Témoigner pour ne pas oublier

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 12/04/2024 par Dpt Civilisation

En étant aux premières loges de l'édition, nous bibliothécaires sommes les témoins privilégiés des tendances historiographiques. Ainsi, nous pouvons affirmer qu'en Histoire, les derniers contemporains de la Seconde Guerre mondiale ont besoin de témoigner. Pressés par l'urgence du temps qui passe, par l'âge qui se fait plus grand, ces témoins ont encore des choses à dire. Leur parole est donc essentielle et malheureusement toujours d'actualité.

Mémorial du camp de Dachau
Mémorial du camp de Dachau

Qu’il s’agisse de récits de déportation en raison de leur ascendance juive, ou de témoignages d’engagements dans la Résistance face à un régime d’extrême droite nazi raciste et fasciste ; la parole de ces témoins trouve nécessairement un écho pour chacun d’entre nous.

Voici donc une sélection de témoignages parus récemment, donnant matière à réfléchir sur le passé et l’avenir.

Se souvenir ensemble / Evelyn et Claude Askolovitch

Voici un récit à deux voix. Celle du journaliste Claude Askolovitch, et de sa mère Evelyn, déportée à 4 ans à Bergen-Belsen avec sa famille. C’est l’histoire de leur sauvetage grâce à de faux papiers leur donnant la nationalité du Honduras, et surtout d’une relation mère-fils. Des questionnements de celui-ci, des non-dits de sa mère, et de la mémoire familiale. Comment arriver à gérer un tel héritage, à garder sa mère du côté de la vie ?

Le tout donne un échange vivant, tendre, parfois drôle, comme le montre cette interview donnée ensemble.

La mort en échec / Isabelle Choko

Jeune polonaise originaire de Lodz, déportée à 15 ans à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, Isabelle Choko témoignait encore à 93 ans dans les collèges et lycées. Il ne faut pas lui parler de Poutine ” C’est l’horreur pour moi. Comment les hommes n’ont-ils pas compris qu’il n’y a rien de pire qu’une guerre ? ” Lorsqu’elle arrive à Auschwitz avec sa mère, après avoir perdu le reste de sa famille dans le ghetto de Lodz, un homme leur sauve la vie. « Au bout du quai, il y a une sélection, la prévient-il. À droite, c’est la mort, à gauche c’est la vie. »

Lorsqu’elle parvient en France, elle ne connait de la langue que quelques mots. Elle s’inscrit à l’Alliance française, apprend et passe son baccalauréat. Elle deviendra championne de France d’échecs, après en avoir appris les rudiments dans le ghetto. Son témoignage révèle une femme de passion animée par le besoin de transmission.

Les jumelles de Mengele / Eva Kor

Dans cet ouvrage, il est question de pardon. “Pardonnez à vos pires ennemis. J’aimerais très clairement le dire depuis Auschwitz (…) Personne ne peut changer mon passé qui est une chose terrible (…) Du moment où j’ai pardonné aux nazis je me suis sentie libéré d’Auschwitz et de toute cette tragédie qui m’était arrivée. Et s’ils ne le méritent pas, c’est leur problème” avait l’habitude de dire Eva Kor.

Elle revient sur la déportation de sa famille à Auschwitz en 1944, et sur les expériences qu’elle et sa sœur jumelle ont subies sous l’égide du tristement célèbre Docteur Mengele. A 10 ans, elle survit seule aux côtés de sa jumelle, parmi les rats et les poux, soumise aux injections régulières d’une substance figeant la croissance de ses reins. Elles survivront jusqu’à la libération du camp en janvier 1945 par les soviétiques.

Une jeunesse sous l’occupation / Alice Mendelson

Dans ce témoignage, nous sommes confrontés à la jalousie comme point de départ. Le père de l’auteure, coiffeur de profession à Paris, est arrêté dès 1941 et déporté dans le deuxième convoi de Juifs parti de France à destination de Drancy puis Auschwitz. En effet, leur jeune voisin de 26 ans, coiffeur, antisémite et concurrent, les dénonce au commissariat général aux Questions juives. Leur salon de coiffure est confisqué, et Alice et sa mère échappent de peu à la rafle du Vel d’Hiv, grâce à l’aide de voisines.

Elles réussissent alors à passer en zone sud, et s’engagent dans la Résistance. A la Libération, elles n’auront de cesse de se battre pour obtenir justice et réparation, mais également de raconter leur histoire.

Il n’y aura bientôt plus personne / Marie Vaislic

Marie Vaislic est arrêtée à 14 ans en pleine rue en Juillet 1944, trois semaines avant la Libération. Elle est déportée seule, sans sa famille, à Ravensbrück puis Bergen-Belsen. C’est par cette arrestation qu’elle apprend ses origines juives. Ses parents ne parlaient jamais de religion. S’enchaîne ensuite le convoi, l’arrivée au camp et les humiliations, l’épuisement, les cadavres au quotidien, puis le retour.

Comme beaucoup de déportés, elle se tait. Personne n’a envie d’entendre les récits des déportés. On veut alors simplement passer à autre chose. Et puis de quoi devrait-elle se plaindre, elle est vivante, elle. Les cauchemars feront partie de son quotidien. Et puis des années plus tard on l’invite et on lui demande de raconter. Elle rencontre les élèves et témoigne encore et encore, pour ne pas oublier que la Shoah a vraiment existé.

16 ans, résistant / Robert Birenbaum

C’est l’un des derniers témoignages que nous avons eu entre les mains, paru à l’occasion de l’entrée au Panthéon de Mélinée et Missak Manouchian. Robert Birenbaum a d’ailleurs attendu d’avoir 97 ans pour raconter. A 16 ans, suite à la rafle du Vel d’Hiv, il n’hésite pas et décide d’entrer dans la Résistance en rejoignant le MOI (Mouvement Ouvrier Immigré). Il commence à recruter des partisans, participe aux lancers de tracts, vols d’armes, attentats etc… Il devait rejoindre le réseau de Manouchian. Mais la veille, le groupe de l’Affiche rouge est arrêté.

Comme il le dit si bien “même à 97 piges, j’irai en courant !” Le résistant garde aussi en mémoire des moments inoubliables : “Vous savez, pendant la guerre, tout à fait au début, dans mon quartier, qui est maintenant Stalingrad, on m’a souvent traité de sale Juif. Ma grande fierté, ça a été le jour de la Libération de Paris, quand on m’avait vu sur une barricade et que je suis rentré avec ma mitraillette sur l’épaule, ceux qui m’avaient traité de sale Juif m’ont applaudi dans la rue.” Un témoignage marquant, humble et digne.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à plonger dans les autres témoignages présents dans les collections de la bibliothèque.

Partager cet article