Cartouche, Mandrin, Marion du Faouët… bandits et héros du peuple
Publié le 26/11/2021 à 06:30 - 10 min - Modifié le 25/11/2021 par AB
Le 28 novembre 1721, Louis Dominique Cartouche était exécuté en Place de Grève.
Les hors-la-loi
Ils nous fascinent. En témoignent les nombreuses biographies, films, documentaires ou fictions qui leur sont consacrés. Nous admirons leur audace et leur ruse lorsqu’ils s’évadent de prison. Nous rêvons à leurs aventures lorsqu’ils sont pourchassés par la police. Nous envions leur liberté, quand nous sommes prisonniers d’une existence routinière. Et nous oublions leurs crimes.
Leur existence pleine de danger, leur destin dramatique et leur fin souvent violente, ajoute au caractère romanesque des bandits.
La fascination que les brigands exercent devient héroïsation quand leur activité criminelle prend l’allure d’une révolte contre l’injustice ou la tyrannie. C’est le cas de ceux que l’historien marxiste anglais Éric Hobsbawm appelle les bandits sociaux. Ils se nomment Cartouche, Robin des Bois ou Phoolan Devi.
Les bandits sociaux
En se plaçant en dehors de la loi, ces brigands défient ceux qui détiennent le pouvoir social, économique et politique. Ils menacent la sécurité des biens et des personnes, mais surtout, ils perturbent l’ordre et la hiérarchie sociale. Un groupe d’hommes en arme est un danger pour les dirigeants. De braver la loi à braver le pouvoir, il n’y a qu’un pas que certains malandrins franchissent. Ils deviennent rebelles, héros d’un peuple dominé par des puissants, qui place en eux ses espoirs de vie meilleure et ses désirs de révolte.
Les histoires romancées qui relatent leurs exploits sont semblables partout dans le monde.
Devenir hors-la-loi s’impose à eux. Ils sont victimes d’un abus de pouvoir qui les pousse à se venger, à commettre un délit pour réparer une injustice qu’ils ont subie. Recherchés par les autorités, ils doivent se cacher pour survivre et n’ont d’autre choix que le vol pour assurer leur subsistance. Selon la légende, le bandit mexicain Joaquín Murietta, qui inspirera le personnage de Zorro, aurait été dépossédé de sa mine d’or par des prospecteurs anglo-saxons. Sa femme aurait été violée et son demi-frère lynché. Il se fit hors-la-loi pour se venger des « gringos ».
Autre point commun à ces histoires de bandits au grand cœur : s’ils sortent de la misère, ils n’oublient pas leur origine sociale. Cela les amène à prendre aux riches pour donner aux pauvres. Une façon de lutter contre les injustices sociales. Même s’ils ne partagent pas leurs gains avec les nécessiteux, ils savent être populaires. Ainsi, Ned Kelly, célèbre bushranger australien, profitait de ses attaques de banques pour brûler les prêts hypothécaires des habitants.
Dans les chants populaires à leur gloire, les bandits sont insaisissables. Ils échappent aux gendarmes comme par magie et ridiculisent la police par leur intelligence. Ils ne sont pris que grâce à la trahison d’un proche. C’est le cas du bandit kabyle Ahmed Oumeri. Enrôlé dans l’armée française durant la Seconde Guerre Mondiale, et réalisant que ce conflit ne le concernait pas, il déserta et prit le maquis. Il rançonnait l’occupant étranger et reversait une partie de l’argent aux pauvres. Il fut assassiné par son meilleur compagnon d’arme, qui l’invita à dîner dans ce qui s’avéra être un guet-apens organisé par l’armée coloniale. En Kabylie, il fait figure de héros national, résistant au colonisateur français.
Les caractéristiques communes à tous ces récits s’expliquent par des raisons assez prosaïques. Pour obtenir l’admiration du peuple, l’appât du gain ne peut pas être la seule motivation des brigands. Leur entrée dans le banditisme doit être le fruit d’une injustice, comme celles que subissent les opprimés. Évidemment, il est plus rentable pour des bandits de s’en prendre aux riches plutôt qu’aux pauvres. La redistribution des richesses volées permet d’acheter la collaboration de la population qui les cache et les aide. Elle les avertit de l’arrivée de la troupe, rendant leur capture impossible à moins d’être trahis. En échange de son aide, les brigands l’épargnent et même la protègent d’autres bandes criminelles.
Typologie des bandits sociaux
Le bandit au grand cœur redistribue une partie de son butin. Il veut rétablir une certaine justice dans un monde très inégalitaire. Il n’use de violence que dans des cas particuliers, tacitement acceptés par la population locale. Par exemple, contre les gendarmes, mais pas contre les marchands et les voyageurs qu’il détrousse. Il est magnanime, respecte les femmes et la religion. Il est aimé du peuple. Robin des bois en est l’archétype au point que son patronyme soit devenu un nom commun. En France, Cartouche, surnommé le Roi des voleurs, est le seul bandit social à avoir exercé en milieu urbain. Il est considéré comme un bandit au grand cœur. Il n’existe pourtant aucune preuve historique de sa générosité. Le produit de ses vols n’était partagé qu’avec les membres de sa bande. Il en va de même pour Jesse James qui a construit de son vivant sa légende de rebelle. En réalité, il n’a jamais redistribué le fruit de ses larcins, et ne s’en prenait pas uniquement aux riches.
