Lyon, capitale de la gastronomie ?

- temps de lecture approximatif de 36 minutes 36 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Dans l’esprit de tous, Lyon est associée à la bonne chère, aux bouchons, à Bocuse… Tous les goûts sont servis dans cette ville emblématique de la gastronomie, des restaurants étoilés, des chefs célèbres, des brasseries au décor centenaire. Sa renommée traverse même les frontières puisqu’on la dit ” capitale ” culinaire. Mi-octobre 2008, les 1ers Trophées de la Gastronomie et des Vins ont vu le jour, sous le parrainage de ” Monsieur Paul “. Récompensant l’excellence de la gastronomie lyonnaise, ils confirment la volonté de Lyon de rester une référence mondiale en matière de cuisine. Pourquoi la ville a-t-elle héritée de cette réputation ? Tradition et innovation font-elles bon ménage au cœur de la Cité, à l’heure où les Chefs lyonnais soutiennent l’entrée de la Gastronomie au Patrimoine de l’Unesco ?

@ Tout est bon dans le bouchon

@ Une cuisine de mères et de femmes

@ Bocuse et son empire : le rayonnement de la cuisine lyonnaise

@ Une multitude de chefs renommés pour une cuisine renouvelée

@ Gastronomie lyonnaise : des guides et outils pour se repérer

@ Lyon, capitale de la gastronomie lyonnaise ?

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© Paul Bocuse


@ Tout est bon dans le bouchon

Les bouchons – véritable institution lyonnaise – servent une cuisine copieuse et traditionnelle, à base de produits simples, qui fait la joie des amateurs de bonne chère et des touristes. Ils se reconnaissent à des symboles précis : une petite salle avec quelques tables sur lesquelles sont posées des nappes à carreaux rouges et blancs, des pots de beaujolais sur le zinc, des saucissons suspendus dans les airs, une commande sur l’ardoise et un ou une patron(e) à la gouaille bien trempée et au franc-parler. Le bouchon est petit et le service « sans chichi », ce qui fait tout le charme des mets proposés directement dans le plat et où la table prime sur le cadre. Dans ces lieux bénis où l’on s’entasse en cuchons pour avoir plus chaud au cœur, sont servis des produits typiquement lyonnais : tabliers de sapeur, charcuteries variées, andouillettes, gratons, pieds de cochons, têtes de veaux, tripes et autres cochonnailles, qui, accompagnées de bonnes lampées de vin, réjouissent le ventre et le « corgnolon » (gosier).

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“A la remontée du Bon Beaujolais”
Café du Soleil (1965)

© BmL Fonds Sylvestre

« Bouchon », ce nom familier aux oreilles des Lyonnais n’en est pas moins énigmatique. Plusieurs hypothèses se disputent l’origine du terme.

Une première explication est couramment répandue : au temps des diligences et des malles de poste, le cavalier se restaurait pendant que l’on bouchonnait son cheval. Rappelons aux citadins actuels que le « bouchonnage » est une tâche d’entretien de l’équidé, qui consistait à le frotter avec un bouchon de paille. Désormais, les Vélo’v sont les montures modernes mais les bouchons subsistent pour régaler leurs maîtres, aux ventres mis en appétit par les coups de pédale.

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La mine accueillante de Jean-Louis Gelin
au sein de son bouchon La Meunière

Toutefois, à cette explication s’en substitue une autre plus vraisemblable. Le nom de bouchon provient plutôt de l’habitude qu’avaient autrefois les cabaretiers de signaler leur établissement par une botte de rameaux ou de branchage accrochée à leur porte. Le bouchon, qu’il soit de paille ou de pin, était l’enseigne vivante des anciens cabarets et il est devenu « Bouchon » par transposition métonymique (qui fait prendre le contenant pour le contenu).

Dans le Littré de la Grand’Côte, Nizier de Puitspelu a d’ailleurs tranché pour ces définitions suivantes :

1 – Branche de pin, formant autant que possible la boule, et qu’on suspend, en guise d’enseigne, à la porte des cabarets. Dans l’Antiquité, le pin était consacré à Bacchus. Il n’est pas téméraire de penser que le bouchon rappelle cette tradition.

