Les fous au Moyen Age en France 2/2
Publié le 02/02/2022 à 09:00 - 10 min - par Brigitte
Le Haut Moyen Age conserve l’héritage médical antique via les intermédiaires romains et byzantins. Cet héritage fournit des bases "scientifiques" à tous ceux (famille, voisins, médecins, juges etc.) qui gravitent autour du fou. Par ailleurs, les individus au Moyen Age, selon leur degré d'érudition, oscillent, entre croyances naturalistes et/ou surnaturelles dans leur compréhension de la folie et leur envie de la guérir.
1-Savoir des médecins : héritage antique transmission et enrichissement arabe
Des ateliers de traductions, dans le domaine de la matière médicale, d’arabe en latin situés en Espagne ou en Sicile permettent dès le XIème un éveil intellectuel en Occident. La transmission des savoirs et les efforts de systématisation arabes fournissent un cadre idéal et structuré pour la médecine occidentale jusqu’à l’époque moderne.
Deux œuvres arabes en particulier, traduites en latin, sont consacrées aux troubles mentaux, le traité de la mélancolie d’Ishâq ibn Imrân (irak – mort en 932 ap. J.-C ) et la maladie de l’oubli d’Ibn al Jazzâr (Kairouan – 878-980) (La mélancolie d’après les sources arabes Ou comment appréhender la pensée médicale). Les deux écrits seront adaptés et traduits par Constantin l’Africain au XIème siècle
Il existe aussi un traité rédigé au XIIIe siècle, dans la médecine latine médiévale, qui aborde le sujet de la folie, appelé le « De parte operativa ». La rédaction de celui-ci est attribuée au médecin provençal Arnaud de Villeneuve (ca 1240-1311).
Un début de classification des folies existe dès l’Antiquité grecque et perdure en occident pendant près de 1000 ans. La mania, la mélancolie et la frénésie, auxquels Arrêtée de Cappadoce (I-IIème siècle), auteur d’un traité d’observations cliniques, ajoute la fantasia pour former le début d’une typologie.
L’influence de l’héritage antique est considérable pour l’époque. Elle se réalise grâce à l’écriture et à la diffusion d’encyclopédies médiévales produites par des érudits comme Barthélémy l’Anglais (12..-1272) dans Le Livre des propriétés des choses.
A l’époque, les connaissances en la matière reposent sur le système médical de Galien issu de l’antiquité grecque. Le galénisme est une doctrine médicale basée sur la théorie des 4 humeurs (flegme, bile jaune, bile noire et sang) en relation avec 4 éléments (air, eau, feu, terre), associés à 4 propriétés (chaud, froid, sec, humide). L’ensemble doit être en équilibre dans le corps pour conserver sa bonne santé et toute sa raison.
Selon les médecins, l’humeur en excès dans le corps débouche sur un certain type de folie. Pour la léthargie, le flegme est en excès dans le corps causant abattement et prostration suite à de fortes fièvres. Quand la bile jaune se répand dans le corps, la fièvre et l’excitation provoquent la frénésie. Enfin, la mélancolie provient d’une surabondance de bile noire engendrant un abattement sans fièvres. Le sang est perçu très positivement et ne cause que peu de maladies. La manie est une folie particulière, plus floue et n’est pas liée à une humeur précise.
Par ailleurs, pour les médecins de l’époque médiévale le cerveau est divisé en 3 chambres consécutives : devant le cerveau se trouve la « chambre de l’imagination », au milieu la raison et à l’arrière la mémoire. La classification des folies est donc affinée par des observations sur les 3 chambres du cerveau contaminées par une humeur en excès. Si une de ces chambres est touchée, le fou déclare des symptômes significatifs. Ainsi, les symptômes possibles dans la chambre de l’imagination sont des hallucinations. Dans la chambre de la raison, les perturbations induisent des délires verbaux ou encore une aphasie. Enfin dans la chambre de la mémoire, l’excès conduit à l’amnésie.
L’exemple ambigu de l’anorexie médiévale :
Celle-ci n’est pas toujours perçue comme une maladie mentale au Moyen Age. Une longue tradition de privation dans la mystique chrétienne existe. Les performances ascétiques des anachorètes chrétiens dans les déserts égyptiens au IIIème siècle en témoignent. La privation volontaire de nourriture et boisson n’apparaît pas comme une maladie mais comme de la virtuosité spirituelle. L’extrême ascétisme alimentaire est fréquent dans la mystique féminine durant le XIIIème siècle jusqu’à la Renaissance. Le cas de Sainte Catherine de Sienne (1347-1380) est emblématique de cette vision de plus en plus anachronique. Catherine pratique l’anorexie mystique et fini par décéder d’inanition volontaire.
Souvent considéré comme un ascétisme, elle devient peu à peu une maladie mentale. L’interprétation mystique est de plus en plus mis à mal par les intellectuels et médecins de l’époque. Le théologien Jean Gerson au XIVème siècle réprouve ces pratiques alimentaires extrêmes, notamment en ce qui concerne Brigitte de Suède. Il les considère comme excessives et proche de la maladie mentale.
