Histoire
L’explorateur exploré
une nouvelle approche des "grandes découvertes"
Publié le 12/02/2021 à 12:30 - 16 min - par Département Civilisation
La sortie l’année dernière de l’ouvrage événement L'exploration du monde : une autre histoire des grandes découvertes est l’occasion pour nous de revenir sur ces nouvelles approches de l’histoire de l’exploration, des découvertes et conquêtes. Prenant le contre-pied d'une histoire héroïque des expéditions européennes et des discours qui les associent à l'entrée dans la modernité, des historien-nes, au fil de 90 récits d'aventures, revisitent les chronologies officielles de la découverte du monde, rendant justice aux explorateur-rices extra-européen-nes et aux personnages méconnus qui, du VIIe au XXe siècle, y ont contribué.
Si le changement de point de vue sur cette histoire n’est plus tout jeune – il fut notamment amorcé lors du 500e anniversaire de la conquête de l’Amérique en 1992- ces dernières années ont vu se multiplier de nouvelles études tendant à « provincialiser l’Europe » selon l’expression de Dipesh Chakrabarty, un des pionniers des études postcoloniales et des subaltern studies. Ce livre L’exploration du monde : une autre histoire des grandes découvertes dirigé par Roman Bertrand, en est une expression singulière et importante puisqu’il regroupe de nombreux-ses contributeur-rices parmi les grand-es spécialistes du sujet, tels Carmen Bernand ou Serge Gruzinski, accompagné-es de jeunes historiens ou historiennes. A travers son cheminement, il entre en résonance avec d’autres ouvrages que nous vous proposons d’explorer.
D’un récit européen des « grandes découvertes »…
Une histoire euro-centrée
Le récit des « grandes découvertes » tel qu’il s’est fait jusqu’à peu est avant tout celui de l’Europe sur elle-même. Leur histoire s’est écrite notamment au XIXe siècle, à partir de dates clés -comme 1492, de lieux et limites franchis -Cap Bonne-Espérance et de figures héroïques -Christophe Colomb. Elle dévoile comment l’Europe se conçoit, elle et son rapport au monde. En effet, ce récit a rendu indissociables les « grandes découvertes » et leur dimension d’exploit scientifique et technique, de la Renaissance et sa geste humaniste : découvertes et renaissance formant les deux matrices de l’entrée de l’Europe dans la modernité.
« Avec la mention du savoir humaniste, un troisième terme fait son apparition dans l’équation du récit : l’idée de «modernité», au titre de précédent et de privilège de l’Europe » «Des forces considérables ont donc œuvré à lier à fil tendu, en un récit sans trêve ni trouées, une série de faits disparates, et à leur donner jusqu’aux apparences d’un destin. Il suffit pourtant d’y regarder de près pour que se dissipe l’illusion de l’inéluctabilité.» De ce récit des grandes découvertes, la « Renaissance est son exergue, la domination coloniale, son épilogue, et chaque histoire nationale la scande à sa façon. »
(les citations que vous trouverez tout au long de l’article sont, sauf cas mentionné, extraites de l’introduction de l’ouvrage par Romain Bertrand que nous vous proposons en lecture ici)
Image : Les oiseaux de la Chine / par M. l’abbé Armand David,… et M. E. Oustalet.. (avec un) atlas de 124 planches
Ainsi, se développe cette idée d’un essor «sans précédent», de développements sans équivalents, qui auraient projetés l’Europe vers sa position dominante et inéluctable sur le monde. Pourtant, exploration comme renaissance n’ont pas été l’apanage des européen-nes, et les découvertes comme les ruptures culturelles se sont faites par des jeux d’échanges et d’influences dont l’Europe a bénéficié comme d’autres au fil de son histoire.
Le récent ouvrage de Jack Goody, Renaissances : au singulier ou au pluriel ? compare les aspects scientifiques, artistiques et techniques de la Renaissance européenne avec d’autres espaces géographiques afin d’examiner si des processus semblables se sont déroulés dans d’autres civilisations. Destiné à lutter contre l’eurocentrisme en histoire, cet ouvrage interroge les ruptures culturelles dans le monde musulman, dans le judaïsme, en Inde et en Chine. Quant au livre Le bazar Renaissance : comment l’Orient et l’islam ont influencé l’Occident de Jerry Brotton, il est le « premier récit concis et clair de la Renaissance comme un phénomène global, et non comme un évènement purement européen. »
Voir aussi sur l‘eurocentrisme et l’écriture de l’histoire :
La machine à remonter le temps : quand l’Europe s’est mise à écrire l’histoire du monde / Serge Gruzinski
L’aigle et le dragon : démesure européenne et mondialisation au XVIe siècle
L’invention de l’Amérique : mythes et réalités de la conquête / Thomas Gomez
L’invention de l’Amérique : historiographie espagnole et formation de l’eurocentrisme / José Rabasa
L’Inde sous les yeux de l’Europe : mots, peuples, empires, 1500-1800 / Sanjay Subrahmanyam
Découverte versus Conquête
Ce récit européen des « grandes découvertes » a notamment usé de l’opposition entre découverte et conquête, du côté négatif de certains conquérants pour mieux glorifier les « humanistes » découvreurs.
