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L’apesanteur comme point de repère
Arts vivants up & down
Publié le 10/04/2020 à 23:59
- 6 min -
Modifié le 30/06/2020
par
le fonctionnaire inconnu
Depuis le début du confinement s'est installé chez la plupart un sentiment de flottement. L'espace s'est subitement réduit. Le temps semble avoir réellement suspendu son vol. Et nous avons parfois cette sensation, au mieux de flotter, au pire de tomber. Tout devient pesant et l'on voudrait lutter contre la gravité... A la recherche de nouveaux repères, pourquoi ne pas prendre de la hauteur et, puisque nous avons le temps, musarder en verticalité ?
Le besoin de sauter, de s’élever, et de tester les limites de la pesanteur n’a pas d’âge ni de limite géographique.
Adamu signifie “sauter” chez les éleveurs-guerriers Maasaï du Kenya. Et c’est aussi le nom de l’une de leurs danses, durant laquelle ils doivent sauter le plus haut possible !
On ne doit pas être si loin des 1,20 mètres de détente de l’athlète américain Josh Imatorbhebhe !
TRAMPOLINE
Pour prendre les airs et pas seulement l’air ? Le trampoline.
Ses origines sont multiples et anciennes mais ce que l’on sait, c’est que, depuis des temps anciens, les Inuits font usage de peaux de morses et de phoques pour être projetés dans les airs ! (source : cirque-cnac.bnf.fr)
Plus récemment, vous avez sûrement remarqué qu’essaiment dans les jardins des quartiers résidentiels une multitude de trampolines ? Car si le trampoline est une discipline olympique depuis l’an 2000, c’est bien le trampoline de jardin (G-Tramp) qui fait rêver les nouvelles générations.
On passe de la pelouse aux planches. Celui qui tombe bien aussi, et se relève toujours, c’est Yoann Bourgeois. Et le trampoline est son instrument de prédilection.
Entre danse contemporaine et cirque d’un genre nouveau, les spectacles de Yoann Bourgeois sont une succession de Tentatives d’approches d’un point de suspension !
En savoir plus sur Yoann Bourgeois :
– Relire notre article En suspension avec Yoann Bourgeois [Linflux.com]
– Revoir son spectacle Passants, joué en ouverture de la biennale de la danse 2018 sur la place Bellecour à Lyon [Youtube]
– Celui qui tombe / spectacle de Yoann Bourgeois [DVD disponible dans nos rayons]
– Monuments en mouvement / mise en scène de Yoann Bourgeois [DVD disponible dans nos rayons]
BASCULE
En période de recherche de sociabilité, on peut être amené à préférer la bascule. Aussi nommée planche sautoir ou planche coréenne. Elle se pratique à 2, a minima.
Et avec un humour salvateur comme le démontrent Maxim Laurin et Ugo Dario dans leur numéro Baskultoo (voir leur portrait sur le blog de cirk75)
La bascule peut être pratiquée à plus, pour peu que vous ayez suffisamment de planches de bois. Or, le bois n’est pas ce dont on manque dans les pays du nord.
A l’oeuvre, les acrobates multi-récompensés et hyper-sérieux de Scandinavian Boards :
CHUTE
“Le plus dur c’est pas la chute, c’est l’atterrissage” (citation du film La Haine)
Et si, pour éviter cela, on ne retombait jamais ?
C’est ce que proposent les instantanés du photographe Denis Darzacq. Nous donnant à voir une génération oscillant entre saut dans le vide et rêve d’élévation, entre matériel et spirituel…
– Mini-portfolio en ligne
– La chute / Denis Darzacq [Livre disponible dans nos collections]
Et si on ne retombait jamais ? C’est ce que propose désormais de manière finalement très terre à terre la chute libre en salle !
APESANTEUR
Ne jamais retomber, c’est aussi le vieux rêve du vol en apesanteur.
Et c’est ce qui inspire le travail de la danseuse et chorégraphe Kitsou Dubois. Elle a beaucoup travaillé avec des astronautes, et pu expérimenter les vols paraboliques. Son travail évoque ce sentiment de perte de repère lié à l’apesanteur, faisant un parallèle avec le vécu de l’homme dans nos sociétés contemporaines.
