Lyon et l’économie numérique
Publié le 13/04/2018 à 08:22 - 19 min - Modifié le 24/05/2018 par dcizeron
Les 27 et 28 avril prochain aura lieu à Lyon la conférence mondiale du web 2018. C’est la seconde fois que Lyon accueille cette conférence. Une première mondiale ! Et une consécration pour le 2eme pôle numérique français. Assurément, le numérique compte à Lyon, représentant déjà 7000 entreprises et 50 000 emplois.
Qu’est-ce que l’économie numérique ?
Il est coutume de dire que l’économie numérique constitue la nouvelle révolution industrielle. Il y a là beaucoup d’enthousiasme mais aussi une certaine vérité, tellement, en tant que phénomène global, elle impacte d’un même mouvement les sphères sociales, économiques, politiques et culturelles.
Concrètement, l’économie numérique englobe les activités liées aux télécommunications, à l’audiovisuel, au logiciel, aux réseaux informatique, aux services informatiques, aux services et contenus en ligne. Elle concerne aussi bien les technologies (ordinateur, téléphone, GPS) que les services (réseaux sociaux, vente en ligne…). Dans une définition élargie, elle recouvre également les secteurs qui utilisent ces outils de l’information et de la communication pour améliorer leur productivité ou leur gestion des stocks, la gestion des connaissances.
Au fondement de l’économie numérique on retrouve deux théories de l’innovation :
- La « destruction créatrice », concept développé par l’économiste Joseph Schumpeter. Il parle d’une « mutation industrielle […] qui révolutionne de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement (en fait par poussées disjointes) ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ». La concurrence liée à l’innovation devient la dynamique essentielle du capitalisme et crée la valeur. Il en est ainsi de la fibre optique qui a détruit les anciens réseaux monopolistiques des télécoms à la fin du XXe siècle. Ces anciens réseaux n’ont pas forcément disparu mais ont du se réinventer en valorisant leurs actifs dans le développement de nouveaux réseaux.
- La technologie de rupture (ou disruption) renvoie à une innovation portant sur un produit ou un service qui finit par remplacer une technologie dominante et/ou transformer un marché. Il existe deux définitions plus ou moins restrictives de la disruption : pour Clayton Christensen sont seulement disruptifs les nouveaux entrants (les start-up) quand pour Jean-Michel Dru la notion est plus diffuse et concerne toute « remise en cause des conventions pratiquées sur un marché, pour accoucher d’une vision créatrice de produits et de services innovants ».
L’économie numérique représente aujourd’hui pour l’Etat un secteur d’activité stratégique. C’est en effet le secteur le plus dynamique de l’économie mondiale, celui qui présente le plus fort taux de croissance. En France, elle emploie près de 3,5% des actifs et représentait déjà 5,2% du PIB en 2010 ; un quart de la croissance nationale, tirée par la consommation des ménages en équipements numériques comme les smartphones ou tablettes, mais aussi par les investissements privés et les dépenses publiques en infrastructures.
Des –tiques aux TIC : une petite histoire de l’informatique à Lyon
En France, l’investissement dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) devient massif au tournant de l’an 2000. Pourtant l’intérêt pour l’électronique, l’informatique, la télématique est précoce ; dès les années 1970, le secteur est considéré comme porteur, en particulier dans le cadre professionnel – comme « outil ». Les élus, les chambres de commerces, les acteurs de l’économie, de l’enseignement et de la recherche s’emparent de l’objet pour moderniser les systèmes de gestion et de production. Dans les années 1980, avec le développement du micro-ordinateur apparaissent les premiers appareils familiaux, aujourd’hui collectors : les Thomson T07, Commodore 64, IBM PC/G, Atari ST, Amstrad CPC, Oric 1 ou Macintosh. Avec l’informatique domestique, le loisir devient la seconde destination du secteur.
