La démocratie en question 3/3

Innovations

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - par L'anagnoste

Les expériences de participation citoyenne et les « civic tech » sont les deux visages de l'innovation démocratique.

Assemblée citoyenne rassemblant plus de 6 000 habitants de Londres © Pierre869856 / CC BY-SA 4.0

Entre 2014 et 2020, la petite ville de Saillans a vécu une expérience de démocratie participative inédite et surtout inattendue. L’affaire démarre « banalement » autour d’un projet de supermarché que le maire voudrait autoriser et dont les habitants ne veulent pas. La bataille gagnée contre la grande surface donne l’idée à certains de constituer une liste participative pour les élections municipales suivantes. Et cette liste l’emporte – 79 % des inscrits  se sont rendus aux urnes ! Toute la presse s’est emparée avec avidité et fascination de cet évènement sans précédent, ainsi le site Reporterre dans un très beau reportage A Saillans, les habitants réinventent la démocratie.

A Saillans, les habitants réinventent notre démocratie from Reporterre on Vimeo.

Les élections de mars 2020 ont relancé l’intérêt des médias pour la démocratie locale et ils sont retournés à Saillans. Ce « laboratoire » de la démocratie directe, comme l’a nommé Alexandre Billette dans Libération, n’a pas survécu à sa première mandature (À Saillans, l’expérience participative a vécu mais essaime ailleurs, 15/03/2020). Il a manqué 18 voix à la liste citoyenne (sur 869 votants) pour être reconduite. On peut en effet parler de laboratoire : en 2014, les nouveaux élus avaient dû se former à grande vitesse à des missions qu’ils n’avaient jamais exercées – certains sont sortis épuisés de l’immense travail fourni pendant quatre ans. Les clivages les plus durs sont réapparus entre les néo-ruraux et les natifs du village – qui s’étaient naguère alliés contre l’installation du supermarché – au sujet de la révision du Plan local d’urbanisme (PLU) et du projet d’autoriser les « habitats légers » (yourtes et autres tiny houses). (A. Billette, «Participalisme» : à Saillans, dans les alambics de la démocratie, 23/01/2020).
La journaliste Maud Dugrand, originaire de Saillans et auteur de La Petite république de Saillans, explique dans la Gazette des communes que le PLU a fait l’objet d’une procédure de tirage au sort de douze citoyens qui ont travaillé pendant deux ans sur le plan avec l’aide d’une association d’éducation populaire et le soutien financier de la Fondation de France.

Le mouvement communaliste est en pleine efflorescence. C’est ce dont rend compte Claire Legros dans Le municipalisme ou la commune au pouvoir (Le Monde, 08/02/2020). Loin d’être uniforme, le mouvement municipaliste est théoriquement scindé en deux grandes tendances : une tendance réformiste et modérée, autrement dénommée « néo-municipaliste » ou « citoyenniste », qui porte des projets relevant de la social-démocratie, et une tendance radicale, proche du « communalisme libertaire » de Murray Bookchin, qui défend une organisation du territoire en communes libres et autogérées. Ainsi, à Saillans, certains ont cru à l’influence de la Rovaja, une commune du Kurdistan syrien née dans un contexte très différent de guerre et d’exclusion des Kurdes de la vie politique.
On signalera parmi les publications récentes sur le sujet De l’intérieur d’un conseil citoyen de Gérard Léval et À nous la ville ! Traité de municipalisme de Jonathan Durand Folco, sans oublier les témoignages de Jo Spiegel, maire de Kingersheim de 1989 à 2020 et qui dressera le bilan de son action dans un nouvel essai à paraître aux éditions de l’Atelier, Nous avons décidé de décider ensemble : réponses d’une ville à l’urgence démocratique.

S’il reconnaît ses imperfections et surtout les déceptions qu’elle suscite, Loïc Blondiaux est un fervent défenseur de la démocratie participative. En témoigne le débat qu’il a eu avec la politologue Ulrike Guérot lors de l’édition 2017 de Chose publique.

