Tout poil lu

Cheveux, barbes et autres systèmes pileux

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 17/06/2016 par Log

Si poils et cheveux nous paraissent un héritage direct de Dame Nature et une part de notre animalité, notre façon de les traiter, de les soigner, de les considérer est éminemment culturelle. En avoir ou pas, telle pourrait être une des questions. Peu de semaines en effet, sans un sujet magazine sur le retour de la barbe, la dernière coiffure à la mode, l'épilation « maillot », les aisselles poilues, le style velu... Sous ses dehors un poil frivole, le sujet touche les questions du genre (virilité, féminité), du naturel, des croyances (voiles, tonsures), de l'ordre social, de l'identité, de l'esthétique. Tant il est vrai, selon les termes de Christian Bromberger, qu' « une société nous dit beaucoup d'elle-même par ses franges »...

Académie de coiffure de la rue de la Chaussée d
Académie de coiffure de la rue de la Chaussée d'Antin The Picture Magazine vol3 1894 p263

Le sens du poil

La littérature existante sur les significations que peuvent avoir poils et cheveux est telle que l’on ne peut être exhaus-tif ! De Samson à Barbe Bleue, des condamnés rasés aux moines tondus, des Aïnous aux Japonais, de l’épilation du pubis à celle des sourcils, des perruques aux voiles, des blondes aux brunes en passant par les rousses, de Dieu au Diable même, barbus, chevelus, glabres, rasés et poilus donnent matière à documentation et réflexion.

Les sens du poil : une anthropologie de la pilosité, Christian BROMBERGER, Bayard Christian Bromberger - Le sens du poil - Une anthropologie de la pilosité.
Réédition d’un ouvrage de référence sur la question, auparavant titré  Trichologiques, du grec thrix, thrichos, « poil » en grec ancien. En analysant de multiples exemples, l’auteur montre qu’il n’y a pas de langage universel de la pilosité mais de nombreuses variations historiques et géographiques attestant la polysémie du poil. Il peut ainsi, suivant sa longueur, son absence, son traitement, être marqueur d’âge, de sexe, de statut social ou matrimonial, de vocation, de condamnation, etc.
Trichologiques, Nicolas Journet, Sciences Humaines, juillet 2010, recension en ligne, résume les principaux aspects de l’ouvrage.
Les poils : histoires et bizarreries, Martin MONESTIER, Le Cherche-midi
Martin Monestier - .  Un ouvrage moins analytique mais où l’on trouve vraiment tout sur les poils : des métiers du poil aux coiffures historiques, du poil contestataire aux rites capillaires, des crânes rasés aux méthodes de soins des poils et cheveux, du fétichisme à l’épouillage, du poil auxiliaire de police au poil auxiliaire de sortilège, des proverbes aux citations, et ce n’est même pas tiré par les cheveux !
L’esprit des cheveux, Christiane NOIREAU, l’àpart du beau
Christiane Noireau - L'esprit des Cheveux - Chevelures, poils et barbes, Mythes et croyances. Cet ouvrage richement illustré passe en revue de nombreuses représentations et symboliques des cheveux dans l’art (peinture, sculpture, littérature), faisant la part belle aux croyances et superstitions qui y sont attachées.
« La chevelure est toujours objet d’étonnement. Elle est une apparence du corps qui dit la santé, mais aussi l’humeur, le goût, l’appartenance sexuelle, sociale, religieuse et politique, la race, le désir de séduire, de provoquer, parfois d’insulter. Elle révèle le génome du porteur et permet de déceler la culpabilité ou l’innocence. » (p.15)

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Au poil près

On a parfois l’impression que le sens accordé à une pratique ne tient qu’à un cheveu : changez de pays, d’époque, de société, de point de vue et le sens change.
Suivent quelques exemples moins encyclopédiques, où l’on peut voir le retour du poil, le poil « beurk », le poil queer, le poil dans la tête, le poil contestataire …

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Merci d’être velues, Elisabeth LEBOVICI, Libération, 18 mars 2000, en ligne
Un article au titre poilant où l’on voit les femmes reprendre du poil de la bête, et qui cite aussi l’essai Le Vil et le vigoureux, la toison et le poil : des cheveux et de leur langage, Marina WARNER dans Féminin, masculin, le sexe de l’art, exposition Centre Georges Pompidou

