La démocratie en question 2/3

« Démocratiser la démocratie »

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 22/04/2020 par L'anagnoste

Le référendum, la convention citoyenne et le tirage au sort sont autant d'outils d'une amélioration de la démocratie dite « représentative » qui ne suffit plus, justement, à la représentation de tous les citoyens.

Klèrôtèrion : machine à tirer au sort les citoyens retenus pour participer aux jurys populaires à Athènes. Musée de l'Agora antique d'Athènes © Marsyas / CC BY-SA 2.5

Le référendum ou comment démocratiser la démocratie, tel est le titre de l’article publié il y a quelques mois par Antoine Chollet sur AOC. La formulation résume à elle seule le mal dont souffre aujourd’hui la démocratie représentative : elle n’est pas assez démocratique. Le politiste suisse est sans doute le meilleur spécialiste de la question, la Suisse étant l’observatoire idéal de cet auxiliaire à la démocratie élective. Pour Chollet, la question du référendum n’est pas son opportunité, mais ses modalités : il ne doit être que d’initiative populaire, ce afin de ne pas virer au plébiscite, et il doit bénéficier de conditions favorables à sa réalisation, à savoir, un nombre raisonnable de signatures par rapport au corps civique et un temps suffisant pour se déployer. Mais le référendum, précise-t-il, est un exercice délicat, car l’échec peut être cuisant. L’adversaire risque en effet de tirer tout le profit de l’épisode, renforçant et renouvelant d’autant sa propre autorité politique. Les recherches de l’auteur ont porté ces dernières années sur le tirage au sort, largement développé en Suisse entre le XVIe siècle et le début du XIXe siècle. Les résultats de cette étude sont à retrouver dans la revue Passé simple (n°43, mars 2019).

La démocratie participative s’est invitée dans le débat public en France à partir des années 2000. La crise des Gilets jaunes, qui a mis en lumière le déficit de démocratie des institutions existantes, lui a donné une nouvelle actualité. Elle est, comme l’a naguère nommée Pierre Rosanvallon, cette « contre-démocratie » à même de prendre en charge la défiance vis-à-vis des élus dans un contexte d’effondrement des partis politiques traditionnels.

Loïc Blondiaux voit deux filiations à l’idéal participatif (entretien, ENS de Lyon, 2018). L’une, d’essence rousseauiste et républicaine, remonte aux années 1960-1970 et vise à organiser la participation du citoyen à la formation de la loi comme condition de sa liberté et de son épanouissement. La seconde, née dans les années 1980, s’inspire notamment des travaux de Jürgen Habermas et de la théorie de la démocratie délibérative. Dans le premier cas, il s’agit, explique Blondiaux, de « fabriquer des bons citoyens » (concernés, informés, actifs), et dans le second, de « fabriquer de bonnes décisions », c’est-à-dire de parvenir à des solutions d’intérêt général par la confrontation d’arguments – ce que l’on pourrait rapprocher de la démocratie « agonistique », fondée sur le conflit, défendue par Chantal Mouffe,

Loïc Blondiaux : Comment sortir de l’impasse démocratique ?

Il existe aujourd’hui deux types d’instances consultatives des citoyens français sur des projets d’intérêt général. D’une part, la Commission nationale du débat public (créée en 1995, indépendante depuis 2002), qui organise des consultations publiques, un peu dans l’esprit de la démocratie délibérative, sur des grands projets d’aménagement (autoroutes, lignes de TGV, centrales nucléaires, aéroports). La CNDP veille en particulier à la prise en compte de la préservation de l’environnement.

