Numérique et transition écologique: opportunité ou défi?

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 04/03/2021 par Maud C

Alliées ou ennemies, la transition écologique et la transition numérique ? Dans notre société, les outils numériques sont plus que jamais indispensables pour communiquer, travailler, consommer, se divertir...Peux-t-on également compter sur eux pour répondre à ce grand défi contemporain qu'est la crise environnementale? Derrière l’idéal de la dématérialisation et le solutionnisme technologique se cachent d’autres réalités, parfois peu reluisantes. Mais chacun peut agir à son échelle, en changeant son regard sur les nouvelles technologies et en adoptant la sobriété numérique.

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L’impact environnemental du numérique: un lourd bilan

Smartphones, ordinateurs, tablettes, consoles de jeux et GPS ont envahi notre quotidien. Nous les utilisons pour nous connecter à internet, regarder la télévision, communiquer sur les réseaux sociaux, partager des photos, acheter un billet de train…Cet univers numérique grossit à une vitesse prodigieuse et cela a un coût environnemental considérable, notamment en matière d’émission de gaz à effet de serre. Selon l’Agence de la transition écologique (ADEME) le numérique est responsable de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si nous continuons au rythme actuel, ce chiffre pourrait doubler d’ici 2025.

Créée en 2004, GreenIT.fr se définit comme  la communauté des acteurs du numérique responsable qui s’intéresse à la sobriété numérique, à l’écoconception des services numériques et plus globalement à un avenir numérique alternatif. Ce collectif met à disposition des citoyens, organisations et pouvoirs publics de nombreux outils de référence. Le plus récent est l’étude  iNum, réalisée par un groupe d’experts indépendants entre janvier et juin 2020, dont l’objectif était de quantifier les impacts environnementaux du numérique en France et d’identifier des pistes d’actions adaptées aux spécificités françaises.

Selon iNum, les impacts environnementaux du numérique français sont de l’ordre de:

  • Consommation d’énergie primaire: 180 TWh d’énergie primaire; soit 6,2 % de la consommation de la France
  • Réchauffement global: 24 millions de tonnes de gaz à effet de serre; soit 5,2 % des émissions de la France
  • Tension sur l’eau douce: 559 millions de m3 d’eau douce; soit 10,2 % de la consommation de la France
  • Epuisement des ressources abiotiques (ressources naturelles non renouvelables) : excavation de 4 milliard de tonnes de terre

L’étude précise qu’une grande partie de ces impacts ont lieu en dehors de la France. Ils sont “importés” lors de l’extraction des minerais rares et de leur transformation en composants électroniques. Cette exploitation des ressources et de matériaux nécessaires aux biens de consommation modernes et courants des pays les plus aisés est à l’origine de nouveaux problèmes géopolitiques, décryptés par le journaliste français Guillaume Pitron dans son ouvrage La guerre des métaux rares: la face cachée de la transition énergétique et numérique (Éditions les Liens qui libèrent, 2019).

Le collectif GreenIt propose d’autres chiffres clés, qui ont également été calculés sur l’année 2020:

  • Croissance du poids de nos logiciels: x 171 en 20 ans

Cette étude réalisée par GreenIT est basée sur le couple Windows 10 et Office 2019 qui nécessite 171 fois plus de mémoire vive (RAM) que Windows 98 et Office 97. Pourtant, en 20 ans, les usages que nous avons de ces logiciels (écriture, calcul, présentation) n’ont pas changé et nous n’avons pas non plus gagné en rapidité. Cette croissance ininterrompue  des logiciels est le principal déclencheur de l’obsolescence prématurée de nos appareils numériques. 

  • Déchets électroniques : + 21 % en 5 ans, 2020

Selon la troisième édition du rapport The Global E-Waste Monitor 2020, l’humanité a battu un triste record en produisant 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques en 2019, soit une croissance de 21 % en 5 ans. La France fait partie des pays les plus émetteurs au monde avec plus de 20 kg par personne et par an. Parmi ses déchets, seuls 17 % sont collectés et recyclés à l’échelle mondiale.

  • Smartphone : 500 fois son poids en matière première

L’étude de GreenIT utilise la méthodologie dite du “sac à dos écologique ” qui consiste à rapporter le poids du produit fini (en kg) au poids de matières premières nécessaires à sa fabrication. Pour un smartphone, c’est 500 fois son poids. Mais dès qu’on entre au cœur des appareils numériques, le compteur s’affole: pour une puce électronique de 2 grammes, il faut 32 kg de matière première, soit 16 000 fois son poids !

  • 4 128 Go : votre consommation annuelle de données, 2020

C’est la quantité de données qui transitent chaque année dans chaque foyer américain, essentiellement via une box internet DSL ou fibre.Compte tenu du taux d’équipement, le chiffre doit être à peu près identique pour les foyers européens et français. L’étude menée par Decision Data révèle que cette consommation de données a été multipliée par 3,5 en 5 ans.

