15 siècles de présence juive à Lyon
Publié le 23/04/2008 à 23:00
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17 min -
Modifié le 05/05/2025
par
Admin linflux
Point névralgique de la Résistance et de la Gestapo, Lyon occupe une place centrale dans l'histoire de la Shoah. Au-delà de ces années traumatiques, quelle est l'histoire de la communauté juive lyonnaise ?
Le 12 mars dernier, Shimon Peres inaugurait à Lyon l’Espace Hillel, centre culturel régional juif. À cette occasion, le président de l’État d’Israël exprimait la reconnaissance de son pays vis-à-vis de ces Lyonnais qui ont engagé leur vie pour lutter contre le nazisme…
Plongeons un instant dans nos mémoires… Lorsque l’on évoque la présence juive à Lyon, c’est à juste titre le souvenir douloureux des années 1930-1940 qui jaillit le premier. Scène de l’horreur orchestrée par Klaus Barbie, mais aussi point névralgique de la Résistance, Lyon occupe bien sûr une place centrale dans l’histoire de la Shoah. Mais, au-delà de ces années traumatiques, quelle est l’histoire de la communauté juive lyonnaise ?
Sommaire
1. Une implantation aux origines incertaines
2. De privilèges en expulsions : une situation instable dans la société médiévale
3. Du XVIe au XVIIIe siècle : le grand exil
4. 1789-1906 : de la réhabilitation à la menace
5. Les années 30 et la montée de l’antisémitisme
[*1. Une implantation aux origines incertaines*]
Les historiens ignorent la date à laquelle les Juifs se sont établis en Gaule. Après la prise de Jérusalem, en 70 de notre ère, les Juifs dispersés ont pu pénétrer peu à peu en Europe occidentale. Mais les premières traces écrites suggérant une présence juive à Lyon ne remontent qu’au Ve siècle.
Le poète Sidoine Apollinaire (430 – 486), devenu évêque de Clermont en 472 après avoir vécu 40 ans à Lyon, y fait allusion dans ses lettres. En mars 502, Gondebaud, roi des Burgondes, qui a choisi Lyon comme capitale, édicte une loi connue sous le nom de Loi Gombette. Elle comporte un titre entier consacré aux Juifs, ce qui autorise à supposer leur présence dans la région.
Mais c’est surtout au IXe siècle que l’installation de familles juives dans la ville est constatée d’une manière indiscutable. On a retrouvé des lettres de protection accordées personnellement à deux marchands juifs de Lyon en 825. A la même époque, les écrits de l’évêque Agobard (778-840) retracent les démêlés du prélat avec une communauté juive particulièrement puissante et protégée par le pouvoir impérial.
[*2. De privilèges en expulsions : une situation instable dans la société médiévale*]
A l’époque d’Agobard, les Juifs semblent nombreux et actifs dans la ville. Ils habitent un quartier situé au pied de la colline de Fourvière, dont une rue porte encore aujourd’hui le nom de rue Juiverie. Certains emploient des serviteurs chrétiens, qui vivent avec eux au rythme de l’année liturgique juive. Les Juifs ont obtenu de l’Empereur des exceptions de droit et dépendent d’un magistrat spécifique, choisi parmi les grands seigneurs de la cour.
C’est ce statut particulier qui soulève l’indignation du prélat : il considère la communauté juive, située à part du reste de la population, comme un élément diviseur de la cité et de l’Eglise. Il demande donc à plusieurs reprises à l’Empereur, -apparemment sans succès-, de supprimer ces privilèges.

- Ex-dono manuscrit d’Agobard.
Bède le Vénérable, Commentaire sur Esdras, 9e s. - Bibliothèque municipale de Lyon
Le silence des sources nous oblige à reprendre le fil de l’Histoire au XIIIe siècle, où le contexte des croisades suscite des mesures contre les Juifs. En 1239-1242, une controverse conduit à la condamnation du Talmud, qui passe pour contenir des affirmations contraires à la morale et des blasphèmes contre le Christ.
En 1245, le concile de Lyon cherche à restreindre les relations entre Chrétiens et Juifs. Ces derniers ont acquis une expertise dans le commerce du change, accordant parfois des prêts importants aux croisés. La pratique de l’usure constituera, au fil des siècles, l’un des principaux griefs contre la communauté.
Aux XIVe et XVe siècles, les autorités protègent et condamnent tour à tour les Juifs. Si leur prospérité commerciale est bénéfique à l’économie des villes, ils cristallisent les peurs et les ressentiments. Expulsés du royaume de France en 1306, ils se réfugient dans la principauté indépendante du Dauphiné. Rappelés par le roi, les populations locales leur impute alors toutes les catastrophes du temps, à commencer par les épidémies.
En 1360 et 1389, des ordonnances royales leur permettent de recourir à des magistrats spéciaux. Mais ce régime de faveur n’est que temporaire et Charles VI ordonne leur expulsion définitive du royaume en 1394. A Lyon, cette décision ne prendra effet qu’en 1420.

