Du spirituel dans le design

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

Le monde des objets nous reflète, nous complète, nous désarme parfois... Il se veut également émouvant en plus de nous servir.Le design japonais qui oscille entre l'artisanat d'exception et l'expertise technologique véhicule idées et vibrations sensibles.

Le wa, essence du design japonais
Le wa, essence du design japonais
Un florilège d’expositions parisiennes ont esquissé les grandes problématiques : innovations, pérennité, influences, assimilation …émotions surtout !

L’automne 2008 a fêté 150 ans de relations diplomatiques entre la France et le Japon (entérinées par “le traité de paix, d’amitié et de commerce” signé à Tokyo en 1858). Une affaire commerciale au départ va devenir une belle histoire culturelle… de design !
La première génération du design japonais est apparue à la fin de la seconde guerre mondiale marquée par la riche rencontre de Sori Yanagi ( tabouret butterfly qui se distingue par la grâce, la fluidité avec sa courbe évoquant un idéogramme).

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et de Charlotte Perriand (Version en lamelles souples de bambou de la chaise longue basculante, créée avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret durant leur collaboration).

Afficher l'image d'origineLes influences allemandes (celles du Deutscher Werkbund, du Bauhaus qui défendent tous deux l’alliance “beauté et fonctionnalité”) puis des Etats-Unis ensuite, ont induit aussi des choix formels et économiques…

Aujourd’hui, le design japonais défendu par le célèbre METI (Ministère japonais de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie) se heurte aussi aux défis de la mondialisation et doit lutter pour entretenir un succès qui reposait essentiellement sur trois qualités : fonctionnalité, fiabilité et coût.

Il n’est pas comme le dit Toshiyuki Kita “qu’un outil d’anticipation, d’innovation et de développement économique et culturel” mais aussi “une attitude de vie, un univers de recherche, reflet du rapport de l’homme au corps, au monde, à l’accélération, aux bouleversements des modes de vie…” et rejoint complètement le propos d’un grand théoricien du design : Victor Papanek “Le design est devenu l’outil le plus puissant avec lequel l’homme forme ses outils et son environnement”.

Harmonie, Sensibilité et Équilibre (WA, Kansei et Mingei) trois concepts, trois expositions se sont conjugués, répétés parfois pour parcourir l’histoire du design et démontrer le supplément d’âme de nos alliés quotidiens. La recherche formelle rejoint alors l’évocation d’un état d’être

L’harmonie au quotidien : le WA

La recherche formelle au service de l’évocation

“L’harmonie au quotidien – Design japonais d’aujourd’hui”
jusqu’au 31 janvier 2009 – Maison de la culture du Japon
101 bis, quai Branly – 75015 Paris

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Un parcours offert à la déambulation, au butinage, regroupe les objets (160 sélectionnés) selon six concepts majeurs : kawaii (mignon) ; craft (l’influence de l’artisanat) ; kime (la (finesse de grain, la finition parfaite) ; tezawari (sensations tactiles) ; minimal (la beauté des formes dépouillées) ; kokorokubari (prévenance).

Tous sont manifestes, porteurs à la fois de modernité et de tradition (valeurs inhérentes à cette société d’échanges rituels et chères aux japonais depuis le XVIe siècle).
Elles se concrétisent à travers le souci du détail, de la précision, des finitions.
Les familles d’objets (de l’objet domestique basique au robot humanoïde… ) fonctionnent comme des complices et illustrent nos humeurs, des idées, des qualités (élégance, humour…).

Les réalisations des grands maîtres (Isamu Noguchi, Sori Yanagi) devenues mythiques, alternent avec celles conçues par des stars actuelles du design comme Shunji Yamanaka, Naoto Fukasawa, Makoto Koizumi, Tokujin Yoshioka …

Un exemple d’objet contemporain “wa”

Délicat, poétique et raffiné (né de l’installation dans le showroom Moroso de New York où Tokujin Yoshioka a utilisé environ 30 000 mouchoirs en papier pour créer une atmosphère qui rappelait les nuages) “Le fauteuil Bouquet rend heureux celui qui s’y assied comme le bouquet gratifie celui qui le reçoit. Les couleurs vibrantes et délicates évoquent à chacun des sensations personnelles“.

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Kansei : la sensibilité, l’âme des objets

L’émotion et l’objet : objets d’émotions

“Kansei – Japan Design exhibition” – Du 12 au 21 décembre au Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli 75001 Paris – New York en 2009 et Shanghai en 2010

Un souci d’esthétisme et de fonctionnalité, tout en préservant la tradition couplée à la quête technologique…, l’exposition organisée par le Musée des Arts Décoratifs (Paris) a abordé ainsi la sensibilité culturelle japonaise à travers le design.
L’accent est mis notamment sur la sensualité amenée par le confort ergonomique et les sensations tactiles (le fameux toucher remarquable) qui sublime l’objet dont l’usage est commun.
Nous apprenons que le concept apparaît dans le premier roman d’amour du Japon (il ya mille ans) “Le Dit du Genji” de Murasaki Shikibu alors dame d’honneur de la Cour impérial de Heian (Kyoto).

