Dans le sable, sur la plage...
La sélection musicale de l’été 2021
Publié le 26/07/2021 à 09:04
- 12 min -
Modifié le 07/09/2021
par
Luke Warm
Des livres à emporter dans sa valise pour un été musical !
“Une histoire du Velvet Underground” Prosperi Buri (Dargaud, 2021)
La bande dessinée documentaire est actuellement en vogue et les biographies de musiciens ne font pas exception, donnant lieu à des œuvres de très grande qualité, entre BD mythiques (Le chant de la machine, Hip hop family tree, Haddon Hall : quand David inventa Bowie) et nouveautés de grande qualité (Les amants d’Hérouville, Nick Cave : mercy on me, Karen Dalton : jeunesse d’une femme libre, Jimi Hendrix : requiem électrique, Freddie Mercury, Vince Taylor : l’ange noir,…) sous des formes très variées.
Le 9ème art s’attaque cette fois-ci au Velvet Undergound sous le trait de Prosperi Buri qui nous livre avec un regard acerbe mais plein d’humour et parfaitement documenté la vraie histoire, pas toujours glorieuse, derrière la légende.
The Velvet Undergound, c’est 5 ans d’existence retracée ici, des prémices avec The Primitives et Falling Spike jusqu’à l’album Loaded sorti quelques jours après le départ de Lou Reed du groupe le 23 août 1970.
Prosperi Buri décrit les étapes marquantes du groupe dans des dessins en noir, blanc et rose (référence à la pochette de Loaded) : l’origine du nom (le titre d’un livre sur le sadomasochisme trouvé dans un caniveau par le percussionniste de l’époque Angus MacLise), les arrivées et les départs des différents membres (dont une Nico snob et capricieuse et un Doug Yule naïf), l’influence d’Andy Warhol, la Factory, l’enregistrement et l’insuccès de leurs albums à leur sortie (pas de critique, pas de diffusion, pas de distribution, pas de vente).
Il dresse un portrait sans complaisance des protagonistes (à l’exception de la batteuse Moe Tucker, moqueuse et lucide) notamment d’un Lou Reed calculateur et opportuniste, finalement surpassé par leur manager, Steve Sesnick dessiné sous les traits d’un serpent, dans l’art de la manipulation.
S’il épingle les êtres, il rend aussi hommage à l’importance du groupe dans un épilogue qui met en scène les deux derniers survivants (Moe Tucker, John Cale) échangeant sur l’insuccès du groupe, son avant-gardisme et son influence posthume (notamment sur Brian Eno, Iggy Pop, David Bowie ou le punk).
Une lecture à la fois drôle et instructive.
“Fosse Notes : une autre histoire de l’Opéra” Jean-Noël Crocq (Premières loges, 2020)
Les musiciens d’orchestre passent beaucoup, beaucoup de temps avec leurs partitions. Sur le pupitre, sur le bureau, dans le sac ou l’étui.. toujours une partition. Pas étonnant que ces feuillets farcis de lignes et en permanence sous leurs yeux deviennent leur premier confident, le réceptacle de leurs pensées, de leurs rêves.. ou le premier post-it à portée de main !
C’est ce qu’expose très joliment ce beau livre qui fouille dans 200 ans de partitions archivées à l’Opéra de Paris. Un catalogue improbable et savoureux rempli de notes, de croquis, de dessins, de commentaires persifleurs, rageurs ou prosaïques, qui viennent enluminer les partitions.
Portraits de chanteurs, de compositeurs ou de chefs célèbres, annotations sur la musique, crayonné des mises en scène.. Depuis la fosse d’orchestre, les musiciens commentent à la plume les figures et arcanes du métier..
L’oeil se balade de miniatures spontanées en véritables tableaux d’artistes, qui disent les beautés du métier ou les tournent en dérision. La vie des musiciens qui sont passés là semblent affleurer sur le papier, ils nous livrent leur coup d’oeil dans un réjouissant accord de trivialité, de drôlerie et de talent.
