Résidence HIP HOP à VAISE
Les Humains Alpha en interview
Hip-hop : pour faire bouger le monde
Publié le 29/11/2023 à 18:37 - 11 min - Modifié le 06/12/2023 par rossinante
La médiathèque de Vaise renoue avec les résidences artistiques ! Dotée, depuis son origine, d’une orientation thématique autour des arts vivants, à la fois dans ses collections et sa programmation, la médiathèque Marceline Desbordes-Valmore est à la fois un lieu de diffusion (auditorium de 85 places), de rencontres mais également de création autour des arts vivants. La jeune compagnie lyonnaise Les Humains Alpha s’installe cette année ainsi dans les murs de la médiathèque pendant sept semaines jusqu’au 16 décembre 2023 : jour de la restitution des ateliers et présentation de leur spectacle.
Au programme de ces sept semaines : un travail de création à découvrir au fil de rencontres régulières, des animations pensées par la compagnie, des ateliers pour adultes et enfants, des rendez-vous cinéma, lecture et danse en lien avec la résidence.
Qui sont-ils, ces Humains Alpha ? Duo sur scène pour cette création, Camélia et Rudy sont aussi un duo dans la vie et à la tête de la compagnie les Humains Alpha fondée à Lyon en 2020.
Quelle meilleure méthode que l’interview pour présenter ces deux artistes ?
D’où venez-vous ?
Camelia : Je viens de Roumanie et je suis venue en France dans le cadre d’un échange Erasmus pour poursuivre mes études en Information-communication. A 20 ans, j’ai eu un véritable coup de cœur pour Lyon et à la fin de mon Master en Roumanie, j’ai choisi de venir vivre ici.
Rudy : Je suis originaire de Villeurbanne, puis j’ai habité à Paris dans le 95 jusqu’à mon adolescence, avant de revenir sur Lyon à 15 ans.
Qu’est-ce qui vous a amené à la danse ?
Rudy : J’ai toujours aimé « gesticuler », mais c’était tout seul, dans ma chambre, sur de la musique de Michael Jackson. A Paris, j’ai grandi avec ce cliché que « tout le monde aime la danse », sans vraiment penser à me destiner à cela. C’est au lycée à Bron en 2012, lors d’un atelier mis en place par Pôle en Scènes, que j’ai découvert la danse dans un mélange hybride de hip-hop et de danse contemporaine. C’est la musique qui m’intéressait de prime abord, j’en ai toujours beaucoup écouté. J’aime aussi travailler le son, je me débrouille plutôt bien en MAO (Musique Assistée par Ordinateur). Dans la danse hip-hop, j’ai découvert le travail de création avec Nagib Guerfi qui m’a influencé à mes débuts. Ce qui m’a plu lors de ces ateliers, c’est que l’on y racontait une histoire avec de la musique, c’était facile d’avoir confiance en soi et libérateur de bouger son corps en créant des mouvements spontanés.
Camelia : Petite, j’ai pratiqué longtemps la gymnastique en compétition et à haute dose (4h par jour pensant 8 ans). J’ai arrêté la gym à 11 ans quand il aurait fallu quitter ma famille pour intégrer l’équipe nationale. J’ai voulu alors me rediriger vers la danse mais rien ne semblait vraiment me convenir car j’avais un rapport très physique à la danse sans réel lâcher-prise. Via une appli Messenger, j’ai rencontré un groupe de hip-hop et j’y ai découvert un espace plus libre pour me libérer un peu de cette rigidité de gymnaste. Mon intérêt pour la musique, contrairement à Rudy, est arrivé après mon attrait pour la danse. Ce qui me plait dans le hip-hop, c’est la grande liberté et l’énergie qu’il m’inspire. A 14 ans, j’étais subjuguée par les chorégraphies hip-hop à l’américaine et par la dynamique des corps.