Aux racines de l’économie numérique lyonnaise
En 1979, 9 % de l’économie « informatique » française est localisée en Rhône-Alpes. Il s’agit du second pôle d’activités informatiques en France. Paris, qui concentre 80% des entreprises du secteur, a plusieurs longueurs d’avance. En région, Lyon semble même à la traîne par rapport à Grenoble. Grenoble atteint son apogée démographique portée par le fort développement de la recherche scientifique à partir des années 1950 autour notamment de Jean Kuntzmann, créateur du premier laboratoire de calcul, ou de Louis Néel, instigateur du centre d’études nucléaire, et bénéficie encore des retombées économique et des infrastructures modernes des Jeux olympique de 1968. A l’inverse, entre 1975 et 1985, Lyon perd un tiers de ses emplois industriels et constate, au recensement de 1982, un inquiétant creux démographique.
Les acteurs économiques et politiques lyonnais réfléchissent à la mutation du modèle industriel local. Ils vont valoriser les industries innovantes dans ce qu’il convient désormais d’appeler une économie de technopoles. L’objectif : travailler dans des domaines de plus en plus pointus, dans des créneaux à la fois étroits et mondiaux. Parmi ces créneaux : les génies biologique et médical, les matériaux composites et… l’informatique. Sur la carte, trois sites sont appelé à former le nouveau réseau des technopoles lyonnaises : Gerland, la DOUA, et Lyon-Ouest c’est-à-dire un territoire s’étendant entre Ecully, Dardilly et Vaise. Le pôle d’affaire et tertiaire de la Part-Dieu complète la trame.
Toute une architecture, à la jonction du politique et de l’économique, s’échafaude pour prendre à bras le corps ce projet. En tête, l’ADERLY. Fondée en 1974, à l’initiative de la ville de Lyon avec la Communauté urbaine et la Chambre de commerce, l’ADERLY a vocation à promouvoir la région au niveau international, décider les investisseurs à s’y installer, améliorer les performances. Elle joue un rôle fondamental. C’est l’ADERLY qui a attiré à Lyon, dans le domaine électronique et informatique, des entreprise comme Ibsi, Cesi, Focal informatique, Honeywell-Bull, IBM, Philips, Secopa, Sligos, Tandy, Promatec, Cisigraph, Matra Datavision, Prime France, Alcatel, Arthur Andersen, Xerox, CGI informatique…
Mentionnons également l’action menée par l’ADIRA (association pour la promotion et le développement de l’informatique dans la région Rhône-Alpes). L’ADIRA est fondée en 1969 à l’initiative des Chambres régionales de commerce et d’industrie de Rhône-Alpes et des organisations patronales. Elle travaille en liaison étroite avec l’administration et les universités. A la fois centre de formation, d’information, d’études, fédération professionnelle, soutien stratégique pour les PME-PMI, elle est aussi instigatrice de grands salons dédiés à l’informatique tels Infora, Vivre avec l’informatique ou la « Semaine informatique et société » sise au centre commercial de la Part-Dieu. Il s’agit alors de sensibiliser et familiariser les entrepreneurs mais aussi le grand public à l’informatique et à ses usages tant professionnels que familiaux.
Francisque Collomb, maire de Lyon de 1976 à 1989, agit en homme pragmatique. Il s’est déjà montré flexible et ouvert à l’innovation en tant qu’entrepreneur. Il a fait évoluer sa société Chimicolor de la gravure chimique des plaques métalliques vers l’électronique. Sa vision de « l’environnement informatique » reste toutefois limitée à une simple infrastructure nécessaire ; il conçoit son essor plus comme un atout pour le développement international et un attrait pour les entreprises qu’un secteur d’activité au potentiel immédiat de croissance. D’ailleurs le grand décollage de l’informatique à Lyon ne se fait qu’à l’extrême fin de son mandat (+17% d’effectif entre 1980 et 1989, dont l’essentiel après 1987).
L’engagement de Francisque Collomb en faveur des nouvelles technologies est soutenu avec vigueur par son premier adjoint, et successeur, Michel Noir, membre du groupe d’étude télématique à l’Assemblée Nationale en 1980 et partisan actif de l’informatique. Dans le Livre blanc de l’économie lyonnaise qu’il rédige en 1984, Michel Noir énumère cinq grands objectifs parmi lesquels : faire de Lyon un pôle d’activités industrielles de haut niveau technologique et favoriser la création et l’émergence d’entreprises nouvelles. C’est à la suite de ce livre blanc, qu’est lancé le « plan composant lyonnais » pour promouvoir l’implantation en région d’une usine de composant.