Démocratie participative : quels outils ? Loic Blondiaux et (discutants) Antoine Brachet, David Prothais et Léonore de Roquefeuil

Concernant les civic tech, littéralement les « technologies civiques » ou « technologies citoyennes », Blondiaux estime qu’il ne faut pas surestimer leur capacité de renouveler la démocratie, ni verser dans un « solutionnisme technologique », car elles ne résoudront pas les problèmes qui tiennent aux relations et aux contextes sociaux. Il considère néanmoins qu’elles représentent un réel potentiel d’innovation, permettant notamment des processus de séquençage des décisions par consentement, et qu’elles favorisent la contribution à distance de personnes, en particulier des jeunes, qui ne se déplaceraient pas dans des instances classiques de démocratie participative. Enfin, elles reposent sur des principes de transparence, d’horizontalité et d’inclusion inhabituels en politique.

Dans l’entretien qu’il accordé à l’ENS, Blondiaux renvoie au Citoyen hackeur, un article de Clément Mabi dans lequel l’auteur propose un panorama complet du phénomène. Il utilise la formule d’« uberisation » des médias, faisant référence à la démocratie sans intermédiaire que les civic tech promettent de mettre en œuvre. Parmi les trois modèles économiques possibles : associatif, subventionné ou entrepreneurial, il pointe les risques d’une démocratie numérique gérée par des start up mercantiles : commercialisation des données, constitution de monopoles (du type des GAFAM), blanchiment démocratique (open washing) et civic business (marché de la démocratie).


Le numérique peut-il “hacker” la démocratie ? | Clément Mabi | TEDxUTCompiègne

Mabi classe les civic tech  en quatre catégories :


1. les « critiques externes » qui relèvent de la contre-démocratie et cherchent à approfondir le fonctionnement de la démocratie représentative par un meilleur contrôle des représentants et une connaissance de son fonctionnement.

Proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques.

https://www.regardscitoyens.org/#&panel1-1

Mettre en valeur l’activité parlementaire des députés de l’Assemblée nationale française.

https://www.nosdeputes.fr/

Les parlementaires font-ils la loi ? Explorez l’évolution de la loi au fil de la procédure parlementaire avec La Fabrique de la Loi !

https://www.lafabriquedelaloi.fr/

 

2. les « réformateurs externes » qui cherchent à approfondir le fonctionnement de la représentation en favorisant la collaboration entre citoyens et institutions.

Engager les citoyens autour de consensus populaires pour pouvoir réconcilier le corps social et retrouver une capacité à traiter nos dissensus. Make.org a développé trois types d’opération : les grandes causes, les grands débats, les consultations d’engagement.

https://make.org/FR-fr

Réseau social citoyen et espace de consultation entre les citoyens, élus et collectivités sur des sujets de politique locale ou nationale.

https://www.politizr.com/

« Pour les curieuses qui n’ont pas le temps de l’être »

https://www.voxe.org/

3. les « réformateurs critiques » qui relèvent, comme le groupe 1, de la contre-démocratie et visent à transformer la démocratie institutionnelle.

Through reporting and analysis of social and political issues, we seek to educate citizens to challenge power and encourage democratic debate across the world. Organise des hackathons sociaux destinés à mobiliser des citoyens et à faire pression sur les gouvernants.

https://www.opendemocracy.net/en/

4. les « hackeurs embarqués » qui cherchent à réformer en profondeur le système tout en s’y impliquant. Leur objectif est de hacker la démocratie au sens propre du terme, c’est-à-dire de participer à son fonctionnement pour le modifier de l’intérieur en profitant de ses ressources.

« Participez à l’élaboration de la loi »
Permettre aux citoyens et aux parlementaires de rechercher ensemble les solutions aux problèmes de notre pays.

https://parlement-et-citoyens.fr/

Une liste de candidats tirés au sort pour une élection législative partielle à Strasbourg en 2016 : la tête de liste a obtenu 4,2% des suffrages.

https://www.mavoix.info/

La Primaire Citoyenne. Aux Citoyens de Choisir Leurs Candidat(e)s !

Charlotte Marchandise, élue en 2017 par 32 000 participants, n’a pas obtenu les parrainages suffisants pour se présenter à la présidentielle.

https://laprimaire.org/

Civic tech : révolution ou instrumentalisation ? Cap-Collectif, start up « experte dans le domaine de l’in­tel­li­gence collec­tive »

La démocratie en question 1/3 La crise révélée

La démocratie en question 2/3  « Démocratiser la démocratie »

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