Super-héroïnes et super-héros 1/2
Publié le 08/11/2023 à 07:00 - 18 min - Modifié le 27/11/2023 par AB
Quatre-vingts ans d'histoire des États-Unis. Première partie : des années trente aux années soixante.
Les comics de super-héros : miroir de la société américaine
The Marvels sort aujourd’hui dans les salles de cinéma. Ce film de super-héros se singularise par un casting principal, un scénario et une réalisation entièrement féminins. Il est le symbole d’une nouvelle vague féministe qui réclame plus de visibilité pour les femmes sur les écrans et le contrôle de leur image par elles-mêmes. Le but est de contrer le sexisme de l’industrie cinématographique, notamment mis en lumière par le test de Bechdel et le concept de male gaze.
Dans son livre Super-héros, une histoire politique, l’historien William Blanc explique comment le genre super-héroïque accompagne depuis sa création les évolutions sociales et politiques des États-Unis. Marvel et DC Comics, les deux principaux éditeurs de comics, les revues de bande dessinée américaine, placent leurs intrigues dans l’environnement quotidien des lecteurs. Les récits fantastiques des super-héros se déroulent dans des décors bien réels qui reflètent la sociologie étasunienne. Alors que Spider-Man habite dans le quartier pauvre et cosmopolite du Queens à New-York, la Stark Tower d’Iron Man est au 200 Park Avenue dans le riche Manhattan.
Les auteurs quant à eux traduisent leurs inquiétudes, leurs espoirs et leurs opinions politiques dans leur œuvre. Ils illustrent les préoccupations du moment. Scénaristes et dessinateurs se succèdent pendant des décennies pour raconter les péripéties des protagonistes. Chacun apporte sa vision du monde et l’orientation qu’il veut donner aux personnages.
Les comics peuvent être des outils de propagande pour le modèle étasunien, ou au contraire montrer une Amérique en crise. On constate aussi que les héros penchent soit vers le progressisme, soit vers le conservatisme, en fonction de la liberté laissée aux artistes d’affirmer leur point de vue, de l’intérêt commercial des éditeurs, des transformations de la société. Pour William Blanc, les comics devancent rarement les mutations sociales. En effet, les maisons d’édition sont des entreprises privées qui recherchent le profit, elles se contentent de suivre l’air du temps.
Années trente et quarante : naissance des super-héros
Captain America
Xavier Fournier raconte sa genèse dans Comics en guerre : la bande dessinée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Jack Kirby et Joe Simon, deux fils d’immigrés juifs, créent Captain America en décembre 1940, un an avant l’entrée en guerre des États-Unis. Les auteurs veulent éradiquer le nazisme. Leur but est de convaincre les USA de s’engager dans le conflit européen et dès le 1er numéro, la couverture montre le héros donner un coup de poing à Hitler. Avant l’attaque de Pearl Harbor, la majorité des étasuniens sont pour la neutralité mais une frange de la population est antisémite et a des sympathies pour le Führer, à l’instar d’Henry Ford, le patron des usines automobiles. Le Ku Klux Klan également bien entendu. Il existe d’autre part un mouvement nazi, le Bund germano-américain, qui a organisé une manifestation rassemblant 20 000 personnes à New-York en 1939. Kirby et Simon sont menacés de mort de la part de ses membres et ont un temps été protégés par la police.
Durant la guerre, l’armée achète en masse les numéros de Captain America pour occuper le temps libre des soldats. Les aventures d’un héros qui écrase l’ennemi et encense le gouvernement sont une propagande efficace pour remonter le moral des troupes et des jeunes lecteurs. Captain America est une figure du patriotisme comme l’indique son nom et son costume inspiré de la bannière étoilée. Les auteurs qui le font vivre au fil des années le feront pencher parfois vers le conservatisme et parfois vers le progressisme. Mais la plupart du temps, il est tel que ses créateurs l’ont voulu, défenseur des valeurs de liberté et de démocratie contre les totalitarismes, le symbole de la lutte contre le racisme et l’exclusion.