A Lyon, ces années 1970-1980 resteront celles des pionniers de l’informatique, et des premières grandes succes story au nombre desquelles Infogrames et la Cegid.
- Infogrames est fondée en 1983 par Bruno Bonnell et Christophe Sapet. Cette célèbre société de développement, d’édition et de distribution de jeux vidéo connaît une forte expansion jusqu’au début des années 2000. Ensuite en pleine crise de croissance, Infogrames change sa dénomination officielle en Atari SA. Une nouvelle direction prend le relai jusqu’au dépôt de bilan, en 2013. Eden Studios, fondé en 1998 au sein d’Infogrames, est la dernière entité du groupe encore active. Dans le sillon d’Infogrames, Bruno Bonnell et Christophe Sapet, sont à l’origine d’un archipel d’entreprises numériques et robotique sur la métropole de Lyon.
- Le nom de Cegid, société spécialisée dans l’édition de logiciels de gestion et de systèmes d’information pour les entreprises, reste, lui, attaché à celui de son co-créateur, Jean-Michel Aulas. Le duo qu’il forme avec Jean-Claude Sansoë – ils ont fondé leur première entreprise ensemble à 19 ans –, a fait de la Cegid un poids lourd de l’économie lyonnaise.
Ces deux entreprises ont constitué deux véritables phares pour l’économie numérique à Lyon. Ce n’est sans doute pas un hasard si Infogrames et la Cegid sont au cœur du tournant numérique pris par le quartier de Vaise dans les années 2000.
La ZAC de l’industrie comme « laboratoire » du développement numérique de Lyon
La transformation de la ZAC de l’Industrie, d’un quartier industriel sinistré, en tête de pont du secteur numérique à Lyon est emblématique. Elle a été étudiée en 2010 par Vasco Puddu dans un mémoire sur La reconquête urbaine des marges industrielles à Lyon. Dans les années 1980, le quartier de Vaise connaît une désindustrialisation. Les grands ensembles industriels sont abandonnés. Michel Noir, maire de 1989 à 1995, préempte du foncier prévoyant à moyen terme la construction de logements de standing en lieu et place des friches.
Durant le mandat de Raymond Barre (1995-2001), d’autres grands projets vont se matérialiser – en partenariat constant avec le maire du 9e arrondissement, Gérard Collomb. La priorité : faire revenir l’emploi. Gérard Collomb milite pour la construction d’un hôpital à Vaise. Raymond Barre le suit mais le projet est bloqué par Ministère de la Santé. Renonçant alors à l’idée de construire un grand équipement public, Gérard Collomb prospecte les entreprises. Nous sommes en 1998. Infogrames annonce sa volonté d’agrandissement. L’entreprise villeurbannaise en pleine expansion se trouve trop à l’étroit dans ses bureaux, rue du 1er mars 1943. De nombreuses villes européennes se montrent intéressées ; et la rumeur fait état de prospections avancées à Londres. Raymond Barre, en contrepartie d’une offre généreuse, réussit à garder l’entreprise dans le giron lyonnais, à Vaise
C’est ici le point originel d’un « pôle numérique » comme principe d’aménagement de la ZAC. La collectivité démarche, dès lors, les entreprises. La Silisaône vallée ! Déjà un slogan ! L’implantation d’Infogrames a un fort impact en termes de communication, et l’entreprise, qui plus est, fait jouer son réseau. La ZAC de l’Industrie attire rapidement les têtes de pont du numérique local et de grands groupes internationaux : Unitex, Cegid, Electronic Arts… autour desquelles de nombreuses start-ups viennent s’installer.
