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L’open data et le pouvoir Citoyen : une médiation technique et politique au cœur de la gouvernance des données

Dans le cadre des rencontres du cycle "Où va la ville" de la bibliothèque de la Part-Dieu, a eu lieu le 16 avril 2025, une conférence-débat avec Valentyna Dymytrova, Maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et Hervé Rivano, professeur en informatique à l'Insa de Lyon.

- temps de lecture approximatif de 16 minutes 16 min - Modifié le 16/10/2025 par ygodde

Valentyna Dymytrova et Hervé Rivano nous présentent l'open data, abordant ses enjeux et son impact sur le pouvoir citoyen. Ils détaillent les étapes du processus d'ouverture des données publiques en mettant en lumière leur caractère stratégique. Ils illustrent ensuite leur propos avec des exemples concrets de portails et de réutilisations. Parallèlement ils soulèvent des questions essentielles concernant la médiation des données et les modèles économiques sous-jacents. Enfin, un focus particulier est mis sur la tension entre les communs numériques et le capitalisme informationnel.

Portail Open Data de la Métropole de Lyon
Portail Open Data de la Métropole de Lyon https://data.grandlyon.com/

Sommaire

L’open data comme dispositif socio-technique

Définition et première expérience spontanée

L’open data désigne le processus d’ouverture des données publiques pour rendre accessibles des jeux de données dans divers domaines tels que la mobilité, l’éducation, la pollution, ou le patrimoine. Rennes Métropole a été parmi les premières collectivités à concrétiser cette démarche avec son portail dès 2010.

Obligation légale et libéralisme informationnel

Depuis la création de data.grandlyon.com en 2012, la démarche est soutenue par une législation qui impose aux collectivités de plus de 3500 habitants d’ouvrir leurs données. Cette double exigence, alliant transparence démocratique et circulation fluide de l’information, soutient l’idéal d’un libéralisme informationnel où le flux des données est libre et ouvert.

« Les gouvernements de nos sociétés démocratiques doivent être redevables aux citoyens qui les ont élus des informations qui concernent la vie de la cité, les administrations et les décisions qui sont prises. Il y a aussi la notion, qui se développe en parallèle, du libéralisme informationnel. C’est-à-dire l’idée qu’on vit dans une société ouverte où tout circule et donc où on n’a pas des données juste stockées dans un endroit, mais on a des flux d’informations qui doivent circuler sans frontière d’une manière un peu libre. C’est un autre courant, on va dire idéologique, qui va se retrouver aussi dans cette idée d’open data.»

Valentyna Dymytrova

Quantification, médiation et modèles économiques

Quantification

Les portails open data traduisent une volonté de quantification systématique, avec chaque donnée portant une mesure précise comme le nombre et l’emplacement des silos à verre, matérialisant une observation territoriale rigoureuse.

« Derrière la production des données, il y a toujours la mesure d’un phénomène, c’est l’idée de la quantification. »

Valentyna Dymytrova

Dispositif socio-technique

L’open data est un dispositif complexe associant des producteurs publics, des techniciens de traitement, des agrégateurs et des réutilisateurs, afin d’exploiter au mieux la valeur des jeux de données brutes.

« Parce que la donnée en soi ne sert pas à grand-chose. Derrière la métaphore de l’or noir qu’on associe souvent à des données, il y a quand même un gros travail de valorisation de la donnée. Pour sortir cette valeur de la donnée, il faut les réutiliser et la réutilisation ne va pas de soi. Peu de citoyens sans compétences techniques peuvent s’en emparer. Parce que ça nécessite une acculturation à la donnée, ça nécessite de comprendre ce qu’est la donnée et ce qu’on peut en faire »

Valentyna Dymytrova

Médiation indispensable

Pour devenir utiles aux citoyens, les données nécessitent des médiations et des réutilisations. Simon Chignard illustre ce principe en comparant les données au blé : contrairement au pétrole, qui est extrait, le blé doit être cultivé chaque année, ce qui exige un travail continu (lire son article Les enjeux économiques de l’ouverture des données : pas de marché, pas de valeur ). Cette médiation des données se concrétise, par exemple, dans cette cartographie des transports en commun lyonnais.

Cette médiation mobilise de nombreux acteurs, des développeurs aux journalistes de données, chacun participant à la transformation des flux en savoir accessible.

Initiatives citoyennes

Des circuits variés

« On observe différents circuits de reprise du pouvoir par le citoyen via la médiation de la donnée… dans ces 3 exemples, il y a 3 circuits de reprise du pouvoir par le citoyen via la médiation de la donnée qui ont des objectifs et des directions différentes…de l’État vers le citoyen, du citoyen vers l’État et puis du commun qui est plus horizontal.»

Hervé Rivano

COVID Tracker

Cet exemple montre l’ initiative d’un citoyen (Guillaume Rozier) qui, face aux données illisibles diffusées par le Ministère de la Santé, a démontré l’impact démocratique de la médiation de données brutes, transformées en visualisations compréhensibles pour le public, influençant ainsi la gestion de la pandémie.