Dimi. de bousche, en vieux français, faisceau de branchages.

2 – Le cabaret lui-même.

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En 1997, face au fleurissement d’établissements touristiques, une association pour sauvegarder ces fameux restaurants lyonnais voit le jour. L’Association de Défense des Bouchons lyonnais naît sous l’impulsion du journaliste gastronomique du Progrès, Pierre Grison. Celui-ci souhaite ainsi promouvoir les plus fidèles défenseurs des tabliers de sapeurs et autres cervelles de canuts pour éviter que le terme de bouchons se galvaude. Cette commission, dans laquelle figure des gens de bouche et des journalistes mais un seul restaurateur, attribue le label « Authentique Bouchon de Lyon » aux établissements correspondant aux articles d’une charte d’authenticité. Qualité des produits, vérité de l’assiette, vin servi en pot, chaleur de l’ambiance… composent les critères de sélection. Les lauréats se voient attribuer un panonceau à l’effigie de Gnafron, à apposer sur leur façade pour être identifiés par les profanes en tant que bouchon lyonnais. L’attribution du label, l’entrée ou non de restaurants, ne se fait cependant pas sans quelques frustrations et déceptions au fil des ans.

En 2002, l’initiative, encouragée par l’Office du tourisme lyonnais qui y voit un outil de promotion de la Cité, se décline en carte, pour une meilleure localisation de la vingtaine de « labellisés » dans les rues lyonnaises. Sous la forme d’un dépliant, un circuit est proposé pour découvrir ces lieux typiques où il fait bon déguster des spécialités de qualité.

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Authentique Bouchon Lyonnais

En parallèle, chaque année depuis sa création en 1964 et jusqu’en 2004, le prix Gnafron, « Nobel du vin et de la mangeaille », récompensait le plus méritant des patrons de restaurant mainteneur de la tradition lyonnaise. Bon nombre d’ « Authentiques » sont lauréats de ce prix attribué à l’établissement ayant su perpétuer « les vertus de l’assiette généreuse marquée du sceau de la Lyonnaiserie militante et la gouleyance du vin en pots dans la pure tradition des « bouchons » d’entre Rhône et Saône ».

Et le mâchon ? Qui dit bouchon dit aussi mâchon, ce casse-croûte pris vers les 9h par les ouvriers de la soie, comme un en-cas conséquent, après une matinée de travail commencée très tôt. La Confrérie des francs-mâchons perpétue la tradition depuis 1964 pour le plaisir de la convivialité. Elle décerne chaque année des diplômes aux bouchons qui pratiquent ce repas « avant l’heure ». Le principe tend à se développer : si, au centre-ville, les mâchons entretiennent le « folklore », on trouve de plus en plus de bistrots qui servent à manger en milieu de matinée à proximité des entreprises dont les activités débutent à l’aube.

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Une plaque à la mémoire du bien-manger
Au 8 rue du Garet

Les bouchons d’hier et d’aujourd’hui.

Les bouchons valaient bien qu’on leur consacre un livre entier, c’est chose faite avec Pierre Grison et Philippe Lecoq, « deux gones à la fourchette avisée » comme le précise la préface de P. Bocuse. Si le chapitre sur les bouchons d’aujourd’hui – soit en 1994- a un coté désuet, l’ouvrage est une mine d’anecdotes savoureuses sur toutes les histoires des bouchons d’hier, l’origine du Prix Gnafron, les académies gourmandes, les mères lyonnaises, etc.

Aimer la cuisine des bouchons de Lyon. Un livre très appétissant d’Emmanuel Ferra, aux fourneaux du « Garet ». Sabodet, tête de cochon, saucisson brioché, pieds de cochons pânés et autres lyonnaiseries salées ou sucrées n’auront plus de secret pour vous, photographies à l’appui.

Les recettes des authentiques bouchons lyonnais par J. Bertinier, A. Dubouillon, P. Grison.

