Elle s’appelait Sawtche

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 01/07/2016 par Silo moderne

Son nom ne vous dit probablement rien. Son histoire est pourtant tristement célèbre. Qui était cette femme sud-africaine ? Pourquoi et comment une enfant d'un peuple nomade, les Khoi, est devenue une bête de foire ? Depuis 200 ans, Sawtche, dite la Vénus Hottentote fascine, mais symbolise surtout à elle seule les horreurs de l'histoire coloniale.

Saartjie Baartman dite la « Vénus Hottentote »
Saartjie Baartman dite la « Vénus Hottentote »

 

HUMILIATION

Jeune sud-Africaine aux formes peu communes, Sawtche (née au même moment que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen)… est arrachée à sa terre natale par deux escrocs qui, en 1810, vont l’emmener à Londres puis à Paris pour l’exhiber comme une bête de foire et objet de curiosité sexuelle. Elle enflamme le monde scientifique et devient célèbre, mais décède prématurément en décembre 1815. Récupéré par les savants, dont l’illustre Cuvier, son corps difforme fait l’objet d’un moulage exposé au Muséum puis au musée de l’Homme jusqu’à la fin des années 1970. Mais voici qu’en 1994, l’ethnie khoisan réclame la restitution de ses restes. Il faudra une loi (et presque 200 ans) pour qu’enfin ses restes soient officiellement remis à l’Afrique du Sud le 29 avril 2002.

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Ed. E. Proust

Abdellatif Kechiche revient sur cette histoire avec La Vénus noire, présenté en 2010 à la Mostra de Venise. Le film est également adapté en bande déssinée aux éditions Emmanuel Proust. Retrouvez A. Kechiche dans un entretien avec l’historien Pap Ndiaye dans Philosophie magazine : Aux sources du racisme

 

Vénus & Hottentote : Sarah Bartman / Carole Sandrel
Qu’avait-elle de si particulier, Sarah Bartman, femme khoi d’Afrique du Sud, pour qu’au début du XIXe siècle, on l’exhibe comme un animal dressé, dans les foires et au Muséum, devant les badauds d’Angleterre et de France ? Il ne s’agissait pas seulement de l’attraction de ses fesses aux dimensions exceptionnellement généreuses, prodige de la nature aux yeux des savants et bateleurs, mais de particularités intimes qu’elle se refusa à dévoiler jusqu’à sa mort. Alors seulement l’éminent Georges Cuvier, père de la paléontologie, put les examiner, après prélèvements, et sans état d’âme, comme en témoigne son rapport d’autopsie qui, pendant longtemps, ne choqua personne.

La Vénus hottentote, émission avec Carole Sandrel in 2000 ans d’histoire


On l’appelait la Vénus Hottentote / un film documentaire de Zola Maseko
Née en 1790 en Afrique du Sud, Sara Baartman arrive au Cap où elle est embauchée par un fermier hollandais. Elle est issue d’un peuple de nomades, les Khoi Khoi, qui fascine les Européens en raison des rumeurs qui circulent au sujet de la disproportion de leurs organes génitaux. Un impresario la convainc de partir avec lui à Londres où, considérée comme un monstre, elle sera exhibée nue dans les foires. Sous le nom de scène de Vénus hottentote, son succès est instantané. On lui dédie vaudevilles, poèmes et caricatures. La ligue anti-esclavagiste dénonce cette dégradation infligée à un être humain. Vendue à un marchand de Paris, elle devient un objet d’étude pour les naturalistes les plus éminents. A sa mort, à 25 ans, son corps est donné au muséum d’histoire naturelle, puis disséqué par Cuvier. Son rapport, inscrit dans la volonté du temps d’établir une grande classification des races, sera à la source du racisme scientifique.


L’énigme de la Vénus Hottentote / Gérard Badou
L’histoire vraie d’une femme, Sarah Baartman, qu’on arracha à son pays, la colonie du cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud, en 1810, pour étudier puis exhiber en Europe sa silhouette..

Peu après la mort de Saartjie, Cuvier (père de l’anatomie comparée)entreprend de la disséquer au nom du progrès des connaissances humaines.
Le compte-rendu de son travail devant l’Académie de Médecine, en 1817, offre un témoignage exemplaire des préjugés et des propos à caractère raciste que pouvaient tenir les scientifiques de ce siècle. (A lire dans les Mémoires du museum d’histoire naturelle)

RESTITUTION

En 1994, avec la fin de l’Apartheid, le nouveau gouvernement souhaite promouvoir la diversité ethnique et culturelle de la nation Arc en ciel. La nouvelle Afrique du sud née des urnes a besoin de nouveaux mythes fondateurs qui s’appuient sur une réappropriation du passé et ouvrent l’espoir d’un avenir meilleur. les Khoïkhoï font appel à Nelson Mandela pour demander la restitution des restes de Saartjie afin de pouvoir lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Cette demande se heurte à un refus des autorités et du monde scientifique français au nom du patrimoine inaliénable du muséum et de la science. Ce n’est qu’en 2002, après le vote d’une loi spéciale que la France restitua la dépouille à l’Afrique du Sud.
Voir les textes du Sénat et de l’Assemblée nationale

