Géants des îles

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 10/10/2018 par Silo moderne

Alors qu’aujourd’hui la menace pèse sur la biodiversité des îles, les recherches scientifiques sont nombreuses pour aborder le sujet de l'évolution insulaire. Elle caractérise la modification spécifique de certaines espèces endémiques, isolées sur des îles qui peuvent être océaniques ou continentales. Relativement méconnus, les phénomènes observés se nomment gigantisme ou nanisme insulaires. Quelles en sont les particularités ? Si l’homme est un animal, peut-on imaginer qu'il ait été lui aussi soumis à cette forme d'évolution ?

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La biodiversité insulaire menacée

La gestion de la diversité biologique est un objectif prioritaire pour les espaces insulaires : les îles sont des écosystèmes singuliers et fragiles. Lorsqu’un groupe d’organismes ou une espèce colonise un espace insulaire, sur le long terme, elles vont s’adapter aux conditions de l’île pour survivre (exploitation optimale des ressources offertes par l’environnement) : ce sont les espèces endémiques à un territoire donné.

Aujourd’hui, l’isolement diminue fortement et l’endémisme s’en trouve menacé. En effet, depuis la découverte de nouvelles technologies et l’accélération des transports et des déplacements de populations, l’insularité parait compromise. En facilitant leur accessibilité, l’amélioration des moyens de transport a d’abord favorisé des modifications dans la composition et la structuration de l’espace. Plus encore, l’accroissement des échanges entre les continents et les îles a permis de transporter régulièrement d’importantes quantités d’organismes exotiques. L’article de Jean-Raphaël Gros-Désormeaux « La biodiversité dans des territoires insulaires, approche théorique et perspectives de développement », paru dans la revue Développement durable et territoires, en développe de nombreux aspects.

En outre, une cartographie assez précise recense les menaces pesant sur  la biodiversité insulaire.

Au-delà de cette menace sur la biodiversité, comment certaines espèces se sont-elles adaptées à leur condition de vie sur des îles ?

Gigantisme et nanisme insulaire

Le Deinacrida rugosa (ou Weta géant), présent sur certaines îles de Nouvelle-Zélande doit sa taille au gigantisme insulaire. (image Wikipédia)

Le nanisme et le gigantisme insulaires sont deux volets d’un phénomène général, une “loi” de l’évolution : « les vertébrés supérieurs terrestres appartenant à des groupes de grande taille (grands mammifères) donnent, lorsqu’ils se trouvent en environnement insulaire, des espèces naines ; inversement, ceux qui appartiennent à des groupes dont la taille est généralement réduite (insectivores, rongeurs) donnent des formes géantes” (extrait de l’article : le nanisme insulaire au quaternaire, par Claude Guérin, Bulletin de la Société Linnéenne de Lyon, 1997)

Ainsi, le gigantisme insulaire est le phénomène biologique qui voit la taille des espèces sur une île augmenter de façon spectaculaire sur plusieurs générations : une taille plus importante assurerait un avantage de survie. A l’inverse, le nanisme insulaire est une taille plus petite de la nouvelle espèce par rapport à l’espèce continentale. L’absence de prédateurs dans cet environnement insulaire est la principale cause retenue.

Ce syndrome d’insularité résulte de multiples facteurs :

  • la taille de l’île a une influence sur la diversité des habitants
  • un faible brassage génétique dû à l’isolement (plus l’île est éloignée du continent, moins elle contiendra d’espèces)
  • l’absence de prédateurs : pas de nécessité de garder une grande taille si le danger est absent
  • des stratégies adaptatives : acquérir une petite taille permet d’épargner les ressources afin de les exploiter durablement, bien que la faiblesse de ces ressources puisse engendrer une compétition accrue.

“C’est l’éléphant normal qui est géant et le mulot de nos bois qui est nain”. C’est ainsi que Louis Thaler, non sans une certaine ironie, définit le nanisme et le gigantisme des animaux insulaires. S’appuyant sur l’observation de mammifères fossiles, il explique comment, isolées, les grandes espèces comme les éléphants deviennent plus petites, et les petites comme les mulots, plus grandes.

Un article paru dans La Recherche en 1973 a fait grand bruit. Louis Thaler disait : « les hypothèses les plus variées et les plus fantaisistes, évoquant généralement l’idée d’une dégénérescence, ont été avancées pour expliquer le nanisme insulaire. Quant au gigantisme insulaire, on le passe sous silence le plus souvent. Mais une attitude nouvelle se fait jour : ne doit-on pas considérer chaque installation d’une faune de mammifères dans une île comme une expérience naturelle d’évolution ? «

Pour lui, le seul fait que l’on connaisse des fossiles de taille intermédiaire dans les lignées naines ou géantes des îles montre que l’évolution de la taille n’a pas été soudaine ; de même, les mammifères des îles ont profité de l’absence de grands carnivores pour réajuster leur taille.

 Et l’Homme ?

L’Homme de Florès (dont les fossiles ont été découverts en 2003 dans la grotte de Liang Bua, sur l’ile indonésienne de Florès) était de petite taille, de 1 mètre à 1.10 mètre. Les fossiles humains ont été datés entre 100 000 et 60 000 ans avant le présent.

La grotte de Liang Bua (ile de Florès, Indonésie) Wikipédia CC BY-SA 2.0

Les hypothèses divergent sur la possibilité que cette espèce humaine ait été confrontée au syndrome d’insularité :

  • Un article de Futura Sciences affirme en août 2018 que la taille de l’Homme de Florès était liée à son environnement. Une équipe de scientifiques a étudié les pygmées Rampasasa présents sur l’île aujourd’hui. Résultat, aucune trace d’ADN archaïque provenant de l’Homme de Florès qui vivait là il y a 60.000 à 100.000 ans : « L’île de Florès est le seul exemple connu au monde où le nanisme insulaire soit apparu deux fois ».
  • Un article de Sciences Humaines de 2011 allait dans le même sens : “L’homme de Florès présente également un autre cas d’isolement, résultant sans doute de l’évolution locale d’un Homo erectus isolé sur une île et s’y adaptant par nanisme insulaire, phénomène connu pour d’autres espèces comme les éléphants nains de Sicile ».
  • En revanche, une autre analyse récente contredit ces propos : « Une analyse phylogénétique de l’homme de Florès montre qu’il ne s’agit pas d’un Homo erectus rétréci par nanisme insulaire, mais d’un tout petit homme primitif venu d’Afrique. » (In Sciences et Avenir, 2017)

Il faudra sans doute attendre plusieurs années avant de percer le mystère de l’homme de Florès (le site Hominidés.com recense les grandes étapes de la recherche depuis 2004), un de nos « cousins » découvert à ce jour.

Pour aller plus loin

Les éléments énoncés plus haut doivent nous faire prendre conscience de la richesse de la biodiversité, des impacts qu’elle peut subir et des moyens à mettre en oeuvre pour assurer sa préservation. Plusieurs ouvrages répondent à ces questions, avec différents niveaux de lecture :

Écologie et biodiversité / Denis Couvet et Anne Teyssèdre-Couvet

La biodiversité ? Comprendre vite et mieux /  Lise Barnéoud

La grande invasion : qui a peur des espèces invasives ? / Jacques Tassin

La nature en débat : idées reçues sur la biodiversité / Christian Lévêque

La biodiversité selon Lagaffe / Franquin

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Cet ouvrage traite du gigantisme animal du Crétacé à nos jours :

Le mystère des géants / Emmanuelle Grundmann et Pierre-Olivier Antoine

 

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