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Tachan : L’intégrale (2002)

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 27/01/2024 par GLITCH

« “J'ai pas peur de l'avouer, j'avais quarante ans passés, eh bien, le jour de la mort de Brassens, j'ai pleuré comme un môme. Alors que - c'est curieux - mais, le jour de la mort de Tino Rossi, j'ai repris deux fois des moules » (Pierre Desproges)

Et qu’aurait fait l’excellent Desproges ce 16 juillet 2023, jour de la mort de Jane Birkin.. et de Henri Tachan ?
Parions qu’il aurait versé une larme sincère sur cet espèce de frère érotomane, au cœur à vif, au verbe chantourné. Il se serait remis un disque du chanteur politiquement « dégagé », anarchiste putatif et mascotte de Charlie Hebdo.

Le lion est lâché

Tachan, (Henri Tachdjan, né en 1939) fut un rejeton de Brel, juché sur les épaules de Brassens et Ferré. Il avait de Brel la présence scénique théâtrale, le vers habile, capable de mordant comme de lyrisme.  Il avait aussi l’estime amicale du grand Jacques, qui post-faça son 1er disque de ces mots datés « Il est de la race qui aime les “longues marches” et il marchera. Madame, le lion est lâché. Sacré Henri ! ».

Tachan arrive un peu trop tard pour renverser la scène de la chanson comme ses devanciers l’avaient fait. Mais il se recommandera toujours de cette triade “rive gauche”, dont il se voulait  «continuateur et porte-flambeau. »

Son premier 33 tours sort en 1965. Les mauvais coups reçoit la même année le Grand prix de l’Académie du disque. La radio censure copieusement le disque, qui établit immédiatement le style de Tachan. Du sexe, allusif ou sans fard, du quatrain au vitriol sur les bourgeois et les curés, des épanchements de tendresse, des vertiges existentiels. De gauche, Tachan ? Lui professait que non.

Dans mes chansons, crénom, ni messages ni consignes / J’veux pas refair’e votr’e monde, je veux rêver le mien / Et quand j’vous raconte mes révoltes, mes chagrins / Ne vous croyez donc pas obligés d’adhérer / dans mon parti y a qu’moi et c’est déjà l’merdier! / Ni gauche ni centre ni droite / Je suis seul sur le ring / Avec mon corps qui boite / La Mort qui me fait signe !

Tachan sort une  vingtaine d’albums, jusqu’en 2007. Son nom s’est effacé peu à peu des grandes salles et des médias, au gré d’un paysage musical qui a remisé peu à peu la chanson « à texte » d’après-guerre dans les marges. Il nous reste cette intégrale, disponible à la BML, que Naïve a publiée de 2002 à 2007

Le chanteur enragé

Quand Tachan dégaine ses textes, ses cibles ont déjà du plomb dans l’aile. Nantis, flics et bigots ont essuyé bien des épigrammes assassins, mais la verve de Tachan fait mouche. De la rage et du fiel rimés, dans une prosodie classique, impeccable. Avec des mots parfois très crus, et un prisme sexuel omniprésent..

La liberté commence exactement / par le droit de baiser comme on respire, tout seul, à deux, à douze ou même pire. La liberté, on l’a mise en maison / Faut se cacher pour trousser un jupon / honteusement comme si on assassine / au nom du Père, du Fils et d’la voisine. Les religions, petite, ah! quelle merde ! / Ton pucelage, faut pas que tu le perdes / avant le grand coup de queue légitime / dans ta pauvr’e chatte qui sent la naphtaline…

“Déboutonne ma soutane / bien en génuflexion / Et tu verras mon Jésus / et ses deux p’tits larrons”
J’en veux pas aux bons pères / qui, à mes confessions /sentaient le foutre amer / et la transpiration

Il y a là, quelques rombières /talons pointus, envisonnées, / cils en carton et cœur de pierre, et les tétons amidonnés… Dans les wagons de première classe Du métropo-po-politain / y a pas de cris, y a pas de crasse / pas de pinces-culs prolétariens!

