Du collège unique au collège 2016

Où en est la démocratisation de l'enseignement ?

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 07/07/2016 par Maud C

Historique des réformes successives de l'enseignement au collège, de 1975 à 2016

Le collège tel que nous le connaissons actuellement est né en 1832 sous le nom d’enseignement primaire supérieur. Guizot, le ministre de l’Éducation de l’époque, voyait en cette nouvelle institution le « maillon manquant entre le primaire et le secondaire ». Cette naissance survient au beau milieu d’un débat qui marque le XIXème siècle : l’école doit-elle se contenter de délivrer un savoir élémentaire, une fois pour toute, aux enfants du peuple ou alors être plus ambitieuse en diffusant à chaque enfant sans distinction un fond commun d’instruction, qui pourrait servir de base à de futures spécialisations. Le sujet régulièrement rebattu de l’échec scolaire s’avère particulièrement sensible au collège. Il fait ressurgir cette vieille querelle entre le mythe de l’école républicaine d’excellence et la démocratisation de l’enseignement, qui est, semble-t-il, un objectif de plus en plus difficile à atteindre. Contrairement à des pays d’Europe du Nord qui ont opté pour la privatisation ou la décentralisation de l’enseignement, l’Éducation nationale semble avoir choisi pour réponse des réformes d’ordre structurel. Du collège unique à la réforme du collège 2016, en voici un court historique.

Sommaire

Le collège unique : initiation d’une réforme

Les aménagements successifs d’une réforme ambitieuse

Collège unique ou socle commun de connaissances, entre maintien et renoncement

Pour aller plus loin

Le collège unique : initiation d’une réforme

Le collège unique n’aurait certainement pas pu voir le jour sans deux réformes précédentes : la réforme Berthoin qui, en 1959, établit la fin de la scolarité obligatoire à l’âge de 16 ans et celle nommée Fouchet-Capelle qui crée les collèges d’enseignement supérieur (CES) en 1963. Fortes de ces récentes évolutions, la réforme du collège unique, instaurée par le ministre René Haby en 1975, sera présentée par Valérie Giscard d’Estaing comme « un moyen puissant d’égaliser les acquis culturels ».

Les changements essentiels répondent au principe de démocratisation de l’enseignement, initié par le rapport Langevin-Wallon de 1947 qui affirmait que « la formation du travailleur ne doit en aucun cas nuire à la formation de l’homme ». La fin de la scolarité en filières est prévue au profit de collèges qui accueilleront tous des élèves de la sixième à la troisième en jouant le rôle de passerelles vers le lycée. Cette mesure prévoit des actions de soutien scolaire et des activités d’approfondissement qui permettront de palier l’hétérogénéité des niveaux au sein d’une même classe.

Le collège unique, pour quoi faire ?Les opposants au collège unique dénoncent un appauvrissement des programmes provoqué par la suppression des filières. Pour eux, la démocratisation n’est qu’un prétexte à réduire les dépenses d’enseignement.

La réforme rencontre de grandes difficultés dans sa mise en place. La préparation des enseignants est remise en cause et plus encore, l’hétérogénéité sociale et scolaire des élèves. Les mesures de soutien se heurtent à une interrogation : « Peut-on vraiment répondre aux difficultés d’un élève en se contentant d’évoquer la difficulté scolaire en général ? » , interroge Jean-Paul Delahaye dans son ouvrage Le collège unique, pour quoi faire ?

 

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Les aménagements successifs d’une réforme ambitieuse

La réforme du collège unique entérinée, il s’agissait désormais de parfaire un modèle d’éducation et de l’adapter sans relâche aux élèves issus d’une société en constante évolution.
L’une des réformes les plus emblématiques a été publiée en 1989. Il s’agit de la loi d’orientation sur l’éducation, initiée en 1984 par Jean-Pierre Chevènement. Son objectif était de conduire « l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau CAP ou du BEP, et 80% d’une classe d’âge atteignant le niveau du baccalauréat » dans un souci de réduction des inégalités.


Les années collège
On assiste alors à un phénomène de massification de l’enseignement, accusé de dévaluer les diplômes dans un contexte économique qui est celui de l’après trente-glorieuses ou encore de déplacer les inégalités au seuil de l’enseignement supérieur, rendant ainsi les grandes écoles encore plus élitistes. Cette massification couplée à l’étirement du temps de scolarité impliquent une révision de la manière d’enseigner à des adolescents en construction de leur personnalité, souvent par le biais de la confrontation avec autrui, pairs et enseignants.
Selon Nicole Catheline et Véronique Bedin, auteures de Les années collège : le grand malentendu, cet aspect n’est pas assez pris en compte par l’Éducation nationale.