Après le rappel instructif des 10 articles de la charte des « Authentiques Bouchons Lyonnais », les cuisiniers labellisés donnent quelques unes de leurs recettes : le gratin de tripes à l’ancienne de chez Brunet, l’île flottante aux pralines « made in » Daniel et Denise, le gâteau de foies de volaille à la mode de chez Hugon en sont quelques exemples qui mettent l’eau à la bouche.

- La presse lyonnaise ne manque pas de dresser ses hit-parades des bons bouchons, livrant ses sélections de restaurants lyonnais réputés pour satisfaire l’appétit des lecteurs. Lyon Mag, en avril 2008, publie sa liste de référence en la matière : Bouchons : comment éviter les faussaires, n°179, avril 2008, p. 118-120.

@ Une cuisine de mères et de femmes

Mères Guy, Fillioux, Brazier, Riguet, Pompon, Jean, Biol, Bourgeois, Léa, Tante Paulette, Mlle Rose, Juliette Vignard… La cuisine traditionnelle lyonnaise est une affaire de « bonnes femmes », reines en leurs fourneaux.

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La “Mère Guy”, à la Mulatière
(1910)

© BmL Fonds Sylvestre

La première d’entre ses robustes cuisinières est la mère Guy, installée à La Mulatière, dans les locaux du plus ancien restaurant de Lyon : il datait de 1759. Héritier de la tradition, son dernier chef, en 1991, est Roger Douillé, parti s’installer rue Thomassin, au « Rive droite ». L’établissement, tombé à l’abandon, est vendu aux enchères en 1996.

Puis la mère Fillioux ouvre la voie royale de la cuisine lyonnaise généreuse, simple et créatrice d’amitiés. Françoise Fayolle de son vrai nom, jeune cuisinière du Puy de Dôme, rejoint la capitale des Gaules, après un passage à Grenoble, pour faire bouillir la marmite d’un directeur de compagnie d’assurance, Gaston Eymard. Elle y reste 10 ans, les manches retroussées au milieu des ustensiles de cuivre, à régaler son maître et à se faire un bon carnet de recettes, avant de décider de s’installer à son compte. Elle et son mari – qui lui offre le nom de Fillioux- achètent le bistrot du 73 rue Duquesne. Rapidement le succès est au rendez-vous, basé sur la cuisine simple et la convivialité des filles de la maison et du vieux père Fillioux. Parmi les éléments essentiels de son fonds de commerce : la quenelle et les volailles de Bresse.


Rue Chavanne, c’est Tante Paulette qui attire ses clients avec ses cardons à la moelle. L’Ardéchoise Marie-Louise Auteli finit par prendre la succession de la Mère Pompon, qu’elle considère comme l’ « aristocratie de la cuisine » et les clients passent du Canard à l’Orange, spécialité de la première, à la poularde demi-deuil et aux rognons de veau au Madère. Elle prend les commandes pendant 42 ans, régalant les palais d’Edouard Herriot, du Docteur Locard ou de Bernard Pivot.

La plus connue d’entre toutes est incontestablement la mère Brazier (1895-1977), qui travailla chez la Mère Fillioux, dans le restaurant réputé du quartier chic des Brotteaux. Elle l’égale par son talent, voire la surpasse, et reprend la volaille à son compte. Eugénie, l’ « étoile des fourneaux », décide de voler de ses propres ailes et achète en 1921 une épicerie-comptoir, rue Royale.

