Coup de projecteur sur le livre politique
Publié le 07/09/2016 à 08:00 - 6 min - Modifié le 30/09/2016 par L'anagnoste
Les écrits des personnalités politiques ne font plus recette mais le livre de politique ne se réduit pas aux publications à sensation.
Le livre politique sert de nos jours à faire campagne et tous les hommes et femmes politiques en vue y vont de leur plume avant chaque élection – parfois entre, pour entretenir leur notoriété. Toutefois, ils ont en général déserté le champ littéraire qu’affectionnait encore sous la Ve République un Charles de Gaulle ou un François Mitterrand. Sous la IIIe République, les politiques publiaient avant d’entrer en politique et après en être sortis mais assez peu pendant. De surcroît, publier en politique répond aujourd’hui à d’autres enjeux. Les grands débats idéologiques ont perdu de leur vitalité, en raison notamment de l’effondrement des régimes communistes à l’est de l’Europe et de la « crise des idéologies » qui s’en est suivie. Les politiques ne se battent plus tant pour une vision du monde, fût-elle « unique », que pour le règlement efficace de la crise économique – qui tarde à venir, d’où un certain désintérêt pour la prose politique. Même si la nation, la république et la démocratie ont refait surface, face à l’islamisme radical et, avant lui déjà, à une mondialisation qui bouleverse nos équilibres. Dans La Politique en librairie : les stratégies de publication des professionnels de la politique, Christian Le Bart a établi une liste de treize critères qui amènent désormais les politiques à publier : parmi ceux-ci, dans la phase ascendante, exister dans le champ politique ou s’imposer au sein de son parti et comme leader politique, et dans la phase descendante, se justifier après la défaite ou témoigner sur le monde politique.
Quoiqu’il en soit, le livre politique ne fait plus recette, les ventes sont assez faibles – à 20 000 exemplaires, c’est un best-seller, contre 100 000 au moins dans d’autres secteurs. Déjà en 2010, Lena Lutaud dressait dans Les hauts et les bas des écrits politiques (Le Figaro, 2010) un panorama éloquent de cette situation qui s’est notablement dégradée en dix ans si l’on en juge par l’étude de Bénédicte Delorme-Montini qui rendait compte d’une explosion des publications au début des années 2000 (La campagne présidentielle à travers les livres, Le Débat, 2002/4). Le livre politique est désormais un outil de communication et ce qui importe, c’est de passer dans les médias. L’originalité de la pensée et le style sont en plus. Et plutôt rares. La volonté de « faire simple » participe en outre à la banalisation des propos et tend à accélérer le rythme de publication, puisque ces livres routines quittent rapidement les rayons des librairies, et qu’il faut pourtant y rester présent ou du moins réapparaître sans trop tarder dans les médias. Ainsi, le livre conserve son aura, car il est selon Le Bart « faussement archaïque » : paradoxalement, la communication en ligne ne suffit pas.
Les bibliothèques de lecture publique s’obligent à mettre à la disposition des citoyens l’essentiel de la littérature politique et cette participation à la vie démocratique, si elle relève d’abord de leur mission, est aussi une de leurs fiertés. La liberté d’expression mérite cet honneur, même si nos célébrités politiques ne sont pas toutes des génies littéraires, ni même des écrivains très sincères. Les bibliothèques sont aussi, une fois passée l’effervescence électorale, le conservatoire de cette littérature. Mais là ne se limitent pas leur activité et leur rôle dans ce domaine. Car la littérature politique, c’est aussi le livre de politique, c’est-à-dire toutes sortes d’essais publiés chaque année par des journalistes de talent, des citoyens engagés ou des chercheurs en science politique. Scrutant inlassablement la production éditoriale, la BML enrichit ses fonds de politique de plus de deux cents titres par an. Il arrive même que nous soyons saisis d’enthousiasme à l’examen de tel ou tel ouvrage – pour la qualité du récit, le caractère inédit ou dissonant de la réflexion ou l’éclairage savant, et souvent historique, qu’il propose. Voici un petit florilège, nécessairement limité, volontairement hétérogène, mais qui se voudrait emblématique de nos coups de cœur de l’année.
Côté histoire-enquête journalistique, nous avons aimé Premières dames de Robert Schneider et Les présidents face à Dieu de Marc Tronchot et côté investigation politique et financière, Le boa et le naja de Patrick Girard et Monaco, plongée en eaux troubles de Laurent Chabrun. Parmi les nombreuses propositions propres à nourrir la réflexion sur la crise économique, sociale, morale et politique qui affecte la France, les essais suivants nous ont paru faire preuve d’originalité et d’engagement : Murmures à la jeunesse de Christiane Taubira, Gouvernez ! de François Cornut-Gentille et Le Syndrome de Marie-Antoinette de Jean-Luc Wingert.
Dans la production plus savante, nous ont séduits Les nouveaux autoritaires de Renée Frégosi, L’énigme révolutionnaire de Federico Tarragoni, et tout récemment Qu’est-ce que le conservatisme ? de Jean-Philippe Vincent. Sur l’islamisme, qui donna lieu à une pléthore de publications, nous avons été éblouis par Blasphémateur de Waleed Al-Husseini et par Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans de Mohamed Louizi.
On signalera enfin que les éditeurs universitaires ne manquent pas non plus de se saisir des problématiques les plus actuelles, une façon de mettre la science au service de la politique de tous les jours : cela peut être dans La bibliothèque du citoyen des Presses de Sciences Po : Faut-il ouvrir les frontières ? de Catherine Wihtol de Wenden ou, au Bord de l’eau, Les citoyens ont de bonnes raisons de ne pas voter de Thomas Amadieu et Nicolas Framont ou encore, aux Presses universitaires de Rennes, Les sens du vote : enquête sociologique 2011-2014.
Ce patient travail d’acquisitions nous a amenés à imaginer un Autre prix du livre politique qui s’inscrit dans le cadre de l’évènement Démocratie. Nous avons choisi d’y mettre à l’honneur des écrits peu médiatisés mais d’une qualité réflexive intellectuellement stimulante : d’un côté, des réflexions pour la politique de demain, et de l’autre, au contraire, des regards sur celle d’hier et à même d’éclairer celle d’aujourd’hui. Nous souhaitions partager ces lectures avec nos usagers – quelque chose comme un « club de lecture » à durée limitée. Il vous est présenté à grands traits dans l’agenda et les modalités de participation paraîtront sur le site à venir de Démocratie.
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