En 1994, François Bayrou poursuit l’aménagement du collège unique, qu’il estime être le maillon faible du système scolaire français, avec le « nouveau contrat pour l’école ». La loi, rentrée en application à la rentrée 1996, propose un collège unique mais non uniforme, réorganisé en trois cycles : le cycle d’observation en 6ème, le cycle central 5ème / 4ème et le cycle d’orientation en 3ème. Des parcours diversifiés ainsi que des classes de 6ème de consolidation sont mis en place pour les élèves en difficulté.
Ces dernières mesures sont vivement dénoncées par les syndicats qui voient dans les révisions de programmes de primaires en 6me et 5ème une manière d’enliser les élèves les plus faibles dans leurs difficultés, tout en leur faisant prendre du retard sur les autres matières. Aux sentiments de lassitude et de résignation suscités par cette réforme, les syndicats privilégièrent le « même enseignement pour tous » et obtinrent ainsi l’abandon des classes de consolidation.

En mai 1999, François Dubet, sociologue, présente à la Sorbonne son rapport sur « le collège de l’an 2000 » jugeant l’enseignement dispensé au collège globalement efficace. Il réaffirme par ailleurs le principe d’hétérogénéité des classes et refuse une orientation précoce. Dans le rapport que Ségolène Royal présente à la presse, les principales mesures adoptées concernent une meilleur articulation entre primaire et secondaire, un encouragement à la multidisciplinarité, l’instauration d’une « heure de vie de classe » et une nouvelle fois une aide apportée aux élèves en difficulté par le biais de soutien, tutorat ou renforcement des études dirigées en 6ème et 5ème.


L'hypocrisie scolaire
Face au bilan mitigé dont souffre l’application de cette dernière réforme, les enseignants s’interrogent sur la légitimité du modèle du collège unique. Ces dix ans d’aménagements successifs auront permis une scolarité plus longue et des structures unifiées. Pourtant la question des inégalités demeure très vive. Proposer de nouvelles solutions politiques en partant des difficultés rencontrées par les acteurs, c’est ce que font François Dubet et Marie-Duru Bellat, auteurs de L’hypocrisie scolaire : pour un collège enfin démocratique.

 

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Collège unique ou socle commun de connaissances, entre maintien et renoncement

Le maintien du collège unique est remis en cause par Jack Lang qui commande un rapport à Phillipe Joutard, historien et sociologue. Trois questions entrent en jeu : comment diminuer l’hétérogénéité extrême qui rend le collège unique ingérable, comment ne plus faire du collège un « petit lycée » et enfin comment donner aux collégiens les compétences nécessaires pour la société du XXIe siècle. Ce rapport, remis en 2001, défend le maintien de l’architecture du collège.
La réforme alors présentée par Jack Lang vise à changer les approches pédagogiques pour mieux prendre en compte la diversité des élèves et lutter contre l’échec scolaire.

En 2005 la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’Ecole est votée. Elle propose un socle commun de connaissance et de compétences à maîtriser par tout élève en fin de scolarité obligatoire. Il faudra attendre 2010 pour que le Haut Conseil propose un bilan des résultats du collège et fasse un certain nombre de recommandations pour atteindre cet objectif.


Collège commun, collège humain
Il devient nécessaire de passer du modèle désuet du collège unique à l’École du socle commun, un changement qui se fera en adaptant la formation des enseignants et en octroyant plus de responsabilités en matière pédagogique. Ces recommandations, qui apportent un très grand nombre d’idées nouvelles, pâtissent d’une extrême lenteur d’application due au manque d’engouement de la part des acteurs de l’éducation.
Après cet échec, la situation ne s’améliore pas, le collège semble accumuler des maux sur lesquels les réformes successives n’ont que peu d’emprise. Quel sens proposer qui fasse enfin consensus ? Denis Piaget, dans son ouvrage Collège commun, collège humain s’oriente vers un collège dont le rôle éducatif serait renforcé en prenant en compte la formation humaine et les pratiques culturelles de notre siècle.