- Conspiration des Pharisiens contre le Christ.
Missel franciscain, fin du 15e s. - Bibliothèque municipale de Lyon
[* 3. Du XVIe au XVIIIe siècle : le grand exil*]
Dès lors, seuls les [actu]marrans[actu], ou Juifs d’Espagne convertis au Christianisme, fréquentent régulièrement la ville à l’occasion des foires franches. Si le Consulat protège ces marchands occasionnels, il veille à ce que leur installation ne soit pas définitive.
En 1548, le roi Henri II (1519-1559) visite Lyon avec son épouse, Catherine de Médicis. Relativement favorable aux Juifs, il est accompagné par quelques marchands portugais de cette confession. Ces derniers se sentent autorisés à prolonger leur séjour et tiennent boutique dans la maison Pynatel, située sur le Pont de Saône. Les réclamations des commerçants craignant la concurrence ne tardent pas à s’élever contre eux, et le Consulat ordonne leur expulsion.
¤¤ L’héritage hébraïque dans les collections de la Bibliothèque municipale de Lyon : reflets d’une fascination
Si les Juifs n’ont plus droit de cité, les savants humanistes chrétiens s’intéressent de plus en plus à la langue hébraïque, avec le désir de retrouver les textes sacrés dans la pureté de leur langue originelle. Cette passion pour les lettres orientales se double d’une grande curiosité pour les textes de la Kabbale.
En 1526, Sante Pagnini (1470-1536), dominicain né à Lucques en Italie, s’installe à Lyon avec sa bibliothèque de travail en Grec et en Hébreu.
Quelques décennies plus tard, alors que sévissent les Guerres de religion, la possession d’ouvrages en Hébreu, qui est souvent l’apanage des protestants, constitue un objet de condamnation. A Lyon, un juriste catholique, Pierre Bullioud (1548-1597), n’hésite cependant pas à braver les interdits pour satisfaire sa passion scientifique. Il fait venir d’Italie plusieurs ouvrages juifs, dont un exemplaire spectaculaire du Talmud.
Ces collections extraordinairement riches ont été redécouvertes depuis peu dans les réserves de la Bibliothèque municipale de Lyon, grâce aux travaux de l’un de ses conservateurs, Monique Hulvey.

- Sefer Shaare orah [Portes de la lumière]
Joseph Gikatila. Riva di Trento : [s. n.], 1561 - Bibliothèque municipale de Lyon
Pour aller plus loin :
Notice sur les Israélites de Lyon, par Alfred LEVY, Paris : Imprimerie Schiller, 1894
Autour des Juifs de Lyon et alentour, par Eliane DREYFUS et Lise MARX, Lyon : Consistoire israélite, 1958
Histoire de Lyon : des origines à nos jours.Tome 1, Antiquité et Moyen âge, sous la dir. de André PELLETIER et Jacques ROSSIAUD ; Tome 2, Du XVIe siècle à nos jours, sous la dir. de Françoise BAYARD et Pierre CAYEZ, Horvath, 1990.
[actu]@[actu] A consulter : Base Provenance des livres anciens
[*4. 1789-1906 : de la réhabilitation à la menace*]
Le XVIIIe siècle et la pensée des Lumières favorisent la réhabilitation des Juifs.
Vers la fin du règne de Louis XV (1710-1774), quelques familles venues du midi, de Bordeaux et d’Alsace s’installent à Lyon. Elles sont une quinzaine au début du règne de Louis XVI et s’organisent peu à peu en une communauté structurée. Elles désignent un représentant ou [actu]syndic[actu], dont les attributions sont réglées par le lieutenant général de police de Lyon. En 1775, il obtient pour sa communauté l’affectation d’un caveau spécial dans les dépendances de l’Hôtel Dieu.

- L’Hôtel-Dieu de Lyon
Jean-Baptiste Monfalcon, Histoire monumentale de la Ville de Lyon, 1866-1869 - Bibliothèque municipale de Lyon
La Révolution consacre l’émancipation des Juifs : le 27 septembre 1791 l’Assemblée Constituante vote le décret reconnaissant aux Juifs de France la qualité de Français, à condition qu’ils prêtent serment et renoncent à toute exception de droit.
Entre 1806 et 1807, Napoléon met au point le règlement organique du culte juif. En échange de la liberté religieuse et des droits civiques, les Juifs s’engagent à obéir au Code civil et à défendre la patrie.
Des [actu]Consistoires[actu], ou assemblées de laïques chargées, entre autre, de nommer les rabbins, sont institués dans les départements comptant plus de 2000 Juifs. Ils sont sous le contrôle d’un Consistoire central. L’apparente libéralité religieuse du régime cache une volonté politique d’encadrement. En outre, ce n’est qu’en 1830 que le Parlement votera une motion instituant la subvention du culte juif par l’Etat, à égalité avec les autres religions.
La communauté lyonnaise étant restreinte, elle se voit rattachée au Consistoire de Marseille. Ses membres exercent pour la plupart des professions commerciales et possèdent des fortunes modestes.

