La Fabrique de l'Info

Montrer et raconter la guerre contemporaine

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/03/2020 par Gadji

La volonté de montrer la guerre n'a rien de nouveau. Que ce soit en dessin ou en peinture, le combat, le conflit et le duel font figure de thèmes classiques de représentation.

Cependant c’est seulement avec le début de la Première Guerre mondiale qu’est amorcé un questionnement sur le sens et le bien fondé de ces représentations. L’époque de la Grande Guerre coïncide avec le moment d’émergence de médias de masse : presse, affiches, cinéma, photographie ; en lien avec ces nouveaux vecteurs d’information surgissent de nouvelles problématiques. Émergentes au début du XXe siècle, celles-ci se posent à l’heure actuelle avec une acuité renouvelée : à l’heure où Internet et les chaînes d’information en continue démultiplient l’offre informationnelle disponible, la représentation de la guerre est en proie à de nouvelles tensions. A l’occasion du Centenaire de la première guerre mondiale, la bibliothèque de la Part dieu vous propose un tour d’horizon de ces enjeux.

Sommaire

- Image et support : la question du format

- L’image et son propos

- Volontaire de l’info : le statut du reporter de guerre

- Pour aller plus loin

Image et support : la question du format

Se pose tout d’abord la question du statut de l’image et des modalités de sa transmission. L’image est, par définition, un média ; ce faisant, elle implique un format qui n’est pas neutre.

Le support de l’image, qu’il soit animé ou fixe, peut affecter la nature du propos qu’elle relaye. Mais l’image suffit-elle à elle seule ?
Souvent, elle est un vecteur d’information dont le texte est le complément nécessaire. Dans L’œil de la guerre, les images de conflits, du milieu du XIXème siècle jusqu’à la deuxième guerre du Golfe, entrent en résonance avec les témoignages de reporters de guerre et de civils. L’exposition de ces deux-cent clichés, des Balkans à la Chine en passant par l’Afghanistan et Cuba, permet également d’apprécier la manière dont l’évolution du support fait écho à ce qu’il relate. Ainsi, la précision et la qualité des outils photographiques s’affinent en même temps que les armes se font plus techniques et plus meurtrières.

Les modalités de transmission de l’information et du message évoluent également : il a fallut deux jours pour que le premier scoop d’Albert Londres – considéré comme le plus emblématique des grands reporters du XXe siècle – soit retransmis.

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Correspondant pendant la Grande guerre pour le « Petit journal », il accompagne les poilus dans leur quotidien. Les enregistrements de ses reportages, lus par Marc de Roy, nous donnent à entendre la guerre vécue de l’intérieur, au jour le jour. Aujourd’hui, avec la présence massive des réseaux sociaux, le rapport au temps est bouleversé. En quelques secondes, l’information est propulsée et relayée simultanément aux quatre coins du globe. Les notions de vitesse, d’immédiateté et de réactivité participent de la
valeur ajoutée de la production et de la réception de l’information.

L’image et son propos

Mais au-delà du support, c’est le contenu de l’information transmise qui interroge. De fait, la volonté de représenter la guerre ne va pas de soi. Elle naît même d’un paradoxe : les conflits, en conjuguant destin collectif et incertitudes majeures, sont les moments de l’histoire où la demande d’information se fait la plus urgente. Mais ces périodes sont aussi celles où l’information est la plus susceptible d’être biaisée, orientée, manipulée. A l’omniprésence de la propagande et de la censure s’oppose donc un besoin vital, et renouvelé, de vérité. Dans quelle mesure le document visuel montre-t-il ce que l’on veut lui faire montrer ? Quelle est la part de la mise en scène, de l’orientation et de la construction du regard ?

De fait, « la première victime de la guerre, c’est la vérité ». Cette phrase de Philip Knightley a inspiré le film Veillée d’armes du cinéaste Marcel Ophuls.
En deux parties, ce documentaire est une enquête sur le journalisme en temps de guerre qui entraîne le spectateur au cœur des conflits de la fin du XXe siècle, de Bagdad à Sarajevo. Le réalisateur se lance sur les traces des reporters de guerre – photographes, journalistes de télévision ou de presse écrite – et s’interroge sur la manière dont l’information se construit et se transmet dans ces situations extrêmes.

