Sciences de la Terre

Dans la tête des chercheurs

Guillaume Suan, un géologue qui s'intéresse aux rouages de la machine climatique terrestre

- temps de lecture approximatif de 4 minutes 4 min - Modifié le 08/10/2022 par Dpt Sciences

Nous sommes souvent fasciné.es ou intrigué.es par les découvertes scientifiques, mais que savons-nous du travail concret des chercheurs ? Quelles questions se posent-ils ? Quels problèmes rencontrent-ils ? Avec quels outils travaillent-ils ? Rencontre avec Guillaume Suan, enseignant-chercheur en géologie au Laboratoire de géologie de Lyon, Terre, Planètes, Environnement – LGLTPE (Université Claude Bernard Lyon 1, ENS de Lyon, CNRS, UJM, Université de Lyon).

GSuan
GSuan ©CNRS/Vanessa Cusimano

Quel métier rêviez-vous de faire quand vous étiez petit ?

Vers l’âge de 5 ans, notre enseignante de maternelle nous a lu un bel ouvrage illustré sur les dinosaures. Comme la plupart des enfants de cet âge, j’ai été immédiatement fasciné par les énormes ossements extraits de la pierre et les bestioles imposantes avec leur mâchoires pleines de dents. C’était décidé, je deviendrai paléontologue pour étudier les dinosaures !

 

Comment en êtes-vous arrivé à devenir géologue ? Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre cette orientation ?

Au cours de ma scolarité, j’ai continué à être très attiré par les secrets de l’histoire enfouis sous nos pieds, quel que soit leur âge. J’ai ainsi passé beaucoup de mon temps libre à arpenter les labours ou les sentiers de mes Ardennes natales, à la recherche du moindre fragment de coquille fossilisée et d’autres indices laissés par le passage de la mer il y a des millions d’années. Puis, par l’intermédiaire des cours d’histoire, ce fut le tour des tessons de poteries gallo-romaines. La sortie du blockbuster « Jurassic Park » de Steven Spielberg m’a ramené vers les fossiles et la géologie ! Après un baccalauréat scientifique, j’ai donc poursuivi des études de Science de la Terre à l’université dans l’objectif de devenir paléontologue. Le contenu des enseignements m’a progressivement convaincu que le monde changeant dans lequel évoluaient les grosses bêtes de mon enfance étaient encore plus mystérieux, et extraordinairement fascinant ! J’étudie depuis les couches de sédiments sous tous les angles pour retracer l’évolution des environnements très anciens, notamment lors des périodes de changements géologiquement rapides, c’est-à-dire se produisant sur quelques dizaines à centaines de millénaires.

 

Et concrètement, au quotidien, c’est quoi être géologue ?

Contrairement à l’image très romantique que projettent souvent les fictions, les géologues du 21ème siècle passent la majorité de leur temps derrière un ordinateur ! Nous allons bien sûr quelques semaines par an sur le terrain, parfois dans des régions très exotiques et inaccessibles, où nous réalisons des observations minutieuses et des mesures le long des affleurements rocheux et collectons des échantillons. Mais l’essentiel du travail se fait ensuite en laboratoire, où ces échantillons et leur contenu subissent divers examens qualitatifs et quantitatifs, à l’aide de techniques très variées et de divers instruments, dont certains sont parfois très sophistiqués. Par exemple, la spectrométrie de masse permet de mesurer l’abondance relative de certains isotopes stables présents dans les restes d’organismes piégés dans la roche, et nous donne indirectement accès aux températures de l’époque à laquelle ces organismes ont vécu. Nous passons également beaucoup de temps à vérifier et décortiquer les résultats obtenus, et à les confronter à ceux obtenus par d’autres équipes. Enfin, une part importante du travail est dédié à la rédaction d’articles techniques présentant nos avancées dans des revues internationales, principalement destinés aux spécialistes de la discipline.

