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QAnon : mouvement visionnaire ou délire complotiste ?

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 05/03/2021 par sthouzellier

Le 6 janvier dernier, de nombreux émeutiers pro-Trump prennent d’assaut le siège du pouvoir législatif aux États-Unis, le Capitole. Cherchant à mettre un terme au processus de confirmation de l’élection présidentielle, ils sont finalement délogés par les forces de l’ordre. Cet événement, stupéfiant et inquiétant, suscite de très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Parmi eux revient assez régulièrement le terme de QAnon. Encore obscur pour beaucoup, ce terme, issu des tréfonds d’internet, fait de plus en plus parler de lui au sein du grand public, aux Etats-Unis comme en Europe. Mais Qanon, concrètement, qu’est-ce que c’est ? Nous nous sommes penchés sur la question pour essayer d'amener un peu de lumière sur ce mouvement.

Photo du magazine Society n°148, Janvier - Février 2021, © Simon Thouzellier
Photo du magazine Society n°148, Janvier - Février 2021, © Simon Thouzellier

QAnon, c’est Quoi ? 

“On le moque ou on craint sa dangerosité, et on le regarde se répandre dans le monde entier comme une (autre) pandémie. Et s’il n’était en fait qu’une première vaguelette ?”. C’est ainsi que Raphaël Malkin, journaliste pour le magazine Society, présente la mouvance conspirationniste QAnon. Cette dernière regroupe des promoteurs de théories du complot qui sont convaincus de l’existence d’un “État Profond” (Deep State). Pédophiles et satanistes, impliquant des démocrates gravitant autour de la famille Clinton, les médias, et même Hollywood, ce Deep State aurait pris le contrôle de la société. Les plus extrêmes partisans QAnon pensent même que les acteurs du Deep State consomment de la chair d’enfants pour obtenir la jeunesse éternelle.

Selon les QAnon, Donald Trump, l’élu, mène alors en coulisses une guerre contre ce “Deep State”. Pour eux, la fin de l’État profond serait imminente, Trump étant en passe de vaincre les forces du mal, et leur rôle est à la fois de répandre la bonne parole et de tout donner pour faire advenir le “monde d’après”. Ils veulent réveiller la population en annonçant le “Great Awakening” (Grand Réveil). (Source)

Aux origines de QAnon : le Pizzagate

La théorie QAnon prend son fondement fin 2016, un mois après l’élection de Trump en tant que Président des Etats-Unis. Des e-mails de l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton, John Podesta, sont divulgués sur internet. Certains font mention régulière d’une pizzeria, le Comète Ping Pong à Washington. Repris sur certains forums comme 4chan ou Reddit, ces “leaks” prennent de l’ampleur, jusqu’à ce que certains internautes voient à travers des mots comme “pizza” ou “pasta” des noms de codes pour un réseau pédophile.

Tout ceci va encourager Edgar Maddison Welch, résident de Caroline du Nord, à passer à l’acte. Ce dernier entre dans ladite pizzeria à Washington le 4 décembre, armé d’un fusil d’assaut, et fait feu dans l’établissement. Ce dernier affirme après son arrestation être venu “sauver des enfants esclaves sexuels”. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le Pizzagate, et qui est utilisé par beaucoup comme source de référence pour expliquer la présence d’un réseau pédophile soutenu par les démocrates. 

QAnon, c’est Qui ?

Le mouvement QAnon tel qu’on le connaît maintenant débute le 28 octobre 2017. Un message anonyme est posté sur le forum de discussion 4chan, expliquant qu’Hillary Clinton allait être arrêtée. L’auteur signe le message de la lettre Q, qui désigne l’habilitation à consulter des documents top secrets au sein du renseignement américain. C’est le début d’une longue succession de messages, de “drops” (un peu plus de 4000 à ce jour), sur différents forums.

Q va généralement s’exprimer de façon cryptique et vague, dès fois sous forme de question, afin que ses adeptes y retrouvent ce qu’ils y veulent. 

Walter Kirn, écrivain américain, explique que “Q a parfaitement compris que le public internet ne veut pas lire mais écrire ; il ne veut pas des réponses mais des questions ; il veut être envoyé en mission.” (Source)

Le nom du mouvement QAnon vient de là. “Q” désigne à la fois le niveau d’habilitation au renseignement américain et l’auteur des drops sur les forums. “Anon” désigne le caractère anonyme des posteurs sur ces forums. Littéralement, “QAnon” peut s’exprimer en “Les adeptes anonymes de Q”.
Un de leurs slogans populaires est d’ailleurs “WWGOWGA”, littéralement “Where We Go One, We Go All”, “Où l’un d’entre nous va, nous y allons tous”, ou encore “Un pour tous, tous pour un”. 

L’identité de Q ?

