonction des résultats obtenus. Chaque pièce, chaque forme que vous voyez est le fruit de longues heures de tests en atelier. Je cherche à faire en sorte que chacun de ces petits mondes puisse ressembler à un écosystème et générer, si possibles des émotions chez le spectateur.

Dans la série “Présage” 2003, il met en contact, dans une cuve en acier et en verre, des éléments chimiques de natures diverses qui produisent des formes de croissance rapide mais qui auraient pris des milliers d’années dans des conditions naturelles.

L’hallucination de l’alchimiste, (1897)

Dans “Céleste” (2014) , il disperse dans le ciel gris des fumées colorées azur, éphémères mais rendues éternelles par leur captation filmée.

Dans “Masse et Martyre” (2017), il établit des conditions chimiques permettant l’accélération du procédé d’oxydation sur deux formes de bronze à la cire perdue. En 7 mois, l’oxydation est totale. Dans la nature, elle aurait durée précisément 74 803 jours doit 2 siècles.

Sans employer de dispositifs stricts aux sciences expérimentales, ces œuvres manifestent la beauté de la transformation de la temporalité et de la transformation tout court : “Aucune matière n’est arrêtée. Aucune forme n’est aboutie. Tout tend vers le chaos.

Comme si ces œuvres étaient (à) la recherche du temps à venir.
Comme si la nature était à la fois le poème et le poète.

Portrait de Geber, alchimiste arabe par Thévet, André, 1504-1592 Bibliothèque municipale de Lyon (F16THE000201)

Mon travail artistique a débuté lorsque j’ai découvert une lettre de Berlioz à un ami dans laquelle il décrit une expérience physique qui est, à mes yeux, comparable à ce mal inexprimable qu’est le spleen. (…) Il s’agit de la surfusion de l’eau (…) Cette description est pour moi essentielle car toute la démarche relève de cette quête : générer, par des expériences physiques, une poésie qui toucherait l’esprit humain.

“le mont de philosophe” dans Cabala, Spiegel der Kunst und Natur in Alchymia par Michelspacher, Steffan, 1663, collection Getty.

En constellation, l’alchimiste au travail : la représentation de l’alchimiste au travail est un motif iconographique récurrent dans l’histoire de l’art : David Teniers le jeune, Rembrandt et Bruegel l’Ancien….Elle symbolise le Grand Oeuvre (processus qui implique l’appareil psychique de l’alchimiste tout comme le corps des matiéraux). ll peut être aussi représenté par le ” mont des philosophes ” (ci-contre).

En constellation : Alva Noto & Ryuichi Sakamoto Vrioon

PARMIGGIANINO (1503-1540) 

L’artiste Francesco Mazzola, dit « le Parmesan »  ou « Parmigianino” (1503-1540) est l’une des plus belles mains de l’histoire du dessin.
Ses traits ont fissuré les normes esthétiques de la Renaissance italienne. Rien à voir avec la construction équilibrée de Piero de La Francesca. Torsion des corps, anatomie affabulatrice, perspective tronquée, érotisme…Le continuum du visible est rompu.
D’aucune école, d’aucun mouvement, Parmigianino est le précurseur du maniérisme.
L’illustre Giorgio Vasari, qui a écrit les biographies des plus grands de son époque, décrit Parmigianino comme le nouveau Raphaël. Il renseigne surtout sur son activité d’alchimiste, mue en passion dévorante qui l’aurait conduit à sa mort à 37 ans  : “ [aveva] cominciato a studiare le cose dell’alchimia, aveva tralasciato del tutto le cose della pittura, pensando di dover tosto aricchire congelando mercurio”.

Selon certain historiens de l’art et notamment  Maurizio Dell’Arco , cette passion se retrouverait dans ses œuvres sous la forme de représentations symboliques. Subtilement instillées dans ses peintures, elles sont dans le sillage de l’image alchimique métaphorique. 

Comme dans le portrait de Galeazzo Sanvitale, comte de Fontanellato, 1524, conservé au musée de Capodimonté à Naples.
Sur la pièce de monnaie tenue par le comte, sont gravés les chiffres 2 et 7. Selon Maurizio Dell’Arco dans la pensée alchimique, ces chiffres auraient une symbolique alchimique. Ils sont associés respectivement à la Lune et à Jupiter.