 

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Avec notre équipe composée d’autres chercheurs et de doctorants en géologie, nous travaillons sur deux projets complémentaires et incroyablement passionnants. Les deux projets ciblent des événements de réchauffement climatique parmi les plus extrêmes qu’a connu la Terre, avec comme principal objectif de mieux comprendre la réponse du système climatique à de fortes hausse des teneurs atmosphériques en CO2. Le premier s’intéresse à la réponse des environnements arctiques à un événement de réchauffement global de plus de 5°C qui s’est produit au début du Jurassique, il y a environ 180 millions d’années, à l’époque où les dinosaures prenaient leur essor. Nous étudions ces régions arctiques car les variations climatiques y sont exacerbées par le phénomène d’amplification polaire et permettent donc de mieux calibrer les modèles climatiques.

Le second projet a pour but de mieux comprendre les mécanismes qui ont conduit le climat terrestre à récupérer rapidement après plusieurs épisodes d’émissions soudaines et massives de dioxyde de carbone qui se sont répétés assez régulièrement au début du Cénozoïque. Ces épisodes se sont produits il y a environ 55 millions d’années, soit une dizaine de millions d’années après l’extinction des dinosaures non-aviens. Notre projet porte spécifiquement sur les mécanismes encore mal compris contrôlant l’accumulation des restes calcaires planctoniques sur les fonds océaniques, l’un des principaux puits de carbone sur Terre. Nous avons pour cela la chance unique de pouvoir étudier de précieux échantillons de carottes sédimentaires forées lors d’expéditions internationales au beau milieu du Pacifique, à plusieurs centaines de mètres sous le plancher océanique !

 

Vous travaillez au Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (LGL-TPE), quel est votre rôle au sein de cette structure ?

En tant qu’enseignant-chercheur, je partage mon temps à part égale entre la formation des étudiants universitaires et la recherche fondamentale. Cette recherche est réalisée au Laboratoire de Géologie de Lyon, l’un des plus gros laboratoires de géologie en France, qui regroupe environ 160 personnes travaillant sur la formation et l’évolution de la Terre et des planètes. Mon travail de recherche s’inscrit dans le thème « Paléoenvironnement et Paléobiodiversité », qui réunit une vingtaine de participants incluant des doctorants, des ingénieurs et techniciens et spécialistes en paléontologie, en sédimentologie et en géochimie. Mon rôle principal en tant que chercheur au sein du laboratoire est donc de proposer, coordonner et mener des projets de recherche en synergie avec mes collègues, de former des étudiants au métier de chercheur, et de publier et valoriser les résultats obtenus auprès de la communauté nationale et internationale. Ce travail est donc avant tout un effort collectif, qui serait impossible sans la participation active de nombreux chercheurs, ingénieurs et techniciens aux compétences très complémentaires.

 

Pour terminer, quels sont les ouvrages, films ou auteurs qui ont été marquants pour vous ou qui vous ont inspiré dans votre parcours ?

Peut-être encore plus que 1er volet culte de la saga « Jurassic Park », les ouvrages de Stephen Jay Gould, et notamment ses articles de vulgarisation rassemblés dans la collection « réflexions sur l’histoire naturelle », que j’ai dévoré pendant mes études, souvent jusqu’au milieu de la nuit. Son œuvre et sa plume ont fortement contribué à structurer ma pensée scientifique et intellectuelle, alors en plein cheminement. A partir d’anecdotes historiques, culturelles ou même sportives, le paléontologue et historien des sciences américain y aborde avec une humilité et une finesse rare des sujets divers mais connexes tels que la théorie de l’évolution, l’histoire des sciences, l’éthique, la politique et même la philosophie. La lecture de ses ouvrages est une source extraordinaire de joie et d’émerveillement, que je recommande sans réserve à tous les amoureux des sciences, de l’histoire et de la nature !

 

Guillaume Suan viendra présenter son travail à la bibliothèque de la Part-Dieu le 14 octobre prochain dans le cadre du cycle Dans la tête des chercheurs.

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