Le bandit vengeur est redouté pour sa cruauté et sa violence. Il ne se contente pas de voler les riches, il va aussi violer leurs femmes et trucider les témoins gênants. Il assassine les traîtres, mais également leur famille pour éviter les représailles. Mais dans le même temps, il est admiré par les exploités, car il est la preuve qu’ils peuvent inspirer de la terreur aux exploiteurs.
Le bandit justicier ou redresseur de torts attaque les collecteurs d’impôts, fait de la contrebande, braconne. Il s’en prend à ceux qui font appliquer des lois et des taxes considérées comme injustes. Mandrin en est le parfait exemple. Il vole les fermiers généraux, ces collecteurs d’impôts détestés du peuple. Il était aussi bandit au grand cœur : il fera juger et condamner un membre de sa bande ayant tué un innocent. Mais c’est avant tout un contrebandier, un homme d’affaires qui commet des délits en forme de bravade vis-à-vis du pouvoir et redistribue un peu aux pauvres. La complainte de Mandrin a donné lieu à de nombreuses interprétations, d’Yves Montand au groupe punk Daddy Sucks.
Les femmes brigandes
Marie-Louise Tromel, dite Marion du Faouët ou Marie Finefont (la futée), était cheffe de bande dans le Morbihan. Elle est dans la tradition populaire de sa région la digne représentante des bons bandits, ne volant que les riches et protégeant les pauvres. Le viol et le meurtre sont interdits dans sa troupe. Comme tout hors-la-loi qui se respecte, elle et ses hommes ont eu des cachettes et un trésor qui reste à découvrir. Peut-être dans la grotte du diable à Huelgoat, ou dans le manoir de Bodénou dans les Côtes-d’Armor. Elle meurt pendue le 2 août 1755 à Quimper. Malgré la torture, elle ne dénoncera pas ses complices, contrairement à Cartouche.
En Inde, Phoolan Devi a été le symbole du bandit vengeur. Issue d’une basse caste, elle est mariée à 11 ans et sera violée et battue par son mari. Après plusieurs mésaventures, elle deviendra la cheffe d’une bande de dacoïts et se vengera de ses tortionnaires. Elle sera capturée et emprisonnée, puis élue députée après sa libération. Elle est assassinée en 2001 par des hommes appartenant à la caste supérieure qu’elle a combattue.
Qui étaient réellement les bandits sociaux ?
Selon Éric Hobsbawm, leur apogée a lieu au XIXe siècle. Issus du monde rural, ils exercent généralement leur activité aux marges des royaumes. Dans les territoires que le pouvoir central contrôle peu ou pas du tout. Ils peuvent se cacher dans les zones difficiles d’accès, les forêts, les déserts. Les bandits prospèrent lors des périodes d’affaiblissement de l’État, de crise économique, de guerre. Ce sont des jeunes ou des marginaux, des déserteurs, des évadés de prison. Les paysans sont trop occupés aux champs afin de nourrir leur famille, pour devenir des hors-la-loi. Pour l’auteur, ils incarnent la réaction des communautés paysannes à la destruction de leur mode de vie par le capitalisme naissant. Le banditisme social est une forme primitive de l’insurrection politique.
Les bandits sociaux ne sont pas des révolutionnaires.
Leur première motivation est individuelle, ils veulent échapper à la misère, se venger d’une injustice qu’ils ont subie. Elle n’est pas collective, au profit d’une catégorie de la population. S’ils redistribuent les richesses volées, leur but est seulement d’aider les plus pauvres. Pas de les sortir de la misère. Et s’ils participent parfois à des révoltes paysannes, ils n’en sont jamais les initiateurs et ils ne proposent pas un changement d’organisation sociale. Ils ne contestent pas l’autorité du seigneur, seulement ses abus, et jamais ils ne remettent en cause la figure du roi.
Tous les hors-la-loi ne sont pas des bandits sociaux, même s’ils aiment alimenter cette fiction pour justifier leurs crimes. La frontière entre les deux est parfois ténue, le même homme peut être un bandit social dans sa région natale, et un simple brigand dans la région voisine. La réalité historique, déformée par les récits légendaires, peut être instrumentalisée pour défendre une idéologie.
Sans être des bandits sociaux, certains hors-la-loi ont des points communs avec eux.
