Le loup étend son territoire

Depuis quelques mois, on voit fleurir des articles de presse faisant état de la présence du loup dans des régions où l’on ne l’avait pas vu depuis son éradication, il y a un siècle.

- temps de lecture approximatif de 22 minutes 22 min - par B. Yon

Le vendredi 15 octobre 2021, un loup gris a été retrouvé mort, heurté par un véhicule, vers la commune de Saint-Brévin-les-Pins, Loire-Atlantique, à quelques encablures de la plage. Le 19 novembre 2021, France 3 Normandie relate la présence d’un loup dans le département de l’Eure, une première depuis 1880. A la mi-novembre, c’est dans les Yvelines qu’un loup est repéré. En Vendée, dans le Calvados, en Saône et Loire, dans les calanques marseillaises…Le loup semble avoir fait son grand retour. De 530 individus répertoriés en 2019, on est passé à 580 en 2020 et aujourd’hui, sa population est estimée à 624 loups. Entre pro et anti loup, son expansion sur notre territoire crée de multiples polémiques. Quelle cohabitation est possible entre le grand prédateur et les éleveurs qui s’inquiètent pour leur troupeau ? Qu’en est-il dans notre région ? Le confinement dû à la crise sanitaire en 2020 a t’il favorisé la dispersion de jeunes loups ?

Loup gris
Loup gris

Le loup et l’homme, une cohabitation de tout temps compliquée

Aujourd’hui espèce protégée, le loup en France a été éradiqué au début du XXe siècle. C’est en décembre 1928 que le dernier loup était tué en Haute-Marne. Tout au long du XIXsiècle, la chasse était donnée et tous les moyens étaient bons pour se débarrasser de cet animal considéré comme nuisible. En 1882, une loi augmente de manière significative le montant des primes d’abattage. Mais pourquoi un tel acharnement à le voir disparaître ?

En fonction des époques et des contextes historiques, l’image que l’homme a du loup a fluctué. Mais qu’il ait été haï ou déifié, une constante : il a de tout temps été objet de fascination.

Dans les mythologies antiques, nordiques, grecques, ou celtes, le loup est déjà bien présent. Attribut des dieux grecs Zeus, Arès ou Apollon, le loup est leur instrument pour punir les mortels ou pour se venger des autres dieux.

Très représenté dans la mythologie gréco-romaine, il est l’animal du déguisement et de la métamorphose. Dans les « Métamorphoses » d’Ovide, la première de ces métamorphoses est celle de Lycaon, roi d’Arcadie, changé en loup par Zeus : Lycaon avait servi à Zeus, lors d’un banquet, la chair d’un nourrisson mélangée à d’autres aliments, peut-être même celle de son propre fils, Arcas, que Zeus avait eu avec Callisto. Révolté, Zeus changea aussitôt Lycaon en loup. Le loup comme une malédiction.

La métamorphose de Lycaon, illustration d’Hendrik Goltzius pour le livre I des Métamorphoses d’Ovide

D’autres peuples d’Asie Centrale verront en lui un lointain ancêtre, comme Gengis Khân qui se proclamait « Fils du loup bleu ». Sa force, sa ruse, son intelligence, son sens du groupe et de la famille, en font un animal totem pour beaucoup de peuples.

L’histoire de la naissance de Rome nous donne à montrer une louve nourricière et protectrice, bonne avec les frères Romulus et Remus.

Romulus et Remus. Psautier de St Louis & de Blanche de Castille,ca 1230

 

Alors, est-il bon ou méchant ? Ces premières contradictions marqueront toute l’histoire de l’image du loup au fil des siècles. Parfois craint, détesté, parfois raillé et ridiculisé, d’autres fois aimé et sacralisé.

Dans la bible, le loup apparaît peu. Son image reste celle de l’Antiquité, dangereux pour les troupeaux mais pas pour l’Homme.

En revanche, pendant le Haut-Moyen-Âge, c’est-à-dire entre l’Antiquité et le IXe siècle environ, les auteurs et les représentants de l’Eglise commencent à décrire une bête bien plus féroce et sanguinaire, qui dévore les humains. Pourquoi ce revirement ?

