Dans la tête des chercheurs

Sylvie Monchatre, la sociologue qui interroge le temps au travail

- temps de lecture approximatif de 4 minutes 4 min - Modifié le 07/03/2023 par Karine

Nous sommes souvent fasciné.es ou intrigué.es par les découvertes scientifiques, mais que savons-nous du travail concret des chercheurs ? Quelles questions se posent-ils ? Quels problèmes rencontrent-ils ? Avec quels outils travaillent-ils ? Rencontre avec Sylvie Monchatre, sociologue, professeure à l’IETL (Institut d’Etudes du Travail de Lyon) et membre du Centre de recherche Max Weber.

©Sylvie Monchatre
  • Quel métier rêviez-vous de faire quand vous étiez petite ?

    Je n’ai jamais eu d’idée précise de ce que je voulais devenir, je savais surtout ce dont je ne voulais pas. J’imaginais pouvoir travailler en étant libre de mes mouvements, avec la possibilité de me déplacer, de rencontrer des gens, de les écouter et leur être utile. Cela aurait pu me conduire tout aussi bien à devenir assistante sociale ou à rentrer dans les ordres.

    • Comment en êtes-vous arrivé à devenir sociologue ? Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre cette orientation ?

    J’ai choisi d’étudier la sociologie après avoir réalisé que la philosophie, indispensable à mes yeux, me frustrait. Circuler dans l’univers abstrait des idées me semblait trop éloigné des réalités que je cherchais à comprendre. Découvrir la sociologie a été un enchantement, j’apprenais à décoder les dynamiques sociales qui sous-tendent les comportements individuels. Pour autant, le métier de sociologue me paraissait hors de portée. Je suis revenue à la sociologie pour me ressourcer et faire une thèse à la suite d’expériences professionnelles riches de découvertes, mais qui ne me convenaient pas. Le chemin qui m’a conduite à une pratique professionnelle de la sociologie et à l’université n’a donc rien eu de linéaire.

    • Et concrètement, au quotidien, c’est quoi être sociologue ?

    Je partage mon temps entre l’enseignement, la vie institutionnelle, et la recherche. Il est impossible de présenter une journée-type, il y a plutôt deux périodes-types : l’une, de septembre à avril, dominée par l’enseignement et l’autre, de mai à septembre, dominée par les tâches administratives et les activités scientifiques. Mais l’enseignement ne se limite pas à faire cours et corriger des copies, je suis responsable d’un parcours de Master, ce qui implique également des tâches de coordination, de recrutement des étudiant-es, de suivi des mémoires et des thèses. Sur le plan institutionnel, outre une participation à la vie collective de l’université, je contribue aux recrutements et promotions de collègues d’autres universités, j’évalue des articles pour des revues scientifiques.  Enfin, pour les recherches que je mène, la quête de financements vient s’ajouter aux activités d’échanges, d’investigation, de travail en équipe et de publication.  Le travail d’écriture se fait généralement sur le temps de vacances.

    • Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

    Je mène tout d’abord une recherche sur les conséquences de l’expérience des injustices sur la santé, en enquêtant plus particulièrement sur les conditions de travail dans le secteur de la sécurité privée. Mon autre recherche en cours porte sur les difficultés de recrutement dans la restauration suite à la crise sanitaire, dans le cadre d’une comparaison France-Italie-Québec.

    • Vous êtes membre du Centre Max Weber, laboratoire de sociologie généraliste, quel est votre rôle au sein de cette structure ?

    Je suis co-responsable de l’équipe TIPO (Travail, Institution, Professions et Organisations). Je suis par ailleurs co-responsable de l’axe sociologie visuelle, dans lequel nous tentons d’impulser une réflexion sur les usages de l’image, fixe ou animée, dans la recherche sociologique.

    • Pour terminer, quels sont les ouvrages, films ou auteurs qui ont été marquants pour vous ou qui vous ont inspirée dans votre parcours ?

    J’ai été très inspirée par une littérature ou une filmographie souvent jugée mineure ou marginale. Je me suis beaucoup nourrie de polars ethniques comme ceux de Tony Hillerman, qui montrent la compétence des métis et autres transclasses à décoder le monde social qui les entoure. Je me ressource également dans les récits ouvrier-es comme ceux de Marguerite Audoux ainsi que dans les films sur le travail et le déracinement, comme ceux d’Armand Gatti avec (et non sur) des immigré-es de Montbéliard, de Wang Bing pour la Chine ou de Maya Da Rin pour le Brésil.

    En cinéma de fiction, les films de John Cassevetes (« Une femme sous influence », « Opening Night », etc.) qui déconstruisent la normativité ordinaire et ouvrent des espaces de liberté inattendus, ou ceux d’Alain Tanner (« La Salamandre », « Dans la ville blanche ») qui portent une critique féroce et désespérée des sociétés capitalistes, m’ont énormément marquée. Parmi les réalisateurs contemporains, je le suis par les films de James Gray (« Little Odessa », « Armageddon Time »), Rachid Djaïdani (« Rengaine »), Jean-Pascal Zadi (« Tout simplement noir ») ou encore Baya Kasmi (« Youssef Salem a du succès »), qui abordent selon moi la question de l’altérité avec une lucidité sans pareil.

    Sylvie Monchatre présentera son travail à la bibliothèque de la Part-Dieu le 25 mai prochain dans le cadre du cycle Dans la tête des chercheurs.

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