Dès 1939, les comics de super-héros sont publiés en Europe. Jean-Marc Lainé rapporte les critiques qui leurs sont adressées dans Super-héros ! : la puissance des masques. Les communistes y voient une propagande impérialiste étasunienne, les Allemands dénoncent des auteurs juifs, les Français sont contre les surhommes d’inspiration nazie, les nationalistes s’opposent à l’invasion des revues d’outre-Atlantique, et les catholiques redoutent leur influence sur la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont critiqués car ils représentent la domination de la culture mainstream des États-Unis sur le monde.
Superman
Superman apparaît en 1938 sous la plume de Jerry Siegel et Joe Shuster. D’origine modeste, les deux auteurs sont descendants d’immigrés juifs. Ils prennent le contre-pied des discours diffusés dans les médias dominants de l’époque, profitant de la liberté qu’offrent les comics considérés alors comme une sous-culture. Le héros de science-fiction traditionnel colonisait des planètes peuplées de sauvages. Superman au contraire est un migrant, un étranger venu d’une civilisation évoluée, la planète Kripton, pour apporter le progrès sur terre. C’est un progressiste. Clark Kent, son identité officielle, est journaliste pour le Daily Star, « a progressive newspaper » dans l’édition américaine. Il est surnommé l’Homme de demain, il incarne la modernité et l’espoir en un avenir meilleur.
Les histoires de Superman se déroulent à Metropolis, une cité moderne, remplie de gratte-ciels, comme ceux qui commencent à pousser dans les grandes villes. Les dessins le montrent volant plus vite que les trains et les avions, il va jusque dans l’espace. Pour ses créateurs, dont les familles ont fui la misère depuis la vieille Europe, les États-Unis sont un pays neuf, qui se projette dans le futur, moins attaché à ses racines. Le pouvoir des super-héros provient de leur valeur personnelle et pas de leur héritage comme dans les histoires de chevaliers et de princes. A l’image d’une nation où tout parait possible, où n’importe qui pourrait devenir millionnaire par son travail et son talent.
Le progrès et la science tiennent une place prépondérante. Au départ, Steve Rogers, la véritable identité de Captain America, est un garçon pauvre et maigrichon recalé par l’armée. Il accepte de servir de cobaye à un médecin qui lui injecte un sérum faisant de lui un humain augmenté à la force herculéenne. Avec l’essor de la science apparaît la possibilité d’améliorer l’espèce humaine dans toutes les sociétés occidentales. Superman et Captain America sont des surhommes, des exemples d’eugénisme de gauche, contemporain de l’eugénisme nazi. Cette idée communément admise à l’époque deviendra impensable après la guerre. Les comics regorgent de savants fous et d’inventeurs géniaux, Tony Stark dans l’armure d’Iron Man, Red Richard des Quatre fantastiques, Bruce Banner alias Hulk… Ils dénoncent les dangers d’une science sans conscience utilisée par des apprentis sorciers pour dominer le monde. Pendant les années soixante, la peur de l’atome, d’une bombe atomique ou d’un accident nucléaire, renvoie l’image d’une science moins contrôlable. Les héros acquièrent alors leurs super-pouvoirs par accident, comme Spiderman piqué par une araignée radioactive.
L’espoir dans le futur se traduit aussi par le progrès social et un monde en paix. On peut ainsi voir un Superman super-syndicaliste enfermer le directeur d’une mine dans une galerie, car pour réduire les coûts, il ne respecte pas les mesures de sécurité et met les travailleurs en danger. En plein New Deal du président Roosevelt, l’Homme de demain rase des taudis pour reloger les habitants dans des immeubles modernes. Superman est certes arrivé sur terre aux USA, mais son rôle est de protéger la planète de la destruction et de défendre la paix dans le monde. Dans un épisode de 1940, il capture Hitler et Staline et les mène devant la Société Des Nations pour être jugés. Dans un autre numéro, il arrête deux dictateurs d’Amérique latine en guerre sous l’influence d’un marchand d’armes étasunien et les présente à la justice.
Superman incarne aussi la mission messianique que se donnent les étasuniens de propager la démocratie à travers le globe. Il est parfois vu comme le représentant des États-Unis faisant la police du monde. Son image est ambiguë et dans certaines histoires, il symbolise les dangers d’un pouvoir sans limites, capable à lui seul de détruire la Terre.