Photo: Seuil «Der naturen bloemen», de Jacob van Maerlant, manuscrit flamand, vers 1345-1350, The National Library, La Haye

Plusieurs possibilités sont proposées dans le livre de Michel Pastoureau, « Le loup, une histoire culturelle ». Premièrement, de nouvelles espèces de loups seraient venues du Nord de l’Europe pour coloniser de nouveaux territoires. Plus grands, plus forts, ils auraient été plus agressifs et dangereux pour l’homme. Autre hypothèse, le Haut-Moyen-Âge a connu des périodes d’épidémies de rage. Les loups qui contractaient la maladie changeaient leur comportement et n’hésitaient plus à s’attaquer aux humains. Mais la raison la plus probable pour Michel Pastoureau est qu’entre le Ve siècle et le Xe siècle, le climat change. Après un climat plutôt stable, un changement s’opère à partir du VIe siècle, et le climat devient particulièrement froid et très pluvieux , pour se réchauffer progressivement au milieu du VIIe siècle et ce jusqu’au Xe siècle environ. Durant cette période instable climatiquement, les famines et les épidémies se multiplient, une forte baisse de la démographie s’opère, les hommes sont moins nombreux pour s’occuper des terres cultivées qui de fait redeviennent des friches, et les forêts regagnent du terrain. Et avec elles, les bêtes sauvages, qui se rapprochent des villages et habitations. En découle un risque forcément plus élevé de croiser sur son chemin le loup. Et si les hommes ont faim, les animaux sauvages aussi.

Loups sur une enluminure du Bestiaire d’Aberdeen

A cette période, l’image du loup se dégrade fortement, il fait peur. Et pour combattre ce nouvel adversaire, différentes mesures sont prises : les rois mettent en place des Offices de louvetiers, les seigneurs organisent des battues, le but est de tuer le plus de loups possibles. Dans les textes et l’iconographie, les auteurs font du loup un être maléfique, diabolique. Il est représenté toutes dents dehors, gueule ouverte qui représente les gouffres de l’Enfer. L’Eglise se sert largement de l’imagerie du loup pour glorifier les Saints, qui parviennent toujours à se jouer du loup et à gagner. Dieu est toujours victorieux face au Diable. Un bon moyen pour effrayer ou rassurer, selon les besoins, les fidèles, et ramener dans le droit chemin les brebis égarées.

De leur côté, les clercs de l’époque féodale ont trouvé des stratégies pour contenir les peurs, justifiées ou non, qu’évoquent le loup aux populations : écrire des fables et des contes d’animaux dans lesquels le fauve est ridiculisé, moqué, humilié. Ce sera le cas notamment dans le Roman de Renart (Recueil de 27 poèmes, qui conte, en parodiant les chansons de gestes et l’amour courtois, les aventures d’un goupil nommé Renart).

Roman de Renart, BnF (Mss.), xive siècle, folio 18v-19r

Au cours des XIIe et XIIIe siècles, la peur du loup, sans disparaître, s’amenuise. Pour renaître au début des Temps Modernes, c’est-à-dire vers le milieu du XVe siècle. La vie dans le monde rural redevient très difficile. Les conditions climatiques se dégradent à nouveau, rendant les récoltes mauvaises, et les famines se multiplient. Les épidémies, les guerres destructrices, la crise économique, mettent les campagnes à terre. Les loups, affamés, rentrent dans les villages et attaquent les troupeaux. Ils volent tout ce qu’ils peuvent trouver comme nourriture, mettant encore un peu plus en difficulté la vie des paysans. Et cette terreur du loup va perdurer jusqu’au XIXe siècle.

 

Le loup en Auvergne Rhône-Alpes 

Dans notre région, de nombreux témoignages viennent étayer la présence du loup et la terreur qu’il suscitait.

Entre 1754 et 1757 environ, des attaques de prédateurs sur les humains se multiplient des Monts du Lyonnais jusqu’au Dauphiné. Des actes administratifs attestent d’un nombre important de décès, des enfants essentiellement, dévorés par une « bête féroce ». Les enfants, souvent envoyés seuls garder les troupeaux, étaient des proies plus faciles pour les prédateurs.