La ZAC de l’Industrie est fondatrice de la méthode Collomb. C’est à travers l’édification de ce pôle numérique que Gérard Collomb s’est sensibilisé au potentiel de développement de l’économie numérique. Une économie numérique dont les ténors lyonnais constituent, en 2001, le cœur de son réseau économique et international. Lors de ces élections victorieuses, il reçoit ainsi le soutien de grands « industriel » du numérique tels Bruno Bonnell (Infogrames) et Thierry Ehrmann (Artprice). Il est évident que le « laboratoire » vaisois a considérablement influencé et orienté sa politique de maire dans une démarche volontariste en faveur du numérique. En 2005, l’ambition proclamée est de devenir le premier pôle européen dans le domaine du loisir numérique, et le 1er pôle pour la formation au numérique
Un écosystème favorable
A l’instar de la ZAC de l’Industrie, c’est l’installation de grandes entreprises mondiales à Lyon qui impulsent la dynamique actuelle en faveur de l’économie numérique. IBM et Electronic Arts ont déjà été évoqués. L’implantation, en 2011, de Huawei dans la métropole conforte encore l’attractivité lyonnaise. Ubisoft et Xilam principales société française dans le jeu vidéo et l’animation s’installe à la suite en 2016. Leur présence dans l’écosystème lyonnais est le résultat d’une grande organisation tant dans le démarchage que dans la « mise aux normes » de l’environnement urbain ; les acteurs politiques et économiques ayant réalisés des efforts structuraux décisifs.
Des efforts d’environnement
L’amélioration des infrastructures techniques, en particulier le très haut débit et la 4G, a été indispensable au développement de l’économie numérique. Deux réseaux très haut débit ont été développés. Un réseau public visant, à partir de 2007, le raccordement de Lyon à la fibre (98% de la ville est effectivement raccordée en 2011), puis du Grand Lyon dont la couverture en fibre optique devrait être complète entre 2020 et 2022. Un second réseau, d’initiative publique, est dédié aux acteurs économiques afin de répondre à leurs exigences particulières (Fibre Grand Lyon). La couverture de la métropole en 4G est tout aussi précoce ; Lyon est ville-pilote pour la mise en place de la 4G en 2013. Elle sera prochainement ville-test pour la 5G. La fibre Orange 4G doit également couvrir tous le réseau du métro lyonnais, dernière zone « blanche » de la ville, avant 2020. Le retard en infrastructure du début des années 2010 est en passe d’être comblé.
La multiplication des rencontres et salons participe aussi des signes précurseurs envoyés aux entrepreneurs du numérique. De la Foire de Lyon à Eurexpo, Lyon s’est servi des grands salons pour accroitre sa dimension internationale. Il en est de même avec le numérique. Nous ne ferons pas le catalogue des manifestations. Citons simplement les conférences Blend Web Mix ou les deux Web Conférence 2012 et 2018. Au-delà de ces grands événements ce sont, par an, plus de 600 rencontres, meet-ups, matinales, ateliers soutenus par les principaux acteurs institutionnels et associatifs.
Lyon a enfin développé très tôt une communication ambitieuse autour du numérique. Le label Lyon French Tech est une véritable vitrine nationale et internationale. Plus largement, le message est relayé par OnlyLyon qui œuvre depuis 2007 à la notoriété de Lyon à l’international. OnlyLyon, promu au départ par l’Aderly, mais géré depuis 2012 par les partenaires (Grand Lyon, Aderly, Office du Tourisme, Ville de Lyon) mène une intense stratégie de marketing territorial.
Des efforts en faveur de la formation et de la création
Avec 300 formations aux métiers du numérique, le dynamisme de la formation initiale, avant tout universitaire, n’est pas étrangers à l’essor du numérique à Lyon. Il est d’autant plus utile que, selon les statistiques de l’Acre, 63,6% des actifs diplômés s’installent, travaillent et créent soit dans l’agglomération où ils ont grandi, soit dans celle où ils ont effectué leurs études. L’Université avec quatre laboratoires spécialisés dans l’informatique : le LIRIS, l’INRIA, le CITI, le LIP est au cœur du canevas des formations numériques, avec l’ENS, l’EM Lyon (dont le Président du conseil d’administration se nomme… Bruno Bonnell), et les grandes écoles d’ingénieurs (INSA et Centrale). L’Ecole Emile Cohl, Gamagora, Bellecour Ecole forment complémentairement un réseau dense d’établissements d’enseignement supérieurs formant aux arts numériques.
Ces établissements échangent à l’intérieur des deux clusters régionaux dédiés au numérique : Imaginove (filière des contenus et images créatives : jeu vidéo, cinéma, audiovisuel, animation, multimédia, livre numérique, robotique et objets communicants) et Digital League, ancien Clust’R (logiciel et services numériques). De nombreuses formations privées complète le tableau : Epitech, WIS, Digital Campus, ESCEN, ESPI, Wild Code School, Ecole LDLC, Simplon.co….