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Le bouche à oreille taille une belle réputation à cette nouvelle mère lyonnaise, adepte du beurre et de la crème. Les médecins sont les premiers de ses meilleurs clients avant qu’elle ne bénéficie de la fidélité du maire de Lyon Edouard Herriot. Au début des années 30, elle fait salle (et terrasse estivale) comble. Travaillant sans relâche, autoritaire, obsédée par la qualité de ses produits, le succès commence à la dépasser. Elle laisse les fourneaux à son fils Gaston, diplômée d’une école hôtelière, et part se reposer dans une petite maison au col de la Luère. Sa passion est la plus forte : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle ouvre un restaurant au col et sa clientèle la suit pour retrouver sa patte culinaire. Elle y prend pour commis un jeune homme courageux venu proposer ses services à bicyclette, Paul Bocuse. Comme ce dernier le raconte, au « Couvent de la Luère », le travail était le mot-clé de la journée et de la semaine car Eugénie « était une femme rude mais bonne et pudique ». Ultime consécration, elle est la première et unique femme à obtenir 3 étoiles au Guide Michelin en 1933 et en 1951, pour l’un et l’autre de ses deux restaurants. Son fils et sa belle-fille Carmen, puis sa petite fille Jacquotte, prennent la suite, perpétuant la tradition jusqu’à la 3ème génération. La saga familiale s’achevant, l’établissement mythique de la rue Royale ne tient plus haut le cap culinaire et finit par connaître des difficultés financières. Le destin est cependant prometteur depuis la reprise du restaurant en 2008 par le meilleur ouvrier de France 2004, Mathieu Viannay. Le chef, installé à Lyon depuis 15 ans et étoilé en 2005, est également entrepreneur puisqu’il compte désormais 3 établissements (son restaurant éponyme, Les Oliviers, La Mère Brazier). Il est aussi représentatif de l’évolution de la cuisine lyonnaise, passée d’une cuisine de mères à une gastronomie de chefs masculins. Ses efforts aux commandes de la Mère Brazier sont rapidement reconnus et récompensés : le Guide Michelin 2009 lui décerne d’emblée deux macarons pour avoir su à la fois revisiter les plats de la célèbre patronne et ajouter ses spécialités.

Un prix en l’honneur des mères : le Prix Eugénie Brazier. En novembre 2007, un nouveau prix littéraire gourmand voit le jour, créé par l’Association “Les Amis d’Eugénie Brazier”. Le palmarès distingue un livre de cuisine écrit ou conçu par une femme ou écrit sur la cuisine des femmes (Grand Prix Eugénie Brazier), un roman de gourmandise (Prix du Roman) et un illustrateur, une illustratrice ou un photographe d’un livre autour de la cuisine (Prix de l’Iconographie).
- Association « Les amis d ‘Eugénie Brazier » – 1 rue Eugénie Brasier – 69001 Lyon –

tél. : 09 65 109 206 ou 06 20 58 34 78

A lire :

La cuisine de nos mères : le chef étoilé de Vonnas, Georges Blanc nous présente avec plaisir les mères qui ont fait la cuisine lyonnaise (Allard, Bourgeois, Léa, Castaing et sa propre grand-mère Elisa Blanc, l’illustre « mère Blanc ») avant de nous confier leurs recettes.

Deux livres de recettes parmi d’autres :

La cuisinière lyonnaise. Ed. De Borée, 2005.

Carnets de mères lyonnaises. Ed. Stéphane Bachès, 2007.

@ Bocuse et son empire : le rayonnement de la cuisine lyonnaise

Bocuse est un enfant du terroir lyonnais, où il réside toujours. Il naît le 11 février 1926, à Collonges-au-Mont-d’Or, village où il réside toujours et où il aide son père, aubergiste. Dès son plus jeune âge, le « Paulo » des bords de Saône prend le goût des ambiances de cuisine dans le giron familial, avec comme exemples son père et sa grand-mère. Après la guerre, Bocuse fait ses gammes pendant un an auprès de la Mère Brazier. Pour l’apprenti de 22 ans, ce passage en terre reconnue est le sésame qui lui ouvre les portes du célèbre restaurant viennois « La Pyramide », tenu par Fernand Point. La découverte de « sa » cuisine, il la doit à cet Isérois, maître de la restauration étoilée dans la première moitié du XXème siècle. De la manière de cuisinier aux rondeurs de l’embonpoint et à l’art des formules cinglantes, Bocuse se façonne à son modèle, avant de trouver son propre style.