Ci-dessous la pièce “La chaise”. A reproduire chez soi évidemment 😉
En savoir plus sur Kitsou Dubois :
– Extraits et interviews – je vous conseille notamment de l’écouter dans la vidéo Traversées [Numeridanse.tv]
– L’art de voler [DVD disponible dans nos collections]
– Le site officiel de Kitsou Dubois
Kitsou Dubois a également travaillé avec Jeanne Ragu et Pauline Barboux, avec des cordes, sur la notion de suspension.
“La quadrisse est un agrès de leur invention qui assemble quatre fines drisses noires et deux corps en suspension. Ces duettistes évoluent entre contrepoids et imbrications, terre et air.”
CORDE
Oui, la corde peut avoir d’autres usages que d’attacher vos enfants à leurs chaises ou de se pendre !!!
C’est ce que nous rappelle cet historique de la corde lisse. Utilisée dès le milieu du XIXème siècle en cours d’éducation physique (et continuant chaque année de brûler les mains des écoliers !). Mais prenant place aussi dès cette époque dans les spectacles de cirque, à l’instar des barres, des anneaux et du trapèze.
Fragan Gehlker, s’est fait connaître avec son spectacle Le Vide/Essai, inspiré par Le mythe de Sysiphe d’Albert Camus. “Le cirque n’est-il pas le royaume de l’absurde ? […] Un homme y prend le risque de mourir : pour rien, comme on prend le risque de vivre : pour rien” (F.G.).
Il a pourtant continué sa pratique de la corde lisse. Le voici en compagnie de Viivi Roiha pour l’une de ses plus récentes créations.
En savoir plus sur Fragan Gehlker :
– Critique de son spectacle Le vide/Essai par Rosita Boisseau [Le Monde.fr]
– “Il faut apprendre à prendre des risques” [Podcast sur France Culture]
– Site web de la compagnie Le Vide
ESCALADE
Utilisant aussi des cordes, un des spectacles les plus marquants (aussi parce qu’il connut un destin tragique) de la danse verticale fut Jomon Sho, avec les danseurs suspendus de la compagnie buto Sankai Juku !
Apparue avec la danse post-moderne dans les années 60 et 70 (avec Alwin Nikolaïs, Anna Halprin ou Trisha Brown et son Man Walking Down the Side of a Building), la danse verticale – parfois appelée danse-escalade – s’installe dans le paysage artistique des années 80, à la jonction des arts de la rue, du nouveau cirque, de la danse aérienne et d’une escalade dépoussiérée.
Des falaises des montagnes aux parois d’immeuble, la danse verticale s’affranchit des limites de nos espaces vitaux habituels.
Parmi les pionniers du genre en France et toujours actifs, Fabrice Guillot et la Compagnie Retouramont / Pôle de Danse Verticale :
Mourad Merzouki s’en est emparé récemment dans son spectacle Vertikal (à voir en intégralité jusqu’au 1.6.20) :
En savoir plus sur la danse verticale :
– Dossier très complet sur la danse verticale sur le site Artcena [Site web]
– Repères Cahier de danse n° 44 consacré à la suspension [Revue disponible dans nos collections]
– La gravité / Steve Paxton [Livre disponible dans nos collections]
– Extérieur danse : essai sur la danse dans l’espace public / Sylvie Clidière & Alix de Morant [Livre + DVD disponibles dans nos collections]
– On sort un peu de la danse verticale mais on ne peut que vous conseiller A la verticale de soi / Stéphanie Bodet : autobiographie poétique d’une grimpeuse [Livre disponible dans nos rayons]
Certes, le plus dur, ce n’est peut-être pas l’apesanteur mais bien l’atterrissage. N’empêche, durant le confinement et au cours de ces différentes expériences artistiques, il est certain que nos espaces auront été réaménagés ou le seront : espace urbain, espace social, espace domestique, espace intime. Et la gravité ne sera plus ce qu’elle était…
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