THÉÂTRE

Mais jusqu’où ira Thomas Jolly ?

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 25/02/2023 par Clémence

L'acteur et metteur en scène est spécialiste des recréations jouissives et iconoclastes des classiques, d'un théâtre à rebondissements qui en met plein les yeux. Lumières oniriques, nuées de fumigènes, musique dramatique : c’est grandiose et spectaculaire. Enfant du théâtre public, il veut faire du spectacle vivant une expérience partagée, pour tous, un récit collectif, sans opposer culture savante et culture populaire.

Festival d'Avignon 2018 Thyeste - Sénèque - Thomas Jolly © Emile Zeizig - mascarille.com

Son actu : de Johnny Rockfort à Juliette

Une nouvelle version de l’opéra rock Starmania à la Seine Musicale puis en tournée, la direction artistique des cérémonies des JO de Paris 2024, une deuxième mise en scène pour l’Opéra de Paris en juin 2023… A 40 ans, Thomas Jolly est décidément la nouvelle star de la mise en scène en France.

Starmania, 43 ans après

Célèbre opéra rock de Michel Berger et Luc Plamondon, Starmania a été créé en 1979 au Palais des congrès de Paris.  La nouvelle version de Thomas Jolly est à voir à La Seine Musicale (à Boulogne-Billancourt en région parisienne) jusqu’au 29 janvier 2023. Le spectacle sera ensuite en tournée dans toute la France. Le metteur en scène a voulu insister sur la narration, un peu oubliée au fil du temps, mais qui résonne fortement avec notre époque.

“Mon souhait était de rebâtir la narration, avec Luc Plamondon, par-delà l’autonomie que les chansons ont acquise en quarante ans de succès. Dans les versions postérieures à celle de 1979, des morceaux et même des personnages ont disparu. Certains refrains sont passés d’un protagoniste à l’autre… Je me suis emparé de Starmania comme je l’avais fait avec les pièces de Shakespeare, en misant sur la force de la dramaturgie. “

Source : Télérama

Objectif : Paris 2024

D’autre part, il s’est vu confier en septembre 2022 la direction artistique des cérémonies des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris de 2024.

Pour la première fois des JO d’été, la cérémonie d’ouverture se déroulera hors stade. Le défilé des délégations nationales aura lieu sur la Seine sur 6 kilomètres, il sera gratuit et pourra accueillir jusqu’à 600 000 spectatrices et spectateurs.

Thomas Jolly va ainsi se mesurer au travail de Philippe Découflé, qui avait marqué les esprits en 1992 avec la cérémonie des Jeux d’hiver à Albertville.

© Compagnie DCA Philippe Decouflé

Romeo et Juliette à la Bastille

Enfin, il signera en juin 2023 une nouvelle mise en scène de Roméo et Juliette de Charles Gounod à l’Opéra Bastille. Il souhaite mettre en valeur la dissonance, la poésie baroque, voire le climat de mort (une épidémie de peste sévit dans l’histoire) du célèbre opéra.

Vous l’aurez compris, il fait feu de tout bois. Mais qui est Thomas Jolly ?

Son parcours

Acteur précoce, jeune metteur en scène

Né en 1982, il grandit à Rouen, et lorsque sa mère lui offre un livre de Pierre Gripari, Sept farces pour écoliers, il décide de monter les scènes dans sa chambre avec ses amis ! Il commence à pratiquer le théâtre en atelier à l’âge de 11 ans, puis intègre une compagnie d’enfants, avec laquelle il partira en tournée. Plus tard, il passe une licence en études théâtrales à l’université de Caen. Enfin il enchaine avec l’Ecole supérieure d’art dramatique au Théâtre National de Bretagne à Rennes en 2003.

En 2006, il fonde la compagnie La Piccola familia et se lance dans la mise en scène avec Arlequin poli par l’amour. Il reste aussi acteur dans la plupart des pièces que crée la compagnie.