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Fernand et Mado Point entourés des cuistots de la brigade du Pyramide, dont Paul Bocuse à droite de son Mentor
© Paul Bocuse

Remarqué par son mentor, celui-ci lui donne l’occasion de pratiquer la haute cuisine parisienne en œuvrant au « Lucas Carton », en compagnie des jeunes débutants pleins d’avenir comme lui : Jean et Pierre Troisgros. En 1956, son père l’appelle pour le seconder à l’Hôtel du Pont de Collonges qui devient l’adresse lyonnaise des festins endimanchés. En basse saison hivernale, Paul Bocuse fait le cuistot à Megève où il régale Cocteau, Vadim, Bardot.

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Monsieur Paul Bocuse

Enfin, c’est l’ascension rapide. Bocuse décroche sa première étoile en 1958 (un an avant la mort de son père), devient le meilleur ouvrier de France en 1961 et, dans la foulée, poursuit sa moisson d’honneurs en 1962. En 1965, il entre dans le club très fermé des « 3 étoiles ». Au fil des étoiles, la carte est passée de la terrine de lièvre aux baies de genièvre inventée par son père, au carré d’agneau à la broche aux herbes de Provence puis au homard à la mousse « à la Constant Guillot ». La célébrité et le tourbillon médiatique l’emportent et ne lui laissent plus de répit. Il n’en reste pas moins fidèle à ses valeurs : « La cuisine, c’est un métier, ce n’est pas du folklore. Au point de départ, il y a les bons produits. Les carpes de la Dombes (…), les bœufs du Charolais, les moutons d’Auvergne, les poules de Bresse (…), les fruits et légumes de la vallée du Rhône (…) ». Il apprécie et sublime le terroir, exige le culte du bon produit. Son nom est également éternellement associé à la « soupe VGE », du nom de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing. Présentée dans une petite soupière, il suffit de briser la croûte légèrement cuite pour que le parfum des truffes vienne chatouiller les narines du gourmet. La cuisine de Paul Bocuse, c’est la fusion de la haute cuisine et de la cuisine populaire. Il en résulte des plats excellents et compréhensibles par tous, loin des recettes compliquées réservées à quelques privilégiés.

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Bocuse devant l’Auberge de Collonges
© Paul Bocuse

« Monsieur Paul » prend progressivement la tête d’un Empire sur lequel il continue de régner. Le maître de Collonges conquiert Lyon, en installant progressivement des brasseries dans les 4 points cardinaux de la Cité. En 1994, le Nord, brasserie du quartier de l’Hôtel de ville connue autrefois pour sa choucroute, ouvre ses portes aux couleurs de Collonges. L’année suivante, il transforme Le Rize en Le Sud, où les clients viennent savourer des plats méditerranéens sur la place Antonin Poncet. La planète Bocuse s’élargit en 1997 avec l’installation de L’Est dans les somptueux décors 1900 de l’ancienne gare des Brotteaux et les convives peuvent déguster leurs plats en regardant un mini-train circuler au dessus de leur tête. Petite incartade à la thématique, Bocuse ouvre la brasserie de la cuisine bourgeoise, l’Argenson, dans le quartier de Gerland.

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La Brasserie L’Ouest, sur les quais de Saône, à Vaise

Enfin, L’Ouest sort de terre dans l’ancien quartier des industries devenu quartier des affaires, en 2003. Les Lyonnais ne sont plus déboussolés, toutes les routes mènent à Bocuse. L’aventure des Brasseries, à laquelle il associe Jean Fleury pour leur gestion, révèle une évolution dans le parcours culinaire du chef. Eve-Marie Zizza-Lalu le constate dans la biographie intitulée « Le Feu sacré » : « Partisan d’un certain classicisme, profondément attaché au terroir, le chef de Collonges a fini par céder au goût de l’ailleurs, après avoir absorbé pendant des décennies les influences extérieures », sans pour autant entrer dans la vogue de la World ou de la fusion food actuelle, intégrant toutes les tendances étrangères.