Dans Chroniques Vénissianes, expressions du passé, Vénissieux, 14-20e siècles, Alain Belmont relate les faits suivants : en 1754, le corps d’une petite fille de 11 ans, Marie Lourdin, est retrouvé sur le territoire de Villeurbanne. Son corps porte des traces de morsures profondes et a été en partie dévoré. Le curé consigne les faits dans le registre paroissiale : la fillette a été « dévorée par une bête fauve ». Comme le remarque l’auteur, l’expression « bête fauve », souvent utilisée dans les registres administratifs, que ce soit par les préfets, les intendants, ou les curés, lors d’évènements de ce type, est difficile à interpréter. S’agissait-il réellement d’un loup ? Ne pouvait-il s’agir d’un chien errant ou d’un lynx par exemple ? C’est toute la complexité du sujet. En effet, les techniques développées par les spécialistes aujourd’hui pour identifier le loup n’existaient pas. Aujourd’hui, beaucoup d’indices permettent de reconnaître le passage d’un loup : l’étude des excréments, des urines, des traces de pas dans le sol, des poils, des traces de morsures, permet de définir le type d’animal présent.

Toujours est-il que la panique s’installe. A Vénissieux, les populations pensaient que le Diable, avec la complicité des nobles et de l’Eglise, envoyait sur eux le loup pour les punir. On évoque même des loups garous. Début 1754, une dizaine d’enfants ont été retrouvés à moitié dévorés en Bas-Dauphiné. L’intendant du Dauphiné va lancer une grande battue qui ne donnera pas de résultats. Il va finir par autoriser l’abattage individuel, alors même que l’armement est d’ordinaire réservé à la noblesse. Il offre en plus une prime d’abattage. Mais le tueur de loup doit rapporter des preuves pour pouvoir toucher la prime : la queue, les oreilles, la tête du loup. Grâce aux certificats envoyés aux intendants pour récupérer les primes, on sait qu’en 1757, 37 loups ont été abattus entre la Tour du Pin et Lyon, puis en 1762, 22 bêtes sont tuées. Ce qui atteste du nombre important de loups présents à l’époque dans les campagnes du Rhône. Le loup s’aventurait près de Vénissieux, des Minguettes et Moulin à vent, qui était à l’époque des campagnes agricoles. Pour venir à bout du prédateur, tous les coups sont permis : empoisonnement à l’arsenic, pièges, appâts, affût. Dans le Dauphiné, une technique particulièrement cruelle était utilisée : un fossé était creusé dans la terre, au fond duquel étaient disposés des pieux. La fosse était recouverte de branchages, et un appât placé dessus. Le loup, attiré par l’appât, était précipité dans la fosse, empalé. Puis, les tueurs enflammaient la fosse. Ils étaient surnommés les « brûleurs de loups ». Aujourd’hui, l’équipe de hockey sur glace de Grenoble porte ce même nom.

Pendant cette même période, la « Bête du Lyonnais » sévissait. Était-ce le même loup ? Ou un autre animal ? Les victimes survivantes parlent parfois d’une « hyène ». Mais comment une hyène aurait-elle pu se retrouver dans le Rhône ? Citons ici un travail fait d’après archives par l’Association « Les amis du vieil Arbresle » sur cette bête et ses attaques sur les habitants :

« Dans les derniers mois de l’année 1754 et pendant 1755 et 1756, on parla dans le Lyonnais d’une bête féroce qui s’était fait voir dans plusieurs cantons de nos provinces. Du Lyonnais, elle passa dans le Dauphiné, où l’on fit une chasse générale en plusieurs contrées. De là, elle rentra dans le Lyonnais et l’on assure l’avoir vue près de Theizé, de Moiré, de Frontenas, de Sain-Bel et de l’Arbresle, tous pays montagneux en grande partie couverts de bois et coupés par des vallons caverneux entre lesquels coule la rivière d’Azergues.

L’animal, après s’être avancé dans le voisinage de Roanne, revient vers Sain-Bel et Saint-Germain-sur-l’Arbresle et se jeta de là dans les bois de Savigny. Ici, on en perdit la piste pour quelque temps, mais on n’eut que trop le malheur de la retrouver. L’animal reparut successivement dans presque tous les endroits que j’ai déjà nommés et partout de nouveaux ravages marquèrent ses traces. On compta 17 jeunes hommes, ou jeunes enfants, mordus ou déchirés et même dévorés.

Ceux qui l’aperçurent, ou qui crurent le voir, le représentaient d’une grosseur qui approchait celle du loup, avec des jambes moins hautes, un poil plus rude et la peau mouchetée de diverses couleurs.

