Les battements de cœur de Nan Goldin
Scoptophilique à mort, artiviste survivante.
Publié le 27/11/2017 à 10:00 - 2 min - Modifié le 06/12/2017 par Dalli
Y a t-il une alternative à ne jamais oublier ?… Photographier cash, trash, tous ceux qui sont importants pour soi, à tout instant en s’inscrivant dans l’étrange dichotomie du travail documentaire et de la production artistique. Il ne s’agit pas d’une célébration plastique mais d’une nécessité, plus, d’une injonction. Elle débute tragiquement dans une famille puritaine où explique l’artiste "J’ai commencé à prendre des photos à cause du suicide de ma sœur. Je l’ai perdue et je suis devenue obsédée par l’idée de ne plus jamais perdre le souvenir de personne".
Nan Goldin va ensuite étudier l’image aux Beaux-arts de Boston où sa rencontre avec un drag queen sera décisive: tendresse portée aux marginaux, construction de son identité artistique…
Avec le journal intime photographique ou autobiographie collective, elle fixe l’exigence d’une vérité sans concession, conforme à ses choix de vie sous la forme de diaporamas.
Voici donc le La d’un travail nourri pêle-mêle, par l’intime, le sexe, l’amour, la fête, l’alcool, la drogue, la violence, la mort, l’excès, les milieux interlopes, les fragilités, un microcosme qui se fissure puis s’effondre avec l’apparition du sida. La maladie va éclater les repères, emporter les amis, sa meilleure amie Cookie Mueller …
C’est l’acmé d’une vie voulue dense et libre et son anéantissement aussi.
La photographie immortalise et contamine comme l’écrit Georges Didi-Huberman
«l’œil est l’organe d’une pulsion qui présente l’effrayante capacité de l’échange à distance, donc de la contamination ».
La photographie déplace la douleur de l’objet vers celui qui regarde et questionne la dimension artistique du tragique, avec une possible voluptas. Cette même dimension théorisée par Léonard de Vinci déjà au XVIe siècle qui interrogeait notre regard et notre capacité à recevoir la violence des images.
« voluptas atque horror » le plaisir jusqu’à l’horreur s’écriait Lucrèce en contemplant la vaste nature des choses.
Nan est prolixe, elle démultiplie les prises de vue, exagérément pour saisir chaque instant en les figeant sur la pellicule et mieux si rapporter ensuite, revenir inlassablement, revivre, faire revivre par l’image, garder vivant.
Les séries s’enchaineront avec une première déterminante The Ballad of Sexual Dependency longue tranche de vie de plus de 15 années et nombre de photographies idoine.
Rechappée du sida, d’une existence qu’elle qualifie elle-même de toxique, elle proposera en 1989 avec “Témoins : contre notre disparition“ à New York, un inventaire photographique des amis artistes malades ou morts. Elle prône alors la mobilisation artistique, l’activisme et brave tabou et censure.
Après le tsunami que fut la maladie, les désillusions amicales, cette vie dissolue, disparate, défaite…Nan Goldin est une survivante, toujours et à jamais photographe mais guérie de sa nécessité photographique, de sa scoptophilie…
Aujourd’hui, après le sida “Je continue à faire des photos, mais je ne suis pas sûre que ce soit encore une nécessité vitale” confie t’elle à Elisabeth Lebovici.
Cet article fait partie du dossier Urgence : sida.
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