« Cette ligne de départ entre, d’un côté, des «découvreurs» magnanimes mus par la Croix et la curiosité, et, de l’autre, des conquérants sanguinaires rongés par l’appétit de titres et de richesses, existe déjà dans les chroniques du XVIe siècle, lesquelles obéissent souvent à une dramaturgie haletante… Là s’édifie la double légende d’une violence immédiatement rachetée par une compassion et d’un savoir innocent, divorcé de toute volonté de puissance. Là se fabrique la distinction entre la «découverte» et la «conquête», entre les «voyages» et les «guerres». Or, celle-ci n’existait tout bonnement pas aux XVe et XVIe siècles, la conquête fut de l’ordre des mots autant que de celui des armes, et le discours de la «découverte» lui servit d’alibi. ».
Ainsi, à l’image du sous-titre de cet Atlas colonial illustré, 1903 (Géographie, Voyages & conquêtes…), les deux notions étaient fondues en une réalité bien plus complexe. Et les profils et motivations des explorateur-rices étaient varié-e-s : ils ou elles étaient botaniste, cartographe, moine, ambassadeur, marin ou marchand, ils ou elles cherchaient des produits, des territoires, des savoirs, des âmes, des alliés…, et étaient portés par des illusions, des ambitions, des intérêts…
Il en va de la figure de James Cook, mort poignardé dans la baie de Kealakekua à Hawaii en 1779. Dans le récit européen, il était le « héros des Lumières , la figure du grand explorateur porté par la soif de savoir et la curiosité ethnographique , toujours soucieux d’épargner les indigènes. Il est présenté comme l’antithèse des conquistadors violents, intolérants et cupides du XVIe siècle. ». Or, les circonstances de sa mort ont donné lieu à de nombreux débats au fil des siècles, chez les anthropologues et historien-nes, et au sein des populations concernées. Aujourd’hui, « l’héritage des expéditions de James Cook reste ambivalent…» car « Cook est aussi celui par qui le colonialisme européen a pénétré le Pacifique » et « sa mort est ce moment indécis, mais décisif, où les meilleures intentions (le savoir géographique, naturaliste…) rencontrent, et peut-être suscitent, la violence de l’histoire ».
Prémisses d’une rencontre et de l’altérité
Pour sortir de certaines représentations figées, est apparu la notion de rencontre de l’altérité et dans son sillage, celle du métissage. Michel Mollat, dans son ouvrage paru en 1984 Les explorateurs du XIIIe au XVIe siècle: premiers regards sur des mondes nouveaux, suggérait, sans vraiment s’y essayer, «l’emploi du mot “rencontre” pour désigner le face-à-face des explorateurs et des explorés, des “découvreurs” et des “découverts”», et ce afin de «tenir compte des deux parties en présence».
Ainsi, l’objectif est de mieux saisir ce qui s’est joué dans cette découverte de l’altérité, au-delà de la violence et de la domination effectivement infligées. Tzvetan Todorov l’avait fait en 1982 en étudiant la conquête de l’Amérique comme exemple type de la question de l’altérité dans son livre La conquête de l’Amérique : la question de l’autre. Nathan Wachtel s’y est réellement attelé tout particulièrement dans son ouvrage Paradis du Nouveau monde, réflexion sur le bouleversement que représenta, à la fin du XVe siècle, la rencontre entre le monde occidental et les cultures amérindiennes, au plus profond de leurs représentations religieuses. Sanjay Subrahmanyam avait aussi interrogé le statut de ces européens débarqués ici en Asie, et leur expérience d’étrangers, jouant avec les lignes de l’identité, dessinant « les débuts de la conscience moderne de l’altérité » dans Comment être un étranger.