Wonder Woman
Les comics sont sexistes comme l’a été le XXe siècle. Entre 1939 et 2020 on dénombre 8000 super-héros pour 400 super-héroïnes. Certes, hommes et femmes sont sexualisés avec des tenues mettant en avant leurs muscles pour les premiers et leurs formes pour les secondes. Cependant, les femmes n’utilisent quasiment jamais d’armes technologiques, comme le fait Iron Man, elles ne conduisent pas de voitures futuristes comme Batman. Elles ne sont ni des scientifiques ni des savants fous, leur pouvoir est le plus souvent d’origine magique, extraterrestre, ou leur arrive par accident. Néanmoins, comme dans la société, elles se font peu à peu une place dans la bande dessinée, et cela, dès l’origine avec Wonder Woman.
Le personnage est créé en 1941 par l’inventeur du détecteur de mensonge, le docteur en psychologie Charles Moulton. Comme Superman, c’est une immigrante, elle quitte une île régie par une société avancée d’Amazones, pour aider la terre dans sa route vers le progrès et la paix. Elle est imaginée dans le but de promouvoir l’émancipation des femmes et contre le puritanisme, Wonder Woman a une image sexy et l’auteur introduit un imaginaire bondage dans ses pages. Charles Moulton vivait en trouple avec son épouse Elizabeth Holloway, une avocate féministe, et Olivia Byrne. La famille aura quatre enfants. Margaret Sanger, la tante d’Olivia Byrne, milite pour le contrôle des naissances et fonde ce qui deviendra le planning familial aux États-Unis. Son eugénisme négatif fait d’elle une figure controversée dans les années soixante-dix.
L’objectif assumé de l’auteur est de changer la société. Il prédit au New York Times en 1937 que l’Amérique du XXIe siècle sera un matriarcat, une nation d’amazones. En 1940 il déclare qu’il existe un potentiel éducatif élevé dans les bandes dessinées. Il avoue plus tard : « Wonder Woman est de la propagande psychologique pour le nouveau type de femme, qui, je le crois, devrait diriger le monde ». Il la voit comme une force féminine bienveillante. Dès ses premiers épisodes, elle combat Arès le dieu de la guerre, allié des nazis, comme un symbole de la féminité luttant pour la paix et contre la masculinité guerrière.
Années cinquante : le maccarthysme
C’est une période de la politique étasunienne durant laquelle des agents et sympathisants communistes sont traqués pour être jugés. Le nouvel ennemi des super-héros est le communisme et en 1954, on peut voir Fighting American affronter Poison Ivan et Hotsky Trotski.
Retour à l’ordre moral
Le maccarthysme est aussi un virage conservateur et puritain. Comme les jeux vidéo aujourd’hui, les comics sont accusés d’encourager la violence chez les jeunes. Le psychiatre Fredric Wertham publie Seduction of the Innocent pour alerter sur leurs dangers. Selon lui, ils sapent les fondements de la famille, et par conséquent entraînent la fin de la civilisation américaine. Des autodafés sont organisés. Sous la pression d’une commission d’enquête sénatoriale, les éditeurs instaurent d’eux-mêmes le Comics code authority, sur le modèle du code Hays en place depuis 1930 à Hollywood. Ils espèrent éviter une censure plus stricte du pouvoir fédéral. Seules les publications respectant le Comics code sont autorisées à la vente. Dès lors, la violence contre les forces de l’ordre, l’horreur et la sexualité sont prohibées. La nudité, l’exagération des formes féminines, les décolletés, les jupes courtes sont interdits. Les figures d’autorité comme la police, les juges et les membres du gouvernement ne doivent pas être ridiculisées.
Les valeurs familiales sont mises en avant. C’est à cette époque que les héros fondent un foyer modèle. Superman adopte Kripto le super-chien avec une cape et Batman a un chien masqué dès 1955. En 1956 est créée Batwoman pour l’accompagner. Batgirl est son faire-valoir, comme Robin est l’acolyte de l’Homme chauve-souris. Le but est d’introduire des intrigues amoureuses et d’attirer un lectorat féminin avec des héroïnes auxquelles s’identifier. En jouant le rôle du flirt de Batman, Batwoman écarte les soupçons d’homosexualité du Chevalier noir et de son écuyer Robin. Les soupçons se porteront bientôt sur elle et Batgirl.
