Festival Ecrans mixtes

Ovil et Usman

Les migrant-es LGBT+

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 05/03/2022 par Stagiaire Point G

Le documentaire réalisé par Dimitris Yeros donne la parole à Ovil et son compagnon Usman, contraints de vivre dans le plus grand camps de réfugié-es d'Europe. Pourquoi certain-es personnes appartenant aux communautés LGBT+ fuient-elles leur pays, et à quels autres dangers sont-elles alors exposées ? Le film sera projeté le jeudi 3 mars à la Bibliothèque municipale du 7e arrondissement de Lyon - Jean Macé.

Ovil et Usman
Ovil et Usman Copyright : Dimitris Yeros

“Welcome to prison Moria”. Après avoir fui les menaces de mort de leur famille au Bangladesh et au Pakistan, Ovil et Usman se retrouvent déportés au camp de Moria, à Lesbos. Prisonniers d’une jungle ou seule la virilité exacerbée semble faire loi, ils sont exposés à un double danger : la précarité du statut de réfugié, et les discriminations contre les personnes LGBT+ en épée de Damoclès. Sans ami-es ni famille, ils n’ont que l’un et l’autre pour se soutenir.

Au fil du documentaire, ils évoquent les épreuves qui jalonnent leur parcours. Ce dernier bouleverse et force l’admiration, mais il n’est pas un cas isolé. Il est semblable à celui d’un grand nombre de « migrant-es forcé-es LGBT+ » chassé-es de leur pays d’origine, chaque année, en raison de leur Orientation Sexuelle et Identité de Genre (OSIG).


Homosexualité proscrite

La bande dessinée A la maison des femmes décrit le quotidien d’une structure de prise en charge pour les femmes victimes de violences en Seine Saint-Denis. Nicolas Wild évoque l’histoire d’une femme lesbienne que le père croit possédée, fuyant son pays d’origine avec la femme dont elle est amoureuse. Malheureusement, en raison des risques systématiques induits par l’illégalité des réseaux de migration, le convoi de la femme qu’elle aime coule lors de la traversée de la Méditerranée et cette dernière meurt noyée.
Ce récit laisse sans voix, mais il illustre les conséquences du manque de protection légale des personnes migrantes durant leur périple.

 

Selon l’association BAAM (Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrant.es), la pénalisation de l’homosexualité dans de nombreux pays du monde, allant de l’emprisonnement jusqu’à la peine de mort, est une cause effective de migration forcée.


Dans son livre de photographies  Les condamnés, Dans mon pays, ma sexualité est un crime
, le photojournaliste Philippe Castetbon rassemblait en 2010 des portraits de personnes originaires de plus de 45 pays accompagnés de courts témoignages.

Au Bangladesh comme au Pakistan, la loi demeure inchangée en 2022.

 

Pakistan : « Article 377 : Quiconque entretient volontairement des relations charnelles contre nature avec un homme, une femme ou un animal, doit être puni d’une amende ou d’un emprisonnement pour une durée allant de deux ans jusqu’à la prison à vie. »

Bangladesh : « Article 377 : Quiconque a, volontairement, une relation charnelle contre l’ordre de la nature avec un homme, une femme ou un animal, sera puni d’un emprisonnement sous l’une ou l’autre forme, qui peut être à vie, ou jusqu’à 10 ans, et sera également passible d’amende »

 

Dans son rapport de 2020, l’association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenre et intersexes (ILGA world) ajoute que des cas de condamnation à mort sont rapportés au Pakistan. Le Bangladesh quant à lui reconnaît de manière juridique l’existence d’un troisième genre “ni homme, ni femme” : le genre hijras. Toutefois, selon l’association Atlas of Humanity de valorisation de la diversité culturelle dans le monde, les hijras y connaissent de nombreuses persécutions. 

 

En 2019, selon l’ouvrage de 2021 dirigé par Bérénice K. Schramm Queer(s) et droit international, Etudes du réseau Olympe, 78 pays sur 193 que compte l’Organisation des Nations Unies pénalisaient encore les actes homosexuels.