D’autre part, la conférence de citoyens, autrement dénommé jury citoyen, ou convention de citoyens par la Fondation Sciences Citoyennes, ou encore conférence de consensus dans le domaine médical, qui porte sur des questions d’ordre médical, technologique ou environnemental. Elle a pour vertu d’intégrer des citoyens ordinaires à des réflexions sur des sujets relevant d’expertises scientifiques. La plus connue est la conférence sur les OGM de 1998 dont les Annales des Mines donnent un compte rendu détaillé sur leur site Internet. La Convention sur le climat en cours, organisée par le Conseil économique, social et environnemental à la demande du président de la République, suscite un certain nombre d’espoirs parmi les spécialistes, notamment en raison de la procédure de tirage au sort de ses participants.

Pour la politiste Hélène Landemore, La Convention citoyenne pour le climat pourrait préfigurer une nouvelle forme de démocratie (Le Monde, 13/02/2020). Cette « France de poche » lotocratique (par tirage au sort) pourrait placer au cœur de la légitimité démocratique l’échange raisonné entre citoyens libres et égaux, voire contourner le parlement et sa prérogative législative si un référendum devait suivre la convention. Dans son dossier Convention pour le climat, peut-on réformer la démocratie ? , La Croix (24/10/2019) propose l’éclairage d’autres universitaires. Dimitri Courant, politologue, rappelle que la « démocratie représentative » ne garantit ni la souveraineté du peuple, ni la représentation de toutes les catégories socio-économiques. Historiquement, explique-t-il, en France comme aux États-Unis, les pères fondateurs des républiques modernes n’ont jamais eu pour projet de donner le pouvoir au peuple, ils ont privilégié un système où les plus riches, en raison de l’éducation et du temps dont ils disposaient, exerçaient le pouvoir. Il voit dans « le tirage au sort, un nouvel esprit politique » qui permettrait au peuple de garder la main sur la décision finale (cf ses contributions à la revue Participations consacrée au Tirage au sort au XXIe siècle). Pour Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, « les jurés d’assises sont un modèle pour augmenter la démocratie ». L’élection ne suffit plus car ce sont toujours les mêmes qui ont les moyens de se présenter et toujours les mêmes qui se trouvent ainsi de moins en moins représentés. Tout comme les jurés d’assises sont appelés à faire taire leurs préjugés et jugements antérieurs pour entendre la parole des victimes, des accusés et des experts, des citoyens tirés au sort pourraient être isolés, pendant un à trois mois, pour délibérer sur des sujets choisis par pétition. À son sens, des mouvements comme Nuit debout ou les Gilets jaunes doivent affronter la question de la représentation s’ils veulent innerver la démocratie représentative et porter la parole de ceux qui sont devenus inaudibles.

 

Une équipe d’archéologues du CNRS explique le fonctionnement du klérôtèrion antique (image d’ouverture de l’article).

 

Yves Sintomer sur le tirage au sort (Petite histoire de l’expérimentation démocratique est la version de poche remaniée parue en 2011 du Pouvoir au peuple sorti en 2007).
Pour les plus studieux, le politologue Yves Sintomer a tenu en 2012 une conférence au Collège de France sur le Tirage au sort et politique : de l’autogouvernement républicain à la démocratie délibérative et avant lui en 2010, l’helléniste Paul Demont sur Le tirage au sort en Grèce ancienne.

 

Enfin, la démocratie des places (Nuit debout, Indignados, etc.) cherche à proposer des modèles alternatifs aux institutions existantes, mais elle n’y parvient pas de manière effective. Au-delà des conseils de quartier ou des budgets participatifs qui relèvent de ce que Michel Foucault appelait la « gouvernementalité », et qui s’attache à encadrer et à contrôler la participation des citoyens, seul le référendum local d’initiative citoyenne à valeur décisionnelle permet aux citoyens de soumettre un projet à leurs concitoyens et de l’imposer, en cas de vote majoritaire, aux instances politiques d’une ville ou autre collectivité territoriale.

Le dernier volet de cette trilogie sera consacré aux expériences locales de démocratie  participative et aux projets de civic tech (« technologies citoyennes ou civiques ») qui tentent elles aussi de renouveler la démocratie.

La démocratie en question 1/3 La crise révélée

La démocratie en question 3/3  Innovations

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