“Black Power : l’avènement de la Pop Culture noire américaine” Sophie Rosemont (GM éditions, 2020)
Alors qu’elle fait débuter les débuts de la culture noire américaine au chant des esclaves dans les champs de coton. Sophie Rosemont commence son livre sur la pop culture noire américaine à partir des années 50. A cette époque les noirs américains sont massivement montés dans le Nord industrialisés des Etats-Unis. Fini les champs de coton, place au ghetto. C’est également les débuts de la culture adolescente mêlant musique, littérature et cinéma. Et c’est en s’appuyant sur la production culturelle de ces noirs américains que l’auteur établit une évolution chronologique de la pop culture noire américaine. De James Baldwin à Gordon Parks et Nina Simone jusqu’à Colson Whitehead, Jordan Peele et Childish Gambino, l’auteur tisse un lien entre revendications sociales et politiques d’un côté et art populaire de l’autre. Comment les idéaux de Martin Luther King et de Malcolm X entre autres influencèrent la création culturelle et comment en contrepartie des artistes portèrent les messages de revendication. C’est lumineux et pertinent, illustré de beaucoup d’exemples qui donnent envie de (re)voir et de (ré)écouter les œuvres présentées.
Sophie Rosemont est enseignante et journaliste (France Culture, les Inrocks, Rolling Stone…) et l’auteur de plusieurs ouvrages sur la musique et ses à cotés.
“Pop rock : les instruments de l’ombre – méconnus, incongrus ou mal-aimés, de l’accordéon au xylophone” Julien Deléglise et Thierry Dauge (Camion Blanc, 2020)
Méconnus ou mal aimés, certains instruments semblent ne pas avoir de place dans le rock et la pop musique. Pourtant lorsque l’on y regarde de plus près, ils sont nombreux à avoir contribué aux succès de certains titres. Que serait “love me do” des Beatles sans harmonica ? “Magic Bus” des Who aurait-il la même saveur sans son woodblock ?
C’est au travers de cette thématique que Thierry Dauge & Julien Deleglise nous entrainent pour un voyage initiatique dans l’histoire de la musique. Loin d’être encyclopédique, cet ouvrage se parcourt facilement, nous faisant découvrir ou redécouvrir au fil des pages des instruments oubliés ou inconnus mais aussi des anecdotes sur leurs intégrations à priori inopportunes dans des albums de rock !
Les auteurs se sont également penchés sur les cris d’animaux, les sons de la nature mais aussi les bruits de moto, de sonnerie de téléphone, de tiroir-caisse ou d’armes à feu, qui utilisés comme de véritables instruments font aujourd’hui parties intégrantes de morceaux devenus cultes !
Un livre étonnant, truffé d’anecdotes et de références à l’histoire du rock…A découvrir de toute urgence !
“Divas : les plus grandes icônes de la pop” Sarah Dahan et Natalie A. Rocha (Huginn & Muninn, 2021)
A l’image d’un jeu des 7 familles, la journaliste et autrice Sarah Dahan propose de découvrir les figures féminines qui ont marqué la pop, sous un angle décalé : iconoclastes, féministes, divas ultimes, etc.
Avant tout ludique, ce livre dresse un panorama intergénérationnel (Barbara Streisand, Britney Spears, Kate Bush, Grace Jones, Amy Winehouse, etc ) de ces artistes populaires en retraçant leur carrière parsemées d’anecdotes et de faits marquants tout en proposant à chaque fois trois titres « à connaître absolument ». Une playlist (QR code) accompagne la lecture de l’ouvrage, et permet de se plonger agréablement dans l’univers musical de ces 35 figures de la pop. Ce livre facile d’accès (dès 12 ans), drôle, est illustré par la dessinatrice colombienne Natalie A. Rocha, alias Natsinmiedo, aux visuels colorés et acidulés.
Sarah Dahan est journaliste pour les Inrockuptibles et GQ et est rédactrice en chef du Snapchat Discover de Konbini.
“Les amants d’Hérouville : une histoire vraie” Yann le Quellec et Thomas Cadène (Delcourt, 2021)
Une bande dessinée passionnante qui revient sur la trajectoire de l’indépassable Michel Magne.
Talentueux, visionnaire, décalé, fou furieux, déglingué, pétaradant dans tous les sens, Michel Magne fut un démiurge magnifique. Son histoire est ici racontée dans une bande dessinée fouillée et nous laisse découvrir un personnage tourmenté mais génial.
Le château d’Hérouville, c’est lui. Studio d’enregistrement de légende où il régna parmi des artistes choyés , il fut aussi hélas son tombeau.
Dans cette biographie inspirée, les auteurs reviennent sur ces années folles qui, avec le temps, se teintent d’une certaine nostalgie voire d’une étrange amertume.
Et au-delà de cette histoire musicale riche en rebondissements se révèle (surtout) une histoire d’amour inattendue. C’est peut-être là toute la force de ce récit graphique aux détours parfois étonnants et qui pose en filigrane cette question lancinante : quelle place tient l’amour chez un homme emporté par son rêve ?