Pour faciliter la recherche et développement et soutenir la création, le Grand Lyon met en œuvre, dès 2011, une politique d’ouverture des données publique. Le portail data.grandlyon.com propose de ce fait une plateforme de valorisation des données publiques mais aussi d’intérêt métropolitain : Aéroport de Lyon, Keolys ou Decaux…. Parmi les villes françaises pionnières de l’Opendata, Lyon vise à s’ériger en modèle, offrant un des plus volumineux jeux de données et construisant sa politique grâce à une « chief data officer », Mme Nathalie Vernus-Prost.
Des efforts en faveur de l’accompagnement
On ne gagne presque jamais seul. Un système progressif et complet d’accompagnement des projets et des créations d’entreprise vient en soutien des entrepreneurs : organismes publics ou privés, associations, lieux dédiés aux jeunes pousses.
« Lyon ville de l’entrepreneuriat » piloté par la Métropole est l’organisme porte d’entrée de l’accompagnement. Mais d’autres organismes et dispositifs peuvent prendre le relai pour les entreprises spécifiquement liées au numérique : Lyon Start Up, Digital Booster, pépites entrepreneurs de croissance, Pass French Tech. Un réseau d’associations professionnelles anime en parallèle l’écosystème numérique et propose ou de la formation professionnelle et des services aux entreprises, ou des plateformes de projets ou de fédérer et mettre en relation. Parmi ces associations : Lyon French Tech, Lyon Tech Hub, La Cuisine du Web, Espaces numérique entreprises ou Rézopole. En 2018, La Chambre de commerce et d’Industrie a mené une étude pour mesurer, sur les cinq dernières années, l’efficience d’un de ces dispositifs : Lyon Start Up. Les résultats sont encourageants. Si la moitié seulement des projets aboutissent, 95% des entreprises crées existent encore. Et près de 50% de celles-ci emploient plus de trois salariés.
Le développement des start-up est crucial ; il s’agit du pattern entrepreneurial de la nouvelle économie numérique fondée sur l’innovation et la mobilité. Leur création et leur « hyper croissance » est soutenu étape après étape par les nombreux incubateurs/accélérateurs (Pulsalys, Novacité, EM Lyon…). Ils accueillent les entreprises nouvellement créées et les aident à grandir. Ils leur proposent : bureau, accès aux salles de réunion, suivi individualisé, échanges avec les autres start-ups de l’incubateur/accélérateur, programme spécifique : permanences d’experts, tables rondes thématiques, formations, évènements professionnels, accompagnement à la levée de fonds, « carnet d’adresse » des principaux clients et entreprises de l’écosystème.
Les lieux du numérique
Ce passage à l’économie numérique induit des changements profonds dans la nature du travail, son organisation et ses lieux. L’autonomisation du travailleur et la dispersion du travail (free-lance, microentreprise, start-up, télétravail), comme la culture collaborative des « makers », contribuent au développement d’espaces intermédiaires, ni lieu de travail, ni domicile. Pour reprendre la formulation du sociologue Ray Oldenburg ce sont des « tiers-lieux » dédiés à l’innovation. Parmi ces nouveaux lieux qui structurent l’économie lyonnaise du « faire », il faut mentionner :
- Les fab labs et hackerspaces : espaces ouverts au public où sont mis à sa disposition toutes sortes d’appareils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets. Les fab labs permettent aux porteur de projets voire à des petites entreprises d’accéder à un matériel onéreux du type découpeuses laser, fraiseuses de précision ou imprimantes 3D. Différentes organisations lyonnaises relèvent de ces fab labs, c’est le cas de Youfactory, de La fabrique d’objets libres ou de l’espace-Altret. La Bibliothèque municipale de Lyon vient d’ouvrir son premier fab lab à Lacassagne, qu’elle décrit comme un « lieu de découverte, d’initiation, un incubateur d’envies et un tremplin pour aller ensuite chercher la structure où développer son propre projet. »
- Les living labs : ils « regroupent des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux » (Eschenbacher et al. (2010)). Le Tuba est sans doute, à Lyon, le lieu le plus original. D’un genre unique, il est destiné à l’expérimentation de projets innovants basés pour certains sur les données publiques, fournies essentiellement par le Grand Lyon (transports, trafic routier, énergie, etc.). Il permet également aux startups et entreprises de présenter leurs innovations et initiatives aux citoyens. Citons encore parmi les autres living labs lyonnais : La Paillasse Saône qui questionne l’économie verte, ou Erasme.