Sur ce récit, l’opinion s’établit que c’était une véritable hyène. Mais qui ne sait que la frayeur grossit les objets, ou les défigure entièrement. Le signalement qu’on donna de cet animal carnassier avait, sans doute, été tracé par des imaginations échauffées. Dans la rapidité de la fuite, a-t-il pu être mesuré de l’œil avec justesse ? Dans la course, il dût paraître plus bas qu’il ne l’était en effet. L’agitation de tout son corps faisait dresser les poils et l’on sait enfin que l’éblouissement diversifie les nuances presque à l’infini. Ôtez ces circonstances, au lieu d’une hyène, on n’aura vu qu’un loup.

Les rigueurs excessives de l’hiver de 1754 forcèrent les animaux de cette dernière espèce à chercher dans les villages ce que la campagne ne leur fournissait plus. D’ailleurs, l’hyène est un animal entièrement étranger à nos climats. Par où aurait-il pénétré ? Supposerait-on avec la moindre vraisemblance qu’il eut traversé les espaces immenses qui nous séparent de sa terre natale sans avoir marqué nulle part les traces de son passage ?

Concluons qu’on met trop souvent le merveilleux où il n’y a rien que d’ordinaire. »

Ainsi s’exprimait, Alléon Dulac dans ses Mémoires pour servir à l’Histoire Naturelle du Lyonnois, Forez et Beaujolois éditées à Lyon en 1765. Il situait près de l’Arbresle une partie des meurtres imputés à la bête féroce de 1754-1756. »

S’ensuit une liste des actes paroissiaux citant les différentes victimes et les circonstances de leur mort. Comme dit plus haut, il reste difficile de déterminer si ces attaques étaient dues à des loups ou à d’autres prédateurs.

 

Histoire du loup, histoire du monde rural

La Chasse au loup et au renard, Pierre Paul Rubens, vers 1616.

 

 

 

 

 

 

L’historien spécialiste du monde rural Jean-Marc Moriceau a fait un important travail sur les relations entre les hommes et les loups du Moyen-Âge au XIXe siècle dans les campagnes françaises. Très controversé, et souvent qualifié d’anti-loups par ses détracteurs, ses recherches se basent en partie sur de très nombreux témoignages retrouvés dans les archives. Dans « L’homme contre le loup, une guerre de 2000 ans », il évalue la population de loups présents en France à environ 15000 à 20000 individus à la fin du XVIIIe siècle. Sûrement sous-évaluée, puisque cette estimation n’est faite qu’à partir des attestations d’abattage qui donnaient lieu à des primes, entre 1756 et 1758, et que l’on peut aujourd’hui retrouver dans les archives. Elle ne prend pas en compte les loups non abattus.

A travers les relations conflictuelles qui opposèrent les hommes et les loups au cours des siècles, ce sont les conditions de vie des paysans et des gens de campagne qu’il dépeint. Un monde rural en souffrance qui subit de plein fouet toutes les crises, climatiques, économiques, religieuses, les guerres, dans l’indifférence de la noblesse et de l’Etat. Il montre par exemple que la bourgeoisie citadine ne se préoccupe pas tellement des attaques de loups sur le menu bétail comme les troupeaux de brebis ou de moutons. Pourtant véritable catastrophe économique pour les éleveurs. Mais à partir du moment où les loups attaquent les bovins, la bourgeoisie s’en émeut davantage puisque les vaches représentaient pour eux des placements financiers, et que cela affectait directement leur portefeuille. Pour les chevaux ou les mulets, il en va de même, car le loup s’attaquait là aux moyens de transport et aux industries minières, les chevaux et les mulets étant utilisés pour tracter les charges. Jean-Marc Moriceau nous montre là à quel point la présence du loup affectait l’économie française et le monde rural en particulier.

Alexandre François Desportes. La Chasse au loup. Tableau de 1725

A la fin du XIXe siècle, il ne reste quasiment plus de loups en France. Les primes d’abattage et l’armement des populations des campagnes à partir de la Révolution  sont venus à bout de l’animal qui était à cette période considéré comme l’ennemi public n°1.

 

Présence actuelle du loup en Auvergne Rhône-Alpes

En 1992, c’est par la frontière Italienne que revient le loup. Cela fait 60 ans que les Français ne l’ont plus vu à l’état sauvage sur leur territoire.