Selon le commissaire d’exposition Kenji Kawasaki, à propos de la philosophie du monozukuri (art de la fabrication)”le kansei fait partie de l’ADN des japonais“.

C’est l’empathie suscitée par l’objet qui prévaut, sa sensibilité révélée par la forme, le matériau, le ressenti lors de l’utilisation.
Douze mots (L’expression “passer de la lumière à l’ombre” (kagerou),
le brocart (nishiki), l’allure (tatazumai), le grain (kime), le geste “aménager l’espace” (shitsuraeru), fléchir (shinaru), répétés
éliminer le superflu (habuku), plier (oru), le cœur “La valeur essentielle” (mottai), l’accueil (motenashi),léger (karoyaka), le noeud (musubi)),
120 objets rattachés à chacun démontrent cette dimension sensible et philosophique.

Un exemple d’objet contemporain “kansei” en harmonie avec la nature et “au coeur d’une entreprise de séduction”

Envie de se lover dans le fauteuil fleur de MasanoriUmeda : La forme est touchante, la matière qui évoque le toucher velouté d’un pétale de rose est le fruit de la recherche d’une proximité géographique, humaine, affective. L’objet s’inscrit vraiment comme complément de l’homme, de son corps, de son esprit voire de son inconscient.Il suggère, raconte, suscite, introduit la poésie, le rêve…résume le pouvoir évocatif et la portée symbolique de l’objet.

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Esprit Mingei (Minshuteki kogei) “l’artisanat ou l’art populaire fait par le peuple et pour le peuple”

L’art de l’équilibre de la justesse

L’esprit Mingei au Japon
“De l’artisanat populaire au design”
Jusqu’au 11 janvier 2009
Musée du Quai-Branly

L’esprit mingei au Japon, sous la direction de Germain VIATTE, Actes Sud et musée du Quai Branly

Trois mots synthétisent les fondements du courant à l’initiative de Sôetsu Yanagi : recherche d’harmonie (wabi), de simplicité (sabi) et de raffinement (shibumi). Il le résume par “ce qui est naturel, sincère, sûr et simple“. Celui-ci date du début du XXe siècle et se poursuit jusque dans les années 60.

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Initialement, il s’appuie sur la redécouverte des arts traditionnels, de l’expertise des savoir-faire dont les senseis (l’équivalent de maîtres artisans) sont détenteurs.
Les postulats stylistiques, formels en particulier :
refus du luxe, du superflu, valorisation de la sobriété, de la simplicité, du dépouillement sont autant de valeurs qui cotoient aujourd’hui un design plus ludique.

L’accent est mis sur la notion d’utilité, de fonction. Elles doivent
toutes deux révéler la part spirituelle de l’objet, son intemporalité, sa dimension artistique…

Sôetsu Yanagi, à travers son examen de la beauté et de la laideur en art défend une esthétique qui les assemble. Son parcours philosophique (étude du Zen, du Jodo Shinshu, et Jisu)lui fait placer l’objet entre le monde matériel et le monde spirituel.

Influences du design japonais

Deux exemples

Hier : Une pionnière, Charlotte Perriand

Charlotte Perriand et le Japon:un demi-siècle de dialogue de Jacques BARSAC, Norma

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“Je travaille mon enthousiasme” : cette phrase de Charlotte Perriand est à l’image de son aventure japonaise. De sa rencontre avec l’architecte Junko Sakakura et avec Sori Yanagi dans l’atelier du Corbusier résulte une mission en 1940, confiée par le Ministère de l’industrie japonais. Le but est alors de faire coexister, de coupler artisanat et production industrielle tout en soignant l’évolution de la forme qui doit répondre aux besoins actuels.
Charlotte Perriand est complètement en phase avec les préceptes de Sôetsu Yanagi. Son évocation de la célèbre bouilloire en fonte de morioka “qui fait chanter l’eau” résume sa conception de l’objet
« rapport à l’homme, sensible à l’œil, au toucher même à l’oreille »

Aujourd’hui : Céline Wright, artisan eco designer

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De son enfance japonaise, elle travaille un art de vivre développé dans les objets du quotidien. Elle est reconnu pour sa conception de lampes en papier.
“Le “Shoji” est une sorte de “Washi”, un papier japonais, témoin d’un véritable savoir-faire ancestral. Je tente de redonner ses lettres de noblesses à ce matériau “oublié” dans notre société industrielle et qui, pourtant, regroupe de nombreuses vertus. Il est et reste très blanc, symbole de pureté à l’image de la neige… Délicat et fonctionnel, il est également très résistant – plus que du verre et à l’eau notamment – car il est produit à partir de fibres spécifiques et donc ne casse pas, ce qui rend ce matériau très intéressant pour le design. Volumineux et souple, il apporte aussi une sensation de légèreté grâce à la lumière qu’il dégage, en totale harmonie avec la nature. Je crois qu’il faut savoir puiser dans l’intelligence de certains matériaux, ne pas les oublier même si bien évidemment, on aime aussi le progrès”.
Site web de Céline Wright

