Histoire
Comment rater son coup d’Etat ?
Publié le 22/01/2021 à 17:08
- 8 min -
par
Guillaume
Le 6 janvier dernier, peu après 14 heures, des émeutiers pro-Trump commencent à envahir le Capitole, siège du pouvoir législatif aux USA. Cherchant à mettre un terme au processus de confirmation de l’élection présidentielle, les insurgés sont finalement délogés. La confirmation s’achève dans la soirée. Cet événement stupéfiant et inquiétant suscite évidemment de très nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Parmi les discussions qu’il soulève, revient celle autour du statut de cet événement : avons-nous assisté à une tentative ratée de coup d’Etat ? Comment définir un coup ? L’influx s’interroge parcourt l’histoire et revient sur quelques coups d’Etat manqués.
Qu’est-ce qu’un coup d’Etat ?
C’est bien la question qui s’est posée de façon récurrente sur les réseaux sociaux, mais également dans les journaux durant les heures et les jours qui ont suivi l’invasion du Capitole à Washington. De France info à Sud-Ouest, en passant par Libération ou Courrier international, il semblait indispensable de nommer l’événement pour mieux en saisir le niveau de gravité : de « bouffonnerie » pathétique à « Coup d’Etat », on mesure la gradation dans la dangerosité.
En réalité, comme le rappelle le juriste François Saint Bonnet, « aucune définition du coup d’Etat n’est aujourd’hui reçue unanimement ». En outre, cette définition a varié au fil des siècles. Le premier à en exposer une théorie complète est le bibliothécaire libertin Gabriel Naudé, dans ses Considérations politiques sur les coups d’Etat. Selon ce théoricien de l’Etat, les coups constituent le plus haut degré dans les moyens du gouvernement pour la préservation de l’intérêt public supérieur. Ce sont des « actions hardies et extraordinaires que les princes sont contraints d’exécuter aux affaires difficiles et comme désespérées, contre le droit commun, sans même aucun ordre ni forme de justice, hasardant l’intérêt du particulier, pour le bien du public ».
On le voit, le mot ne porte pas encore ses connotations négatives : ce n’est qu’un moyen, certes extrême, certes illégal, pour préserver le bien public. Au fond, les supporters jusqu’au-boutistes de Trump produisent le même « raisonnement ». Ils n’auraient pas d’autre choix que de s’opposer au scrutin légal, truqué selon eux et selon leur leader lui-même.
Aujourd’hui, plusieurs chercheurs, notamment sur le continent américain, s’efforcent de définir et de recenser ces coups d’Etat.

Nombre de coups d’Etat entre 1950 et 2010 – d’après la base de données conçue par Jonathan Powell et Clayton Thyne
C’est le cas de Jonathan Powell, de l’Université de Central Florida qui a mis au point, avec Clayton Thyne, une base de données recensant les coups d’Etat, réussis ou ratés, de ces 60 dernières années. Ils pointent notamment trois critères qui permettent de définir si l’on a affaire à un coup. Ils les listent dans un article traduit sur le site de The Conversation :
- Les auteurs de ces actes sont-ils des agents de l’État, tels que des militaires ou des agents gouvernementaux en rupture de ban ?
- La cible de l’insurrection est-elle le chef du pouvoir exécutif ?
- Les comploteurs utilisent-ils des méthodes illégales et anticonstitutionnelles pour s’emparer du pouvoir exécutif ?
De leur point de vue, le 6 janvier ne correspondrait pas à un coup, mais davantage à des « violences électorales » que l’on retrouve plutôt dans les démocraties jeunes ou instables.
Pour l’historien et philosophe Pierre Vespérini, on peut raffiner sur les mots, mais ce qui s’est passé le 6 janvier dernier a bien des « airs de famille » avec un coup. « Un coup d’Etat, c’est d’abord un coup […] qui vient de l’Etat. [celui-ci] vient du sommet de l’Etat : M. Trump a enjoint ses partisans à se rendre au Capitole, en insistant sur le fait qu’il serait là avec eux (I’ll be there with you), et les avocats des trumpistes arrêtés préparent déjà des plaidoiries victorieuses en invoquant cet argument : “le président a dit que je pouvais” ».
