Le New Age, aux sources de l’ésotérisme contemporain 

- temps de lecture approximatif de 18 minutes 18 min - Modifié le 20/02/2024 par Y. E.

Tarots, astrologie, oracles, lithothérapie, sorcières, l’ésotérisme revient en force dans le champ des nouvelles spiritualités depuis quelques années. Simple outil ludique de développement personnel, voire d’empowerment pour les uns, premier pas vers le complotisme New Age pour les autres, il ne manque pas de soulever les polémiques. Mais de quoi parle-t-on aujourd’hui lorsque l’on parle d’ésotérisme ? Quel rapport entre le féminin sacré, la quête morale des Francs-maçons et des adeptes de la rose-croix, les disciples d’Alan Kardec et les influenceurs du Witchtok ?

The new age
The new age "The new age" by Soumyadeep Paul CC BY 2.0.

Car les pratiques contemporaines, si elles réactualisent plusieurs éléments de l’ésotérisme occidental « traditionnel », tels que l’astrologie ou les tarots, s’en écartent aussi assez largement par la manière dont ceux-ci sont appréhendés. Et ce basculement s’est en grande partie réalisé au sein d’un mouvement aussi connu que nébuleux, dont les sources remontent à la fin du XIXe siècle, et dont l’influence sur la culture contemporaine a longtemps été négligée, le New Age. En effet, s’il évoque le flower power, les hippies et leurs gourous indiens, ses sources sont en fait bien antérieures, son héritage est encore très présent, et semble même revenir en force depuis quelques années. Nous vous proposons ici de découvrir les principales sources intellectuelles du New Age, avant de s’interroger sur la pertinence de ce concept et sur l’existence même de ce mouvement.

Aux Sources du nouvel âge :

Le New Age prend sa source dans un syncrétisme de plusieurs éléments, issus plus ou moins directement de l’ésotérisme chrétien :

La Nouvelle pensée

La Nouvelle Pensée, tout d’abord, apparaît aux États-Unis dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Inspirée par la théorie de la guérison mentale défendue à partir des années 1860 par Phineas Quimby, adepte du mesmérisme. Selon celui-ci, les maladies seraient toutes psychosomatiques, causées par des croyances erronées. Il suffirait donc de dissiper ces fausses croyances pour dissiper la maladie. Il attirera à lui de nombreux étudiants et étudaintes, parmi lesquels Emma Curtis Hopkins et Mary Baker Eddy, qui participeront à la création d’un courant spirituel qui reprend à son compte sa théorie de la guérison mentale et l’étend à d’autres aspects de l’existence, pour affirmer que nos états mentaux influent sur l’univers matériel. C’est notamment ce mouvement qui popularisera la Loi de l’attraction, qui stipule qu’une pensée positive, en tant que pure énergie, puisse aboutir à sa matérialisation dans le monde physique, mais aussi l’idée selon laquelle Dieu est présent en toute chose, et que le mal n’est qu’une création de l’esprit.

portrait d'Emma Curtis Hopkins
Emma Curtis Hopkins
portrait de Phineas Quimby
Phineas Quimby
Portrait de Mary Baker Eddy
Mary Baker Eddy

La société Théosophique:

Sceau de la Société Théologique

Une autre source importante de la pensée New Age est la Société Théosophique, créée par Helena Blavatsky.

Helena Blavatsky

D’abord proche des milieux spirites, elle prétend communiquer avec des sages inconnus, gardiens d’une sagesse ancestrale oubliée. Parmi les théories qu’elle professe, figurent l’idée d’une conscience universelle imprégnant toute chose, la nature divine de l’homme, et la possibilité pour celui-ci d’atteindre l’immortalité en s’y connectant. Elle prétend que les sagesses anciennes ont anticipé les découvertes de la science matérialiste, vouée à disparaitre, et accrédite l’existence des peuples mythiques de Lémurie, et d’autres civilisations perdues. Toutefois, elle est rapidement accusée d’escroquerie et de plagiat, au sein même des cercles spirites. Elle part alors vers l’Inde, et reformule la dimension spirite de ses théories pour leur donner les couleurs du bouddhisme et de l’hindouisme. Elle prétend alors réunir l’ensemble des religions, qui ne seraient que les différentes facettes d’une vérité universelle.