2-Causes surnaturelles et naturelles de la folie : perception somatique valorisée
Les causes de la maladie mentale au Moyen Age reposent sur deux conceptions traitant de l’origine du mal.
La première conception touche à la dimension surnaturelle de la folie où le fou est vu comme possédé par le diable et ses avatars. Il existe à cette époque une sensibilité forte à l’irrationnel. Le fou est un être dominé par des forces supérieures mystérieuses. Il est l’un des enjeux de la lutte entre Satan et Dieu. Le fou est possédé et doit subir un exorcisme. Le premier exemple connu de possédé « exorcisé » par Jésus se trouve dans les Evangiles : le possédé de Gerasa (Marc 5, 1-20).
La deuxième conception concerne l’approche naturelle de la folie. La cause du mal est mécanique et se trouve dans le corps où une des humeurs est trop abondante. Les causes naturelles sont variées.
La folie peut être due à un choc émotionnel fort : deuil, chagrin d’amour. Par exemple, le désespoir d’amour, dans les textes du XIIIème siècle, est toujours l’unique cause de la démence, comme pour Yvain ou Lancelot, les chevaliers de la légende arthurienne. L’expérience négative, que le sujet éconduit ressent, entraîne une destruction psychique du malheureux. Apparaît alors la maladie.
Souvent, les observateurs du Moyen Age notent que les convulsions ou les crises de colère des aliénés ont pour source l’angoisse.
L’empoisonnement peut être aussi une des causes de la folie.
Un coup sur la tête, lors d’une bataille par exemple, donne lieu à une lésion au cerveau qui peut être la cause de séquelles mentales. L’influence des cycles lunaires sur l’évolution de la maladie mentale est reconnue par les médecins, Les médecins sont influencés par l’astrologie médicale, science établie à l’époque médiévale.
Dans les œuvres littéraires, à cette même époque, on situe étrangement la naissance de la folie dans la forêt, lieu mystérieux par excellence approprié à ce type de développement clinique.
Toujours dans le roman de Chrétien de Troyes, au cours de ses périples et suite à un chagrin d’amour, Yvain, le chevalier au lion, perd la raison et erre pendant des mois en haillons dans une forêt.
Pour l’anecdote, le roi Charles VI connait sa première crise de folie dans les bois. Les sources issues des tribunaux tendent à préciser que les fous divaguent plutôt via les champs et chemins.
De ces conceptions découlent des choix de thérapeutiques différentes.
3-Des thérapeutiques naturelles et surnaturelles : chirurgie, pharmacopée, régime de santé et pèlerinage
Au début du moyen Age, les scholastiques chrétiens sous l’influence des médecins arabes (Rhazès, Avicenne) favorisent un traitement humanitaire: c’est l’esprit de charité chrétien qui suppose réconfort et soutien aux malades mentaux. De la sollicitude est déployée : nombre de thérapeutiques sont inspirées directement de l’Antiquité, mais aussi de la médecine arabe. La dimension caritative est particulièrement présente car la figure du malade renvoie à l’image du CHRIST SOUFFRANT
Le malade mental est soigné le plus souvent à domicile ou plus rarement hébergé dans un monastère. En occident, l’hospitalisation des fous existe de manière marginale dans un esprit d’accueil et d’assistance comme à l’Hôtel dieu de Paris
La pharmacopée pour soigner les malades mentaux est abondante. Les médicaments comme les psychotropes de type opium, mandragore, jusquiame sont utilisés pour soigner les fols. Dans le cas de la mélancolie, des toniques sont favorisés : des épices comme la cannelle, la menthe ou le poivre etc. L’ellébore (Plante de la famille des Renonculacées ayant des propriétés purgatives et vomitives, et que l’on croyait jadis propre à guérir la folie), blanc et noir, est une plante qui guérit prétendument la folie en favorisant les évacuations par le haut et par le bas. Celle-ci est systématiquement employée depuis l’Antiquité. Des émétiques et des purgatifs (aloes, casse, séné) sont aussi administrés abondamment pour évacuer les mauvaises humeurs.
La chirurgie existe au Moyen Age pour les cas rebelles les plus difficiles. On se représente le cerveau à l’époque constitué de 3 chambres : chambre de l’imaginaire, de la raison et de la mémoire. La trépanation du cerveau est une pratique courante qui permet d’évacuer l’humeur en trop à l’intérieur d’une des chambres. Le but est d’éviter que le corps du malade explose sous l’abondance de l’humeur nocive.
Les saignées sont des techniques utilisées fréquemment dans ce domaine. La rigueur dans le suivi prescriptions est fondamentale, car celle-ci permettra idéalement de conserver l’équilibre des humeurs dans le corps du patient.