Selon cette perspective, le 6 janvier serait donc un « coup d’état tenté, mais raté ». L’histoire est pleine de ces prises du pouvoir avortées. Tantôt spectaculaires et marquantes, tantôt fantasques et oubliées…
3 coups manqués
Silvanus, conspirateur malgré lui. Empire romain, IVe siècle.
En 355, sous le règne de Constance II, Silvanus, haut gradé de l’armée romaine en Gaule, se trouve au cœur d’une intrigue pour le moins étonnante. Selon l’historien romain Ammien Marcellin, cette usurpation trouve son origine dans une cabale fomentée contre ce général par d’autres officiers. Ces derniers faussèrent des lettres de Silvanus pour faire accroire qu’il convoitait la pourpre impériale. Or, rappelle Paul Veyne, « la tradition de mettre à mort les usurpateurs a multiplié les tentatives, car tout pauvre diable proclamé empereur par une émeute n’avait plus d’autres issue que la fuite en avant ». Silvanus, se croyant au pied du mur, n’eut d’autre solution que d’accepter son sort et « tenta le coup » à son corps défendant. Il se fit proclamer Auguste par ses soldats à l’été 355… Et finit assassiner peu de temps après.
Evidemment, parler de “coup d’Etat” sous l’Empire romain a quelque chose d’anachronique tant la notion est liée au développement des Etats modernes. Mais on voit déjà le lien fort qui se tisse entre tentative d’usurpation du pouvoir et rôle des militaires. Evoquant le IIIe siècle de l’Empire, Lucien Jerphagnon n’hésite pas à parler de « coup d’Etat permanent ». Instabilité dans laquelle l’armée joue un rôle non négligeable. Paul Veyne toujours lui, affirme qu’à partir du IIIe siècle, « l’Empire finit par devenir un régime militariste et “bureaucratique” ».
Le Plan bleu : faux coup, vraie escroquerie ? France, 1947.
Nombreux furent les coups d’Etat défaits avant d’avoir eu lieu. Un des éléments constitutif du coup tient dans le secret qui entoure sa préparation. « La principale règle, dit Gabriel Naudé, est de les tenir cachés jusque à la fin. […] Dans les coups d’Etat, on voit plutôt tomber le tonnerre qu’on ne l’a entendu gronder dans les nuées ». C’est bien ce que tentèrent les conspirateurs du Plan Bleu, une étrange affaire qui se déroule sous la IVe République.
En 1947, la France d’après-guerre est en pleine agitation. La guerre froide s’instaure, les communistes quittent le gouvernement, les grèves se multiplient, certains redoutent un coup d’Etat des « Rouges », d’autres s’inquiètent de l’agitation fasciste. Dans sa monumentale Histoire de la IVe République, Georgette Elgey parle d’une « grande peur » qui traverse le pays. Une situation propice aux complots en tout genre.

Georges Loustaunau-Lacau.
Le Plan Bleu est ourdi par un curieux agglomérat d’extrémistes de droite, d’anciens résistants, de vieilles badernes et d’escrocs plus soucieux de se faire de l’argent sur le dos des anti-communistes acharnés que de renverser la République. Bref, un mélange de vrais comploteurs et de pigeons que certains sont prêts à plumer en les invitant à financer toute action contre les communistes.
Après des mois de surveillance, la police fait en juillet 1947 une descente dans le château du comte de Vulpian, à Lamballe. Elle y trouve un dossier caché, à la couverture bleu. Il contient les pièces d’un plan en quatre temps qui allait de l’agitation politique à la prise du pouvoir sur fond de guerre civile. Outre de Vulpian, le général Georges Loustaunau-Lacau, au parcours politique pour le moins trouble, et le général de gendarmerie Guillaudot sont écroués.
Pour le journaliste au Monde Philippe Escande, ce complot « semble plutôt relever d’imaginations aventureuses, mais puériles ». Georgette Elgey abonde dans ce sens : « Tout cela n’est pas très sérieux. Les personnes compromises dans le Plan bleu ont été le plus souvent victimes d’aventuriers de la politique […]. Quelques mois plus tard, les véritables inventeurs du Plan bleu, nostalgiques de Vichy ou même anciens miliciens, tenteront de regrouper, sous le sigle d’A.F.L. (Armée Française Loyale), “leurs forces” […]. Leurs “chefs” seraient bien incapables de réunir plus de mille hommes ».
