Colonisateurs et colonisés, esclavagistes et esclaves, une histoire commune mais des mémoires séparées.
Publié le 19/11/2020 à 13:43 - 4 min - Modifié le 21/02/2021 par AB
Depuis le printemps 2020, les manifestations dénonçant les violences policières à l’encontre des noir·e·s, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde, ont donné lieu à des « déboulonnages » de statues de personnalités accusées de racisme.
Ériger une statue, une sculpture visible par tous dans l’espace public, c’est honorer une figure exemplaire, un modèle à suivre pour les citoyens. Cela a une portée politique. La mise à bas de cette même statue est un acte de vandalisme, qui a lui aussi un sens politique.
Ces actes se rapprochent de l’iconoclasme, mot d’origine grecque signifiant briser des images. A l’origine, il est employé pour désigner la destruction d’icônes peintes, par ceux qui voient de l’idolâtrie dans la vénération d’images religieuses. Le terme a été repris par la suite pour caractériser le retrait de l’espace public de représentations de personnages historiques ou symboliques.
C’est une pratique très ancienne. Dans l’Égypte antique déjà, un successeur de Toutankhamon fit effacer le nom du pharaon sur ses cartouches, pour le remplacer par le sien. Une manière pour lui d’affirmer son pouvoir royal.
Plus tard, les Romains christianisés enlevaient les statues de dieux païens de leur socle, pour que tous voient que les anciennes croyances étaient révolues. A noter que certaines statues furent récupérées par des aristocrates pour leur valeur esthétique, afin de décorer leur palais
Suite à la Révolution de 1789, dans sa volonté de séculariser la société, le nouveau pouvoir fit disparaître les symboles religieux des espaces publics.
En 1562 à Lyon, le calviniste baron des Adrets fit détruire les statues de saints de la cathédrale Saint-Jean et décapiter les anges de la façade.
Les statues de Lénine déboulonnées après la chute du bloc soviétique, et encore récemment en Ukraine, celles de Saddam Hussein renversées durant la guerre d’Irak, les Bouddhas géants détruits à l’explosif par les Talibans, les exemples de destructions symboliques ne manquent pas.
Ces actions ont pour but d’entériner les mutations politiques ou religieuses en cours au sein d’une société. Elles sont aussi le reflet d’une volonté de changement de la société. C’est le cas des déboulonnages de statues faites dans le cadre de revendications antiracistes.
Ce n’est pas une contagion en France de l’exemple des États-Unis, il y a aussi du racisme en France, elle a aussi un passé esclavagiste.
C’est ainsi qu’en 1991 en Martinique, un commando décapita la statue de Joséphine de Beauharnais. Originaire de l’île, et mariée à Napoléon, elle est accusée d’avoir encouragé l’empereur à rétablir l’esclavage. Sa statue restera sans tête jusqu’à sa destruction totale au cours d’une manifestation en 2020.
Autre exemple, en 1992, de nombreuses célébrations ont lieu pour les 500 ans de l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent américain. Les amérindiens célèbrent quant à eux les 500 ans de résistance au colonialisme par des manifestations. La statue de la reine Isabelle la Catholique qui finança l’expédition de Colomb est dynamitée à Potosi en Bolivie. Les manifestants réclamant la fin du racisme et des discriminations qu’ils subissent.
Des actions moins radicales ont lieu en France depuis de nombreuses années. Bordeaux, Nantes ou La Rochelle étaient des ports importants de la traite négrière. Des rues y portent le nom d’anciens armateurs ayant possédé des navires négriers. Des associations ont milité pour qu’elles soient renommées. Elles ont aussi mis en œuvre des actions pédagogiques, comme un circuit faisant le tour des rues concernées, avec des guides expliquant le rôle dans la traite des personnalités nommées.
Le déboulonnage des statues n’est pas une volonté d’effacer ou de réécrire le passé. Au contraire, c’est une façon de réclamer la vérité historique. Les armateurs ont certes été les bienfaiteurs de la ville, mais ils ont aussi provoqué la mort de milliers d’esclaves envoyés dans les colonies. Les rues nommées à leur gloire occultent cette réalité.
Les faits étant rétablis, faut-il renommer ces rues ou retirer certaines statues de l’espace public ?
L’historien Pascal Blanchard préfère la pédagogie au déboulonnage, en attendant la création d’un musée d’histoire coloniale où l’on pourra mettre ces statues.
Pour aller plus loin :
- Lyon capitale des outre-mers : immigration des Suds et culture coloniale en Rhône-Alpes et en Auvergne, sous la direction de Nicolas Bancel. Au travers de documents iconographiques et de récits, l’histoire des relations entre Lyon et sa région, et les cultures venues du reste du monde.
- Exhibitions : l’invention du sauvage. Exposition du Musée du quai Branly, 2011-2012. Histoire de femmes, d’hommes et d’enfants, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, exhibés en Occident à l’occasion de numéros de cirque, de représentations de théâtre ou dans des villages reconstitués dans le cadre des expositions universelles et coloniales. Peintures, sculptures, affiches donnent une idée de cette industrie du spectacle exotique.
- La guerre des mémoires : la France face à son passé colonial de Benjamin Stora.
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