En constellation : SPLENDOR SOLIS (an alchemical treatise), 1582, British Library.
Ce manuscrit de langue allemande qui vient clore la splendide floraison des 15e et 16e siècle peut être considéré comme le plus célèbre traité d’alchimie (texte antérieur à 1520). Ses 22 miniatures, toutes en pleine page, sont des images incontournables de l’art alchimique. La cohérence entre la veine iconographique et la veine historique témoigne de la concertation étroite entre l’auteur (dont on ne sait rien) et le peintre, qui serait Jorg Breu l’Ancien (1475-1536). Il est voué aux grands thèmes de l’alchimie allégorique.

La lune : 
la série des dieux planétaires se termine par Luna. Les enfants de Luna vivent en raccord avec la nature et lui consacrent leur existence. La miniature représente le plus haut degré de transformation alchimique. La couleur rouge symbolise la perfection atteinte par le Grand Oeuvre, le processus alchimique et à l’obtention de l’or. 

Jupiter (ci-dessous) :
La deuxième étape du perfectionnement des métaux est celle de l’étain. Son dieu, Jupiter, gouverne les grands de ce monde. Dans la niche centrale la fiole en verre coiffée d’une couronne contient 3 oiseaux aux couleurs principales de l’alchimie : (noir, or, blanc) qui se battent. Ce motif emprunté à l’Aurora consurgens (voir plus loin) symbolise la séparation de la matière lors de son échauffement. A l’étape suivante, la matière sera sublimée et de nouveau réunie en 1 oiseau à 3 têtes.

En constellation :  Stairs in stars de Nobukazu Takemura

YVES KLEIN (1928-1962)

Il faudrait plusieurs vie pour creuser et présenter l’oeuvre d’Yves Klein le géant. 

On a beaucoup glosé sur le rôle de l’alchimie chez Klein.
Plusieurs théoriciens dont un critique français le plus important Pierre Restany et Barbara Puthomme, notent l’influence de l’alchimie voir la dimension alchimique de son oeuvre. 

Yves Klein a en effet créé notamment par / avec  le feuIl faut regarder ses Peintures de feu : il travaille le fond de la toile, sa matière même, directement avec un chalumeau notamment. L’action du feu l’altère et des gammes de bruns, roux, noirs en sont la trace.

“Tout de suite, j’ai pu constater les immenses possibilités de cet élément ultra-vivant. Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu.” (Yves Klein cité par P. Restany). 

Le feu est l’élément fondamental par lequel le Grand Oeuvre est possible. Le feu est ce par quoi les deux grands piliers de l’alchimie sont : solve et coagula. Selon l’un des plus grands représentant de l’alchimie, Zosime de Panopolis (IVe siècle ap JC), la matière est composée de deux parties : le fixe et le volatil, le soma / le corps  et le pneuma / l’esprit.  Yves Klein reprend cette idée de vie par le feu, idée reprise par Gaston Bachelard, sous la forme du complexe d’Empédocle et sous la figure du Phénix.
le feu suggère le désir de changer (…) la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement.Psychanalyse du feu, Gaston Bachelard.
D’autant que l’idée de transmutation se retrouve dans les écrits de d’Yves Klein : Eh bien oui je suis peintre : car la peinture, à mon avis, n’est de la peinture que si le peintre qui l’exécute peut y transmuer, par sa qualité justement, cette matière picturale vivante qui imprègne le tableau et lui donne la vie éternelle ou tout au moins permanente en fonction de sa durée d’existence périssable.”Ecrits.
Mais nuançons. Nombres d’auteurs ( Nicolas Charlet, Thomas McEvilly et Denys Riout ) ont étudié les bases philosophiques, religieuses, etc. qui permettent à Klein d’unir, dès 1959, l’or, le feu et l’immatériel.  “Il semble qu’Yves Klein ait, soit volontairement brouillé les pistes, soit plus vraisemblablement élaboré un discours personnel, qu’il serait impossible à réduire à une ou plusieurs doctrines.
Nicolas Charlet et Jean Michel Ribettes rappellent tout de même qu’Yves Klein réfutait la dimension occulte prêtée parfois à son discours “Je refuse l’occultisme et les sociétés secrètes. Bien que j’en connaisse quelque chose, je sens bien leur lamentable imitation.
 

En constellation : ATALANTA FUGIENS DE MICHAEL MAIER (1568 – 1622), 1618.