Image : Explorations du Zambèse et de ses affluents et découverte des lacs Chiroua et Nyassa : 1858-1864 / par David et Charles Livingstone
Voir aussi :
Redécouvrir enfin ce qui fut recouvert, 1492-1992, l’histoire par le glaive, article dans Le Monde diplomatique
Histoire du Nouveau monde T. 01 : De la découverte à la conquête, une expérience européenne : 1492-1550 et T. 02 : Les métissages : 1550-1640 / Carmen Bernand et Serge Gruzinski
La conquête du Mexique au kaléidoscope, article dans l’Influx
Or, cet ouvrage L’exploration du monde nous dit que « tous les explorateurs ne furent pas européens », que « l‘Europe aussi fut découverte ». Son idée n’est “pas de retrancher au récit“, mais “d’y ajouter“, pas de remballer les exploits mythiques des européens mais de compléter et nuancer le tableau avec tous ceux des autres régions du monde.
…à une histoire globale de l’exploration
Le leitmotiv de ce livre est d’opérer un décentrement, d’« élargir la profondeur de champ (temporelle) tout en restreignant la focale (géographique) – et de pratiquer ainsi une histoire en contre-plongée. ». Élargir la période communément admise des grandes découvertes européennes en commençant au VIIe siècle avec le voyage du moine chinois Xuanzang en Inde en 645, et en finissant au XXe siècle avec la “leçon d’écriture” de Claude Levi-Strauss chez les Nambikwara au Brésil en 1938. Resserrer le regard en s’attelant à observer au plus près les différent-es acteur-rices et leurs interactions à un endroit précis.
Changer de focale
« Travailler à focale réduite, arpenter les arènes du contact du même pas que les acteurs, rester au plus près de leurs récits, ce n’est donc pas se priver de la possibilité de relier le lieu et l’instant de la «découverte» à d’autres lieux ni de l’inscrire dans la veine d’un processus – bien au contraire. Les récentes tentatives de conciliation du questionnaire de l’histoire globale et de la méthode de la micro-histoire partent précisément du constat qu’il est plus profitable, pour rendre compte sans anachronisme d’une situation de contact, de pister de source en source le sentier de faits emprunté physiquement et mentalement par les acteurs plutôt que de tenter de les parquer sur des avenues de causes et de conséquences arbitrairement bâties ».
Que s’est-il donc joué en 1483 lorsque Manikongo le roi du Kongo se fait baptisé par les portugais, ou en 1675 quand le prêtre chaldéen originaires des plaines de Mossoul débarque au Pérou, ou encore en 1895 date à laquelle Mary Kingsley réalise l’ascension du mont Cameroun ?
Comme le dit Isabelle Surun dans Dévoiler l’Afrique ? : lieux et pratiques de l’exploration : Afrique occidentale, 1780-1880, “il faut opérer des contextualisations multiples de l’exploration, à différentes échelles, en privilégiant les nœuds du réseau où circulent les hommes, les inscriptions, les objets, les savoirs, les récits et leurs produits dérivés, et en s’attachant à reconstruire l’horizon qui s’offrait à chacun des acteurs et pouvait dicter ses choix en situation.”
Voir aussi :
Le long remords de la conquête : Manille-Mexico-Madrid : l’affaire Diego de Avila, 1577-1580 / Romain Bertrand
L’empire des géographes : géographie, exploration et colonisation, XIXe-XXe siècle
Redistribuer les rôles
Cette démarche de décentrement permet de déconstruire le mythe du « premier contact », où les européen-nes arriveraient sur des terres vierges, inexplorées, inexploitées, déconnectées et anhistoriques, où les indigènes n’auraient jamais vu un-e étranger-e. Or non seulement, ces terres n’étaient pas vierges et sans histoire, mais elles n’avaient pas attendu les européen-nes pour se connecter avec d’autres régions du monde, et l’illustration la plus belle en est la description de ces personnages oubliés, ce petit peuple d’assistant-es (l’interprète, le boy, le guide, le scribe…) qui avaient déjà voyagé et pratiquaient souvent plusieurs langues, et furent les ambassadeur-rices de ces échanges.
En effet, l’ouvrage opère en quelque sorte une nouvelle « distribution des rôles ».
« Car au fil des deux dernières décennies, un nouveau personnage, emprunté à la galerie d’archétypes de l’anthropologie politique des années 1970, a fait son apparition dans les récits de situations de contact : le «passeur» ou l’«intermédiaire culturel»».
Parmi ceux dont le nom a été retrouvé, voici Enrique le Malais, navigateur auprès de Magellan ; Dorugu, voyageur haoussa en Europe en 1856 ; le munshi Abdullah ibn Abdul Kadir en Malaisie en 1832 ; ou encore l’indienne Sacagawea aux côtés de Lewis et Clark dans leur conquête de l’ouest.