Rudy : Moi, c’est plutôt l’aspect free style du hip-hop qui m’a emballé à 15 ans. J’étais un garçon sensible et doux que les sports de combat rebutaient. Le hip-hop m’a permis de transposer ce trait de caractère et d’en faire un atout en danse pour créer des mouvements et raconter une histoire.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Camelia et Rudy : Le hip-hop sur Lyon, c’est une petite communauté où on a de nombreuses occasions de se croiser dans différentes structures (salle de danse, cours de danse, événements, battles …). Nous nous sommes vus la 1ère fois à un open training à Confluences où on s’entrainait avec d’autres danseurs de hip-hop. Nous sommes profs de danse et on s’est aperçu qu’on recherchait chacun de notre côté à créer un groupe stimulant s’inspirant de notre propre univers. Dans nos cours, on avait envie d’encourager le hip-hop à s’ouvrir davantage aux exercices d’improvisation. Notre idée, c’était de passer par notre identité pour danser, plutôt que danser pour trouver notre identité . Il n’y a pas d’esthétique hip-hop commune à tous, mais plusieurs branches. On a organisé une audition après le confinement, avec une soif dingue de danser à nouveau. On s’est retrouvé avec des danseurs de notre réseau de connaissance et on leur a proposé une chorégraphie qu’on avait créée tous les deux sur laquelle on les a invités à nous suivre. Il y avait en bande son du RAP français et de la variété où chacun a pu improviser par la suite. Ainsi, nous avons constitué le groupe des Humains Alpha qui, au départ, n’était pas une compagnie de danse, mais plutôt un cours où on se payait le luxe de choisir nos danseurs, nos « élèves »…
Vous pourriez donner une définition du hip-hop ?
Camelia et Rudy : Le hip-hop, c’est une culture qui réunit la danse, le graff, les DJ et l’écriture RAP (Rhythm And Poetry). En ce qui concerne la danse, pour faire simple, on peut distinguer 3 grandes familles : le break (aspect acrobatique et figures au sol), le popping (mouvements de corps saccadés imitant les robots ou les marionnettes) et le locking (décomposition des mouvements et « d’arrêt sur image » un peu clownesque). Au-delà de ces diverses formes, il faut savoir que le hip-hop est une danse sociale née dans le Bronx dans les années 70 et inventée par des minorités. Dans un climat de violence, de gangs et de ségrégation, le hip-hop transforme l’énergie négative en énergie positive lors de défis : les battles. Sur les rythmes Boom Bap, le hip-hop remplace les rivalités de clans par des duels de danse.
Camelia : C’est intéressant de ne pas oublier d’où vient le hip-hop, sinon on passe à côté de quelque chose d’essentiel.
Rudy : Le hip-hop véhicule des valeurs universelles. Il vient de la rue, c’est un mode d’expression puissant pour dénoncer les inégalités et lutter contre l’injustice sociale. Sa voix, c’est le RAP. Le hip-hop, c’est une forme de prise de parole, pas juste une danse ! Il y a beaucoup de débats autour de ça !
Peut-on dire que ce spectacle est costumé ? Parlez-nous de votre intérêt pour la mode et la couture.
Rudy : Je conçois et je crée les costumes pour qu’ils soient au service du spectacle. Ce sont de vrais costumes de scène. Par contre, les vêtements que je porte dans la vie ne sont pas des costumes : ils ne cachent rien. Ils racontent aussi quelque chose et reflètent ma personnalité. Au départ, je me suis intéressé aux vêtements parce que je ne trouvais pas à m’habiller facilement à cause de ma grande taille. J’aime le travail artisanal de la couture et je me sens concerné par l’écologie et le recyclage. Je dessine et créé les costumes de nos spectacles à partir de tissus récupérés ou détournés. Ils donnent une direction artistique à nos spectacles. La façon dont nous sommes habillés, c’est la première chose qu’on voit de nous au travers des matières, des couleurs, des styles. On devine les influences du cyberpunk dont ils sont inspirés.
Précisément, votre univers cyberpunk, comment le définiriez-vous ?
Camelia et Rudy : Nous avons grandi en plein boum du cyberpunk japonais avec les anime et les mangas. L’univers SF, les robots, les zombies, que ce soit à travers le cinéma, les jeux vidéo, les jeux de rôle… Tout ça nous a nourri depuis l’enfance. Le cyberpunk (association des mots cybernétique et punk) met en scène dans un futur proche, une société technologiquement avancée, notamment dans les technologies de l’information et la cybernétique (science de la communication dans la machine ou dans l’être vivant, applications du numérique dans la médecine, l’amélioration des corps, l’intelligence artificielle…). Notre spectacle évoque la question de la connexion/déconnexion dans une atmosphère post apocalyptique.
Pour cette résidence, vous poursuivez la création de votre spectacle La lune ou rien qui aborde la question des relations humaines dans un monde de plus en plus connecté. Pourquoi cet axe-là ?
Rudy : Notre spectacle « La lune ou rien » se situe aussi dans un contexte futuriste. Mais ça n’est pas vraiment de la pure science-fiction. On voit bien que le téléphone est omniprésent dans nos vies, dans la rue… Les enfants qui s’agitent beaucoup sont canalisés d’un coup si on leur met un téléphone dans les mains : c’est un outil d’hypnose (rires).