Emblème XX : “un quadruple globe de feu régit cette oeuvre”

Les traités d’alchimie de Michael Maier (1568 – 1622) comptent parmi les plus importants de son époque. L’Atalante Fugiens est sans conteste l’un des chefs d’oeuvre de l’art alchimique. Les 50 gravures sur cuivre sont l’oeuvre du génial artiste bâlois Matthaus Merian l’Ancien (1593-1650). Il contient pour chaque section un texte et une fugue à 4 voix, des gravures. Atalante est une héroïne d’un mythe grecque. Jeune vierge, elle est connue pour sa rapidité légendaire et pour illustrer la juste mesure. Cette conception du bonheur est repriss par Maier dans sa préface : la poésie et la musique permettent de jouir de cette tempérance.

Ci-contre, Cette image du feu saisissante représente les 4 degrés du feu. La matière doit tous les parcourir  dans l’oeuvre alchimique pour accéder au degré le plus élevé de la pureté. Le globe inférieur est le feu “vulcanien élémentaire”, le suivant est le feu mercuriel “volatil“, puis le feu lunaire “aqueux” et enfin pour culminer le feu solaire terrestre.

Emblème XXIX : “Comme la salamandre la Pierre vit du feu”

La salamandre philosophique, souligne Maier, est d’une nature différente de la salamandre, bien qu’associée. Cette dernière peut traverser les flammes sans brûler. La première naît du feu, croit dans le feu et incarne ses qualités. C’est pourquoi elle représente la Pierre des Sages qui n’accède à la maturité qu’après avoir parcouru les diverses phases du feu. 

en constellation : I love you golden blue par Sonic Youth

REBECCA HORN (1944-…)

Rebecca Horn est une artiste (trop) peu connue.
Son oeuvre est traversée par des réflexions sur le corps, la chair, l’identité corporelle, les antagonismes, les paradoxes et la transformation. Il s’agit pour elle  de “s’affranchir de ses étroites limites en revêtant une autre peau”, (Michel Leiris, “Le caput mortem ou la femme de l’alchimiste”, Documents, n° 8, 1930).
Ses liens avec l’alchimie se émergent dès sa jeunesse. Pendant ses études, elle découvre un livre qui deviendra majeur pour elle : les Noces chimiques de Christian Rosenkreutz (1616).
Il lui offrira un cadre pour ses recherches autour de l’hybridation, du dialogue entre formes et forces, et de la rencontre des extrêmes.

L’influence alchimique sur son langage artistique devient manifeste avec son film, La Ferdinanda (1981), qui tient son nom d’une villa toscane. D’autres oeuvres l’illustrent: Blaues Bad (le bain bleu, 1981) : une voix off lit un extrait des Noces chimiques de Rosenkreutz. Il y est question de la naissance, de la croissance puis du sacrifice d’un grand oiseau, tandis que le bassin rappelle les vases dans lesquels s’opèrent les processus de purification et de métamorphose.
Machine-paon (1982) : dans la symbolique alchimique, l’apparition du paon annonce l’osmose finale des dualismes du Grand Oeuvre. L’oiseau joue chez Horn le jeu des opposés, de l’intérieur et de l’extérieur, du mécanique à l’organique, du masculin au féminin, de l’actif et du passif.

Splendor Solis

En constellation : SLPENDOR SOLIS

La cuisson du paon : l’oiseau polymorphe figure les 4 phases de l’oeuvre : à la fois corbeau (oeuvre au noir), cygne (oeuvre au blanc), paon (oeuvre au jaune) et phoenix (oeuvre au rouge).  Le noble oiseau était associé est au 5eme stade du processus de métamorphose du cuivre dans l’image de la planète Venus. Sa queue colorée est associée aux changements de couleurs à un stade particulier de la transmutation.

Cette image est extraite du AURORA CONSURGENS, 1410.

Ce manuscrit est le premier grands imagiers alchimiques à proposer une iconographie cohérente. Traduisible par “Lever de l’aurore”, il est capital et novateur car ses 37 miniatures grandioses construisent un sens à part, indépendant du texte.

C’est Hermes Trismégiste (ci-dessous) qui inaugure ce traité. Pour autant, le texte s’attache à faire le parallèle entre les doctrines chrétiennes et les enseignements alchimiques. Ses images anonymes marquent les débuts de l’âge d’or des images alchimiques. Leur style “velouté” est caractéristique du gothique international.

En constellation : A peackock astray

Pieter Brueghel ou Bruegel dit l’Ancien (1525-1569)

Brueghel, peintre hollandais du 16e siècle, fait partie des génies de l’histoire de l’art. Son oeuvre d’inspiration fantastique s’inscrirait dans la veine de celle de Bosch. Selon Van Lennep, ses oeuvres regorgent graphiquement de représentations symboliques illustrant la pensée alchimique. 