La région Auvergne Rhône-Alpes, avec la région PACA, sont les premières régions recolonisées. Avec ses massifs montagneux, les Alpes et le Massif Central, Auvergne Rhône-Alpes offre un habitat idéal pour ce retour discret. Le couvert forestier et l’abondance de proies sauvages permettent aux populations lupines de vivre tranquillement à l’abri des regards humains. Le régime alimentaire des loups est composé à 80% d’ongulés sauvages (cerfs, chevreuils, marcassins), et à 15% d’animaux domestiques et de petites proies types rongeurs ou lièvres.

Aujourd’hui, l’Observatoire Français de la Biodiversité classe les zones de présence permanente (ZPP) du loup en 3 catégories :

  • zone de présence permanente « meute »
  • zone de présence permanente « non meute »
  • zone de présence permanente « à confirmer »

Les zones de présence permanentes « meute » sont concentrées sur les Alpes, l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie. En Auvergne, dans le Cantal notamment, on aura davantage de ZPP « non meute ».

« En AURA, la colonisation se poursuit autour du noyau historique de population, principalement au nord et à l’ouest. Le département de la Haute-Savoie connaît la plus forte augmentation avec deux nouvelles zones ZPP meute (Mont Blanc et les Bauges) et quatre nouveaux secteurs à surveiller. La Drôme la suit de près avec deux nouvelles meutes, Herbouilly et Casset, une nouvelle ZPP non meute à Eygues, et trois nouveaux secteurs à confirmer, Mont du matin, La Lance et Albion. A l’Ouest du Rhône, observations ponctuelles d’individus isolés cet hiver, mais sans récurrence ».

Dans certains départements, comme l’Ardèche et la Haute-Loire, les éleveurs vivent avec le retour du loup depuis quelques années déjà. Dans l’ouvrage « Le loup, son retour, son histoire en Ardèche et Haute-Loire », Albert Roche part à la rencontre d’éleveurs qui ont été confrontés aux attaques de loup sur leur troupeau dès 2014. Ils expliquent comment ils ont dû mettre en place des moyens de protections. Chiens, filets électrifiés, rentrer le troupeau la nuit. Finalement, les dernières générations d’éleveurs n’ont jamais eu à cohabiter avec le prédateur. Leurs ancêtres, eux, connaissaient déjà les moyens de défense des troupeaux. Bien sûr, cette nouvelle menace pour les jeunes éleveurs leur fait perdre de l’argent, et beaucoup de temps.

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L’acquisition de chiens de protection, par exemple, est une bonne solution, mais elle s’anticipe. Il ne suffit pas d’acheter un chien, et de le placer au sein du troupeau. Il faut qu’il grandisse avec le troupeau, qu’il soit accepté par celui-ci, et cela prend du temps.

L’Etat propose des aides pour l’achat de chiens de protection, de barrières électrifiées, des indemnisations sur les animaux morts durant les attaques. Les indemnisations sont possibles uniquement si l’éleveur a mis en œuvre tous les moyens de protection préconisés par l’Etat, et s’il est prouvé qu’il s’agit d’une attaque de loup.

Dans le Bugey, durant l’été 2020, il y a eu plusieurs attaques. Dans le Progrès du 21 novembre 2020, un article dénombre une trentaine de brebis tuées. La difficulté pour les éleveurs est de prouver que ces attaques sont dues au loup, et non à des chiens errants. C’est l’Office National de la Biodiversité qui fait les constatations et qui demande des preuves irréfutables pour attribuer les attaques au loup. Dans le cas contraire, les éleveurs ne peuvent pas être indemnisés. Les tirs de défense simple pour défendre les troupeaux ne sont autorisés que sous conditions strictes : il faut un nombre de prédations importants et que l’éleveur ait mis en place toutes les mesures de protection demandées, sinon la préfecture n’autorise pas les tirs. Beaucoup d’éleveurs se retrouvent démunis et sont en colère.

Empreinte de loup

Mais le but est celui-ci : préserver cet équilibre fragile entre le domestique et le sauvage. Le nombre de loups présents sur le territoire pour assurer une pérennité de l’espèce est estimé à 500 individus. Si on en prélève trop, sa survie ne sera plus assurée. Et de l’autre côté, il faut permettre au pastoralisme de s’exercer et de se développer.

Des associations comme L’APACEFS, dans l’Ain, propose des solutions pour une cohabitation raisonnée entre éleveurs et loups.