L’affaire semble donc avoir été montée en épingle. Elle permet de facto de soigner l’image d’un gouvernement que l’on voit ainsi prompt à lutter aussi bien contre l’extrême gauche que contre l’extrême droite…
Mais on le voit, l’instabilité socio-politique est quoi qu’il en soit un terreau fertile aux coups, aussi rocambolesques et improbables soient-ils.
Le putsch de Munich : un échec “édifiant”. Allemagne, 1923.
C’est également dans le climat houleux de la République de Weimar qu’Adolph Hitler et le parti nazi tentent une première prise du pouvoir, autrement plus réelle, en 1923. La tentative de putsch a lieu sur fond d’agitation politique et de grave crise économique.

Rassemblement du NSDAP à la Bürgerbräukeller (brasserie munichoise) – 1923 – Archives fédérales allemandes – CC-BY-SA 3.0
Pour son coup, Hitler est à l’évidence inspiré par Mussolini qu’il cite dans un entretien au Daily Mail du 2 octobre 1923 : « si un Mussolini allemand était donné à l’Allemagne, dit-il, les gens tomberaient à genoux et le vénèreraient plus que ne l’a jamais été Mussolini » (cité dans Hitler, de Peter Longerich).
Son ambition est de s’emparer de la Bavière avec l’appui du chef du gouvernement local et des hauts responsables militaire et policier de la région. Il est persuadé qu’étant soutenu par un héros de guerre, le général Ludendorff, le triumvirat bavarois, aux ambitions sécessionnistes, va basculer en sa faveur. Pour faire pression, Hitler profite d’un rassemblent public nazi dans une brasserie munichoise. Le soir du 8 novembre, il interrompt la réunion où se trouvent les responsables bavarois. Il y déclare la révolution nationale et la destitution des gouvernements à Munich et à Berlin.
In fine, il n’est pas suivi par le triumvirat qui ordonne des mesures pour mettre un terme à ce coup. 14 putschistes seront tués, Hitler et ses complices écoperont de peines de prison relativement légères au vu de la gravité des faits.
L’absence de soutien définitif du cœur de l’appareil d’Etat bavarois constitue évidemment l’une des causes majeures de cet échec. Hitler en tire des leçons. Selon l’historien Robert Paxton, « Hitler se jura de ne plus tenter de s’emparer du pouvoir par la force. Cela signifiait que les nazis allaient devoir respecter, au moins superficiellement, la légalité constitutionnelle, même s’ils n’allaient jamais abandonner les violences ciblées qui étaient un élément central de leur pouvoir d’attraction ».
Par ailleurs, le 9 novembre 1923 devient pour les Nazis une date de commémoration héroïque dès l’année suivante. Comme le rappelle l’article très complet de Wikipedia sur le sujet, « à partir de 1933 se déroulent chaque année à Munich des commémorations à la mémoire des victimes nazies qui deviennent de véritables martyrs de l’Allemagne et du mouvement ». Une fois les nazis au pouvoir en 1933, deux mausolées seront érigés à la gloire des “héros” du 9 novembre.
Ou comment transformer un échec cuisant en lieu de mémoire et de propagande…
Pour aller plus loin
- Le coup d’Etat, recours à la force ou dernier mot du politique / sous la direction de C. Boutin et F. Rouvillois , Ed. F.-X. de Guibert, 2007.
- Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 / de Patrick Lagoueyte, Ed. CNRS, 2016.
- Le 11 septembre chilien. Le coup d’Etat à l’épreuve du temps. 1973-2013 / sous la direction de J. P. Obregon Iturra et J. Munoz R., Ed. PUR, 2015.
- La guerre civile en France, 1958-1962. Du coup d’Etat gaulliste à la fin de l’OAS / de Grey Anderson, Ed. La Fabrique, 2018.
- Technique du coup d’Etat / de Curzio Malapart, Ed. Grasset, 1966.
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