Wonder Woman endosse un rôle de femme traditionnel, elle devient la secrétaire du groupe de super-héros Justice League of America sans jamais les suivre dans leurs aventures. Comme les femmes qui après avoir remplacé les hommes dans les usines pendant la guerre, sont priées de retourner dans leur cuisine. À la fin des années soixante, le public féminin réclame son retour, elle devient une icône de la libération sexuelle, l’amour féminin pacifiste s’oppose au masculin militariste de la guerre du Vietnam.
À partir des années soixante, les comics underground se développent et commencent à ne plus suivre le Comics code. La société évolue et le code est assoupli, les éditeurs le respectent de moins en moins et il est abandonné en 2011. En 1969, la revue Fantask qui publie pour la première fois les récits de Spiderman en France est jugée trop violente pour la jeunesse par les autorités et est interdite après sept numéros. Strange qui lui succède est cataloguée comme une revue adulte jusqu’au milieu des années soixante-dix. Les éditions Lug caviardent ses pages pour éviter une censure définitive.
La peur lavande
Le maccarthysme associe le communisme, l’athéisme, et l’homosexualité dans un complot pour détruire les États-Unis. À côté de la « peur rouge » anticommuniste, se développe une « peur lavande » qui cherche à faire disparaître toute allusion à l’homosexualité afin de ne pas pervertir la jeunesse. Si les personnages ne s’écartent pas explicitement de la norme hétérosexuelle, certains indices permettent aux personnes LGBT de s’identifier à eux : leurs costumes colorés et baroques rappellent l’esthétique camp de la communauté queer, les masques et les identités secrètes font écho au quotidien des homosexuels forcés de se cacher. Le couple Batman et Robin est ainsi récupéré par la communauté gay. Wonder Woman est accusée d’inciter au lesbianisme, une femme non mariée venant d’une île peuplée d’Amazones ne pouvait qu’attirer les soupçons à l’époque.
Années soixante : guerre froide et renouveau des super-héros
Guerre froide
La guerre opposant USA et URSS se traduit directement dans les comics. En 1964, Black Widow est une super-vilaine, ennemie d’Iron Man. C’est une espionne soviétique qui passe à l’Ouest par amour. Elle est recrutée par le SHIELD, la version Marvel de la CIA, mais garde un regard critique sur le rêve américain. Dans le numéros 3 d’Amazing Adventures (1970), elle raille le discours anticommuniste qui assimile toute contestation du président Richard Nixon à un complot du KGB. En 1962, le dieu Thor affronte un pseudo Fidel Castro dans le n°84 de Journey into Mystery. Le n°87 s’intitule « Prisonnier des Rouges ! », il combat ensuite Mao Zedong et les Vietcongs.
La guerre froide s’accompagne d’une course à l’espace entre les deux superpuissances. Le président John Fitzgerald Kennedy lance le programme spatial Apollo en 1961 afin de reconquérir le prestige des USA, mis à mal par les succès de l’astronautique soviétique. Dans les comics, Les Quatre Fantastiques obtiennent leurs super-pouvoirs à la suite d’une irradiation par des rayons cosmiques au cours d’une mission spatiale (n°1 des Fantastic Four en 1961), dont l’objectif est de visiter l’espace avant les Russes.
La guerre froide est aussi un affrontement pour la suprématie idéologique. Tony Stark, alias Iron Man est créé en 1963, c’est un playboy et un vendeur d’armes multimillionnaire, le symbole du capitalisme. Son histoire débute lorsqu’un savant communiste le séquestre durant la guerre du Vietnam et l’oblige à lui construire une arme. Stark fabrique son armure et s’échappe. Dès lors, il met son industrie de l’armement au service du gouvernement. Cependant, dès 1966 et les révoltes étudiantes contre la guerre du Vietnam, il devient moins manichéen. En 2004 par contre, en pleine guerre d’Irak, Stark est nommé secrétaire d’État à la défense dans Iron Man Secret-Défense.
La menace atomique est omniprésente, sous la forme d’armes destructrices inventées par des scientifiques malveillants, ou par les dangers des radiations. Hulk en est le meilleur exemple. Le scientifique Bruce Banner est irradié par des rayons gamma lors d’une explosion atomique et se transforme ensuite en géant vert incontrôlable à chaque accès de colère. Il symbolise la peur d’une force capable de détruire la planète, laissée aux mains d’humains belliqueux prêts à s’engager dans une surenchère mortelle.