« …il a changé totalement la façon dont le gouvernement a piloté la lutte contre la pandémie. Il y a un avant COVID tracker et un après COVID tracker, juste dans la relation politique des citoyens aux politiques publiques de gestion de la pandémie. Et donc ce travail-là de médiation qui consiste à prendre des chiffres complètement abscons et à en faire des courbes rouge et bleu. Ce travail-là est un travail démocratique énorme …»

Hervé Rivano

OpenStreetMap

Cette plateforme collaborative permet aux citoyens de contribuer et d’éditer la carte, offrant un commun de données cartographiques avec des choix de représentation collectifs.

«C’est une plateforme pour que chaque citoyen puisse transmettre de l’information et en réalité les données d’OpenStreetMap sont bonnes parce que il y a beaucoup de gens qui viennent les corriger quand il y a des erreurs, des citoyens, des collectivités qui se disent que finalement c’est bien de mettre de la donnée fiable là-dedans.»

Hervé Rivano

France Stratégie

Service public qui met en carte des indicateurs économiques et sociaux pour rendre lisible l’impact des politiques publiques territoriales.

Carte de répartition des niveaux de revenus
Carte de répartition des niveaux de revenus

« Là c’est des répartitions de niveau de revenus ou de patrimoine…Grosso modo c’est le 10e décile de revenus et le premier décile. Donc ces cartographies-là permettent…de se donner l’idée de comment les politiques publiques ont un impact sur la répartition des richesses dans le territoire.»

Hervé Rivano

Médiation militante

«…une autre utilité très importante de la donnée ouverte et de la remédiation de la donnée…un peu dans le même sens que COVID Tracker, mais en un peu plus agressif…c’est un acteur politique de la cité, c’est une association militante avec un objectif politique qui prend des données ouvertes…la ville a bien compris le lien entre mouvement associatif, mouvement citoyen et mouvement politique…c’est un outil de mise sous pression des politiques et d’information des politiques publiques…c’est un outil d’accompagnement critique du pouvoir par les corps intermédiaires.»

Hervé Rivano

Cartographie Greenpeace

Exemple de Greenpeace qui croise données de pollution et localisation des écoles pour sensibiliser aux risques.

« La donnée de qualité de l’air est fournie par une association agréée … Greenpeace a pris ces données-là, les a mises sur une carte… ils ont choisi l’échelle de couleurs parce qu’il y a une remédiation dessus pour dire que le rouge c’est agressif, ça représente le danger pour beaucoup dans notre culture en tout cas, le vert ça représente les endroits où c’est bien. L’échelle de couleurs est faite pour donner un côté un peu inquiétant. Ils ont choisi de prendre un autre jeu de données ouvert disponible par la métropole qui est l’ensemble des écoles. Et le titre c’est « votre enfant respire-t-il un air trop pollué ? » La carte ne répond pas exactement à la question, mais elle indique bien que la réponse est probablement non. Quand cette carte est sortie. ça a créé un sujet politique. Parce qu’ avant on savait que c’était pollué Lyon, et on savait qu’il y avait des écoles. Et puis d’un coup on dit « c’est mon enfant qui est là ».»

Hervé Rivano

La Ville à Vélo

Ce site montre comment une association utilise les données pour informer et mobiliser les citoyens autour des projets d’aménagements cyclables, exerçant une pression constructive sur les politiques publiques.

«Ce site-là sert à l’association, à ses membres ou à ses sympathisants à dire quand est-ce que c’est bien, quand est ce que ce n’est pas bien. Et donc ça mobilise des gens autour des projets, ça informe qu’il y a des projets, ça permet de mettre la pression sur les maires de petites villes autour qui ont pas très envie que le projet se fasse chez eux.»

Hervé Rivano

L’infographie et la cartographie constituent des moyens puissants de médiation et d’appropriation citoyenne des données.

« La cartographie c’est très puissant parce que on se représente assez facilement notre environnement sur une carte.»

Hervé Rivano

Gratuité virtuelle

L’open data est gratuit d’accès par la loi, mais engendre des coûts significatifs liés à sa gestion technique et son impact environnemental.

«…le gratuit pose un vrai souci. L’idée est que la loi impose aux collectivités de rendre leurs données accessibles sans rétribution financière pour y avoir accès. Mais ce n’est pas gratuit parce que pour mettre la donnée en ligne, il faut la stocker quelque part. Il faut payer des serveurs, il faut payer la facture d’électricité et l’impact environnemental de toute l’infrastructure numérique. On dit que c’est dans le cloud, mais c’est du cuivre, des matériaux rares et de l’énergie.»

Hervé Rivano

Gouvernance urbaine et souveraineté

Conflits entre initiatives publiques et plateformes privées

Les services de données urbaines publics rencontrent la concurrence des plateformes mondiales privées, posant des enjeux de souveraineté numérique et d’objectifs divergents.

