Liberté de la presse, liberté d’expression
Publié le 08/01/2015 à 00:00 - 11 min - Modifié le 30/03/2020 par Gadji
En écho à l'attentat contre le journal "Charlie Hebdo", la Bibliothèque municipale de Lyon a décidé de republier ce Point d'Actu réalisé en 2007.
La liberté de la presse
Qu’entend-on aujourd’hui par l’expression devenue banale de “liberté de la presse” ? Dans les pays occidentaux, sa signification est évidemment bien différente que sur d’autres continents, où les journalistes servent souvent de cibles dans les conflits de tous types. Mais avant d’évoquer ce qui se passe ailleurs, quelle est la situation en France ?
En préambule, et pour tout comprendre, l’indispensable petit livre de Daniel Junqua fait un tour d’horizon de la situation de la presse aujourd’hui, en France et dans le monde.
La liberté de la presse. Un combat toujours actuel, de Daniel Junqua, Milan
Daniel Junqua est journaliste, il a occupé la fonction de vice-président de Reporters sans frontières. Son livre pose de manière limpide les questions auxquelles le journalisme et les journalistes sont confrontés aujourd’hui. Il présente également l’activité de l’association Reporters sans frontières, née en à Montpellier en 1985 à l’initiative de quatre journalistes et devenue depuis une organisation non gouvernementale reconnue internationalement. Forte de 120 correspondants à travers le monde, RSF est aujourd’hui la principale organisation de défense de la presse dans le monde.
En France, c’est la loi qui protège et limite en même temps les droits et devoirs de la presse. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (août 1789) indique que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Sous l’influence du modèle français, le droit international s’inspire de cette déclaration et l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée en 1948, reprend la même idée : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.
Le texte fondateur sur la liberté de la presse est la loi du 29 juillet 1881. Une modification de cette loi est actuellement en cours de lecture au Sénat, elle vise à inscrire dans la loi le secret des sources.
Plus récemment, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 stipule dans son article premier que toute discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite. Elle vise ainsi à réprimer les propos de nature raciste, xénophobe ou antisémite.
Les médias sous contrôle judiciaire ?, ed. Alain Chastagnol et Marie-Christine de Percin, PUF
De nombreux journalistes ont été accusés d’avoir violé le secret de l’instruction, dans des affaires qu’ils suivaient pour le compte de leur journal. L’exercice du métier de journaliste entre dès lors en conflit avec la légitime préservation du secret de l’instruction. L’association Presse Liberté propose sur son site une synthèse de ce colloque, qui avait pour but à la fois d’examiner la situation française en matière de protection des sources, mais aussi d’avancer des propositions pour faire évoluer la législation.
Pour aller plus loin…
Connaître la loi de 1881 sur la liberté de la presse, de Christophe Bigot, Victoires
La loi du 29 juillet 1881 institue la publication libre, sans autorisation préalable ni dépôt de cautionnement, de tout journal ou de tout périodique. Elle précise également des délits spécifiques, comme la diffamation ou l’offense au Président de la République.
Des menaces encore quotidiennes
L’intimidation et les menaces physiques à l’égard des journalistes sont une réalité quotidienne dans une grande partie des pays du monde. L’organisation RSF dénombre 86 journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2007 et souligne que le nombre de morts est en progression constante depuis cinq ans. En Irak, 47 journalistes ont été assassinés en 2007.
Ces journalistes que l’on veut faire taire. L’étonnante aventure de Reporters sans frontières, de Robert Ménard, Albin Michel
Robert Ménard retrace l’aventure, au sens fort du terme, de la création de Reporters sans frontières, organisation non gouvernementale qui défend les journalistes et la liberté de la presse partout où pèsent des menaces sur l’exercice libre du journalisme. Sur son site Internet, Reporters sans frontières informe de ses actions et des événements touchant des journalistes à travers le monde. Actuellement 129 journalistes sont emprisonnés dans le monde.
100 photos de Bettina Rheims pour la liberté de la presse, album 2008 de Reporters sans frontières.
Tous les ans, RSF publie un album retraçant l’activité d’un photographe désirant soutenir l’action de l’organisation, de manière à pouvoir financer de futurs actions. Cette année, il s’agit de Bettina Rheims.
Les geôles d’Alger, de Mohammed Benchicou, Riveneuve
Pour avoir publié une biographie très critique du président algérien Bouteflika, le journaliste Mohammed Benchicou, à l’époque fondateur et directeur du journal Le Matin à Alger, a purgé une peine de deux ans de prison. Il retrace dans son livre l’épreuve de la prison, et montre ce que coûte la critique du pouvoir, de la corruption et de la mafia.
Bouteflika, une imposture algérienne, de Mohammed Benchicou, Picollec
Quelle liberté d’expression ?