Renouveau des super-héros
Pour le sociologue Thierry Rogel, les changements qui surviennent durant cette décennie renouvellent le genre super-héroïque. Le public se désintéresse des super-héros, ce qui pousse Marvel à en inventer d’un nouveau genre. Moins héroïques et plus proches du quotidien des lecteurs, ils mènent la vie de monsieur Tout-le-monde, vont au cinéma, partent en vacances, ou vont à la fac et ont des problèmes d’argent comme Peter Parker alias Spiderman. Contrairement à Superman et Captain America, apparus en périodes de crise pour rassurer sur la puissance des États-Unis et redonner de l’espoir en l’avenir, les héros des Trente glorieuses peuvent se permettre de ne pas être infaillibles. Ainsi, Daredevil est un avocat aveugle lorsqu’il ne combat pas le mal, et l’identité publique de Thor est celle d’un médecin boiteux, Spiderman vient d’une famille pauvre et doit recoudre son costume après avoir combattu les criminels.
Un nouveau groupe social apparaît : les adolescents. Nés avec le baby-boom, ils bénéficient de l’allongement et la généralisation des études, d’une entrée plus tardive dans le monde du travail et d’une hausse de leur pouvoir d’achat grâce à la croissance économique, ils ont plus de temps libre et développent une culture qui leur est propre. Peter Parker est emblématique de cette génération. Alors que les adolescents étaient les acolytes des héros adultes, Spiderman est le personnage principal de ses aventures. A l’opposé des demi-dieux des débuts, musclés et indestructibles, Parker est mince et timide, un nerd moqué par les élèves de son lycée.
Les années soixante sont celles de la seconde modernité. Alors qu’auparavant, les individus étaient caractérisés par leur place dans la communauté, leur travail, leurs études, les nouvelles identités se fondent sur les particularités personnelles. Elles ne sont plus imposées par la société mais revendiquées, on se définit comme hétérosexuel ou homosexuel, homme ou femme, blanc ou noir. Des héros qui correspondent à ces nouvelles représentations apparaissent.
Les X-men
La création du groupe des X-men en 1963 est caractéristique de l’époque. Leur chef, le professeur Xavier, recrute des jeunes gens qui arrivés à l’adolescence développent des super-pouvoirs, une allusion aux changements physiques qui arrivent à cette période de la vie. Il les aide à contrôler leur don et les entraîne à lutter contre les super-vilains. Les membres de l’équipe sont le reflet de la diversité de la société. La série se veut progressiste et inclusive de l’aveu même de ses créateurs, le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby. C’est une équipe internationale et mixte : Colossus est russe, Tornade est une femme noire d’origine africaine, Wolverine est canadien, Épervier est amérindien. Toutes les religions coexistent, Kitty Pride est juive, Diablo un fervent catholique et Dust est musulmane. Les héros ont des faiblesses, Xavier est paraplégique, Cyclope est une métaphore de la cécité.
L’idée de génie de Stan Lee est d’inventer une origine commune aux pouvoirs de ses héros. Ils ne proviennent plus d’accidents de laboratoire, d’interventions magiques ou divines, mais d’une mutation génétique aléatoire qui apparaît chez les humains. Elle fait d’eux des mutants ayant des capacités particulières comme traverser les murs ou contrôler les éléments. Outre que cette idée lui évite de trouver une origine spécifique aux pouvoir de chaque héros, cette mutation permet une réflexion sur la normalité et la différence, incarnée par ceux qui sont nés avec le gène X. Elle devient une allégorie des différences de couleur de peau, de sexualité, de tout écart à la norme dominante. Ainsi, Diablo est victime de racisme, les humains le pourchassent car il a une fourrure bleue. Les familles des ados recrutés par le professeur Xavier les rejettent, effrayées par leurs pouvoirs, comme en écho au rejet que subissent souvent les jeunes homosexuels de la part de leurs proches.