La chirurgie et la pharmacopée sont complétées par divers régimes de santé basés sur la médecine arabe. Le but est d’agir sur les 5 sens comme la vue et l’ouïe. Les médecins préconisent de loger les frénétiques dans des lieux sombres et silencieux pour les calmer tandis que les léthargiques seront mieux en des lieux lumineux avec de la musique pour favoriser la joie. L’odorat est sollicité chez les mélancoliques grâce aux effluves de fleurs capiteuses. L’hygiène, l’hydrothérapie et la diététique font partie du quotidien du malade : l’hôpital de Bethléem à Londres propose aux malades mentaux des bains, des onguents et divers régimes alimentaires spécifiques. Par exemple, le salé et l’amer dans la nourriture sont déconseillés pour les mélancoliques.
Pour induire des émotions violentes afin de guérir le malade, les thérapeutes peuvent l’asperger d’eau froide ou le frapper « pour son bien ».
Dans tous les cas, on rase la tête du malade mental car on croit que l’humeur mélancolique loge dans le système pileux. Le malade est rasé pour empêcher qu’il s’arrache les cheveux lors de crise et les avale au risque de s’étouffer. La tonsure facilite aussi l’application d’onguents et elle diminuerait la force physique des fous (la vigueur se concentrant dans les cheveux selon les croyances de l’époque). La tonsure est totale ou une masse de cheveux reste, disposée en croix. Certains auteurs décrivent le rasage des cheveux des fous comme un signe de flétrissure marquant l’infamie.
L’arsenal thérapeutique médiéval est sans conteste d’une certaine efficacité mais concerne principalement les déments des milieux aisés car les soins médicaux sont couteux. Il existe ainsi une différence sociale de traitement.
En effet, le fou des milieux plus modestes réside souvent en son domicile où il est confié aux bons soins de ses proches. Ces derniers recherchent la guérison du malade via l’intersession de Saints en entamant un pèlerinage.
Saint Bernard ou Hildegarde de Bingen sont invoqués de leur vivant pour exercer leurs actions bénéfiques. Des pèlerinages thérapeutiques vers des lieux de cultes de saints décédés pullulent comme à Larchant dans le Gâtinais (prés de Fontainebleau) où l’on sollicite Saint Mathurin. Lors du pèlerinage, le patient passe 9 jours, en compagnie de ses proches, au contact du Saint.
Le voyage et le procédé n’est pas de tout repos : le dément peut crier, se débattre, ce qui conduit ses proches à le ligoter. Des cas de guérisons miraculeuses sont attestés : soit 8% à 10% des guérisons de l’époque féodale, d’après les historiens André Vauchez et Pierre Sigal.
Avicenne Gallica
Pour finir sur une note plus littéraire à l’accent plus courtois, toujours dans l’univers de la table ronde et de la quête du graal, Yvain devient fou par la perte de son amour et guérit par l’amour d’un Hermite et d’une femme.
La parole entre médecins et patients à but curatif n’est pas de mise à cette époque.
Longtemps, les historiens ont crus que les soins aux fous ne se distinguaient pas de l’exorcisme démonologique. Cependant, les médecins, les juristes, les théologiens, en gros, les lettrés du XIIIème siècle persévèrent dans leurs discours et pratiques pour conserver à la folie sa place naturelle. Le choix de l’exorcisme pour extirper le Mal du dément n’est pas la pratique qu’ils privilégient. Les autorités médiévales tentent de préserver la foule des croyances erronées concernant le diable et ses sortilèges. En fait, il règne, à l’époque médiévale, un double discours entre les savants, tenants des thèses naturalistes et l’homme commun, tenant des croyances surnaturelles.
Bibliographie :
- Universalis : folie histoire du concept par Alphonse de Waelhens
- Romans de la Table Ronde : Erec et Enide, Cligés ou la fausse morte, Lancelot le chevalier à la charette, Yvain le chevalier au lion / Chrétien de Troyes
- Ménard Philippe « Les fous dans la société médiévale. Le témoignage de la littérature au XIIème et XIIIème siècle. In Romania, tome 98 n° 392, 1977, pp 433-459.
- La médecine spirituelle / Muhammad Ibn Zakariyyâ al-Razi (Rhazès)
- Guide du médecin nomade : aphorismes / Abû-Bakr Mohammad b. Zakariyya ar-Râzî
- Avicenne & Averroès : Médecine et biologie dans la civilisation de l’Islam
- Nouvelle histoire de la psychiatrie sous la direction de Jacques Postel 2012
- Histoire de la folie avant la psychiatrie sous la direction de Boris Cyrulnik Patrick Lemoine 2018
- Histoire des représentations et du traitement de la folie : 6 cours de l’université de Paris
- Juger les fous au Moyen Age. Maud Ternon 2018
- Histoire des troubles mentaux : de l’hystérie aux addictions / dossier coordonné par Jean-François Marmion. Les Grands Dossiers de Sciences Humaines ; 28, septembre-octobre-novembre 2012
- Le suicide au Moyen Age – Jean Claude Schmitt – 1976
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