 

 

 

 

 

 

De nombreuses personnes sont donc contraintes à fuir leur pays, laissant derrière elles leur vie entière. Sur ce sujet, le documentaire Silent Stories, réalisé par Hanne Phlypo et Catherine Vuylsteke, évoque les parcours de Rabiatou, Jean-Louis, Sara, Arezki, migrant-es forcé-es LGBTQ venant de Guinée, du Sénégal, d’Irak et d’Algérie. Sara, par exemple, fait partie d’une liste de 33 personnes transgenres recherchées en Irak et risque la peine de mort. Déchiré-es entre deux mondes, tou-tes ont été contraint-es de fuir leur pays d’origine pour lequel iels ont des sentiments complexes. Le film livre une réflexion sur l’identité, le sentiment d’appartenance et les fractures vécues par les protagonistes, entre la volonté de vivre leur OSIG librement et leur attachement aux terres qui les ont vu-es grandir.

Si, dans ces pays, la loi envers les personnes LGBT+ semble cruelle, la réalité est plus terrifiante encore : meurtres arbitraires, torture, sévices corporels… La  justice intra-familiale et informelle est intransigeante. Ovil et Usman et Silent stories en témoignent à travers chaque récit individuel. Les personnes LGBT+, lorsqu’elles échappent au suicide ou au meurtre, sont contraintes de se cacher ou de fuir.


Dans la revue en ligne Migration Forcée, Ariel Shidlo et Joanne Ahola alertaient en avril 2013 sur les « Problèmes de santé mentale parmi les migrants forcés LGBT », évoquant la violence et le rejet que ces personnes subissent au sein des leur famille puis dans l’enfer des camps de migrant-es. Des symptômes de stress post-traumatique sont fréquents.


Une discrimination ancrée dans la religion?

“Ce que vous faites est contre ma religion”. Ovil et Usman rapportent ces propos prononcés à Moria par un homme qui ne les laisse pas dormir dans le même dortoir que lui.


Le rapport entre religion et condamnation de l’homosexualité peut sembler évident dans la pensée commune. Si les migrant-es LGBT+ sont contraint-es de fuir des pays à forte culture religieuse, il semble alors que l’homophobie plonge ses racines les plus profondes dans la religion. Mais que disent les textes sacrés ?

 

Dans son ouvrage Homosexualité en Islam, Pour un renouvellement du lien indéfectible 2, Farhat Othman analyse les textes sacrés du Coran.  Il affirme que l’interdiction de l’homosexualité est en fait le fruit d’une interprétation et d’une appropriation des textes. F. Othman distingue le discours religieux du texte lui-même. Ainsi, pour cet auteur, l’homophobie, plus qu’un fondamental religieux, est le fruit d’une construction politique et culturelle.

 

 

Pour une vision plus large encore, dans Féminismes islamiques, Zahra Ali, sociologue et militante féministe, rassemble un ensemble d’articles et de productions scientifiques qui analysent les versets du Coran, permettant de déconstruire et de “dé-patriarcaliser” le discours religieux. Ces textes précis et pointus ont pour but, à travers plusieurs angles de vue, d’apporter une lecture “genrée et inclusive” du texte sacré.

 

 

La religion chrétienne est également appelée à justifier des lois homophobes. Dans Silent stories, Jean-Louis, sénégalais, est pris au piège d’un conflit spirituel : très attaché à sa culture chrétienne qui semble le rejeter, et néanmoins désireux d’y trouver sa place, il est en proie à un profond sentiment d’injustice.

De même, en France, où l’homosexualité a été dépénalisée en 1982, ” c’est principalement la question de la compatibilité entre la foi et l’homosexualité qui amène  [les gays et lesbiennes] chez nous” dit François de l’association David et Jonathan interrogé par Sarah Ar. Dans son article “Religions et LGBT+: un chemin de croix ?” pour le magazine LGBT+ lyonnais Hétéroclite, elle évoque le travail de trois associations chrétienne, musulmane et juive françaises qui luttent contre l’homophobie au sein de leurs religions.

 

Les persécutions à l’encontre des personnes LGBT+ ne semblent pas s’expliquer de manière simple et univoque par la religion elle-même, mais par l’usage politique qui en est fait.