Mais cette question de la vérité sous-tend nécessairement celle de l’objectivité. « Toutes les photos sont exactes : aucune ne dit la vérité » écrit Richard Avedon, photographe engagé, auteur notamment de clichés sur la guerre du Vietnam. Pendant la Première Guerre Mondiale, la photographie est la source d’information consacrée. Par son aspect réel, elle fait figure de preuve tangible et de média privilégié pour les Français de l’arrière, tenus dans l’ignorance de ce qui se passe au front. Pourtant, la photographie ne dit-t-elle pas uniquement ce que l’on veut lui faire dire ?
L’ouvrage Guerre et médias, de la Grande guerre à aujourd’hui s’interroge sur la manière dont les médias s’accommodent de la censure, de la propagande et de la désinformation qui sont le fond des conflits contemporains, de la Première guerre mondiale à la guerre d’Algérie. Derrière l’apparente transparence des images, l’observation attentive décèle une construction afin de véhiculer un certain point de vue.

Car représenter un conflit guerrier pose nécessairement la question de la neutralité de l’image. Dans Montrer la guerre ? Information ou propagande, Laurent Gervereau pointe la tension permanente à laquelle l’image de guerre est soumise : d’un côté, la dénonciation, le refus de représenter un phénomène aussi complexe ; de l’autre, la tentation de l’émotion, du spectaculaire, de l’héroïsation.
De nos jours ces questions sont toujours d’actualité : la frontière entre information et propagande n’a jamais été aussi ténue. En prenant ce constat comme point de départ, Laurent Gervereau propose un décryptage de photographies de guerres, de la Première guerre mondiale à des conflits contemporains, parmi lesquels la guerre du Vietnam. L’auteur pointe également le fait que montrer la guerre n’est pas nécessairement montrer toute la guerre : la photographie ne se focalise pas sur le moment de l’affrontement. Si le combat est le moment paroxystique, l’image s’attache aussi à la périphérie du conflit, aux périodes de l’avant et de l’après : pendant la Grande Guerre, certaines photographies montrent des colonnes de véhicules et de militaires à pied pour illustrer les rapports du front et de l’arrière.

Le statut de l’image évolue également, notamment avec le développement des images d’amateur, de plus en plus intégrées dans les reportages. La valeur informative de ces témoignages n’est plus à démontrer : dans les zones inatteignables par les journalistes professionnels, c’est parfois la seule source d’information dont les médias professionnels disposent. Ces nouvelles modalités de participation interrogent : sur quelle déontologie repose ce journalisme citoyen ? Celui-ci naît de la défiance entretenue à l’égard des médias classiques, parfois accusés de détourner ou manipuler l’information. C’est cette méfiance qui est à l’origine de plateformes comme celle d’Arrêt sur images , site web de décryptage des médias, ou encore de l’émission Le Secret des Sources
de France Culture qui propose chaque samedi d’analyser la réception, le traitement et la diffusion d’une information.

Volontaire de l’info : le statut du reporter de guerre

La Grande Guerre est aussi l’époque de l’émergence d’une figure majeure et emblématique, celle du reporter de guerre.

Pendant la première moitié du XXe siècle, l’image du reporter de guerre se confond avec une figure mythique. Cette époque est l’âge d’or de ce qu’on appelle alors « le grand reportage ».

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Celui-ci est conçu comme devant aller au-delà d’une simple description de la réalité pour transmettre un message, des émotions, un vécu. L’argent et le temps ne manquent pas à ces journalistes, décrits par Pierre Assouline, dans sa biographie consacrée à Albert Londres, comme des « vagabonds internationaux » ou des « flâneurs salariés ». Mais quelles motivations animent ces soldats de l’information et les poussent à aller risquer leur vie en se rendant sur des lieux emplis de chaos, de mort, de misère ?