Si la loi fixe les limites à ne pas franchir, il reste que la liberté d’expression tient aussi à la responsabilité personnelle du journaliste. Que peut-on dire quand on est journaliste, faut-il tout dire et peut-on le faire ?
Raoul Vaneigem dresse aujourd’hui un portrait sombre de la situation de la presse lorsqu’il affirme que la liberté de la presse est aujourd’hui menacée par cet esprit marchand qui avait présidé à sa naissance.
Rien n’est sacré, tout peut se dire : réflexions sur la liberté d’expression, de Raoul Vaneigem, La découverte
Un manifeste radical en faveur de la liberté d’expression, de la part de l’un des grands noms du situationnisme des années 60 et 70, pour qui il n’y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d’expression, il n’en existe qu’un usage insuffisant.
Rien n’est sacré. Chacun a le droit d’exprimer et de professer à titre personnel n’importe quelle opinion, n’importe quelle idéologie, n’importe quelle religion. Aucune idée n’est irrecevable, même la plus aberrante, même la plus odieuse. Aucune idée, aucun propos, aucune croyance ne doivent échapper à la critique, à la dérision, au ridicule, à l’humour, à la parodie, à la caricature, à la contrefaçon.
J’ai le droit de tout dire, de Philippe Bilger, Editions du Rocher
Philippe Bilger est avocat général à la cour d’assises de Paris. Il tient un blog depuis 2005 et a repris dans son livre un certain nombre de chroniques parues entre 2005 et 2007. Des caricatures de Mahomet à la peoplisation de la vie publique, Philippe Bilger revient sur des affaires où le “politiquement incorrect” a été exprimé et a finalement dérangé.
Peut-on tout dire et tout publier ? Certains s’y sont essayés…
Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, de Jeanne Favret-Saada, Les prairies ordinaires
Le 30 septembre 2005, dans un article consacré à la liberté d’expression, un journal danois publie 12 caricatures du prophète Mahomet. Les réactions dans les pays musulmans sont immédiates. Après plusieurs semaines de tension, dont des menaces de mort, les dirigeants du journal présentent leurs excuses pour avoir offensé les musulmans. En France, plusieurs journaux ont à leur tour, en février 2006, publié les caricatures : parmi eux, France Soir et Charlie Hebdo. En France aussi l’affaire fit grand bruit et conduisit Philippe Val devant les tribunaux.
Combattre l’obscurantisme avec Robert Redeker, textes réunis par Patrick Gaubert, Jacob-Duvernet
Le 19 septembre 2006, le philosophe Robert Redeker publie dans Le Figaro une tribune intitulée : Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?. Les textes réunis par Patrick Gaubert permettent de revenir sur cette affaire et sur les conséquences de la publication de l’article, qui valut à son auteur des menaces de mort.
Le livre noir de la censure, sous la direction d’Emmanuel Pierrat, Seuil
L’avocat Emmanuel Pierrat a dirigé cet ensemble de contributions consacrées à la censure sous toutes ses formes (religieuse, politique…) Le livre aborde la censure en fonction des sujets auxquels elle s’applique, comme par exemple la religion, dans l’article rédigé par Caroline Fourest et Fiametta Venner.
La censure est aujourd’hui omniprésente. […] A telle enseigne qu’il ne s’écoule plus une semaine sans qu’elle fasse la une, dans un monde où, paradoxalement, l’art et l’information connaissent moins de frontières mais de plus en plus de restrictions.
A voir : la conférence d’Emmanuel Pierrat à la Bibliothèque municipale de Lyon le 19 juin 2008, en ligne sur le site de la BML.
Chaque journaliste se trouve lié par sa déontologie personnelle, mais aussi par quelques textes de nature à éclairer les cas de conscience.
C’est le cas de la Déclaration de Münich, promulguée en 1971, qui rappelle les devoirs fondamentaux de tout journaliste.
Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics. Cette déclaration rappelle aussi que le journaliste doit respecter la vie privée des personnes et ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.
A suivre : le site Acrimed (Action Critique Media), observatoire des medias qui se consacre à l’examen des pratiques journalistiques françaises et à leurs débordements.
De la liberté à l’indépendance…
L’information responsable : un défi démocratique, de Jean-Luc Martin-Lagardette, Charles Léopold Mayer
Jean-Luc Martin-Lagardette est journaliste. Son livre désigne les maux du journalisme actuel, auquel on reproche une perte d’objectivité, une compromission avec le pouvoir et une absence progressive d’indépendance. Il passe en revue aussi bien la presse écrite que l’audiovisuel et, tout en mettant en évidence des signes annonciateurs d’une évolution positive des médias, propose une série d’outils “pour un journalisme responsable.”
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