- La Grande Synagogue de Lyon
- Wikimédia – Licence GNU
Les Juifs lyonnais sont alors absorbés par la recherche d’un lieu de culte décent. En 1795, ils ont fait l’acquisition d’un terrain à Guillotière pour y installer leur cimetière. Au début de l’Empire, ils louent une salle de la rue Ecorche Boeuf (actuelle rue Port du Temple, 2e arr.) en guise d’oratoire. A l’expiration du bail, le culte est célébré dans un appartement rue Bellecordière, puis rue du Peyrat (aujourd’hui rue Alphonse Fochier, 2e arr.). Il faut attendre 1864 pour voir s’élever la grande synagogue du quai Tilsitt. Les travaux en sont confiés à l’architecte israélite Abraham Hirsch (1835-1912), qui deviendra l’architecte de la Ville.
Entre temps, le nombre de Juifs établis à Lyon a augmenté de manière considérable, de sorte que le 24 août 1857, un décret de Napoléon III a érigé un Consistoire israélite de Lyon. En 1860-1865, deux écoles juives s’ouvrent rue Sainte-Hélène (2e arr.), et la communauté se dote de Sociétés de secours mutuel.

- Temple israélite, quai Tilsitt
Lithographie de Lebel d’après Abraham Hirsch - Bibliothèque municipale de Lyon
L’Affaire Dreyfus (1894-1906) divise bientôt l’opinion. A Lyon, l’agitation reste modérée. En 1897, la Ligue antisémitique de France compte tout de même 1500 adhérents à Lyon, et, en janvier-février 1898, la vague d’émeutes antisémites touche la cité.
Les quotidiens locaux prennent parti en fonction de leur sensibilité. Au début de l’Affaire, tous dénoncent la trahison supposée du capitaine. Mais, au fil des procès, les tonalités divergent. Le Nouvelliste, journal conservateur, déchaîne sa vindicte antisémite. Le 13 janvier 1898, il stigmatise la lettre ouverte de Zola, « complice des Juifs, des Allemands et des sans-patrie ». Au contraire, les journaux républicains traitent la question de la trahison avec modération et objectivité. Le Progrès en vient à plaider pour la révision du procès et rejoint le camp dreyfusard.
A lire :
« La presse quotidienne lyonnaise et l’Affaire Dreyfus (1894-1906) », par Raymond CURTET, dans Cahiers de Rhône 89, No 17, 1995, p. 43-62.
Une étude fouillée sur la réception de l’affaire par la presse lyonnaise et sur le rôle de celle-ci auprès de l’opinion locale.
L’affaire Dreyfus, par Pierre MIQUEL, 10e éd., PUF, 2003.
Cet ouvrage fondamental retrace l’histoire de l’affaire dans son ensemble et permet de comprendre l’émergence de l’antisémitisme, du pouvoir de la presse, ou de la figure de l’intellectuel.
J’accuse ! (suivi de) Autres textes sur l’affaire Dreyfus, textes d’Emile ZOLA présentés par Philippe ORIOL, Librio, 2003.
Un ouvrage clair et didactique rassemblant de nombreux documents autour du célèbre article qui, le 13 janvier 1898, a fait la une de L’Aurore.
Alfred Dreyfus : l’honneur d’un patriote, par Vincent DUCLERT, Fayard, 2006.
Si des centaines de livres existent sur l’affaire, rares sont ceux qui se sont intéressés à l’homme. Cette biographie dessine le véritable visage d’une figure héroïque déformée par l’Histoire.
[actu]@[actu] Lire l’Affaire Dreyfus à travers la presse de l’époque grâce aux collections numérisées : Presse régionale illustrée au XIXe siècle