Stan Lee fait un parallèle avec la société de l’époque grâce au super-vilain Magneto. Il est au départ un affreux comme les autres mais son personnage va s’étoffer pour devenir le méchant le plus emblématique de l’univers des comics et l’ennemi irréductible des X-men. C’est un survivant de la Shoah, persuadé que les humains finiront par anéantir les mutants comme ils ont voulu le faire avec les Juifs et les Tziganes, par rejet de la différence. Pour éviter cela il tente d’asservir l’humanité. Le professeur Xavier pense qu’humains et mutants peuvent vivre en paix. Ils représentent chacun à leur façon une réponse au racisme et aux discriminations. Celle de Xavier ressemble au rêve de Martin Luther King, le choix de Magneto s’inspire de Malcolm X pour qui la cohabitation des blancs et des noirs est impossible. Stan Lee s’interroge sur les moyens pour parvenir à ses fins. Si pour Magneto la fin justifie les moyens et il peut être qualifié de terroriste, Xavier préfère convaincre les humains, ni l’un ni l’autre ne parvient à empêcher les persécutions envers les mutants.
Black Panther
Bien qu’il ne soit pas afro-américain, les aventures de Black Panther résonnent avec la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Le premier super-héros racisé fait son apparition en 1966 alors que la lutte des noirs est à son apogée. La Panthère Noire est le souverain du Wakanda, un royaume africain fictif jamais colonisé. C’est un État techniquement en avance sur le monde grâce aux facultés extraordinaires du métal vibranium, une ressource qu’il garde jalousement et que les pays impérialistes aimeraient s’accaparer. À cette époque, les colonies africaines deviennent des États indépendants et un mouvement de retour aux sources des noirs américains se développe.
Black Panther combat le racisme et le Ku Klux Klan, mais dans les années soixante-dix, il s’oppose à un groupe de malfaiteurs ressemblant au Black Panther Party. Il change même de nom et devient Black Léopard pour quelques numéros afin de ne pas être assimilé aux contestataires. Il symbolise la fierté d’être noir mais critique certaines actions du mouvement afro-américain.
Après Black Panther viendront le Faucon (1969), le Green Lantern John Stewart (1971), Luke Cage (1972), Black Lightning (1977). Black Panther a aussi été créé pour séduire la nouvelle classe moyenne noire apparue après la Seconde Guerre mondiale. Luke Cage, alias Power Man, parait quant à lui en pleine vague Blaxploitation afin d’attirer les Afro-américains. Il mène des enquêtes policières inspirées du roman noir qui se déroulent dans les rues des grandes villes et reflètent les problèmes sociaux des populations noires et pauvres. Il personnifie le Black power, sa force surhumaine lui permet de briser des chaînes comme s’il se libérait des chaînes de l’esclavage, il ne craint pas les balles, ce qui le protège des tirs de la police.
Lire la suite de cet article : de 1970 à nos jours.
Pour aller plus loin :
- Bolchegeek, la chaîne You Tube de Benjamin Patinaud, aborde la culture populaire sous des angles artistiques, sociaux et politiques.
- Vigilante : la justice sauvage à Hollywood de Yal Sadat. Une histoire des films d’autodéfense, un genre cinématographique né dans les années 1970 aux États-Unis. Souvent considéré comme sulfureux et réactionnaire, il compte notamment parmi ses films emblématiques Un justicier dans la ville, L’inspecteur Harry et Taxi Driver.
- Les nouveaux méchants : quand les séries américaines font bouger les lignes du bien et du mal, de François Jost. Les séries peuvent se lire comme une histoire du capitalisme et les personnages de méchants remettent en cause l’idéologie du rêve américain.
- La série Galaxie comics de l’émission Blockbuster, animée par Frédérick Sigrist sur France Inter.
- Super-héros : l’éternel combat (D.V.D.), réalisation de Michaël Kantor. La saga des super-héros racontée par leurs créateurs. Trois heures de film, soixante-quinze ans d’histoire américaine vus à travers l’épopée de l’industrie des comics et de ses super-héros.
- Des comics et des hommes : histoire culturelle des comic books aux États-Unis, de Jean-Paul Gabilliet. Histoire des comic books depuis leur création dans les années 1930. Analyse de leur place dans la hiérarchie culturelle aux États-Unis, la dimension commerciale et économique de cette production, les relations entre les créateurs de comics et leur lectorat, l’évolution de la censure, etc.
- Il existe aussi des super-héros français présentés dans le livre, Super-héros français : une anthologie de Xavier Fournier.
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