« Le loup aindinois est de retour dans la lumière. Avec dans son sillage, des pertes agricoles douloureuses, des idées reçues, des tabous mais aussi de nouvelles approches. Comme celles défendues par l’Association des protections alternatives pour la cohabitation de l’élevage et de la faune sauvage (Apacefs). Née il y a seulement deux ans dans l’Ain, la voici déjà à la table du comité de suivi préfectoral […] Son nom résume sa philosophie. Parce qu’il refuse le clivage du « pour ou contre le loup », son président, Taïeb Messousse, veut « travailler avec tout le monde ». Et en premier lieu les éleveurs, premières victimes des prédateurs, mais aussi l’État. Il leur propose « une enquête de vulnérabilité des exploitations » et un appui technique rationnel (pièges photo, drone, bénévolat, jumelles infrarouges et thermiques, colliers GPS pour chien etc.). […] Léa et Raphaël Dubuis, à la tête d’un cheptel de 80 brebis au hameau de Morgelas (Saint-Rambert-en-Bugey) depuis 2014, ont fait le pari d’investir dans les protections, un préalable d’ailleurs à toute indemnisation en cas de carnage. Quatre chiens, des patous, et des filets électrifiés leur ont coûté plus de 3 500 euros hors croquettes et frais vétérinaires, aides non déduites. « C’est chronophage, ça coûte cher mais pour nous, ça paye », affirme le couple qui garde en tête que « ce n’est pas du 100 % ». Les attaques, ils connaissent : « Surtout à l’été 2016. On a perdu dix brebis. Elles ont été mises sur le compte du lynx, officiellement. » L’adverbe induit un doute : confondre, puis nommer le coupable relève souvent d’une délicate enquête pour l’Office français de la biodiversité (OFB) et la préfecture.

Déranger le loup plutôt que le tuer, c’est l’autre réponse des éleveurs partenaires de l’Apacefs, unis autour d’un système d’alerte téléphonique. « Tirer un loup est contreproductif », explique Taïeb Messousse. « On va créer un surplus de dispersion et amplifier les attaques. Statistiquement, en meute, il se nourrit à 80 % de proies sauvages ; seul, tout s’inverse et il se tourne à 70 % vers la prédation domestique… » Selon lui, l’Ain compterait « une petite dizaine d’individus ». Ce qui peut paraître faible au vu du recensement officiel de l’OFB dans la région. Et explique aussi une défense aindinoise encore balbutiante. […] Exemple avec le recours aux patous : « Au début, on a pris des chiens dans l’urgence, sur Leboncoin. On a tâtonné », se souvient Léa Dubuis. Un écueil que déplore un autre éleveur, Guillaume Diquelou, à Armix. Via l ‘Institut de l’élevage (Idele), il jette aujourd’hui les bases d’une filière locale, de façon à conseiller et former les agriculteurs. Du sur-mesure, jusqu’à ce que le patou apprenne son métier. « Il doit être né en bergerie, remis aux brebis après sevrage en limitant les contacts avec les humains. L’objectif, c’est qu’il soit fixé au troupeau, qu’il respecte les brebis et les hommes, et qu’il soit dissuasif pour les prédateurs. »

L’Apacefs possède 15 pièges photo et vidéo qu’il place aux abords des élevages partenaires afin d’attester de la présence de prédateurs et adapter les moyens de protection.

Un piège photo installé à Cleyzieu en octobre 2020 a permis de filmer un loup.

L’Apacefs teste l’usage de colliers équipés de traceurs GPS pour les chiens de protection. Afin d’étudier leurs déplacements et intervenir rapidement en cas d’anomalie. 

Le collier GPS d’un chien permet d’étudier ses déplacements, voire ses sorties de l’enclos.  Sur son téléphone portable, Taïeb Messousse, le président de l’Apacefs, suit les déplacements des chiens équipés de colliers.»

Source : Le Progrès (Lyon) Samedi 5 décembre 2020 • p. Ain14

Taïeb Messousse, président de l’association APACEFS

En 2021, le loup s’aventure sur de nouveaux territoires. Normandie, Loire Atlantique, Les Yvelines, l’Oise. Après vérification, l’OFB confirme sa présence dans ces régions, sans conclure à une installation pérenne.