« Culture », c’est justement le terme qu’ajoute Vincent Peillon au socle commun dans son projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République en 2013. Se donnant pour objectifs d’élever le niveau de connaissances, de compétences et de culture de tous les enfants, de réduire les inégalités sociales et territoriales ainsi que le nombre de sorties du cursus scolaire sans qualification, il s’agit d’un exercice d’écoute des professionnels qui permet de repenser le collège unique.
Le projet de loi est concrétisé en 2014 avec la Charte des programmes qui a pour but de rendre les programmes plus transparents et plus flexibles. Les mesures initiées par cette nouvelle réforme ne vont pas sans rappeler l’enseignement curriculaire, dispensé dans les pays anglo-saxons, bien que Vincent Peillon récuse toute assimilation.

L’étape suivante pour le Conseil Supérieur des programmes est la redéfinition du socle commun de connaissances. La rentrée 2014 ayant été celle des nouveaux programmes de maternelle et des nouveaux rythmes scolaires avec leurs difficultés de mise en œuvre, Vincent Peillon a décidé de repousser l’adoption de nouveaux programmes de primaire et de collège à la rentrée 2016.
Parallèlement, la réforme du collège est présentée en mars 2015 au conseil des ministres par Najat Vallaud-Belkacem. Après une période de concertation houleuse et de manifestations plutôt bien suivies, le décret définissant les grands principes de la réforme est finalement publié le 20 mai 2015. L’application prévue pour la rentrée 2016 prévoit un temps de formation pour les équipes éducatives sur l’année scolaire 2015-2016.
Souvent confondues, à tort, la réforme des programmes et la réforme du collège font l’objet de nombreuses critiques. Tandis que les programmes d’histoire, notamment ceux concernant l’enseignement de l’islam et des Lumières, suscitent l’opposition des partis d’extrême droite, les principales mesures de la réforme du collège sont directement remises en cause par les enseignants.
En première ligne, les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) qui permettront selon la ministre elle-même de saupoudrer des enseignements tels que les civilisations anciennes ou encore l’éducation à la citoyenneté qui pourront être approfondis plus tard dans la scolarité. Les associations de professeurs dénoncent des dispositifs hasardeux dont la mise en application, laissée à hauteur de 20% à la charge des collèges ne manqueront pas de creuser les inégalités entre établissements et élèves.
Les détracteurs de la réforme citent également la suppression des classes bilangues, une mesure qui en plus d’entraîner la chute de l’apprentissage de l’allemand, risque d’inciter les familles à se tourner vers l’enseignement privé. De manière générale, c’est la menace du nivellement par le bas qui nourrit la polémique.


On peut alors, très justement, s’interroger sur le bien fondé des réformes qui ont eu lieu durant ces quatre dernières décennies.
Dans une interview accordée au Monde, Valérie Giscard d’Estaing revient sur le modèle du Collège Unique qu’il avait initié : « Je constate que personne n’y a touché pendant quarante ans, au moins ! J’étais sûr que cette réforme tiendrait, car c’était une avancée conforme au bon sens. Mais je savais aussi qu’elle ne serait efficace qui si elle s’accompagnait d’évolutions profondes, à la fois sur la formation des enseignants et sur le contenu des programmes. Sur ces deux points, la mise en œuvre m’a paru insuffisante, je l’ai constatée avec regret. »
Et si ces deux aspects, jusque là souvent laissés de côté, pouvaient être les clefs d’une école plus efficace et surtout plus digne de confiance ?

Ce que l'école devrait enseignerPeut-on encore former des enseignants ? La profession d’enseignant fait en effet l’objet d’une véritable crise de la vocation. Ce métier souffre d’une lente mais irrévocable dévalorisation de son image. Pascal Guibert et Vincent Troger, auteurs de Peut-on encore former des enseignants ? reviennent sur les facteurs économiques et sociaux auxquels s’est ajoutée la réforme de la « mastérisation » appliquée à la rentrée 2010. Selon eux, la diversité de la profession impliquerait de délaisser quelque peu la transmission de savoirs savants au profit de réelles mises en situation professionnelle.
Changer l’école par le biais du contenu des programmes, c’est le pari que fait Roger François Gauthier, auteur de Ce que l’école devrait enseigner, en proposant une redéfinition des programmes qui permettraient de légitimer l’école au cœur d’une société de connaissances dans laquelle de nombreux savoirs circulent.


Pour aller plus loin

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