- Le capitaine Dreyfus à l’Ile du Diable
Le Progrès illustré, 14 novembre 1897 - Bibliothèque municipale de Lyon.
[*5. Les années 30 et la montée de l’antisémitisme*]
Dans un mémoire daté de 1987, Marc Labrosse nous rappelle une réalité essentielle : si l’idéologie antisémite a dressé un portrait archétypique et caricatural du Juif, les communautés locales des années 30 offrent des visages très diversifiés. La région Rhône Alpes compte alors 6000 à 7000 Juifs, répartis entre Lyon (4000 personnes), Villeurbanne (2500 personnes), Saint-Fons (200 personnes), Saint-Etienne (400 personnes) ou Roanne (200 personnes). La moitié de cette population est née à l’étranger.
Pratiques et mentalités diffèrent profondément d’un groupe à l’autre. Si le cœur de la vie juive est la Synagogue du quai Tilsitt, il n’y a pas de regroupement de l’habitat.
*Les Juifs français Ashkénazes, assimilés depuis longtemps, restent peu pratiquants et fréquentent surtout des gens de même condition sociale.
*Les Juifs d’Europe centrale, marchands forains ou petits artisans très orthodoxes, prennent l’habitude de se retrouver rue Sainte-Margueritte.
*Les Sépharades ayant fui la Turquie ou la Grèce à partir de 1919 travaillent dans des usines, comme les textiles Gillet, et se regroupent rue des Trois Rois pour pratiquer leurs coutumes.
*Enfin, la communauté de Saint-Fons, formée de Sépharades du Maroc, représente une main d’œuvre peu qualifiée travaillant dans les usines du Sud lyonnais.

- Vue de l’usine Gillet, depuis le boulevard Eugène Réguillon, Villeurbanne. 1930
- Fonds Jules Sylvestre
Bibliothèque municipale de Lyon
Si la reconstruction consécutive à la Première guerre mondiale a nécessité l’arrivée de main d’œuvre étrangère, la crise économique de 1929 et le chômage créent un contexte de haine contre ces étrangers qui « volent le travail des nationaux ». Relayée par des quotidiens xénophobes comme La République lyonnaise ou Le Nouvelliste, l’idéologie antisémite s’insinue dans les mentalités.
A partir de 1933, la crise s’amplifie. Fuyant l’hystérie nazie, des Juifs autrichiens, polonais, allemands ou tchèques, se réfugient à Lyon. Ils s’installent pour beaucoup dans les nouveaux quartiers, principalement aux Gratte-ciel à Villeurbanne. La progression constante de ces flux migratoires entre 1935 et 1938 rend leur situation de plus en plus précaire et amenuise leurs chances d’intégration.

- L’Avenue Henri Barbusse et les Gratte-Ciel vus depuis l’Hôtel de Ville de Villeurbanne. 1934.
- Fonds Jules Sylvestre
Bibliothèque municipale de Lyon.
Dès avril-mai 1933, des voix lyonnaises protestent contre les exactions des nationaux-socialistes en Allemagne. Les lois raciales de Nuremberg sont suivies le 20 novembre 1935 d’une réunion de protestation à la salle Chopin, présidée par le sénateur Justin Godart. A partir de 1934, les sections locales de la Ligue des Droits de l’Homme ou de la Ligue internationale contre l’Antisémitisme mènent des campagnes actives. Le 8 janvier 1938 se tient un meeting à la Bourse du Travail de Lyon pour l’attribution d’un statut juridique aux immigrés…
Mais les actes racistes – bris de vitrines ou bagarres entre jeunes – se font plus fréquents, sans pour autant donner lieu à des violences organisées. Cette montée en puissance des tensions prépare le terrain aux années noires de la Seconde guerre mondiale.
A lire :
Histoire des Juifs de France, par Esther BENBASSA, Seuil, 2000.
Histoire des Juifs de France. Des origines à la Shoah, par Philippe BOURDREL, Albin Michel, 2004.
De la Gaule romaine à la Guerre d’Algérie, ce livre retrace la difficile aventure des communautés juives ayant choisi la France comme pays
La France et les Juifs de 1789 à nos jours, par Michel WINOCK, Seuil, 2004.
Un des historiens français les plus estimés décrit ce que furent, depuis la Révolution, les relations entre l’Etat, la société et les Juifs vivant en France
L’antisémitisme en France dans l’entre-deux-guerres : prélude à Vichy, par Ralph SCHOR, Complexe, 2005.
Une synthèse sur l’histoire de la haine des Juifs en France dans l’entre-deux-guerres, à partir de sources inédites
Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle) : discours publics, humiliations privées, par Gérard NOIRIEL, Fayard, 2007.
Un éclairage essentiel sur l’histoire de l’immigration étrangère, de l’émigration coloniale et de l’évolution du droit d’asile, qui permet de comprendre les enjeux du débat actuel sur l’immigration « choisie », l’intégration et les discriminations.
[actu]@[actu] Regard photographique sur le Lyon des années 30 à travers les collections numérisées : Photographes en Rhône-Alpes
¤¤ Centres culturels :
Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation :
14 Avenue Berthelot, 69007 Lyon. Tél. 04 78 72 23 11.
Espace Hillel. Centre culturel et social juif de Lyon : 113 Bd Vivier Merle, 69003 Lyon. Tel. : 04 37 43 15 11.






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