Protrait d'Helena Blavatsky

Jiddu Krishnamurti

C’est dans le cadre de la Société Théosophique qu’émergera la figure de Jiddu Krishnamurti, présenté à l’adolescence comme un nouveau messie par Annie Besant, qui avait pris la tête de la Société Théosophique à la mort d’Helena Blavatsky. Elle obtiendra la garde de Jiddu et de son frère Nitya, et les emmènera en Angleterre pour préparer Jiddu à destin . Mais en grandissant, il se détournera fortement de cette idée, et développera une pensée prônant une émancipation de toute autorité, y compris religieuse.

portrait de Jiddu Krishnamurti

Il rejettera vigoureusement les préceptes de la Société Théosophie et la figure du gourou, pour valoriser l’idée d’une pleine autonomie individuelle.

Alice Bailey

C’est une autre transfuge de la Société Théosophique, Alice Bailey, qui sera à l’origine du terme New Age Lui-même. Si elle n’a été membre de la Société Théosophique que durant quelques années, elle reprend le schéma d’Helena Blavatsky, puisque ses nombreux écrits lui auraient été dictés par Koot Hoomi et Djwal Khul, d’hypothétiques maîtres de sagesse indiens. Férue d’astrologie, elle annonce le passage imminent de l’ère du Poisson à celle du Verseau, annonçant le retour du Christ, incarnation à la fois de Jésus, du Mahdi, de Bouddha et de tous les maîtres ascensionnés. Devrait alors s’ouvrir un nouvel âge d’or, et apparaître une religion universelle. Elle diffusera ses théories par le biais d’une maison d’édition, la Lucis Trust, et d’une école, l’Ecole d’Arcane, présentes dans de nombreux pays et encore actives de nos jours.

signature hypothétique de Djwal Khul

Rudolph Steiner et L’anthroposophie

C’est aussi au sein de la société de théosophie que s’est formée une autre personnalité dont l’influence sera importante, Rudolf Steiner, créateur de l’anthroposophie. Celui-ci, surtout marqué par l’œuvre de Goethe, est dépourvu de toute formation en sciences naturelles ou de l’éducation. Il produira pourtant une œuvre foisonnante et détaillée dans tous les domaines. Largement ésotérique, celle-ci lui aurait été inspirée lors de ses voyages dans le « plan astral ». Elle sera à l’origine de la biodynamie, et des préceptes mis en œuvre dans les controversées écoles Steiner-Waldorf.

Les “contactés”

Les théories d’Alice Bailey ressurgiront après-guerre en Californie, dans le contexte du phénomène OVNI. Pour certains, en effet, les OVNI seraient des astronefs peuplés par les habitants d’un autre monde. À partir des années 50, George Van Tassel et George Adamski, suivis par beaucoup d’autres, prétendront avoir été en contact avec ces êtres provenant de civilisations extraterrestres, dont le fameux Commandant Ashtar . Ceux-ci interviendraient pour sauver les quelques personnes parvenues à une compréhension des lois spirituelles de l’univers au moment de l’apocalypse. S’ouvrirait ensuite une nouvelle ère de paix et d’harmonie.

Ufo

Le réalisme fantastique

 Un tournant important se produira en France en novembre 1960. Avec la parution du livre de Jacques Bergier et Louis Pauwels Le matin des magiciens, qui connaîtra un succès aussi immédiat que mondial. Les auteurs prétendent explorer les « connaissances à peines explorées » par les sciences académiques. Il mélange allègrement sciences, ésotérisme, histoire alternative et récit fantastique, refusant d’accorder la prééminence au rationalisme dominant, mais sans basculer pour autant dans un discours anti-scientifique. Selon eux, la distinction entre science et spiritualité n’a plus lieu d’être, ne désignant que deux facettes d’une même pièce.

L’institut Esalen

Cette idée d’une équivalence entre science et spiritualité sera au cœur du projet de l’Institut Esalen, un centre de formation fondé par deux anciens étudiants en psychologie de l’Université de Stanford, Dick Price et Michael Murphy. Marqués par la psychologie humaniste d’Abraham Maslow et les expériences mystiques d’Aldous Huxley, ils souhaitent faire de cet endroit un lieu promouvant des recherches multidisciplinaires sur les potentialités de l’esprit humain et le développement de celles-ci, hors des dogmes des sciences académiques. Cet institut aura une influence déterminante sur la diffusion et l’institutionnalisation d’un certain nombre d’idées et de pratiques issues de la nébuleuse New Age, notamment à travers le développement de la psychologie transpersonnelle et du mouvement du potentiel humain.