Voir :
1856 Dorugu, un voyageur haoussa en Europe, Camille Lefebvre
Les aventuriers du Missouri : Sacagawea, Lewis et Clark à la découverte d’un nouveau monde / Daniel Royot, Vera Guenova
Ce fut et c’est encore la démarche du courant de l’histoire connectée, dont Sanjay Subrahmanyam et Denys Lombard sont les grands pionniers et représentants, et qui permet par exemple de savoir aujourd’hui que l’Océan indien formait dans les années 1150 l’espace le plus interconnecté de la planète. Voir Le carrefour javanais : essai d’histoire globale
Enfin, décentrer le regard, c’est bien sûr redonner à chaque partie prenante de cette rencontre entre deux mondes, une « égale dignité narrative », redonner la bonne part à ce “deuxième monde” ou “nouveau monde”, « faire peser plus lourd dans la balance du récit ces mondes amoindris par leur évocation à demi-mot ». Romain Bertrand avait amorcé en 2011 sa démarche avec Histoire à parts égales : récits d’une rencontre Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle). Il s’inscrivait dans la continuité de La vision des vaincus : les indiens du Pérou devant la Conquête espagnole : 1530-1570 de Nathan Wachtel.
Sortir de la photo
Décentrer le regard, c’est aussi adopter radicalement le point de vue de l’autre comme dans Le monde vu d’Asie : une histoire cartographique par Pierre Singaravélou. Ici, on découvre une histoire centrée sur l’Asie et une Europe dans les marges des cartes, de grandes découvertes asiatiques, des explorateurs chinois, une hybridation des savoirs cartographiques.
Voici ce que nous dit Pierre Singaravélou :
“L’abandon du paradigme occidental peut dans un premier temps désorienter. Remettre en question ses routines intellectuelles oblige à rééxaminer les catégories scientifiques de l’entendement géographique. Si l’on admet l’existence de plusieurs centres du monde, cela signifie que l’histoire doit s’écrire à partir de différents points de vue. Ici réside, sans doute, la principale vertu de l’histoire globale. Sans prétendre restituer la totalité du monde, elle suggère sa grande diversité et interroge notre capacité à en rendre compte… Seules les cartes peuvent déployer simultanément sous nos yeux ces diverses manières de voir et d’imaginer le monde.“
Voir aussi des récits de voyageurs non européens :
Identité et modernité : les voyageurs égyptiens au Japon (XIXe-XXe siècle) / Alain Roussillon
D’Alep à Paris : les pérégrinations d’un jeune Syrien au temps de Louis XIV / Hannâ Dyâb
D’Afrique en Palestine / Edward Wilmot Blyden
Ainsi à l’issue de ces pérégrinations décentrées, on comprend que l’héroïsme de certains est à relativiser :
“L’établissement –et surtout la maintenance- de connexions commerciales transocéaniques se fit à très haut coût, humain comme financier. C’est sur fond de cet immense effort logistique, partant de milliers de naufrages, de périples infructueux et de rencontres sans lendemain, que prennent place quelques navigations et conquêtes victorieuses qu’égrène le « récitatif » des « Grandes Découvertes ». Pour un Cortès, combien de Cabeza de Vaca ?”… “Et les européens ne furent longtemps, dans les caravansérails et les ports cosmopolites de l’Eurasie, selon la formule de Denys Lombard, que « des marchands parmi d’autres », et rarement les plus fortunés.“
Cette relativisation du rôle héroïque de nos grands figures, notamment en prenant en compte les récits des habitant-es des régions explorées, avait été initiée par Sanjay Subrahmanyam en 1997 (traduction en 2012) avec son livre Vasco de Gama : légende et tribulations du vice-roi des Indes. Il revient sur l’explorateur dont « Le Portugal fit un héros messianique. L’Occident inscrivit sa légende au chapitre flamboyant des “grandes découvertes” » en le présentant du point de vue des indien-nes et autres négociants. Romain Bertrand a continué dans son tout récent ouvrage Qui a fait le tour de quoi ? : l’affaire Magellan. Voir Dans le sillage de Magellan, Entretien avec Romain Bertrand, par Ivan Jablonka.
Écrire au féminin
Enfin, le récit de l’exploration doit s’écrire aussi au féminin. En effet, l’histoire des découvertes est rarement celles des découvreuses.