Une chanson de genre

Obsédé, érotomane, certes. Mais là où Tachan se distingue c’est lorsqu’il cuisine en chansons les rapports de sexe(s) ou l’identité sexuelle (masculine).
Priape volubile, libertin viril bien de son temps, Tachan est pourtant un mâle complexe. La tendresse goguenarde, faussement effarouchée, qu’il chante aux PD (1965) est nourrie de clichés d’époque. Mais en procédant ainsi à une “caricature de la caricature”, le bougre esquisse l’aveu d’un certain trouble. Et ailleurs, il se dévoile misandre, nullipare, anti-chasse, ou amant-copain..

Je ne veux pas d’enfant / Qui pleure ou qui babille / Et dont on est fier quand Il fait souffrir les filles
Je ne veux pas d’enfant / Pour réussir mes rêves / Les rêves des parents / Qui s’étiolent et qui crèvent

Ils se racontent leurs conquêtes / Leurs péripéties de braguette / Dans des gros rir’ à la buvette / Les z’hommes. Ils se racontent leur guéguerre / Leurs nostalgies de militaires / une lalarme à la paupière / Les z’hommes / Virilité en bandoulière, Orgueil roulé en band’ moll’tières, Agressivité en oeillères / Les z’hommes. Ils te traiteront de pédé,
De gonzesse et de dégonflé, A moins qu’tu n’sort’ dehors si t’es Un homme..

Entre l’amour et l’amitié /Ils ont barbelé des frontières, / Nos sentiments étiqueté. / Et si on aime trop sa mère / ou bien son pote ou bien son chien, / il paraît qu’on est en eau trouble / qu’on est cliniquement freudien / ou inverti ou agent double. / Alors qu’l’amour et l’amitié / ont la même gueule d’innocence. Entre l’amour et l’amitié, / dites-moi donc la différence..

Et la tendresse ?

Tachan le satyre, Tachan le révolté.. ou la face tempétueuse d’un océan de tendresse et de mélancolie. A l’écoute des textes, on est vite frappé par ce thème de l’enfance perdue qui irrigue son répertoire, même le plus provocant. Car la colère, le désir incessant, la virilité bravache.. sont aussi le reflet amer de ce paradis abandonné, du cocon du premier âge. Les plus beaux textes de Tachan sont sans doute ceux-là, où l’écorché chante l’amour confident, les bras de la mère et la mort qui regarde.

Ma mère, Pourquoi ne m’as-tu jamais donné / le câlin chaud, le gros baiser / qui vient du fin fond des entrailles ? Pourquoi, d’un air paisible et doux / n’as-tu pas demandé au loup / au croquemitaine, qu’ils s’en aillent ? Tu sais, je me r’trouve aujourd’hui / à trente-sept ans, toutes les nuits encore privé de tes caresses. J’ai pas d’mandé à voir le jour /c’est les parents qui font l’amour /et les mères qui font les grossesses.

Depuis plus de vingt ans que j’y ai jeté l’ancre / dans ce pays de fous, de chiens tièdes et de cancres, / depuis plus de vingt ans j’y passe mes vacances / et comme ce vieillard de quatre-vingts printemps / qui s’endort, un beau soir / et qu’on couche dedans son petit / tout petit coin de terre de Provence, / couchez-moi, je vous prie, quand viendra le moment / dans ma terre, mon pays, / couchez-moi doucement / en Adolescence !

C’est comme chez toi, mon amour / parce que j’ai vu, l’autre jour / au détour de ton beau visage / ces deux cernes de lassitude / ces quelques rides d’habitude / parce que tu pleures sur ton âge. / C’est comme toi, mon cher Soleil / parc’que tu as peur d’être vieille / parc’que tu as peur du naufrage, / et parc’que tu meurs à rebours / je t’aime davantage chaque jour / et je t’aime pour ça, mon amour !

Tu es l’enfant que je n’ai pas voulu / tu es la mère qu’un jour je n’aurai plus / tu es l’ami que racontent les bardes, ma femme. / Tu es tout ceux que je n’ai pas aimés / : vingt ans de peur, y a pas d’feu sans fumée / et ce feu-là, fragile, je te le garde, ma femme

→ Retrouver l’intégrale Tachan dans nos collections

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