L'institut Esalen, à Big Sur en Californie

Le passage au grand public

Ce n’est toutefois que dans les années 70 et 80 que le sentiment de « réseau » ou « mouvement » va réellement émerger. Ces idées vont se diffuser auprès du grand public avec le succès des ouvrages Les enfants du verseau (The Aquarian Conspiracy) de Marilyn Ferguson paru en 1980 et Le temps du changement de Fritjof Capra, bien que ces deux auteurs ne revendiquent pas le terme « New Age ». À partir de ces années, le terme définit un vaste mouvement dépassant de loin les seuls groupes millénaristes, et regroupant notamment toute une littérature commerciale. (Shirley MacLaine, J. Z. Knight…).

couverture des enfants du Verseau
couverture du temps du changement

Le New Age, un fourre-tout hétéroclite ?

Wouter Hanegraaff, spécialiste de l’ésotérisme occidental, considère que le New Age en est une évolution, marquée par les effets de  la sécularisation de la société.

Alors que la pensée ésotérique repose sur le principe des analogies et correspondances, celui-ci est abandonné par la pensée positiviste, et remplacé par le principe de causalité, qui implique un rapport de matérialité entre deux phénomènes pour que l’on puisse considérer l’action de l’un sur l’autre. Cette question du rapport matériel devrait rendre fondamentalement incompatible les deux modes de pensée. Pourtant, une tentative de synthèse apparaît à partir de la fin du XVIIIe siècle et va prendre son essor au cours du XIXe, empruntant des idées à Swedenborg ou Mesmer, et culminant au début du XXe siècle avec le spiritisme populaire et la théosophie de Madame Blavatsky. Wouter Hannegraaff appelle cette tentative de synthèse occultisme. On peut en effet considérer que le New Age s’inscrit pleinement dans cette dynamique, de par sa propension à poser une équivalence entre science et spiritualité, et l’idée largement répandue dans cette pensée que la science ne fait que redire et réduire ce qui est déjà contenu plus qu’en germe dans les sagesses dites ancestrales.

Des pratiques communes, issues de l’ésotérisme occidental

Il liste ainsi plusieurs catégories de croyances et de pratiques, qui sont pour lui parties intégrantes de l’univers New Age, et qui l’inscrivent clairement dans la généalogie que nous avons évoquée ci-dessus :

  • Le « Channeling » : communication médiumnique avec des entités invisibles censées apporter des enseignements de sagesse spirituelle à l’humanité. (Helena Blavatsky avec les maîtres hindous, Alice Bailey avec Djwhal Khul, J. Z. Knight avec Ramtha, George Van Tassel avec Le commandant Ashtar…)
  • Les thérapies alternatives : la guérison physique y est généralement considérée comme indissociable de la guérison mentale et de l’évolution spirituelle de l’individu. (Dans le droit fil de la Nouvelle pensée)
  • Les tentatives de rapprochement entre les sciences de la nature et les traditions mystiques, représentant deux faces d’une même réalité.
  • Le néopaganisme, et notamment la néo sorcellerie
  • Les mouvements qui attendent l’avènement de « l’Âge du Verseau », dont le mouvement occultiste et millénariste originel
  • Les tentatives de synthèses entre les différents éléments ci-dessus (cf : Shirley MacLaine)
    Stonehenge Sunrise Ceremony inside the inner circle

Un réseau flou de communautés faiblement liées

Il reconnait néanmoins que la diversité des discours regroupés sous cette appellation en rend difficile une définition positive. Les différents groupes répondant à la définition qu’il donne ne se revendiquent pas forcément eux-même du New Age, et ne sont pas toujours en contact entre eux. Il est selon lui plus aisé d’utiliser une définition en creux, à partir de la critique commune à l’ensemble de la nébuleuse New Age de l’Occident moderne et contemporain, et en particulier de ses tendances dualistes (séparation corps-esprit, esprit-matière, humain-divin, homme-nature), réductionnistes et matérialistes (conception mécaniste de l’univers, et de l’esprit comme produit d’un processus purement matériel).

Le New Age, une catégorie définie de l’extérieur

Mais comme l’ésotérisme de manière générale, le New Age souffre d’un problème de définition. En effet, si les sources que nous venons d’évoquer semblent former un tout intellectuellement cohérent, au sein duquel on peut retracer des contacts et des emprunts, la réalité est toute différente lorsque l’on se place au niveau des « pratiquants ». Car il n’existe pas d’institution qui définirait ce qui serait dans ou hors du New Age, et conformément à l’extrême  ouverture qui caractérisait la Société Théosophique, le New Age ne comporte aucun dogme. Par ailleurs, le sentiment d’appartenir à une « communauté New Age » est assez faible au sein des réseaux rattachés à ce terme.