Fin stratège, l’entrepreneur de la gastronomie cueille également au vol la mode du fast-food. L’année 2008 est marquée par l’ouverture du tout premier self haut de gamme lyonnais, l’Ouest Express, situé dans le nouveau multiplexe Pathé Vaise, à deux pas de sa brasserie. C’est tout l’art de re-composer des sandwichs avec des légumes du marché Saint-Antoine et des pains cuits sur place ainsi que de proposer des recettes de traditions pour des plats chauds et mijotés.

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Le fast-food toqué Ouest Express
Quartier de Vaise

Bocuse ne se contente pas de Lyon ni de la France, il souhaite poursuivre sa conquête au-delà des frontières et expatrie sa cuisine aux 4 coins du monde. Le succès des Brasseries lyonnaises se chiffre (2000 visiteurs par jour, environ 250 emplois créés) et attire de grands groupes hôteliers internationaux. En 2007, 4 brasseries Bocuse ont été créées au Japon et de nouvelles franchises sont attendues. Le 26 juillet 2008, une brasserie « Le Sud » est inaugurée à Genève, expatriant une cuisine axée sur la Méditerranée.

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Bocuse d Or
© Paul Bocuse

Bocuse rayonne mondialement via les « institutions » qu’il a mis en place, tel le Bocuse d’Or né en janvier 1987. Ce concours mondial de cuisine est organisé tous les deux ans à Lyon, dans le cadre du Salon International de la Restauration, de l’Hôtellerie et de l’Alimentation (Sirha). Sélectionnés sur tous les continents au cours d’éliminatoires drastiques, de jeunes chefs de toutes nationalités se livrent bataille à coups de cuissons et d’associations gustatives, imaginant et donnant forme à des plats succulents, le tout, en direct pendant 5 heures. Si l’œil du Maître en personne est vigilant, l’ambiance n’en est pas moins festive pour un show à l’américaine. Au final, trois lauréats, sur une vingtaine en compétition, sont récompensés (Bocuse d’Or, d’Argent et de Bronze) et l’attribution du trophée doré dote son bénéficiaire d’une renommée internationale. Pour cette nouvelle échéance de janvier 2009, les candidats sélectionnés sont déjà en cours de préparation pour obtenir le 21ème Bocuse d’Or : voir le site officiel.

Le « pape de la gastronomie mondiale » est également le parrain du « Club des chefs des Chefs », qui regroupe les cuisiniers des grands chefs d’Etat du monde. En 1977, un dîner à Collonges au Mont d’or, réunit pour la première fois une douzaine de chefs aux toques sans frontières. Gilles Bragard, grand couturier des chefs dont l’entreprise est spécialisée dans la tenue de cuisiniers, a l’idée de pérenniser l’évènement et de créer cette prestigieuse association, dont le logo associe une toque et une colombe. Tout un symbole pour ce dernier : « Si la politique divise parfois les hommes, la tables les réunit toujours ».

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Entourée d’un parc à l’anglaise, la vaste résidence de style néo-gothique du château du Vivier est inaugurée en 1884. C’est désormais l’écrin de l’Institut et de la Fondation Paul Bocuse, à Ecully
Carte Postale BmL

La transmission du savoir-faire gastronomique combinée au souhait de « l’excellence » est au cœur des préoccupations de « Monsieur Paul » : il fonde un institut pour engendrer la relève de qualité des fourneaux internationaux. Chaque année, une promotion d’une centaine d’étudiants toqués sort diplômée de l’école d’Ecully. En cette fin d’année 2008, l’Institut se double même d’un centre de recherche, inauguré le 8 décembre 2008, pour associer le savoir-faire de l’Institut à des équipes de chercheurs pluridisciplinaires. L’objet des études ? L’alimentation et les comportements alimentaires à travers trois thématiques : goût et plaisir, santé et bien-être, économie. Le centre de recherche met à disposition des doctorants des laboratoire, une cuisine et une salle de restaurants. Il est alors possible de reproduire tout aussi bien les conditions de production et de service d’une cantine scolaire, d’un restaurant hospitalier ou d’une brasserie. Tout en complétant le cursus diplômant existant de l’Institut Bocuse, l’objectif est également de décloisonner les mondes de la recherche scientifique, de la cuisine et des arts de la table.