Capitalisme informationnel et techno-féodalisme

Le techno-féodalisme décrit un système où le capitalisme numérique repose sur du travail gratuit fourni par les citoyens et la collecte de leurs données au profit des plateformes privées.Cette idée est inspirée par les théories de Yánis Varoufákis, économiste et ancien Ministre des finances de la Grèce qui a théorisé sur la notion de techno-féodalisme.(lire son livre Les nouveaux serfs de l’économie )

« …le capitalisme numérique est en train de transformer le capitalisme en quelque chose qui n’est plus du capitalisme qui est du techno-féodalisme …. il y a toute une partie du travail…qui est gratuit ou de l’esclavagisme …payer des gens une misère ou demander aux citoyens de fournir de la donnée pour que ces entreprises fassent du profit. »

Hervé Rivano

Commun numérique comme alternative

Les communs numériques, organisés par les pouvoirs publics, représentent une alternative aux plateformes dominantes. Leur gouvernance collective reste toutefois un défi majeur.

« L’alternative c’est les communs. Les pouvoirs publics français ont les moyens d’organiser des communs numériques qui vont à l’encontre de ce que font les GAFAM. La métropole de Lyon faisait ça et après elle a cédé parce que le gouvernement lui a mis une pression sur la loi d’ouverture des données de mobilité. Jusqu’alors, elle refusait de fournir l’information en temps réel sur la localisation des bus et des métros, souhaitant préserver le contrôle de son plan de déplacement urbain, que Google ne respectait pas, selon elle. Ça s’est réglé avec un accord où Waze ne fait plus passer les voitures devant les écoles à 08h30. »

Hervé Rivano

Comparaison OpenStreetMap / GoogleMaps
Part-Dieu selon OpenStreetMap (logique des communs) vs GoogleMaps (logique commerciale)

« Google, a un intérêt : qu’on passe devant des pubs. Voilà, c’est ça son modèle économique : c’est d’exposer les utilisateurs à la publicité. Il est financé par les annonceurs qui viennent mettre de la pub chez lui. Ce sont donc deux logiques, deux objectifs strictement différents. Le pouvoir, à la fin, est acquis à celui dont on utilise l’application. Et le problème, c’est que c’est Google qui a gagné sur cette question-là, principalement parce qu’il est disponible sur tous les téléphones, tandis que Toodego n’est pas disponible sur tous les téléphones. …. Et puis Toodego, ça marche à Lyon, et il faudrait celle de Bordeaux, et puis il faudrait celle de Paris, il faudrait celle de Dijon. »

Hervé Rivano

Le pouvoir des données urbaines

Le contrôle des données territoriales est devenu stratégique, avec la complexité des coûts et formats imposés par les plateformes majeures.

« …pour que les données de mobilité soient prises en compte par Google, il faut qu’elles soient dans un format particulier et Google impose que ça soit le fournisseur de données qui paye le coût de la transformation des données pour les mettre à son propre format. »

Hervé Rivano

Durabilité et cycle de vie

Qualité, surcharge et navigation

Les portails open data doivent affronter la qualité variable des données, la surcharge informationnelle et la nécessité d’une navigation efficace pour limiter la désinformation.

« Il suffit d’aller sur data Grand Lyon pour se rendre compte qu’il constitue un énorme réservoir de données et qu’il faut savoir a priori précisement ce qu’on cherche pour espérer le trouver dans un temps raisonnable. Data.gouv.fr peut sembler complexe en raison de l’immense quantité de données qu’il rassemble, mais c’est aussi une force, car cela garantit un accès libre à une multitude d’informations. Le véritable enjeu de la médiation ne se limite pas à rendre une donnée accessible, mais consiste aussi à permettre une navigation efficace à travers elle. Il s’agit également d’éviter que l’information ne se perde dans un flot trop dense, non pas de manière intentionnellement trompeuse, mais simplement en raison de la quantité massive de données disponibles. »

Hervé Rivano

Cycle de vie, archivage et suppression

Il faut gérer de manière stratégique la conservation ou la suppression des données afin de tenir compte des capacités techniques, des coûts et des impératifs de mémoire collective.

« Ce que vous abordez c’est le cycle de la vie de la donnée. …Dans le cycle de la vie de la donnée,il va se poser la question de quand la donnée doit disparaître, jusqu’où on doit la garder ? Et cette question n’est pour l’instant pas résolue parce que ça pose des questions de retrouver une bonne donnée, mais aussi la question des infrastructures numériques qui doivent être suffisamment robustes pour maintenir un grand nombre de données …problématique compliquée parce qu’on considère la donnée comme un patrimoine aujourd’hui informationnel d’un territoire, d’un pays, et on peut se dire on en aura besoin un jour. … mais au bout d’un moment on n’a plus de place…dans les infrastructures numériques, c’est une vraie question qui touche aussi à la question économique, la question écologique parce que les datacenters, les serveurs. Et puis la question aussi de l’efficience des services parce qu’au bout d’un moment la question de scalabilité va se poser, l’infrastructure ne va plus pouvoir travailler comme il faut. »

Valentyna Dymytrova

Vers une maîtrise collective des données

L’open data est porteur d’une promesse démocratique mais nécessite de l’éducation, de la co-construction et une gouvernance collective pour éviter la concentration excessive du pouvoir informationnel.

Ecouter la conférence-débat en replay et lire la transcription des échanges.

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