Il semble que l’on ait affaire à ce que l’on appelle un phénomène de dispersion : de jeunes mâles quittent la meute, soit parce qu’il y a déjà un chef de meute et qu’ils doivent aller fonder leur propre famille sur un autre territoire, soit parce qu’ils sont envoyés en éclaireurs par la meute pour voir si d’autres terres sont colonisables.

Est-ce que ces animaux ont profité du confinement de 2020 pour conquérir de nouveaux territoires ?

Un cerf sauvage, habitué à être nourri par les habitants, erre dans les rues de Trincomalee au Sri Lanka. © AFP / STR / AFP

Il ne serait pas étonnant que le calme, l’arrêt de l’activité humaine, de la circulation des voitures, aient permis à la faune sauvage de s’aventurer sur de nouveaux terrains. On a du reste vu fleurir sur les réseaux sociaux des vidéos nous montrant des familles de sangliers, des cerfs, des canards, parcourir les rues des villes. La chaîne ARTE a programmé un documentaire sur ce sujet :

https://www.arte.tv/fr/videos/102275-001-A/quand-l-homme-n-est-pas-la-les-animaux-dansent/

Mais les experts ne sont pas d’accord entre eux pour déterminer si le loup étend son territoire à la faveur du confinement ou non. Dans le journal Marianne du 27 mars 2021, Pierre Coudurier interroge Thomas Pfeiffer, chercheur, auteur et défenseur du loup. Pour lui, le confinement n’a aucunement aidé à l’expansion du loup en France. Au contraire, puisque d’après lui, plus de tirs de prélèvement ont été autorisés et que, par conséquent, les meutes ont été cassées par ses tirs. Pour lui, la progression du loup en France est freinée par des décisions préfectorales et étatiques en faveur des éleveurs, et non du loup.

Pourtant, depuis le commencement de cette crise sanitaire qui a obligé les humains à baissé largement l’intensité de leurs activités, des loups sont vus un peu partout en France. En Auvergne Rhône-Alpes, le journal le Progrès publie régulièrement des articles sur le sujet. Quelques exemples de témoignages de cette présence :

Le 7 février 2021, la préfecture de l’Isère confirme que la zone de présence du loup continue sa progression, notamment en nord Isère, sans pour autant parler de meute, il s’agirait d’individus isolés. Les 3 et 23 mars 2021, deux brebis ont été tuées. Le propriétaire a capté avec sa caméra de vidéosurveillance un animal ressemblant à un loup, à Ornacieux-Balbins, près de la Côte-Saint-André. L’OFB a confirmé qu’il s’agit bien d’un loup.

Dans l’Ain, dans les nuits du 29, 30 et 31 mars 2021, plusieurs attaques ont lieu et 40 bêtes sont retrouvées mortes ou agonisantes par l’employé d’un élevage à Villereversure. Puis, la nuit du 1er avril, une conductrice, toujours dans le secteur de Villereversure, renverse ce qu’elle pense être un chien. Il s’avère qu’il s’agissait d’un loup de 33kgs et d’environ 2 ans, confirmé par l’OFB après autopsie. Mais aucunes preuves formelles ne relient les attaques à l’animal, la préfecture reste prudente.

Dans le Rhône, le 10 avril 2021, c’est à Chambost-Allières qu’un loup est photographié par un appareil à détection de présence. Après analyses, l’OFB confirme qu’il s’agit bien d’un canis lupus lupus. Cela faisait plus d’un siècle que le loup n’avait été vu dans ce département !

Loup photographié dans le Rhône

Même si des doutes existaient quant à sa présence dans les départements limitrophes (Saône et Loire), cela reste une surprise, bonne pour les défenseurs de la biodiversité, mais qui inquiète les éleveurs. Les 12 et 15 avril, deux attaques sur des moutons sont relevées à Vaux-en-Beaujolais, non loin de Chambost-Allières.

Le loup, une chance pour la biodiversité :

Il est normal que les éleveurs s’inquiètent pour leurs troupeaux. Mais le retour du loup dans nos campagnes ne représente-t-il pas une chance pour la biodiversité ?