Les haïdouks sévissaient dans le Sud-Est de l’Europe sous la coupe des Ottomans. Le terme signifie bandit en turc et homme libre dans les langues des régions occupées. C’étaient des paysans et des bergers chrétiens qui se regroupaient en bandes armées pour échapper à la misère et au servage. Certains alternaient brigandage et travail aux champs, en fonction des saisons. Ils servaient aussi de mercenaires aux royaumes chrétiens contre les armées ottomanes. Ils ont gardé l’image de bandits au grand cœur, défenseurs des opprimés. Mais leur collaboration avec les seigneurs les excluent de la catégorie des bandits sociaux. Les Ottomans recrutaient aussi des bandits locaux, chrétiens, pour mater les révoltes paysannes. Ces milices grecques étaient appelées les armatoles. Les communistes au pouvoir après la Seconde Guerre Mondiale ont présenté les haïdouks comme des résistants à l’exploitation des riches. Les nationalistes quant à eux mettent en avant leur lutte contre l’occupant étranger.
La même situation se retrouve dans l’Italie méridionale du XIXe siècle, suite à l’unification du pays par la maison de Savoie. Le hors-la-loi Carmine Crocco a fait des allers-retours entre la guérilla contre le nouvel État, et le banditisme classique.
Les bandits d’honneur obéissent à leur propre loi. En pratiquant la vendetta pour sauver leur honneur, celui de leur famille ou de leur clan, ils suivent des règles non écrites, les us et coutumes de leur région. Bien que parfois recherchés pour meurtre par la police, ils sont respectés par leur communauté qui les aide et les cache. Dans la Corse du XIXe siècle, ils défient un pouvoir central, peu ou pas reconnu par la population. Ils symbolisent les traditions d’un peuple qui ne veut pas disparaître. C’est une résistance à une autorité imposée, venue de l’extérieur, mais aussi à un mode de vie différent.
« La propriété, c’est le vol » disait Proudhon. Au début du XXe siècle en Espagne, les anarchistes ont pratiqué « l’expropriation ». Des braquages, des cambriolages et du faux-monnayage pour financer leur activité politique, comme l’achat d’armes, la publication de journaux, le soutien aux familles de militants emprisonnés. Le but n’était pas de s’enrichir. Lucio Urtubia a repris cette tradition dans les années 1960 et 1970 en falsifiant des chèques de la Citibank pour un montant de 20 millions de dollars. L’illégalisme ou la « reprise individuelle » qui avait cours en France fin XIXe est différent. Il légitime le vol des riches par l’injustice d’une société qui maintien les travailleurs dans la pauvreté. Marius Jacob fut le représentant le plus célèbre de ce mouvement.
La fin des bandits sociaux
D’après Éric Hobsbawm, l’avènement d’États centraux puissants dans un cadre national a sonné le glas des bandits sociaux. Les autorités locales éloignées du pouvoir étant souvent plus complaisantes avec eux. Le développement des techniques d’identification des individus comme la photographie, les empreintes digitales, la généralisation des pièces d’identité, ont mis fin au banditisme rural. L’essor des communications, le télégraphe et le train, ont permis un contrôle plus rapide et efficace du territoire. Aujourd’hui, le capitalisme s’est imposé, les organisations criminelles fonctionnent comme des entreprises et cherchent le profit maximum, sans se soucier de redistribution des richesses.
Pour aller plus loin :
- Nidal Taibi, Les Robin des Bois ne sont pas qu’un mythe, publié dans le site Slate.
- Cartouche et les voleurs de grand chemin. S’appuyant sur des documents d’archives, l’auteur fait le point sur les bandits qui écumaient les routes de France au XVIIIe siècle.
- Cartouche dans la série d’articles “Ennemis publics” du Figaro.
- L’histoire de Mandrin en BD.
- Le catalogue de l’exposition Louis Mandrin, malfaiteur ou bandit au grand cœur ? Musée dauphinois de Grenoble, 2005-2006.
- Les chants de Mandrin, film de Rabah Ameur-Zaïmeche.
- L’autobiographie de Phoolan Devi : Moi, Phoolan Devi, reine des bandits.
- Un roman jeunesse : Devi, bandit aux yeux de fille.
- Biographie de Phoolan Devi dans Paris Match.
- La vie d’Ahmed Oumeri dans un article du quotidien algérien Liberté.
- Un roman épique, grotesque, violent et moral, qui raconte comment le jeune Murieta, malgré une nature chevaleresque, devint à son corps défendant, un terrible hors-la-loi, à cause des infamies des gringos. Cavalcades, coups de feu, romances amoureuses ponctuent ces aventures qui constituent un western à rebours. Publié en 1854 par un auteur issu de la nation cherokee.
- Portrait du voleur Akpadjaka et de sa bande, qui dérobait la bourgeoisie togolaise et les commerçants étrangers installés au Togo dans les années 1930, reversant une partie de son butin aux pauvres, l’auteur interroge la résistance à l’occupant et au colonialisme dans ses formes illégales.
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