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter ces deux conférences orchestrées avec maestria par le Département Musique :
La première : magique
La deuxième : grandiose
“L’Orient sonore : musiques oubliées, musiques vivantes” sous la direction de Fadi El Abdallah (MUCEM, Actes Sud, 2020)
L’exposition “L’Orient sonore : musiques oubliées, musiques vivantes” a eu lieu au MUCEM à Marseille en 2020. Elle a été réalisée grâce au fonds conservé dans les collections de la Fondation Amar, par Kamal Kassar, le commissaire d’expo et par Fadi Yeni Turk, réalisateur et directeur de la photographie.
Le catalogue que nous vous présentons est co-édité par le MUCEM et Actes Sud, sous la direction de Fadi El Abdallah.
Il propose en complément de l’exposition une douzaine de textes pour approfondir la réflexion sur la multiplicité des musiques de l’Orient, en abordant des thématiques musicologiques, sociologiques, ou techniques comme “Déchiffrer les notations musicales arabes médiévales” (Mustafa Saïd), “L’identité et l’oubli : l’émergence des Etats et de leur musique dans l’orient arabe” (Fadi El Abdallah), “ L’enregistrement sonore et le monde arabe occidental” (Ali Jihad Racy) etc…
Le tout est richement illustré et contient l’indispensable glossaire. Qu’est-ce qu’un ‘Qunbûs’ ? Rendez-vous en page 168 pour la réponse. Voyagez en mots et en images de l’Algérie à l’Egypte, du Liban à l’Irak… Puis empruntez dans nos collections en complément du complément tous les disques de l’orient sonore.
“Une brève histoire du rap” Thomas Guillaumet et Thibaut Lamadelaine (Mareuil, 2020)
Déjà le titre m’a attiré l’œil : « une brève » histoire du rap, c’est exactement ce dont j’ai besoin pour les vacances. En guise d’ « histoire » c’est à travers 250 chroniques par ordre chronologique, de 1980 à 2019, que se construit la trame historique. De l’album éponyme de Sugarhill Gang aux « étoiles vagabondes » de Nekfeu en passant par les albums cultes de Public Enemy, Snoop Dogg ou Eminem… l’ouvrage nous faire parcourir la planète rap dans une forme très didactique convenant aussi bien aux novices qu’aux fans du genre.
Le contrat est clair et basique (comme dirait Orelsan) : un album = une page. La chronique est toujours accompagnée d’une notice d’identité très détaillée contenant des crédits très précis (producteurs, featuring, ingénieurs, illustrateurs…), le classement dans les charts et des écoutes complémentaires. Si on retrouve les albums mythiques du genre, Thomas Guillaumet et Thibaut Lamadelaine réhabilitent aussi des albums méconnus ou totalement oubliés comme ceux du groupe de Memphis Three 6 Mafia ou celui de DJ Screw, originaire de Houston et inventeur du chopped and screwed. Découpé en quatre grandes parties, correspondant aux quatre décennies du genre, les auteurs s’attachent avec intégrité et passion à trouver autant d’albums intéressants dans chaque décennie. A lire d’une traite ou au hasard d’une page !
“After party” photographies François Prost (Headbangers Publishing, 2018)
Comme ces collectionneurs qui débutent une collection sans s’en apercevoir le photographe François Prost (lyonnais d’origine) a commencé à photographier les devantures de discothèques. Sa marotte le conduit aux quatre coins de la France et de la Belgique.
Dans un esprit plutôt « humaniste », avec plus de tendresse que d’ironie Prost propose une série de clichés décalés et touchants. Se concentrant sur les zones périurbaines et rurales il donne à apercevoir une portion de notre vie nocturne peu documentée, quoique d’un réel et dansant intérêt.
Ex-hangars, bicoques rafistolées, anciennes granges ou fermes, préfabriqués de tôle ondulée, rejetons improbables et souvent décrépis d’un Le Corbusier du samedi soir … la diversité des lieux, souvent recyclés, (b)étonne. Chaque tenancier y va de sa touche architecturale : colonnette dorique, sphinx énigmatique, palmier synthétique ….
Lesté de son pesant de rêves et de décibels, tel un mirage Bagdad-caféiné, le night-club émerge de la steppe territoriale, splendide et dérisoire.
Classé par régions, bourré de photos qui se passent de commentaires (le livre est dépourvu de texte hormis l’intéressante introduction de l’artiste).
Un album attachant, à feuilleter agréablement cet été.
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