Il existe plusieurs théories à ce sujet, dont deux notamment qui semblent les plus proches de la vérité.
– Q est en fait un duo, Ron et James Watkin, père et fils américains qui géraient le forum 8chan. Cette théorie est soutenue par le fait qu’ils aient déclaré publiquement leur soutien à Donald Trump et aux QAnon, mais également qu’ils aient accès à tous les comptes du forum pour poster sur 8chan.
– Q serait en fait Paul Furber, un ingénieur informatique sud-africain qui modérait 4chan. Ce dernier s’est vanté de consulter les messages de Q à l’avance. De plus, il les déchiffrait particulièrement bien.

QAnon, c’est Qu(c)ombien ? 

Il est extrêmement difficile d’estimer le nombre d’adeptes du mouvement QAnon. C’est un mouvement décentralisé, sans noyau clair. Tout le monde peut ramener ses propres théories complotistes. Le magazine Society a tout de même publié certaines estimations, via des sondages effectués aux États-Unis. D’après eux, en mars 2020, 23% des américains avaient déjà entendu parler de QAnon. En septembre 2020, seulement 6 mois plus tard, ce chiffre avait doublé : 47% des américains avaient déjà entendu parler de QAnon. Fin 2020, 17% des américains pensaient que des élites “dévoués à Satan entretiennent un réseau pédophile et tentent de contrôler la politique et les médias.”.

Durant l’été 2020, Facebook ferme de nombreuses pages dédiées au mouvement QAnon, certaines comportant plus de 200 000 membres. Au début de l’année 2021, suite à l’assaut du Capitole, Twitter ferme plus de 70 000 comptes liés à la mouvance, car ces derniers “incitent à la violence, au harcèlement et à la dissémination d’informations personnelles.”.

Ce dont on peut être certain, c’est simplement que le mouvement ne cesse d’enfler. Il parvient à convaincre de plus en plus d’individus, sur la base de messages cryptiques postés sur un forum, de remettre en cause le système et le gouvernement en place.

“…une espèce d’éponge à complotisme” :

Comme dit plus haut, le mouvement QAnon n’est pas un mouvement centralisé. C’est un amalgame d’individus, sans noyau clair, qui se trouvent réunis dans leur lutte contre le système. Les sympathisants QAnon ne croient pas tous à la théorie pédophile satanique. Certains s’intéressent surtout à l’État profond, d’autres au Covid et à la 5G. “Le cœur même de QAnon, c’est l’idée que le concept même de gouvernement est une entreprise criminelle..”, souligne Ethan Zuckerman, professeur à l’université du Massachusetts, spécialiste des réseaux sociaux.

Le mouvement devient ainsi, selon Tristan Mendès France, maître de conférences à la Sorbonne, « une espèce d’éponge à complotisme », sans que les personnes qui se réclament de QAnon partagent pour autant les mêmes croyances. Il n’y a donc pas de réel corpus d’idées partagées, et donc “pas de limite aux théories complotistes qui peuvent être portées par cette mouvance”. Par exemple, le dictateur nord-coréen Kim Jong-Un serait un ancien agent de la CIA. Lady Diana aurait été assassinée pour avoir tenté de déjouer les attentats du 11 septembre 2001. John Kennedy Jr. serait toujours en vie, ou encore Angela Merkel serait la petite-fille d’Adolf Hitler.

Mais alors, comment tombe-t-on dans QAnon ? Toujours selon T. Mendès-France, c’est la lutte contre la pédophilie qui est un véritable cheval de Troie pour le mouvement. Même si la pandémie de la Covid-19 a considérablement accéléré son développement, c’est à partir de ce biais là que de nombreux individus basculent de la défense de la petite enfance au soutien QAnon le plus exalté.

Quid de QAnon dans le futur ?

Selon le plan QAnon, l’investiture de Joe Biden devait marquer le jour de la purge, surnommée la tempête (the Storm). Donald Trump, soutenu par l’armée, devait arrêter les membres du “Deep State” et les envoyer “croupir à Guantanamo”.

Mais depuis le 21 janvier, les réseaux QAnon ne savent plus trop à quoi se vouer. Ils croyaient à cette “tempête”, la victoire de Donald Trump contre les forces du mal, mais rien ne s’est passé comme prévu. Selon Jimmy Espy, rédacteur en chef du Chatsworth Times, les idées de QAnon finiront par mourir ; “…c’est un produit des réseaux sociaux, et ça partira très vite.”. (Source)

Mais Ethan Zuckerman fournit une théorie toute autre. Selon lui, QAnon regroupe désormais de nombreuses théories du complot majeures, et a un pouvoir de séduction plus grand aujourd’hui. Certains défendent même le scénario de l’oppression : l’État profond a gagné, Trump est en exil, il va renaître et revenir…

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