kitsch & chic
Improbable mais vrai…
Publié le 24/05/2024 à 11:47 - 7 min - Modifié le 26/05/2024 par pj
Posons l'hypothèse de l'anecdote suivante : envisageons qu’il existe dans les univers ultra populaires et balisés de trois vedettes de variétés - Sheila, Bachelet, Polnareff - une parenthèse inattendu, un à-côté insoupçonnable.
En musique comme ailleurs, l’anecdote et l’anecdotique sont sources de surprises et de ruptures infimes. Ici, par exemple, un chef d’œuvre inconnu et microscopique au beau milieu d’un catalogue qui ne lui ressemble guère. Illustration et tentative de preuve en trois petits frissons.
Trois titres inouïs ou presque, parmi les centaines de leurs répertoires, où Sheila devient pionnière de la synth pop tendance minimal wave, Bachelet se la joue Shaft et Polnareff sorcier du synthétiseur.
- Tender silence of the night chanté par Sheila en 1979
- OK Chicago produit par Pierre Bachelet en 1974
- The Rapist composé par Michel Polnareff en 1976.
Guilty pleasure, on vous dit.
Tender silence of the night / S.B. Devotion (1979)
Commençons léger, avec un morceau beau comme une face b. Une chanson de Sheila B. Devotion. Imaginez juste qu’une chanteuse vedette, plutôt yéyé, devenue égérie disco, Sheila donc, enregistre une chanson à côté, en dehors, au-delà…
C’est ce qu’il se produit en 1979 avec Tender silence of the night sur le 45 tours et le maxi de No No No No.
De 1977 à 1980, Sheila est entourée de Basil Mac Farlane, Arthur Wilkins et Freddy Stracham, pour l’aventure Sheila B.Devotion. Deux albums et plusieurs singles à succès voient le jour, parmi lesquels quelques réussites produites par le duo Chic, Nile Rodgers et Bernard Edwards, comme Spacer, King Of The World et…No No No No.
Comme la plupart des productions Sheila B. Devotion, la chanson est co-écrite par la même bande, Paul Racer, Mike Wickfield et Pamela Forrest et semble bien perdue au milieu de ce décorum variétoche et pailleté circa 70.
Tender silence of the night est en effet un morceau indolent de pop synthétique, minimaliste et éthérée en plein tourbillon post disco. La trame répétitive et hypnotique du morceau est renforcée par l’effet chorus qui place la voix dans une ambiance aérienne, paresseusement cotonneuse et joliment mélancolique.
OK Chicago / Résonance (1974)
Poursuivons avec le groupe ou plus précisément le duo Résonance, auteur de quelques bricoles et de cet instrumental bigrement réussi.
Avant de saturer les grandes ondes de son velours vocal, Pierre Bachelet, le chanteur du nord, a déjà connu diverses carrières de musicien.
Il compose des musiques de films (Emmanuelle, Histoire d’O…) et un peu d’illustration sonore, notamment pour la télé (Dim Dam Dom). Dès 1973 et jusqu’en 1985, son nom apparait aussi sur quelques références du label Télé Music – un disque intitulé Variations parait en 1974. L’année suivante Pierre Bachelet réalise son premier disque de chanson sous son nom.
Mais ce qui nous intéresse ici est le deuxième 45 tours de Résonance.
OK Chicago est un morceau wah-wah particulièrement réjouissant et funky, entre tradition hexagonale et blaxploitation – on entend là des mitraillettes en rafale, des sirènes de police, des crissements de pneus, bref de l’action en stéréo. Une rythmique endiablée, les sonorités irrésistibles du Clavinet D6 Hohner et une belle trompette enrobe efficacement ce morceau emballant.
L’espace de ces deux minutes et demi, Résonance c’est aussi un peu John Barry, Lalo Schifrin ou Laurie Johnson. Le duo va produire deux albums et quelques singles rigolos et si dans l’ensemble les autres morceaux sont décevants, OK Chicago reste à peu près inoubliable.
Lipstick / Michel Polnareff (1976)
Enfin terminons sur une plage américaine. Une face d’album et à nouveau une face b, celle de la bande originales du film Lipstick, composé par Michel Polnareff au cœur de son exil américain (1973-1977). Le film s’intitule en français Viol et châtiment, il appartient au genre rape and revenge.
Nous sommes en 1976. Le disque s’ouvre sur un tube méga disco et ultra catchy, où il pleut des cordes à en avoir le tournis et des cuivres et un solo de saxophone et bref c’est grandiose et super chouette à faire pâlir les meilleures réalisations US de l’époque. La suite est jolie, mais plus orchestrale et plus sirupeuse ne nous intéresse pas vraiment ici.
Ce qui doit retenir notre attention se trouve ensuite, de l’autre côté. Essayez d’imaginer un Polnareff non seulement électronique mais aussi bougrement expérimental. Improbable ? Écoutez plutôt The Rapist !
Cette partition électronique, entre Wendy Carlos et John Carpenter, entre brume et brouillard, rêve et cauchemar, provoquent littéralement l’effroi. Les 10’51 de The Rapist sont suivies des 2’17 de Ballet et forment un surprenant diptyque au sein d’un répertoire relativement familier.
Ce qui l’air de rien, fait du célèbre chanteur à lunettes un pionnier de la musique électronique. Si vous en doutiez c’est ne vous ne connaissiez pas encore ces quelques minutes glaçantes et l’omineuse atmosphère de ce disque schizophrène.
Maintenant à vous de décider si le chic dépasse le kitsch et si ces quelques minutes de musique improbables méritent mieux qu’un modeste article. Retrouvez ces références dans le Catalogue BmL :
- Tender Silence Of The Night : The disco singles / Sheila B. Devotion
- The Rapist / The Ballet : Lipstick : Bande originale du film
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