Contrairement aux apparences, la transition numérique n’est donc pas synonyme de dématérialisation. Cette inflation technologique, dont nous sommes de plus en plus dépendants,  semble, au contraire, aggraver considérablement le péril environnemental. Y-a-t-il encore un espoir de réconcilier technologie et écologie?

 

Transitions écologique et numérique: l’urgence de la réconciliation

Eric Vidalenc, économiste et chef du projet Prospective énergie ressources à l’ADEME, est l’auteur de Pour une écologie numérique (Les petits matins, 2019). Selon lui, le numérique s’est imposé au début du XXIème dans nos sphères professionnelles et privées. Dans le même temps, la question environnementale -avec au premier rang le changement climatique- a fait son entrée dans les champs politiques, médiatiques et même publicitaires.

Ces deux grandes transformations -la transition numérique et la transition écologique- vont donc faire partie de notre quotidien dans les années à venir. L’objectif de son ouvrage est de montrer comment les articuler, tenter de les concilier, voire de les réconcilier. A l’instar de la Fondation Internet Nouvelle Génération, Eric Vidalenc voit la transition écologique comme une transition imposée, ayant une fin mais peu de moyens, et la transition numérique comme une transition désirée, qui elle, a des moyens mais pas de but déterminé.

Eric Vidalenc émet de sérieux doutes concernant l’optimisation du système énergétique grâce au numérique. Pour lui, les maisons “intelligentes”, les réseaux “communicants” (Linky ou Gazpar), les industries 4.0, les champs “numériques” pour une alimentation “connectée” et les voitures “branchées” ne rapportent que des gains d’énergie marginaux (10 à 15% selon l’Agence internationale de l’énergie). Ceux-ci sont souvent perdus dans une autre partie du système énergétique, comme c’est le cas pour les véhicules électriques et leur consommation d’énergie primaire, ou alors réinvestis dans de nouvelles consommations de biens, ce qui occasionne un effet rebond. A-t-on réellement besoin de baskets ou frigos connectés, trottinettes en libre-service?

L’économiste déplore un monde noyé dans les données. Nous servant à quantifier de manière très précise notre rôle dans le changement climatique, elles s’en tiennent pour l’instant à accompagner le suivi du désastre car nous n’avons jamais autant émis de gaz à effet de serre. Ajouter une couche numérique sur nos usages, c’est ajouter de la complexité au système; or le véritable enjeu est de transformer structurellement le système énergétique, pas de l’optimiser pour le rendre seulement un peu moins inefficace.

Cet enjeu crucial a aussi interpellé la Convention citoyenne pour le climat par le biais de sa proposition Accompagner l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux. Cet appel a été entendu par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, et Cédric O, secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, qui ont organisé un colloque intitulé Numérique & Environnement : faisons converger les transitions le 8 octobre 2020. Retransmis intégralement en vidéo sur le site du Ministère de l’économie, ce colloque a convié experts, entreprises, élus, acteurs locaux et chercheurs. Les ministres ont annoncé le lancement d’une feuille de route interministérielle comprenant trois axes d’intervention :

  • Développer la connaissance de l’empreinte environnementale numérique
  • Réduire l’empreinte environnementale du numérique
  • Faire du numérique un levier de la transition écologique

Plusieurs annonces ont également été faites, comme le lancement de deux appels à projets et de deux concertations, l’une avec les opérateurs telecom pour qu’ils s’engagent fermement en faveur du réemploi et reconditionnement d’équipements numériques usagés, l’autre avec les parties prenantes pour évaluer l’ensemble des actions à mener pour poser les bases d’un numérique durable.

Si le gouvernement français semble avoir bien pris la mesure de l’urgence de réconcilier numérique et écologie, qu’en-est-il des entreprises? Comment, chacun à son échelle, peut-il faire évoluer ses pratiques vers plus de sobriété?

 

Sobriété numérique: les bonnes pratiques

Selon GreenIT, le numérique responsable se définit comme l’ensemble des technologies de l’information et de la communication (TIC) éco-conçues (dont l’empreinte économique, écologique, sociale et sociétale a été volontairement réduite) et/ou qui aident l’humanité à atteindre les objectifs du développement durable. En 2014, cette expression s’est substituée à celle de « numérique durable » pour rappeler que cette démarche ne se limite pas à la réduction des impacts environnementaux mais qu’elle s’intéresse aussi à la performance sociale et économique.