Cette interrogation est au centre du documentaire sur les reporters de guerre War Reporter, du réalisateur tunisien Amine Boukhris , dans lequel les journalistes racontent leurs souvenirs et leur passion du métier au cours de séquences inédites. « Ce film est un documentaire “sur” et “avec” les reporters, car ils ont aussi été mes cameramen pendant le tournage », a déclaré le réalisateur au site JOL. « Ce film montre le périlleux métier qu’ils exercent : filmer et photographier la vérité au péril de leur vie. »

C’est de cette volonté de témoignage que traite l’ouvrage
Grands reporters de guerre, entre observation et engagement.
Les quatre journalistes Pierre Barbancey, Renaud Girard, Jean-Pierre Perrin, Jon Swain livrent un aperçu de leur quotidien dans les grands conflits internationaux et les guerres civiles où ils ont été envoyés. Au-delà des conditions matérielles du métier, l’ouvrage permet de saisir les motivations de ces reporters de guerre et l’évolution de leur activité au cours des dernières décennies. La forme dialoguée du récit en renforce l’impact et la force des témoignages relatés. Ils abordent de front la problématique du journaliste embedded, embarqué, engagé aux côtés de ceux qu’il filme ou photographie.

Aujourd’hui cependant, la modification du contexte de production de l’information entraîne une évolution du métier et le conduit à se repositionner.
C’est le sujet qu’a choisi de traiter l’enseignant chercheur Camille Laville, dans un ouvrage intitulé Les transformations du journalisme de 1945 à 2010. A partir d’une étude portant sur trois générations de correspondants étrangers de l’AFP, l’auteur met en évidence les conséquences de l’impact de l’innovation technique sur le métier de reporter : perte d’autonomie, contrainte concurrentielle et contrôle accru de la production journalistique. La relation entre lecteurs et journalistes se modifie, le rapport de force tend à s’inverser. Les sources se transforment également : aujourd’hui, l’extension des réseaux d’information en continu et le développement d’Internet pallient les médias traditionnels parfois suspectés de manipuler l’opinion. Comment la transformation des techniques de communication a-t-elle fait évoluer l’identité personnelle et professionnelle de ces journalistes de terrain ?

La crise qui touche la profession s’exprime aussi à un second niveau. Le reporter doit de plus en plus souvent faire face à des difficultés matérielles qui rendent son activité plus dangereuse – conditions de sécurité pas toujours assurées – mais surtout plus précaire ; s’exposant à des attaques, des enlèvements fréquents et risquant leur vie. Plus de 2000 journalistes ont été tués à travers le monde depuis 1944 et c’est en leur mémoire que la Ville de Bayeux, accueillant les rencontres des correspondants de guerre, a réalisé avec l’association RSF, le mémorial des reporters.
On y trouvera, gravé sur une stèle comportant chaque année plus de noms, celui de la photojournaliste d’Associated Press Anja Niedringhaus, tuée par un policier afghan le 4 avril 2014. C’est de son travail et de celui de beaucoup d’autres photojournalistes que rend compte le catalogue de la 26e édition du festival international Visa pour l’image. A travers une série de photographies assorties de témoignages, de la Roumanie au Vietnam, l’exposition permet de prendre conscience de la réalité d’un métier qui s’exerce dans des conditions toujours plus difficiles. Ici, la qualité de l’image ne se réduit pas à son impact documentaire : au-delà de l’information, c’est aussi la force artistique des clichés qui suscite l’admiration.

Pour aller plus loin

Conférences de la Bibliothèque de Lyon

Les festivals

  • Etonnants Voyageurs, festival International du livre et du film organisé chaque année à Saint-Malo.
  • Les rencontres du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre : à propos de ces rencontres, voir le reportage d’Emmanuelle Anizon paru dans Télérama en novembre 2014 intitulé « Minés par le terrain, les reporters de guerre ont le blues ».
  • Le festival international de photojournalisme Visa pour l’Image qui a lieu tous les ans à Perpignan.
  • Le FIGRA, Festival International du Grand Reportage d’Actualité. Rencontre internationale de réalisateurs, de journalistes et du public afin de promouvoir le reportage d’actualité et le documentaire de société qui a lieu au Touquet-Paris-Plage.

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