© La Piccola Familia

Cette courte pièce de Marivaux met en scène les amours d’un adolescent qui part à la conquête de sa liberté. Elle a propulsé en 2007 Thomas Jolly sur le devant des scènes. Toute son œuvre en devenir est là : il orchestre un fabuleux ballet expressionniste. Les lumières sont chatoyantes, parfois très vives, contrastant avec des costumes et un maquillage noir et blanc, très travaillés.

Le marathon Shakespeare

C’est à partir de 2010 qu’il commence à travailler sur son grand œuvre : la pièce Henry VI de William Shakespeare. C’est une trilogie consacrée au règne d’Henri VI d’Angleterre et à la guerre des Deux-Roses. Avec Richard III, elle forme ce que l’on appelle « la première tétralogie de Shakespeare ».
L’intégralité du spectacle est donnée lors de la 68e édition du Festival d’Avignon, en 2014 : un spectacle-fleuve de dix-huit heures ! Deux jours d’affilée, de 14 heures à 23 heures.

Avec une récompense à la clef : Thomas Jolly obtient le Molière 2015 de la mise en scène.

Extrait : Henry VI – Thomas Jolly from La Compagnie des Indes on Vimeo.

© La Piccola Familia

Enfin, en 2015, la boucle sera bouclée avec la mise en scène de Richard III.

D’Avignon à Angers

A partir de là, le public d’Avignon en redemande ! En 2016, il y monte le Radeau de la méduse, de Georg Kaiser, avec les élèves de la promotion du Théâtre national de Strasbourg pour leur spectacle de fin d’études. Le texte raconte la dérive d’enfants embarqués sur un cargo par les autorités britanniques pour les envoyer au Canada, à l’abri de la Seconde guerre mondiale. Mais une torpille coule le navire. Trouvant refuge dans une chaloupe, ils errent une semaine durant.

En parallèle, la Piccola familia propose un feuilleton théâtral en seize épisodes – Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse – qui retrace l’histoire du Festival d’Avignon de 1947 à … 2086 ! Un nouvel épisode chaque midi, les places sont chères ! Pour la conception, la compagnie travaille avec les spectateurs, artistes, techniciens, habitants. Lors d’ateliers de pratique théâtrale, chacun peut témoigner de son histoire avec le Festival.

Ce feuilleton donnera aussi naissance aux Chroniques du festival d’Avignon, 19 chroniques vidéos écrites par Damien Gabriac et interprétées par Thomas Jolly.

© La Piccola Familia / La Compagnie des Indes / Ruqproductions – 2016

Culture savante et culture populaire : même combat

Enfin, il est nommé directeur du Centre dramatique national le Quai d’Angers en janvier 2020. Le communiqué de presse mentionne “un projet pleinement en phase avec ce qui constitue l’ADN de ce lieu unique : une maison d’artiste, un carrefour bouillonnant, une programmation audacieuse, riche de la diversité des pratiques et des esthétiques, en prise avec son territoire et ouverte sur le monde. Convaincu que des outils comme le Quai permettent à chacun de « pouvoir aller au théâtre », il souhaite relever le défi de donner l’envie à tous de « vouloir aller au théâtre » et les clés pour « savoir aller au théâtre ».”

Pour lui, on peut être populaire et intelligent.

 “Je vais de Britten à Britney et ça me plait !”

Source : France Musique

“La vieille antienne d’une culture savante et d’une culture populaire m’exaspère… et ma génération n’a clairement pas grandi avec cette idée, ce qui ne m’empêche pas de savoir reconnaître la valeur artistique et intellectuelle d’une œuvre. Internet a dé-hiérarchisé les objets culturels et nous sommes une génération bien plus tolérante. Moins méprisante. Et donc certainement plus créative.”

Source : SceneWeb

Mais alors que son contrat court jusqu’en décembre 2023, il juge plus sage de démissionner en novembre 2022, au vu des gigantesques projets qui l’attendent !

Pour aller plus loin

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