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Bruno Maderna “Quadrivium – Aura – Biogramma” (1994)
Publié le 06/09/2024 à 01:54 - 4 min - Modifié le 06/08/2024 par GLITCH
Bruno Maderna (1920-1973) était une figure essentielle, aujourd’hui oubliée, de la musique après 1945. Il fut un immense chef d'orchestre, mais aussi enseignant, éditeur, musicologue.. et compositeur ! Personnage truculent, hédoniste et généreux, il était l’ami et le passeur de Nono, Boulez, Berio.. dont il dirigea plusieurs créations.
Un musicien à 360°
Maderna était résolument moderne, acteur et libre compagnon des avant-gardes culturelles de l’Europe d’après-guerre.
Pour autant, il embrassait toutes les voies musicales. Celles du passé, et notamment le post-romantisme de Malipiero qui fut son professeur. Ou encore la musique ancienne italienne dont il livra maintes révisions et orchestrations.
Et bien sûr celle de l’avenir, qu’il contribua à forger auprès des pionniers de son temps. En 1955 il fonde, avec Luciano Berio, le Studio de phonologie de la Rai à Milan. Il dirige de 1956 à 1960 les Incontri musicali, concerts où sont créées des œuvres majeures de l’après-guerre. Il participe également aux Cours d’été de Darmstadt (dont il fera sa résidence), où il anime des séminaires.
Une vie d’échanges et de créations, prématurément interrompue par la maladie. Sa disparition donna lieu à de nombreux hommages et dédicaces d’oeuvres, dont ce In memoriam, une des plus belles pièces de Pierre Boulez.
Ses activités multiples (surtout celle de chef d’orchestre, à découvrir en répétition dans ce savoureux documentaire) ont éclipsé son oeuvre de compositeur. D’autant que Maderna, à rebours de ses collègues, dédaignait assez les élaborations théoriques touffues dont l’avant-garde tendait à sertir alors la moindre phrase musicale.. Accueillant toutes les évolutions de son temps (sérialisme, atonalité, électronique, aléatoire..), il ne se revendiquait d’aucune.
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Quadrivium – Aura – Biogramma
Cette liberté s’entend dans cet enregistrement d’oeuvres tardives pour orchestre, sous la baguette de son élève Giuseppe Sinopoli, où l’expérimentation ne se départit jamais de la volupté sonore.
Voici 3 pièces qui « cuisinent » l’orchestre, entre formalisme strict et séquences aléatoires, éclatement et fusion. L’accident, l’épars et l’hétérogène sont toujours repris ensuite dans une unité provisoire, suspendue. Et toujours d’une séduisante, mystérieuse beauté de timbres.
Quadrivium (1969, pour 4 percussionnistes et 4 groupes orchestraux) déroute d’abord par une succession d’épisodes pointillistes. Dominée par les percussions, la musique semble s’esquisser par bribes, par figures trouées, sans aller jusqu’à l’ensemble. Puis la matière semble « prendre », les éclats de percussions s’insèrent dans un corps orchestral plus vaste. L’ensemble se met à vibrer, à gronder, jusqu’à former un monolithe scintillant d’éclats de métal.
Aura (1972) est une synthèse élégante de sérialisme et de post-romantisme. On dirait une œuvre cachée de Berg, un nocturne pour orchestre qui tiendrait de la Nuit transfigurée et du Concerto pour violon. Quelques concaténations abruptes ou saillies de cuivres trouent parfois cette trame de cordes énigmatique et douce.
Biogramma (1972) pour grand orchestre, fait encore preuve de la sensualité sonore de Maderna. Balancements rêveurs et mordorés, qui se laissent bousculer par des appels de cuivres pour mieux les ét(r)eindre amoureusement..
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Bel hautbois chantant
Un seul enregistrement.. c’est un peu court pour évoquer cette figure atypique et attachante. Il faudrait au moins pouvoir glisser un mot de la dilection de Bruno Maderna pour le hautbois, auquel il consacra trois concertos. C’était pour lui une sorte de voix élémentaire, la figure la plus ancienne, la plus touchante et incarnée du chant instrumental..
Le concerto n°3, l’œuvre ultime de Maderna est d’une intensité paradoxale, pas moins inquiète que caressante. Chuchotements infernaux ou débordements de l’orchestre n’altèrent pas la pureté gracile du hautbois, le plus souvent seul. Sa douceur chantante, sa nudité volubile et persistante, passant à travers les gouffres et les tumultes, une voix terriblement humaine.
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