Ces éléments font réfuter par certains chercheurs la pertinence même de l’usage du terme New Age, qui ne correspondrait qu’à un assemblage hétéroclite de pratiques et de concepts forgé par les chercheurs et ne correspondant à aucune réalité concrète.

Des définitions alternatives au terme New Age

Matthew Wood, qui a mené des enquêtes ethnographiques dans des milieux associés au New Age considère ainsi, dans son ouvrage Spiritualité et pouvoir, les ambiguïtés de l’autorité religieuse, que les études accordent trop d’importance aux textes supposés importants afin de définir ce que serait une « vision du monde New Age », mais pas assez aux pratiques réelles des membres de ce qui est présupposé être une communauté.

couverture de Je crois donc je suis

Thierry Jobard, dans son ouvrage Je crois donc je suis, revient fort à propos sur les travaux de sociologues qui, comme Françoise Champion, préféraient d’ailleurs se passer du terme New Age dès les années 90. Elle définissait plutôt une « nébuleuse mystique ésotérique » qui comporterait 7 traits distinctifs :

  • Caractère central de l’expérience
  • Transformation de soi visée par des pratiques psychocorporelles ou psychoésotériques
  • Le seul salut est celui du bien-être, psychologique et corporel
  • Vision holiste [l’individu est perçu dans sa globalité (psychologique, corporelle et spirituelle) lui-même inclus dans une globalité (nature, monde, univers) ] ou moniste (le monde est fait d’une seule substance, spirituelle ou matérielle) du monde
  • « un optimisme certain mais mesuré »
  • L’amour comme valeur cardinale
  • Recours à des expériences de réalité non-ordinaire

Une spiritualité “bricolée”

Nadia Garnoussi a prolongé ces réflexions, en définissant les nouvelles spiritualités contemporaines comme une « nébuleuse psycho-philo-spirituelle », ordonnée selon une « grammaire de l’existentiel », qui reformulerait les grandes questions du religieux en les adaptant au nouveau paradigme du bien-être. En vertu de la prééminence des expériences vécues comme authentiques, permettant d’entrer en connexion avec un « soi véritable », ce discours s’opposerait à toute transcendance. Par principe, serait donc rejetée toute parole d’autorité, et notamment de l’Église, vue comme symbole de la hiérarchie, de la domination et du dogmatisme. L’individu serait seul à même d’extraire la « sagesse commune » à toutes les religions au cours de sa « quête de sens », à l’abri de la corruption propagée par les institutions.

Cette pensée s’érige en opposition à tous les dualismes structurants de la pensée occidentale chrétienne : corps/esprit, homme/animal, au-delà/ici-bas, nature/culture… À l’inverse, sont vus comme « authentiques » l’orient (par exemple le yoga, les médecines alternatives…) et les croyances païennes qui auraient persisté depuis plus de 2000 ans.

couverture des nouvelles routes du soi
Les nouvelles routes du soi, de Marc Bonomelli

Un paradoxe se présente ici : alors que sont placés au centre le « ressenti » et « l’expérience », ces sources culturelles provenant de contextes géographiques ou temporels éloignés de la modernité occidentale ne sont accessible que via des « connaissances » livresques au caractère très peu assuré, et sont réinvesties dans un contexte complètement différent de celui qui les a vu naître. Loin d’être des sagesses ancestrales, elles sont en fait bien souvent des réappropriations et réadaptations d’éléments exotiques, qui viennent colorer des structures de pensées profondément occidentales.

Voir aussi:

Une histoire de l’ésotérisme New Age, Podcast Méta de Choc

Spiritualité et pouvoir : les ambiguïtés de l’autorité religieuse / Matthew Wood

Le New Age des origines à nos jours : courants, mouvements, personnalités / Massimo Introvigne

Le New Age [Livre] : ritualités et mythologies contemporaines / Marie-Jeanne Ferreux

Les nouvelles routes du soi /Marc Bonomelli

Je crois donc je suis : le grand bazar des croyances contemporaines / Thierry Jobard

Abrégé de la doctrine secrète / Helena Blavatsky

Mesmer et mesmérismes : le magnétisme animal en contexte / sous la direction de Bruno Belhoste et Nicole Edelman

Les lois fondamentales de la théosophie / Annie Besant

Propos sur le karma / Rudolf Steiner

Une vie en anthroposophie: la face cachée des écoles Steiner-Waldorf : une conversation issue du podcast Méta de choc / Grégoire Perra et Élisabeth Feytit

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