Géopolitique
Crise démocratique à Hong Kong
Publié le 29/07/2019 à 12:15
- 5 min -
Modifié le 29/01/2020
par
Guillaume
Depuis plusieurs semaines, la région chinoise au statut si particulier connaît d'immenses manifestations. La cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, est accusée par une partie de la population de favoriser, via une loi sur l’extradition des "criminels" vers la Chine continentale, l’intégration progressive de Hong Kong. Or, nombreux sont les Hongkongais à revendiquer la spécificité et l’autonomie de leur région. Retour sur l’histoire moderne de cette étrange enclave libérale et semi-démocratique au sud de l’Empire du Milieu…
Du port de pêche à la ville-monde
Avant que les Britanniques ne jettent leur dévolu sur Hong Kong, l’île est très peu densément peuplée. La géographie heurtée de la zone ne permettait à priori pas un développement urbanistique important. Hong Kong, « le port des parfums » en cantonais, est pour l’essentiel composé de quelques villages de pêcheurs.
Mais la puissance britannique cherche à développer des débouchés pour ses produits et à imposer à la Chine l’ouverture commerciale. Car sa balance commerciale est gravement déficitaire vis-à-vis du l’empire des Qing : les Anglais sont de plus en plus friands du thé chinois ; en face, la Chine n’importe quasi rien en provenance d’Angleterre…
La solution est trouvée dès 1820 : l’opium, que va déverser sur l’Empire du Milieu la Compagnie britannique des Indes orientales. L’empereur, inquiet des effets dévastateurs sur sa population, stoppe le commerce de cette drogue et fait détruire les stocks. Les Anglais répliquent par la force : c’est le début de première guerre de l’opium. Elle se conclura par une humiliante défaite chinoise. Et l’une des conséquences majeures sera ratifiée dans le Traité de Nankin qui cède Hong Kong à vie aux Britanniques, en 1842. Le royaume de la reine Victoria peut désormais pénétrer le marché chinois.
En 1898, alors que Hong Kong aurait pu rester britannique à perpétuité, les deux royaumes signent un bail de 99 ans sur les Nouveaux Territoires dont fait partie Hong Kong. En 1997, et après de premiers pourparlers entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping dans les années 80, la région est rétrocédée à la Chine.
Elle est entre temps devenue un poids lourd de l’économie chinoise. L’excellent Dessous des Cartes qui lui est consacré en 2018, indique qu’en 1992 Hong Kong représente à elle seule un quart du PIB de la Chine. En 1997, l’île constitue le premier port du monde et reste encore aujourd’hui la 3ème place financière de la planète.
« Un pays, deux systèmes »
Hong Kong est donc aujourd’hui rattachée à la Chine. Pourtant, elle se distingue encore du géant communiste en raison notamment d’un système politique résolument plus libéral et proche d’une démocratie. Avec Deng Xiaoping la Chine se convertit dès les années 70 au capitalisme. Hong Kong en est l’une des places fortes et à la rétrocession, son régime plus ouvert constitue indéniablement un atout économique pour le régime communiste.
Politiquement, rappelle Alain de Sacy, le pays relève « de deux autorités distinctes : le pouvoir central pékinois […] compétent en matière de défense et de politique extérieure ; le pouvoir hongkongais, “souverain et autonome” pour les questions relevant des affaires intérieures locales ». Mais pour les démocrates de Hong Kong, depuis la rétrocession, la Chine ne cesse de s’immiscer dans les affaires intérieures de la région et une partie de la population reste très méfiante vis-à-vis de l’influence chinoise.
Le mode d’élection du chef de l’exécutif hongkongais est à ce titre représentatif de cette pression de Pékin. Il est en effet élu par un comité électoral de plusieurs centaines de membres, issus majoritairement des milieux d’affaires, favorables à la Chine. De quoi nourrir quelques soupçons…
De crise en crise
Le mouvement actuel, dont un éditorialiste du Times affirme qu’il est le plus important depuis le départ des Anglais, n’est que la dernière crise d’une longue série de protestations hongkongaises. En 2014, le mouvement des parapluies regroupait déjà des dizaines de milliers de manifestants réclamant davantage de démocratie et un scrutin plus ouvert pour désigner le chef de l’exécutif.
L’encyclopédie Universalis rappelle qu’en 2003, d’importantes manifestations avaient également éclaté contre la loi dite « antisubversion », en ce qu’elle « porterait atteinte aux libertés publiques et viderait un peu plus de son contenu le statut d’autonomie dont jouit l’ex-colonie britannique ».
Mais avant même la rétrocession, Hong Kong marque sa différence avec le régime chinois. Elle soutient en 1989 le soulèvement des étudiants qui s’achève dans le sang par le massacre de la place Tien’anmen, dont on commémore cette année les 30 ans.
Intégration ou autonomie ?
Les signes qui laissent présager une intégration plus avancée à la Chine continentale ne manquent pas. Et notamment sur l’aménagement du territoire : le 23 septembre 2018 a été ouverte la gare de West Kwoloon permettant de relier par des trains à grande vitesse l’île et le continent. Selon le sinologue Jean-Philippe Béja, il s’agirait d’une illustration supplémentaire du fait que « le gouvernement de Hong Kong a accepté de céder une partie de sa souveraineté ».
Plus globalement, le gouvernement chinois est en train d’aménager un immense espace : la Grande Baie pour unifier ce sud du pays décidément si puissant sur le plan économique, Hong Kong inclus. Certains y voient le signe d’une absorption de la région dans ce vaste ensemble…

Vue du pont en construction reliant Hong Kong-Zhuhai-Macau.
A Hong Kong, les mouvements de protestation demandent toujours plus de démocratie comme un moyen d’assurer l’autonomie de la Région Administrative Spéciale. Mais les positions sont en réalité bien plus complexes au sein de l’opposition.
Dans l’excellent article « La nostalgie coloniale depuis la rétrocession » publié dans la revue Critique, le sociologue Wing-sang Law distingue deux manières de concevoir l’autonomie de Hong Kong. « Les tenants de la ville-Etat » considèrent que l’indépendance politique est nécessaire car seuls les Hongkongais sont en mesure de « sauvegarder une identité culturelle chinoise “pure”, actuellement en rapide déclin, détruite par le Parti communiste chinois ». D’un autre côté, l’on a vu fleurir durant les manifestations de 2014 des drapeaux du Hong Kong britannique… Or « Brandir [ce drapeau] ne veut pas dire [que ces opposants aux pro-chinois] tiennent le retour au statut colonial pour une option réaliste : c’est une manière de contester à la fois la légitimité politique du nationalisme, omniprésent depuis la rétrocession, et un sino-centrisme qui aboutit à effacer ou à minimiser la signification, pour Hong Kong et ses habitants, de la période coloniale ». Une autre façon d’affirmer culturellement la singularité des insulaires.
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Théoriquement, le statut de Région Administrative Spéciale que constitue Hong Kong prendra fin en 2047. Mais le mouvement actuel illustre que l’absorption définitive de la région par le régime de Pékin ne sera pas un long fleuve tranquille.
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