Barbe, cheveux, toison : l’intimité du poil, Nicolas GUEGEN, Cerveau&psycho,n° 26, mars avril 2008, en partie en ligne et à la BML.
Il n’y a pas seulement une symbolique du poil mais aussi une « psychologie du poil », dont Nicolas Guegen nous donne un aperçu dans cet article relatant des expériences permettant de répondre à des questions fondamentales comme « les femmes préfèrent-elles les hommes barbus ? », « les hommes préfèrent-ils vraiment les blondes ? ».
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Poils et sang, Cahiers d’Anthropologie sociale, n° 6
« Les dix contributions qui constituent ce volume se proposent d’aborder le sujet de la pilosité suivant, d’une, part, une approche comparative liée aux pratiques, notamment celles portant sur les humeurs corporelles – en particulier le sang – et, de l’autre, à l’imaginaire que les deux catégories entretiennent avec cette notion plus générale, mais aussi plus vague, qu’est la vitalité. Sauvagerie, sexualité et vitalité d’un côté, comportement policé, retenue et abstinence de l’autre ; tels seraient les deux extrêmes du balancier conceptuel que parcourraient la pilosité et le sang dans les pratiques et l’imaginaire humains. » Extrait de la présentation.

Afficher l'image d'origine   La femme à poils … Esthétique queer, Gérald LARRIEU, texte en ligne sur Lectures du genre
Décryptage du queer à partir du tableau de Jusepe de Ribera : Madeleine Ventura avec son mari et son fils, Musée Tavera, Tolède, Université François Rabelais, Tours, mai 2007.

 


Organisations pileuses et positions politiques
, Frédéric BAILLETTE, revue-quasimodo.org, en ligne
Ce long article examine en détail et au cours de l’histoire récente les rapports entre cheveux, poils et pouvoir.
« Associé à d’autres manifestations corporelles (attitudes, dégaines, gestuelles, etc.) et à des assortiments vestimentaires, il [le poil] peut énoncer un engagement politique, ou accompagner un parti pris idéologique. Il est aussi la manifestation visible, et parfois caricaturale, d’un choix existentiel, d’une orientation ou d’une prise de position philosophique, esthétique ou sexuelle. » (Extrait de l’introduction)
L’auteur souligne l’ambivalence de la barbe, le goût des régimes réactionnaires pour les cheveux ras. Afficher l'image d'origine
Il montre aussi que les cheveux peuvent être affirmation de liberté individuelle et symboliser la personnalité. Se les faire raser, couper de force, est alors humiliation et dépersonnalisation (rasage du crâne des bagnards, femmes tondues à la Libération, tonte complète des déportés). Il aborde aussi bien l’épilation, les styles contestataires (hippies, skinheads, zazous et punks) que les rapports de l’institution scolaire avec les cheveux.

Note sur les dégoûts pileux ? Christian BROMBERGER, Ethnologie française, janvier 2011, article en ligne sur CAIRN
Résumé :
« Le dégoût procède de la perception d’une anomalie, du « sentiment que quelque chose n’est pas à sa place », d’une inconvenance qui dérange l’ordre habituel du monde et met le corps en jeu. Les dégoûts pileux peuvent ainsi naître d’un sentiment de violation des normes habituelles, normes du paraître dans une société donnée, normes du genre… On examine ici quelques-unes de ces transgressions des normes pileuses qui suscitent le dégoût. […] Du cheveu sur la soupe à l’alopécie chimio-induite, en passant par le glabre et le poilu des uns et des autres », du rejet de l’autre au dégoût de soi : le poil inspire répulsion s’il ne se plie pas à la norme, s’il ne paraît pas à sa place.

Couper les cheveux en quatre

Il est ébouriffant de voir les nombreuses façons d’accommoder les cheveux : on peut les gaufrer, les foncer, les décanter, les dresser, les lustrer, les parer, faire des macarons, se crêper le chignon, tenter un beau roux.
Traiter le poil paraît plus simple : rasant ou barbant, c’est selon, mais il y faut art et méthode !