La sorcière de Malleghem, Bnf

Brueghel a représenté à plusieurs reprises des“fous”. Pour les alchimistes, ces fous sont les souffleurs soit des charlatans qui, excités par le soif de la richesse, pratiquent l’alchimie dans le seul but de fabriquer de l’or matériellement parlant. C’est le cas dans la sorcière de Malleghem ou dans une gravure de la série Proverbes, mais surtout dans l’alchimiste,, représentant un homme déguenillé, assis devant un fourneau et suivant les instructions d’un grimoire sur lequel on peut lire “Al ghemist”. La légende de la gravure est claire ou hermétique, selon : Les ignorants doivent acquérir la science puis œuvrer. La caractéristique de la pierre philosophale précieuse, abondante et enfin rare est d’être une chose unique manifestement vile mais qui se trouve partout. Elle est insérée quatre fois dans la nature et répandue dans ce qui est sans valeur où aucune chose minérale n’est primordiale mais telle qu’on la trouve en tous lieux.” Bruegel est l’éclairé défendant le caractère spirituel de l’alchimie.

En constellation : L’AMPHITHEATRE DE LA SAGESSE ETERNELLE de Heinrich Khunrath, 1609
H. Khunrath (1560-1605)  publia de nombreux traités mais celui-ci est le plus célèbre. Médecin à Bâle, ses gravures sur cuivre grand format sont d’une qualité exceptionnelle. Plusieurs éditions enrichies furent publiées.
Dans le pentacle de Khunrath, ci-dessus, le centre contient les secrets et les symboles de l’alchimie. Autour, la foule des moqueurs et des fous entourent les secrets de l’alchimie. Deux philosophes prennent néanmoins la défense de l’alchimie. Leurs pieds écrasent la tête du serpent et la queue du scorpion.

Et puis il y a la Chute d’Icare (1569), conservée au Musée royaux des Beaux-Arts de Belgique. De très nombreux spécialistes se sont intéressés à la puissance symbolique de ce tableauSelon Van Lennep, le vol d’Icare correspondrait à “la précipitation ou à la fixation d’un produit volatil” et il ajoute que la preuve de la relation entre Icare et l’alchimie serait donnée par le chant XXIX de l’Enfer de Dante.  Les 4 éléments sont présents dans ce tableau le feu, l’air, l’eau et la terre, éléments pour fabriquer la pierre philosophale permettant la transmutation des métaux en or.
Mais le vrai héros de cette oeuvre est le laboureur. On sait par ailleurs que les alchimistes aimaient à comparer leur art à l’agriculture. Cette analogie avec le cultivateur indique que les alchimistes considéraient les métaux comme des organismes pouvant croître, mûrir et se multiplier, pour autant qu’ils ne soient pas travaillés par des “souffleurs”.

ne peut germer aucune semence sans que premièrement elle ne se pourrisse.” Basile Valentin (XVe siècle).

Dans l‘Atalanta Fugiens de Maier, on retrouve cette image de terre comme mère nourricière. La nature est évidement au cœur de la pensée alchimique. Elle est le modèle par lequel le Grand Oeuvre se réalise, ce par quoi tout commence. Elle est semence.

En constellation : Mambo par Misori Hibari

MATTHEW BARNEY (1968-…)

Matthew Barney  est un artiste de la matière, mêlant toutes les matières possibles. Films, dessin, photographies, vidéo, sculpture…son oeuvre est stupéfiante, orgiaque, de sang et de sexes, de vie et de mort, dans la lignée du body art, pour une part. Elle se situe parfois aux limites du soutenable.

Matthew Barney a renouvellé le genre du film d’artiste avec son cycle colossal Cremaster (1994-2002).

Il convoque mythologies ancestrales et questions contemporaines, l’hybride, la métamorphose et l’immuable, l’identité corporelle.

Son attachement à l’alchimie fut manifeste lors de sa très belle exposition à la BnF, La chambre des sublimations. La sublimation est l’une des phases du Grand Oeuvre c’est-à -dire la réalisation de la pierre philosophale. Elle est l’oeuvre au jaune, selon l’alchimiste du 17e siècle Michael Maier. Elle consiste à permettre le retour à l’état solide d’un corps rendu volatil à l’aide d’un appareil le “ sublimatoire ”, sans passage par l’état liquide . Dans cette exposition, en qualité d’oeuvres inspirantes, Barney a sélectionné des manuscrits alchimiques issus de la Bnf

Cette pensée alchimique transpire dans ces oeuvres, comme Water Castings ou  son film “The River of Fundament” dans lesquels il s’intéresse à l’objet de la transmutation même : l’or. Le récit de se film se déroule autour de thèmes comme la résurrection, la vie éternelle. Et, en veilleuse tout autant qu’en litanie, une construction, entre sculpture, machine, bête, de laquelle du métal doré est drainé dans des veines de terre, par des hommes… Barney est un homme de la matière mais aussi de la métamorphose. L’or n’est en réalité que très peu représenté dans les images alchimiques, tant sa portée métaphorique est ailleurs. 