Loup au Yellowstone National Park. © iStockphotocom/robertcicchetti

Dans le Parc de Yellowstone, aux Etats-Unis, le loup, après avoir été éradiqué en 1926, est réintroduit en 1995. Des conséquences très positives sur l’écosystème ont été remarquées par les scientifiques. En effet, en l’absence de prédateurs, les cerfs, les buffles, les wapitis avaient proliféré de manière incontrôlable. Résultat : la végétation était réduite à néant, broutée par les cervidés. La réintroduction du loup a changé la donne. Non seulement sur la régulation des populations de cervidés, mais également sur leur comportement : les cerfs ont commencé à éviter certaines zones, les gorges et les vallées, qu’ils savaient dangereuses pour eux en raison de la présence des loups. Et naturellement, ces zones ont regagné en vitalité, la hauteur des arbres a quintuplé en 6 ans, les pentes dénudées sont devenues des forêts de peupliers et de saules. De là, des oiseaux migrateurs sont venus s’installer dans les arbres. Le nombre de castors a augmenté. Les castors créent des niches pour d’autres espèces et leurs barrages sur les rivières servent d’habitat pour les loutres, les ragondins, les canards, les poissons, les reptiles, etc. Les loups ont tué des coyotes, ce qui a entraîné une augmentation des populations de belettes, renards, et blaireaux. Les corbeaux et les aigles se nourrissent des cadavres laissés par les loups. Les rivières, avec l’avancée de la forêt, se sont modifiées, rétrécies à certains endroits, créant des marres, abritant à leur tour de nouvelles espèces. La réintroduction du loup a non seulement revivifié la biodiversité du parc, mais elle a également modifié la topographie des lieux. Cette expérience prouve que les écosystèmes reposent sur des équilibres fragiles, où chaque élément, végétal ou animal, à son importance et un rôle à jouer dans cet équilibre.

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Dans les forêts françaises, le loup joue un rôle de régulateur naturel de la faune sauvage. Il entretient la forêt en la débarrassant des animaux malades ou faibles, qui sont chassés en priorité. Sa présence permet d’éviter la surpopulation de cervidés et la propagation des maladies. Et ainsi, le végétal peut se répartir différemment. Le loup a un rôle qui reste très intéressant pour nos écosystèmes locaux.

C’est pourquoi il est primordial de trouver des solutions pour permettre à ces populations lupines de revenir sur notre territoire, tout en prenant en compte la protection des troupeaux et des éleveurs.

Beaucoup d’associations luttent pour la protection du loup en France. CAP Loup, WWF, Autour des Loups, le Klan du loup, etc. L’Etat a également mis en place des dispositifs qui permettent une veille régulière des populations lupines. Le Groupe National Loup (GNL) met en œuvre le Plan National d’Actions sur le loup et les activités d’élevage (le PNA) :

« Avec ce PNA, le Gouvernement poursuit l’objectif d’assurer la viabilité de cette espèce protégée tout en assurant la protection des troupeaux et des éleveurs. Cela implique le renforcement des connaissances, mais aussi l’adaptation constante des mesures d’accompagnement des activités d’élevage ainsi que des modalités de gestion de la population de loups.

Pour la période 2018-2023, le PNA fixe l’atteinte du cap des 500 loups présents sur le territoire français à horizon 2023 pour ancrer la protection de cette espèce. Cet objectif correspond au seuil de viabilité démographique de l’espèce, d’après les analyses scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). » (Source : https://www.ecologie.gouv.fr/loups-letat-mobilise-concilier-activites-delevage-et-preservation-lespece )

D’après le site du gouvernement, la population lupine est en constante augmentation en France, ce qui est une bonne nouvelle pour la biodiversité. Le PNA met en place des mesures de protection et d’indemnisation des éleveurs comme l’augmentation du montant des primes pour les pertes sur un troupeau, ou encore la simplification des procédures des tirs de défense simple. L’anticipation dans les régions où le loup est susceptible de s’installer dans un futur proche est également à l’ordre du jour. Il faut permettre aux éleveurs de prendre des mesures de protection en amont afin de ne pas se retrouver démuni une fois le loup réinstallé.

Alors, devons nous craindre ou nous réjouir du retour du loup dans nos régions ? La question est complexe, et ne peut pas se réduire à des débats manichéens. Les “pour” et les “contre” ne produisent pas de réflexions efficaces face à ce changement du paysage naturel et sociétale. Tous les acteurs de ce secteurs, éleveurs, chasseurs, écologistes, défenseurs de la cause animale, doivent se mettre autour de la table et travailler main dans la main, avec un appui fort et constructif de la part des autorités de l’Etat.

Sources :

Bibliographie :

 

 

 

 

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