 

Se faire des cheveux

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Histoire de la coiffure et des coiffeurs, Paul GERBOD, Larousse
« Elément essentiel de la séduction féminine, indice du statut social chez l’homme, la coiffure, objet de l’être et du paraître, est riche d’une longue histoire, passionnante et multiforme. Des antiques perruques blondes romaines aux extravagants poufs de l’Ancien Régime, des coupes à l’Ecuelle des chevaliers du Moyen Age aux cheveux gominés des séducteurs de l’entre-deux guerres, des catogans du XVIIIe siècle au style iroquois des punks de la fin du XXe siècle, la coiffure est le parfait témoignage de l’esprit d’une époque en même temps que l’expression d’un certain ” génie français “. Reflet de la mode mais aussi des mœurs, la chevelure -le système pileux en général- a toujours suscité mythes et fascination » (résumé de l’éditeur)
Parures de tête, Musée Dapper
Coiffures, parures, masques, et accessoires de toute l’Afrique, émanant du fonds Dapper et de différents musées et collections privées. L’iconographie magnifique est accompagnée d’analyses détaillées de la signification de ces parures de tête.
« Spectaculaires assemblages en cimier, à panier, en cascade, architectures nattées ou tracés de rasage, les coiffures, éléments de protection ou d’apparat, sont l’objet de compositions complexes où se mêlent formes et motifs, couleurs et matières, végétales, minérales ou animales.
Boules, crêtes, tresses et chignons constitués par des ajouts de cheveux ou de fibres, plumes, peaux, cauris, les embellissements de la tête sont les témoins d’une imagination fertile. A travers ces parures, un langage symbolique exprime de façon originale la fonction ou le statut social.
».(4e de couv.)


Au tour du poil




Du velu au lisse : histoire et esthétique de l’épilation intime, Jean DA SILVA, Ed. Complexe
Alors, faut-il ou non s’épiler la joliment nommée toison intime, et pourquoi ?
L’auteur s’intéresse à la valeur culturelle et anthropologique de l’épilation intime « dans les rapports entre homme et femme, entre enfant et adulte, nature et civilisation, tradition et modernité, privé et public, individu et société, norme et déviance, exclusion et tolérance, liberté et soumission » (p. 16)

 Portraits au poil, Camille GEVAUDAN, Libération ; Ecrans, 27 décembre 2010
Quelques beaux exemples de barbes et de moustaches !

Barber shop : l’art de bien ordonner son poil, Marc Aumont
Tout ce qu’il faut savoir pour entretenir et arborer barbes et moustaches, à toujours brosser dans le sens du poil …


Fictions capillaires

Si ce qui précède vous paraît trop ré-barbe-à-tif, voici pour finir une très courte sélection volontairement hétérogène de titres de l’imaginaire pileux.


Le monstre poilu, Henriette BICHONNIER
Eh oui, les princesses ont bien changé de nos jours. Et l’héroïne de ce petit ouvrage arrive à vaincre le monstre en le faisant exploser de colère à coup de jeux de mots, poil au dos …

 

La moustache, Emmanuel Carrère Gallimard, disponible aussi en film, Pathé
Il paraît anodin de décider un jour de se raser la moustache. Mais si tout le monde, femme, amis, collègues, vous dit ensuite que vous n’avez jamais eu de moustache …

Histoire des cheveux, Alan PAULS, Bourgois
  « Il ne se passe pas un jour sans qu’il pense à ses cheveux ». Le narrateur de L’Histoire des cheveux est obsédé, depuis son plus jeune âge, celui des cheveux raides et blonds, par leur coupe, leur texture, leur allure. Problème insoluble puisqu’avec les cheveux, rien n’est jamais acquis, ils poussent, évoluent »
Lire la suite de l’article Histoire des cheveux, Alan Pauls, Christine MARCANDIER-BRY, Mediapart.fr, en ligne


Le dernier voyage de Tania, Akeksei Fedorchenko, Memento Films
A la mort de son épouse Tania, Miron veut faire avec elle un dernier voyage, respectant les rites des Meria, une ancienne tribu russe. Des flash-back convoquent ses souvenirs et parmi eux, une très belle coutume : de jeunes naïades tressent des papillotes multicolores à la toison de Tania jeune mariée.

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Brune blonde. Arts et cinéma, site de l’exposition de la Cinémathèque
Ce site fournit de nombreuses pistes à explorer, titres de films, noms de cinéastes et d’artistes, conférences en ligne, ressources en ligne pour les enseignants, etc.

 


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