En constellation : SPLENDOR SOLIS

Les douzes chapitres  de la partie médiane de Slpendor Solis décrivent le processus d’obtention de la pierre philosophale, soit les douzes stades (soit 12 fioles) du Grand Oeuvre jusqu’à la perfection dont l’or est le symbole matériel. Ci-contre, la tête du supplicié est d’or. Selon l’alchimiste Zosime de Panopolis, la transmutation des corps en esprits purs passait par le dépècement.

en constellation : Cristo redentor par Donald Byrd

MARCEL DUCHAMP (1887-1968)

Marcel Duchamp est l’un des artistes les plus influents, précurseurs de l’histoire de l’art moderne et contemporain.

Selon Yannis Toumazis, Marcel Duchamp, artiste androgyne , le voyage artistique de Marcel Duchamp en s’inscrit pas dans sa totalité dans la pensée alchimique. En revanche, “il est tout à fait certain que les chemins empruntés par Duchamp ont rencontré ceux de l’alchimie car le principal élément de son art est la coniunctio oppsitarum, la réconciliation des contraires, c’est-à-dre l’Androgyne”.

A la question, “Peut-on dire que votre point de vue est alchimique” posée par Lanier Graham au sujet de l’androgynie, Duchamp répond :  On peut. C’est une compréhension alchimique. Mais il ne faut pas s’arrêter là ! Si nous en restons là, certains penseront que j’essaie de transformer du plomb en or dans la cuisine (rires). L’alchimie est une sorte de philosophie, une sorte de pensée qui conduit à une façon de comprendre.

Dans son ouvrage, Arturo Schwarz examine la notion d’androgynie du point de vue de l’alchimie mais c’est l’ouvrage de Robert Lebel, Sur Marcel Duchamp qui a observé le premier cette relation entre l’alchimie et son oeuvreL’artiste lui confiera : “Si je fais de l’alchimie, c’est de la seule façon qui soit de nos jours admissibles, c’est-à-dire sans le savoir.”  Pourtant, tout aussi nombreux sont les critiques qui ont rejeté cette relation : Jean Clair, Rosalind Krauss, Craig Adcock, entre autres.

C’est par le personnage Rrose Sélavy, le double féminin de Duchamp qu’il file le lien avec le concept de l’androgyne alchimique nommé le Rebis (“Chose double”). Dans la symbolique alchimiste, il représente le processus de métamorphose de la conscience qui sous-tend une naissance de l’Un véritable. Il symbolise son fondement : la réunion des contraires.

De l’Un grossier et impur naît un Un extrêmement pur et subtil”  Heinrich C. Khunrath, alchimiste.

Le lièvre (la terre) et la chauve souris l(air) sont les symboles de la fixation du ailé, tandis que les ailes à terre (l’aptère)  traduisent la fixation des parties volatiles des métaux.

“Emblème XXXIII “LHermaprhodite semblable à un mort, gisant dans les ténèbres a besoin de feu”, Atlanta Fugiens, 1618

L’emblème ci-contre représente Sol et Luna, masculin et féminin. Ce couple polaire Sol – Luna symbolise les deux substances arcanes de l’alchimie, le soufre et le mercure, sulfur et mercurius, dotées de qualités “spirituelles”, le sufur philosophorum et le mercurius philosophorum. Ils sont ici réunis en un corps bicéphale et bisexué. Le corps est revitalisé par le feu. Pour l’hermaphrodite, cette phase signifie que le côté féminin (lunaire, froid, aqueux) cède la place au principe masculin (solaire, chaud, sec).

En constellation : Darondo

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2 thoughts on “L’ailé et l’aptère : l’art alchimique inspiré et inspirant”

  1. BND dit :

    l’alchimie m’a souvent été présentée comme un sujet sulfureux ? cet article très intéressant fait tomber ce préjugé ;

  2. Jastrzabek Lydia dit :

    Magnifique article. Merci

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