- Les espaces de coworking : dans un lieu collaboratif, des consultants, startupers, travailleurs indépendants ou nomades, vont se retrouver pour développer leurs projets dans un cadre convivial et facilitant la coopération. Ces espaces de coworking donnent accès à des équipements professionnels et des infrastructures de qualité : bureau, wifi, imprimante, vidéoprojecteur, salles de réunion. Depuis 2014, les 10 principaux espaces de coworking lyonnais sont associés en réseau ; ils accueillent plus de 700 coworkers.
Afin de favoriser la circulation des individus et des idées, les échanges et la communication, ces tiers lieux se concentrent le plus souvent sur des territoires aux allures de « pôles » numériques. Ils participent ainsi à la transformation et à l’aménagement de quartiers entiers, à Villeurbanne, à Vaise, à La Part-Dieu ou à La Confluence :
- Le Pôle Pixel, installé sur une ancienne friche villeurbannaise, est un pôle d’activités regroupant des entreprises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du web, du jeu vidéo, de la communication et des nouveaux médias. Dès 2002, le Studio 24 géré par Rhône-Alpes Cinéma s’installe sur les lieux. Il devient la matrice du nouveau quartier dédié à la création numérique. Sur ces principes, la friche industrielle des “Grands Moulins de Strasbourg“, jouxtant le Studio 24, est réhabilitée à partir de 2006. Aujourd’hui le Pôle Pixel occupe un espace de plus de 150000 m².
- L’aménagement de la ZAC de l’Industrie a transformé le quartier de Vaise. Il est devenu le premier pôle numérique lyonnais. Deux lots tertiaires sur la ZAC Industrie Nord restent à attribuer. Si le choix du destinataire n’est pas encore fait, le numérique, déjà bien implanté dans le quartier, pourrait se renforcer.
- Le quartier Part-Dieu est, lui, en complète rénovation et la ville veut faire de ce carrefour une vitrine des grandes expérimentations du numérique.
- Enfin, à Lyon Confluence la reconversion des friches industrielles et de logistique portuaire a été portée par la collectivité depuis Raymond Barre. La première phase (côté Saône) est en voie d’achèvement et le projet a entamé sa deuxième phase (côté Rhône). Le quartier est voué à devenir le cœur numérique de la ville grâce à son Lieu Totem, dédiée à l’hébergement et à l’accélération des startups.
La ville transformée
Nouveaux lieux. Nouveaux territoires. Nouveaux flux. Nouvelles pratiques. L’économie numérique est un puissant facteur de transformation des villes. Saskia Sassen a montré comment les TIC favorisaient les concentrations humaines. Plus les grandes firmes multiplient leurs implantations, plus elles ont besoin de centraliser leurs fonction de contrôle qui se concentrent sur un petit nombre de villes en concurrence. On parle alors à leur propos de « ville globale ». Lyon postule au statut de ces villes-globales ou mondiales en tant que grand carrefour européen. Elle en développe les attributs et les stratégies : marketing territorial et recherche d’attractivité à travers l’amélioration du cadre de vie. Déjà dans les années 1990, la rénovation de la ZAC de Vaise montrait un intérêt porté à la qualité des lieux de travail. Or, le modèle de développement urbain actuel s’inscrit dans cette continuité. Il s’agit aujourd’hui de devenir la « smart city », cette utopie de la « ville intelligente », qui s’adapte à l’humain et à l’environnement grâce aux NTIC.
La donnée (en Open data) dans la ville intelligente se révèle être l’élément primordial. Elle permet de visualiser et comprendre le fonctionnement, les consommations de la ville, de discerner les dysfonctionnements. Elle fait émerger de ces informations les besoins auxquels il convient de trouver de nouveaux usages et de nouveaux services dits « intelligents ».