Dans le monde entrepreneurial, cela se traduit par la GreenTech, auquel Welcome to the jungle, média dédié à l’emploi de demain, consacre un article. Ce mouvement rassemble les acteurs qui construisent les technologies d’avenir, et façonnent une nouvelle manière de consommer et de vivre en plaçant l’écologie au cœur de leurs préoccupations. Partant de ce constat, les entreprises relevant de cette mouvance s’appuient sur la technologie et l’ingénierie de pointe pour :

  • Réduire l’impact de l’Homme sur la Terre
  • Pérenniser son existence en établissant un rapport sain avec son environnement
  • Contrebalancer et/ou réparer son empreinte nocive

Les principaux secteurs de la GreenTech sont :

  • L’industrie énergétique : le solaire, le photovoltaïque, l’éolien, la géothermie
  • L’industrie alimentaire, l’agriculture et le traitement de l’eau potable (la problématique majeure du XXIème siècle)
  • La biosurveillance (de l’air, du sol, de l’eau)
  • L’industrie automobile et les transports
  • L’architecture et l’urbanisme

Parmi ces pionniers du numérique responsable, on trouve par exemple Cleanfox qui propose de nettoyer nos boîtes mails, et milite pour la compréhension de l’impact environnemental du stockage de nos données non utilisées sur des serveurs distants ou Sylfen qui veut créer un monde 100% renouvelable en rendant possible l’autoconsommation des bâtiments à énergie positive. Cette start-up base son système réversible sur du renouvelable (panneaux photovoltaïques), des batteries et une solution à base d’hydrogène.

Sans avoir les compétences pour intégrer un secteur de la GreenTech, on peut bien entendu tous agir, à notre niveau et au quotidien afin de ralentir les effets délétères de la consommation énergétique du numérique. C’est à cette initiative citoyenne qu’appelle Bela Loto Hiffler, directrice de la Maison de l’informatique responsable, dans son ouvrage Les éco-gestes informatiques au quotidien : un guide pratique pour agir (ADEME, 2017). Voici dix de ses astuces pour réduire son impact environnemental sur Internet:

1.Privilégier les appareils écoresponsables

L’idéal est de prendre soin de ses appareils afin de prolonger au maximum leur durée de vie et quand il devient nécessaire de changer son matériel, d’opter pour un appareil reconditionné . Il existe également plusieurs écolabels ( Energy Star, EPEAT, TCO,80 PLUS) qui permettent de savoir si l’appareil est économe en énergie à l’usage, recyclable ou réparable.

2.Vider sa boîte mail de manière fréquente

Le stockage des mails dans les data centers est extrêmement énergivore. Dix milliards de mails sont envoyés chaque heure à travers le monde. Soit une consommation équivalente à la production électrique de 15 centrales nucléaires pendant une heure.

3.Limiter le nombre d’onglets ouverts

Un onglet ouvert, c’est un data center qui continue de tourner. Plusieurs extensions (comme The Great Suspender) proposent de mettre en veille les onglets non utilisés pour éviter qu’ils ne se réactualisent automatiquement.

4.Opter pour un moteur de recherche éthique

Surfer sur Internet tout en finançant des causes solidaires et écologiques (plutôt que les GAFA), c’est possible. Ecosia, Ecogine, Qwant ou encore Lilo constituent des alternatives de choix au géant américain Google.

5.Désactiver les notifications, le GPS, le wi-fi et Bluetooth

GPS, Bluetooth, wi-fi, notifications… Pour limiter sa consommation d’énergie, mieux vaut restreindre l’usage de ces outils. L’utilisateur peut également sélectionner l’option « économie d’énergie ».

6.Opter pour le streaming raisonné

Le fait de regarder des vidéos en direct s’avère être extrêmement énergivore. En 2015, le streaming vidéo a ainsi capté 63 % du trafic web mondial. Préférer le téléchargement à la consultation en streaming. 

7.Taper l’URL directement dans la barre de recherche

Taper l’URL du site directement dans la barre de recherche simplifie le circuit des opérations (page d’accueil, puis moteur de recherche et enfin site recherché) et réduit le bilan carbone d’une recherche.

8.Débrancher ses appareils dès qu’ils sont chargés

Cela peut sembler simple mais il est important de débrancher ses appareils, une fois chargés, car ils continuent à consommer de l’électricité.

9.Utiliser au maximum les plateformes de communication

Limitez le nombre d’envois en optant pour des plateformes collaboratives comme WhatsApp, Slack ou encore Workplace.

10.Supprimer les applications non utilisées

Les applications, même quand elles ne sont jamais consultées, continuent d’utiliser les ressources de votre smartphone, et de se mettre à jour automatiquement. N’hésitez pas à les supprimer, cela vous évitera, à l’avenir, une énième dépense énergétique inutile.

 

Ressources complémentaires:

Sobriété numérique : les clés pour agir, Frédéric Bordage, Buchet Chastel, 2019 (livre)

La face cachée du numérique,  ADEME, 2019 (livre numérique)

L’illusion de l’énergie verte, Arte, 17/11/2020 ( vidéo)

Comment dresser son smartphone, Vivons heureux avant la fin du monde, Delphine Saltel, Arte radio, 25/11/2020 (podcast)

 

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