Dans les anciennes colonies occidentales, la justice porte souvent les traces du colonialisme. Ainsi T., 27 ans, habitant de Dhaka, explique-t-il : « Ces lois ont été imposées par les souverains anglais quand ils dirigeait l’Inde. Depuis l’indépendance, nous les avons conservées ». (Les condamnés, Dans mon pays, ma sexualité est un crime)

 

Le film Cameroun : Sortir du Nkuta ? de la réalisatrice Céline Metzger donne à voir la complexité d’une situation postcoloniale dans laquelle l’homophobie sert les intérêts nationalistes. La figure du « blanc » perverti est alors désignée comme origine de la déchéance morale, fantasme symétrique à celui du « noir » livré à ses pulsions dans le discours colonial.

 

 


Situation dans les camps de réfugié-es

Ovil & Usman Trailer Eng from Chase The Cut on Vimeo.

Le documentaire Ovil et Usman alerte sur le manque de moyens pour prévenir les violences de genre et de sexualité dans les camps.

Ovil et Usman décrivent des conditions de vie extrêmement dégradées et un combat permanent pour survivre : “les gens d’ici sont désespérés”. L’amélioration des conditions de vie et de sécurité semble être une question de chance et d’opportunité relationnelle. Ovil décrit ainsi la relation ambivalente, tantôt très violente et tantôt empathique, entre les migrant-es et les forces de l’ordre

Les camps  sont le théâtre de violences quotidiennes, notamment  sexuelles. Peu de médecins sont présent-es sur place et l’hôpital public grec ne prend pas en charge les personnes migrantes. Les pouvoirs politiques européens ne semblent pas vouloir y investir plus de moyens. Le risque que ce manque d’accès aux soins s’avère fatal est d’autant plus élevé pour les personnes exposées aux persécutions.

Les dispositifs mis en place pour protéger les migrant-es LGBT+ des violences homophobes et transphobes sont ambivalents. Selon l’association ADHEOS (Association nationale d’Aide, de Défense Homosexuelle, pour l’Égalité des Orientations Sexuelles), pour accéder à un logement isolé de même que pour obtenir l’asile, les migrant-es forcé-es LGBT+ doivent prouver leur OSIG. La validation dépend de l’évaluation de chaque agent de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) selon des critères en partie subjectifs et fortement basés sur des stéréotypes de genre.

Citée dans Queer(s) et droit international, Etudes du réseau Olympe, la sociologue Calogero Giametta, étudiant en 2010 “les mécanismes de filtration des demandeurs d’asile OSIG en France et au Royaume-Uni”, arrivait à la conclusion que cette évaluation se durcissait de plus en plus.

Hors Europe, la juriste Deborah Morgan, dans son article “Not Gay Enough for the Government : Racial and Sexual Stereotypes in Sexual Orientation Asylum Cases” paru dans la revue américaine Law & Sexuality: A Review of Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Legal Issues, analysait en 2008 les traitements des demandes d’asile liées à l’orientation sexuelle aux Etats-Unis. Elle remarquait : “ce n’est pas assez pour les demandeurs d’asile d’être simplement attirés par les personnes du même sexe qu’eux : les demandeurs doivent être considérés comme ‘assez gays’ par le gouvernement, à charge de preuve.” Elle poursuivait : “cela signifie souvent que les demandeurs [d’asile] doivent modifier des aspects de leur vie pour s’ajuster aux normes et aux attentes de ce que doivent être les personnes LGBT aux Etats-Unis”. 

 


La philosophe Judith Butler décrit, dans Humain, Inhumain : Le travail critique des normes, la manière dont les normes construisent nos visions du monde et entretiennent les disparités entre les personnes. Ainsi,

 

Judith Butler Université de Hambourg, avril 2007. Auteur : Jreberlein at English Wikipedia Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported

Quelles normes de genre permettent à certaines personnes d’être identifiées comme humaines, d’avoir les droits, d’être pleurées lorsqu’elles meurent, de recevoir un traitement lorsqu’elles sont malades ?

Il m’apparaît que la violence contre les minorités de genre n’est pas toujours perçue ou reconnue comme violence véritable.

 

Un article de Pauline Ancé

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