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Stèle du souvenir

Cette restitution donnera lieu à une réclamation de la Nouvelle-Zélande concernant des têtes maories

Le sujet est longuement exposé dans un article du Monde diplomatique par Bernard Müller, chercheur et commissaire d’exposition indépendant : Faut-il restituer les butins des expéditions coloniales ?
La nature des objets conservés par les musées, et notamment le contexte de leur collecte, offre une occasion unique à l’ouverture de ces discussions qui devront donner lieu à des développements concrets et pratiques. Car – faut-il le rappeler ? – la grande majorité des objets conservés par ces musées a été collectée entre 1870 et la première guerre mondiale, période recouvrant aussi celle de la conquête coloniale. Bon nombre d’objets ont été saisis au cours des campagnes militaires. Ils ne parlent donc pas seulement de la culture des Autres, mais aussi d’un chapitre complexe de l’histoire de l’humanité dont ils sont les traces.
Le signal fort de cette volonté de coopération pourrait être la reconnaissance symbolique du caractère aujourd’hui problématique de la présence de butins des guerres coloniales dans les collections des musées des anciennes métropoles.

EXHIBITIONS


De 1877 à 1931, plus de 40 exhibitions ethnologiques furent produites au Jardin d’acclimatation avec un constant succès. Esquimaux, Lapons, Gauchos argentins, Nubiens, Ashantis, Indiens galibis, Cosaques… s’y succédèrent, servant à la fois de spécimens pour les études anthropologiques et d’attractions pourle grand public. Le genre s’est épanoui au XIXe siècle, répondant à l’intérêt que le public portait aux “races” les plus curieuses, les plus “féroces”. Appréhendées par le prisme de l’exhibition, ces “curiosités” étaient destnées à renforcer la distance civilisé/non civilisé et témoignaient de la fascination pour le sauvage savamment entretenue par ses promoteurs. Extrait de Culture coloniale en France

L’invention du Hottentot : histoire du regard occidental sur les Khoisan : (XVe-XIXe siècle) / François-Xavier Fauvelle-Aymar

Les habitants du cap de Bonne-Espérance dès leur rencontre avec les Européens sont entrés en littérature. Entre la fin du XVe et la fin du XIXe siècle, les Hottentots servent de modèles aux écrivains, artistes, philosophes, scientifiques. Il en sort une figure idéalisée du sauvage ; c’est cette histoire qui est retracée ici.
L’auteur a également présenté Les khoisan dans la littérature anthropologique du XIXe siècle : réseaux scientifiques et construction des savoirs au siècle de Darwin et de Barnum dans Bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris (texte intégral disponible sur Persée) : Même si une abondante littérature critique s’est récemment emparé du cas Baartman, il restait à observer ses effets et sa signification dans une durée plus longue. Car les études anthropologiques qui furent consacrées à l’époque à la « Vénus hottentote » donnèrent l’impulsion à un grand nombre de travaux parus tout au long du XIXe siècle, qui assignent aux Khoisan (populations d’Afrique australe) une position intermédiaire sur l’échelle du vivant. Par ailleurs, beaucoup d’autres Khoisan furent exhibés et étudiés en Europe et en Amérique. Cet article met en évidence, à travers ce phénomène, la construction des savoirs anthropologiques, illustrant la symbiose entre monde savant et monde du spectacle.

Zoos humains : XIXe et XXe siècles / sous la dir. de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boetsch
Trop souvent oubliés de l’histoire coloniale, les zoos humains étaient la vitrine de l’exotisme en Occident. Ces exhibitions dites anthropozoologiques, où des individus mêlés à des bêtes sauvages étaient mis en scène derrière des grilles et des enclos, constituent un moment clé dans le glissement progressif d’un racisme scientifique à un racisme populaire.

Zoos humains, un film de Pascal Blanchard et Eric Deroo
À travers une véritable enquête, au coeur de la mémoire de grands pays européens et aux États-Unis, le film propose une plongée dans l’un des plus grands scandales des sociétés occidentales : les zoos humains. Du milieu du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, des millions de visiteurs sont venus en famille, à travers toute l’Europe, voir des “sauvages” en cage, au zoo, au jardin d’Acclimatation ou dans de prétendus villages indigènes reconstitués.

Pascal Blanchard a également signé un article dans le magazine L’Histoire : Des zoos humains aux expositions coloniales (n°302 (2005)).


Venus Noire / A. Kechiche

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