“Et les explorateurs et colons européens ont usé et abusé des codes dominants de la masculinité et de la virilité… En devenant l’un des registres privilégiés de l’expression d’une version fantasmée de la “supériorité occidentale”, ces codes ont très directement affecté les modalités du contact entre l’Europe et les sociétés asiatiques, océaniennes ou africaines. Par l’entremise des mythes de l’indigène “efféminé” et des femmes “lascives” offertes ou s’offrant aux nouveaux venus, l’énonciation sexuée de la différence culturelle a servi de prétexte à tous les asservissements. En posant comme universelles ses propres normes publiques en matière de relations hommes-femmes et de parentalité, l’Europe impériale a en outre disqualifié des versions autres de ce qu’être humain ou faire société signifie” aboutissant parfois à “de véritables “guerre morales” en situation coloniale”. “Parce qu’elle étaient elles-mêmes soumises, dans leurs sociétés d’origine, à un système d’injonctions qui leur assignait des rôles mineurs et des destinées en pointillé, les découvreuses et les exploratrices se révélèrent souvent-mais pas toujours- plus conscientes et plus critiques que leurs homologues masculins des biais et des exclusions constitutifs de la domination coloniale”
La plus célèbre d’entre elles, Alexandra David-Néel écrira à son mari en 1925 : “Je suis une sauvage mon bien cher, mets toi cela dans la tête. Toute la civilisation occidentale me dégoûte.“. A l’inverse, Raymonde Bonnetain, première Française à avoir atteint en 1893 les rives du Niger, tout en critiquant la violence de l’administration coloniale, ne se départissait pas de tous les préjugés racistes et prenait à cœur son rôle de femme occidentale dédié à l’éducation morale des populations du Soudan. (Une Française au Soudan / Raymonde Bonnetain).
Ainsi sont remises à l’honneur, Maria Sibylla Merian, naturaliste au Surinam en 1699 ; Jeanne Barret, femme de botaniste embarquée en se travestissant en homme dans l’expédition de Bougainville en 1767 ; Mary Kingsley intrépide voyageuse en Afrique centrale au 19e siècle ; Isabelle Eberhardt, aventurière aussi déguisée en costume masculin en Algérie et morte noyée dans un oued en 1904, ou encore Ella Maillart, exploratrice en Chine en 1937. Elles se heurtèrent à bien des obstacles, subirent parfois des agressions et viols, furent nombreuses à devoir dissimuler leur sexe et à jouer avec les représentations de genre. Mais elles ont montré qu’une femme était capable malgré cette difficulté supplémentaire, de traverser les océans et les déserts, de gravir des montagnes et franchir les fleuves, d’écrire leur récit et de s’adapter aux sociétés qu’elles ont rencontrées et traversées…
Voir aussi :
Genre et orientalisme : récits de voyage au féminin en langue française, XIXe-XXe siècles / Natascha Ueckmann
Les voyageuses dans l’océan Indien : XIXe-première moitié du XXe siècle : identités et altérités / sous la direction de Évelyne Combeau-Mari
Comment j’ai parcouru l’Indo-Chine : Birmanie, Etats Shans, Siam, Tonkin, Laos / Isabelle Massieu
Nous l’avons vu, si l’Exploration du monde est loin d’être le premier ouvrage à vouloir décentrer notre regard, il sait le faire de façon accessible et agréable, et répond à ce qu’avait énoncé Dipesh Chakrabarty :
“Provincialiser l’Europe n’équivaut pas à rejeter la pensée européenne, il ne s’agit pas de prôner une « revanche postcoloniale ». Mais la pensée européenne, aussi indispensable soit-elle, est inadéquate pour appréhender l’expérience de la modernité politique dans les nations non occidentales. Comment s’affranchir de son « historicisme » ? L’enjeu est de parvenir à renouveler les sciences sociales, à partir des marges, pour sortir d’une vision qui réduit les nations non européennes à des exemples de manque et d’incomplétude, et penser au contraire la diversité des futurs qui se construisent aujourd’hui.”
Critiques dans la presse :
Anatomie des grandes découvertes, Le Monde diplomatique, Antony Burlaud
L’Europe n’a pas le monopole des grandes découvertes, Slate
«L’histoire dont vous n’êtes plus vraiment le héros» par Sonya Faure et Thibaut Sardier, Libération
L’exploration du monde de Romain Bertrand, revue Études
Corriger notre lecture du monde par Dominique Goy-Blanquet, sur En attendant Nadeau
Repenser les Grandes Découvertes, L’Histoire
A voir et écouter :
Une autre histoire des grandes découvertes, soirée au rendez-vous de l’Histoire de Blois
Quand explorer rime avec s’approprier : Pour une autre histoire de l’exploration du monde, dans Le Cours de l’histoire, France culture
Une autre histoire des Grandes découvertes, dans La Marche de l’Histoire, France Inter
À lire également sur l'Influx
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One thought on “L’explorateur exploré”
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Lu : merci pour ce partage des savoirs !!