Quelques pistes documentaires

Isamu Noguchi, a sculptor’s world, Isamu NOGUCHI, Steidl

Indispensable pour approcher et comprendre la dimension de Noguchi créateur complet qui jongla avec les cultures américaine, japonaise et française comme avec les disciplines artistiques (sculpture, design…) qu’il sut savamment marier. Il s’agit de la réédition de Isamu Noguchi autobiographie parue en 1968, enrichie par de nombreuses illustrations et autres apports.

Illust : Ed. Steidl, 2.8 ko, 120x143

Isamu Noguchi : space of akari & stone, catalogue d’exposition, Seibu museum of art,Chronicle books

Catalogue de l’exposition organisée par le Seibu Museum of art en 1985. Celle-ci souligne la synthèse du design et de la sculpture en offrant des visuels pertinents (très peu de texte en revanche). Du papier « washi », une structure en bambou et quelques fils de soie, les lampes Akari créées par Isamu Noguchi entre 1951 et 1986, sont de véritables sculptures de lumière et sont présentées ici avec leurs pendants de pierre.

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Artisan et inconnu : perception de la beauté dans l’esthétique japonaise, Sôetsu YANAGI, l’Asiathèque

Au-delà de toute question d’ancien et de nouveau la main de l’homme est l’outil éternel de sa pensée, tandis que la machine, si neuve soit-elle, se démode toujours.”
Tout en questionnant les critères du beau et de l’esthétique,Sôetsu Yanagi s’interroge sur la place de l’artisan et le rôle de la tradition et de la culture dans le processus créatif.

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Design japonais : 1950-1995, Centre Georges Pompidou
Un panorama de la contribution des créateurs japonais au design. Première rétrospective des années cinquante aux années 1990. Cet ouvrage retrace l’évolution du design japonais dans les domaines suivants : mobilier, textile, céramique, design industriel… Il décrit le parcours des principaux designers, l’historique de leurs organisations professionnelles, et présente un choix de leurs créations les plus marquantes.

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Style Japon de Gian Carlo CALZA,Phaidon
Propose un voyage à travers l’esthétique japonaise d’hier et d’aujourd’hui. Le Ki japonais, c’est-à-dire l’esprit inhérent aux choses, est un concept qui transparaît dans la vie et la culture japonaises. Il se manifeste dans le soin extraordinaire accordé aux formes et aux espaces architecturaux, le rituel traditionnel de la cérémonie du thé, ou encore l’égale attention portée à l’objet fini et à l’acte de création qui a déterminé sa réalisation.

Illust : Ed. Phaidon, 4.6 ko, 140x140

L’esprit du bambou de Dominique BUISSON, Philippe Picquier
Architecture, mobilier, gamme infinie des objets utilitaires de tous les jours, on a pu dénombrer jusqu’à 400 usages du bambou. Si au Japon, le bambou est la plante à tout faire, il présente en plus la remarquable qualité d’être le “support de l’esprit”… Ce livre montre comment cette plante d’exception a façonné l’imaginaire, l’esthétique et l’expérience au quotidien de tout un peuple.

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Formes et matières, les arts traditionnels du Japon de Michael DUNN, 5 continentsAborde les caractéristiques spécifiques du design japonais, fruit d’influences diverses alliant celles de la nature, aux principes esthétiques Zen, en passant par celle des maîtres de la cérémonie du thé, etc… Une grande place est offerte aux matériaux d’origine animale (ivoire, écaille de tortue, corne de cerf, cuir, peau de requin), d’origine végétale (bois, bambou, rotin, laque, jute et lin) et minérale (pierre, céramique, bronze et fer).

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Un DVD

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Arte France

Design. 01 réalisé par Danielle SCHIRMAN et An
na-Celia KENDALL, Arte France

En liant l’art du design à son contexte sociologique et technologique, la collection design raconte l’histoire du XXe siècle à travers les objets industriels qui ont marqué et ont reflété leur propre époque tout en anticipant l’avenir. Ce premier film présente six créations manifestes : la DS 19, le sofa Bubble club, le Bic cristal, l’aspirateur Hoover
l’iMAC et les lampes Akari de Noguchi.

 

Un Site web

Tribu design

Autres références…

  • Le design “art d’aujourd’hui, art pour tous” – Notes autour de l’exposition “La période Aoyama d’Okamoto Tarō, 1954-1970” » de Anne GOSSOT
  • Yanadi soetsu ou les éléments d’une renaissance artistique japonaise de Elisabeth FROLET, Ed. Publications de la Sorbonne

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