Le projet lyonnais de smart-city se décline en une centaine d’initiatives tant publiques que privées pour :
- faciliter la vie des habitants grâce, entre autres, aux applications prédictives de trafic sensée rendre fluide les mobilités, au pass urbain, ou au guichet unique pour simplifier les démarches administratives.
- inclure les habitants comme nous l’avons vu avec le Tuba qui met l’usager au « banc d’essai » ou avec les Remix, événements participatifs et ludiques ou différentes équipes pluridisciplinaires se réunissent pour concevoir et prototyper des expériences innovantes sur un lieu défini.
- améliorer la qualité de l’environnement comme peut le faire Hublo, un centre de supervision de l’exploitation de l’eau potable. Celui-ci collecte, visualise et analyse en temps réel l’ensemble des données liées au service d’eau de la ville. Hublo permet à la ville de Lyon de mieux anticiper et organiser les interventions, de réduire les fuites et les consommations d’eau. Le quartier Confluence est au cœur d’un projet pilote appelé « Smart Community » qui jette les base d’une architecture à énergie positive. Il s’agit de expérimenter les solutions du bâtiment intelligent et notamment des smart grids ce réseau électrique intelligent autorisant la circulation d’information entre le fournisseur et le consommateur afin d’ajuster les flux en temps réel.
- Améliorer la qualité de vie notamment l’éducation, la santé, l’accès à la culture en intégrant les outils numériques dans les pratiques éducatives, sanitaires, culturelles.
Axer le développement économique sur l’innovation et l’économie de la connaissance n’est pas sans impact sociodémographique. Le présent souci des aménités (le people’s climate de Florida) témoigne de la volonté d’attirer les « classes créatives » (les TAPE : haute Technologie, Art et culture, activités Professionnelles et managériales, Education) à proximités de pôles, où s’imbriquent toutes les nécessités de vie : emploi, éducation, santé, culture, espaces verts… Si la théorie des classes créatives définie par Florida, selon laquelle ce n’est plus l’entreprise qui attire les talents mais, par un effet de renversement, les talents qui attirent les entreprises en direction des métropoles où le cadre de vie, fait de tolérance et d’ouverture à la diversité, leur sied est contestée au profit d’une causalité circulaire, le lien entre « classes créatives » et nouvelle économie est d’ordre fonctionnel. Les villes créatives, universitaires semblent en effet plus favorable à une économie de disruption, où il faut changer, s’adapter, innover.
La présence de plus en plus importante des classes créatives à Lyon (19.7% en 1999, près de 50% de la population diplômée du supérieur en 2014) est le marqueur de la conversion de la métropole à une économie où prime la haute technologie. Les valeurs portées par cette classe, valeurs très largement portées par l’éthique hacker (collaboration, ouverture, ludisme, rapport libéré à la technologie), participent alors activement à l’invention et à l’élaboration d’un nouveau fait urbain.
A lire :
Gublin Guerrero (Gabriela), Economie numérique : définition et impacts, BSI économics, 2015.
Schumpeter (Joseph), Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, 1979.
Bomsel (Olivier) – Leblanc (Gilles), Qu’est ce que l’économie numérique ?, CERNA, 2000.
Christensen (Clayton), The Innovator Dilemma, 1997.
Dru (Jean-Michel), Disruption, 1997.
Lyon : Rendez-vous avec les technopôles, ADERLY, 1985.
Noir (Michel), Livre blanc sur le développement économique de Lyon, Ville de Lyon, 1984.
Puddu (Vasco), L’industrie ne périra pas, IEP Lyon, 2010.
Lyon Hub numérique, plaquette du Grand Lyon [.pdf]
Eckert (Denis) – Grossetti (Michel) – Martin-Brelot (Hélène), La classe crétaive au secours de villes ?, La vie des idées, 2012.
Oldenburg (Ray), The Great good place, 1999.
Eschenbacher (Jens), “Choosing the best model of living lab collaboration“, in. Projectics, Proyectica, Projectique, 2010.
Sassen (Saskia), La ville globale : New-York, Londres, Tokyo, Descartes & Cie, 1996.
Lyon métropole intelligente, plaquette du Grand Lyon [.pdf]
Chantelot (Sébastien), “La Thèse de la classe créative entre limites et développements” in. Géographie, économie, société, 2009.
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