Camelia : J’ai tenté l’expérience de me couper des réseaux sociaux. Au début, ça a généré du stress puis je me suis aperçue qu’il se passait beaucoup de choses autour de moi, dans la rue, dans les transports… Simplement, j’étais disponible pour les voir ; ça m’a frappée ! Cette envie de créer un spectacle sur ce sujet de l’hyper connexion nous est venue naturellement, simplement parce qu’on est témoin du monde réel. Le numérique est au centre de tout, alors on s’interroge : « si on va dans le sens de l’évolution numérique, voilà peut-être ce qui nous attend… ».
Rudy : C’est merveilleux d’avoir un tel accès à l’information avec Internet. Il y a du négatif et du positif à être connecté. C’est le fait de devenir addict à son téléphone qui nous interpelle. A 25 ans, nous sommes cette génération qui vit, depuis le début du collège, avec le portable à la main en permanence. On a de l’expérience mais on ne prétend pas du tout avoir une expertise ou un message moralisateur à transmettre. Le spectacle est une fiction et – on l’espère – un divertissement. S’il permet en plus une réflexion derrière, c’est bien. Mais chacun est libre d’interpréter comme il veut ce spectacle, notamment la partie dansée dans le noir. Là, à la lumière des écrans, on voit peu ou mal ; alors on est libre de se raconter mentalement ce qu’on veut. On ne donne pas de conseils, on propose juste un point de vue, une question « est-ce que le téléphone fait du mal à l’humain ? »
Camelia : On n’a pas non plus d’angoisse vis-à-vis du numérique. On n’en a pas peur, mais c’est vrai que c’est un sujet qui nous intéresse beaucoup.
Rudy : On pourrait croire que l’usage du téléphone soigne de la solitude. Ça serait alors une bonne chose, mais en même temps, le téléphone nous écarte de nous-même, nous dispense d’être face à nous-mêmes. Le téléphone ne guérit pas de la solitude, c’est juste un pansement qui évite de se confronter à notre condition d’individu.
Etes-vous des habitués des bibliothèques ? Que vous apporte cette résidence ?
Rudy : Mon goût pour les livres est récent. Pourtant, petit, ma mère m’emmenait régulièrement à la bibliothèque… Je reste très attaché à l’objet livre. J’aime être entouré de livres, c’est apaisant de baigner dans une atmosphère douce et sécurisante.
Camelia : Cette résidence à la médiathèque de Vaise nous permet de trouver énormément d’informations, de références de documents sur le sujet de l’infobésité, la detox digitale, l’usage des écrans… Cela nourrit notre travail de création pour ce spectacle.
Si vous aviez un message à transmettre …
Camelia et Rudy : On ne se prend pas pour des lanceurs d’alerte. Les seules valeurs qu’on aurait envie de partager, ce sont celles du hip-hop : PEACE, LOVE, UNITY, HAVING FUN!! C’est-à-dire : paix – amour (et respect) – unité – s’amuser – sans oublier KNOWLEDGE (connaissance des origines, transmission des savoirs).
Message bien reçu par le comité olympique, puisque pour la première fois, le breaking (ou breakdance) deviendra une discipline olympique lors des Jeux de Paris 2024.
Lorsqu’il fonde le « Comité international olympique » en 1894, le credo de Pierre de Coubertin était d’internationaliser le sport au service de la paix.
On comprend que l’introduction aux Jeux Olympiques d’une danse issue de la culture hip-hop est une très belle reconnaissance de ses valeurs humanistes.
Pour visiter l’univers de Camélia et Rudy
- Les films de Miyazaki : Le Château dans le ciel (1986), Mon voisin Totoro (1988), Princesse Mononoké (1997), Le Voyage de Chihiro (2001)
- Le Tombeau des lucioles : film d’animation japonais d’Isao Takahata (1988)
- Saga Matrix : épisode 1 de 1999 , 2 (Matrix reloaded) et 3 (Matrix revolutions) de 2003
- Trinity / Laylow [Disque compact] : album de rap de 2020 basé sur la digitalisation des sentiments
- Crying over pros for no reason / EdIT (2004) [Disque compact] : album aux sonorités mécaniques et nostalgiques.
Sur nos étagères
- Tous les documents traitant du hip-hop dans nos rayons [Catalogue]
- Portraits de danseurs de hip hop [Catalogue]
- Battle et spectacles [Catalogue]
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