Enfin, l’Institut Bocuse est également le siège de la Fondation Bocuse, créée en 2004, à l’initiative de proches collaborateurs du dernier, notamment Jean Fleury, Pierre Orsi et Christian Bourillot. Basé sur la conviction de la nécessité du compagnonnage, le projet vise à « sauvegarder et transmettre tout le savoir faire des métiers de l’hôtellerie restauration ».

- Site de l’Institut Paul Bocuse

- Site de la Fondation Paul Bocuse

Cuisinier émérite, Bocuse est également un auteur prolixe de littérature gastronomique. La Bibliothèque municipale de Lyon recense plus d’une vingtaine de ses ouvrages, sans compter les préfaces et autres participations aux livres gourmands. Livres de recettes thématiques allant des soupes aux gibiers, florilèges de recettes choisies à adapter chez soi, hommage à la Mère Brazier et à la tradition culinaire lyonnaise…




La biographie de Paul Bocuse a été rédigée en 2005 par la journaliste et adepte du slow-food Eve-Marie Zizza-Lalu. Sa vie illustrée, son œuvre, ses recettes sont dans Le feu sacré. Pour tout savoir sur les racines et le parcours de petit « Paulo » devenu géant de la gastronomie internationale : appétit de vivre d’un adolescent marqué par l’épreuve du feu à la guerre, goût de la fête et des femmes par un homme qui dévore la vie, passion d’un chef qui sublime le bon produit.

@ Une multitude de chefs renommés pour une cuisine renouvelée

Si Bocuse en est le plus illustre représentant, Lyon n’est cependant pas la ville d’un chef mais un creuset de talents culinaires, aux noms aussi connus que celui de leur éminent pair. Stéphane Gabeauriau, Christian Têtedoie, Philippe Gauvreau, Jean-Claude Caro, Nicolas Le Bec, Jean-Christophe Ansenay-Alex, Alexanian… sont les ambassadeurs du génie culinaire de la ville.

Tous se retrouvent au sein des Toques Blanches Lyonnaises, le « gratin de la cuisine lyonnaise », dans une association qui commence à avoir de la bouteille. Dès 1936, quelques chefs lyonnais de renom se regroupent dans « l’Amicale des Toques Blanches Lyonnaises et de la région » pour exprimer leur savoir-faire et faire partager la passion de leur métier : la cuisine. Présidée actuellement par Christophe Marguin, elle fait se côtoyer chefs étoilés et jeunes talents motivés, soit 49 chefs au cœur de Lyon, 46 aux alentours et 17 dans la région.

- Site des Toques Blanches Lyonnaises

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Le restaurant de Pierre Orsi, dans le 6ème arrondissement

A défaut d’être exhaustif, citons quelques chefs passés sous les feux de l’actualité.

Jean-Paul Lacombe, restaurateur du « Léon de Lyon », a pris une semi-retraite en 2008. Après avoir annoncé en 2007 la fermeture de son restaurant gastronomique, il a décidé de le transformer en brasserie haut de gamme… avec succès !
- La renaissance de Léon de Lyon sur le site de l’Office régional du Tourisme.

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Le Splendid aux Brotteaux

La gastronomie est également un domaine de concurrence, surtout quand un rival s’installe à proximité d’un établissement existant : le combat de toques n’est alors pas loin. En 2001, le quartier des Brotteaux sert de ring à la « guerre des étoiles » quand le chef bressan de Vonnas (Ain), Georges Blanc, rejoint la ville des exploits culinaires de sa grand-mère, la « Mère Blanc ». Sauf qu’il choisit d’installer sa brasserie « Le Splendid » en face de « L’Est », plate-bande bocusienne. Chacun s’observe en aiguisant ses couteaux de cuisine… Vengeance cabotine, Bocuse annonce qu’il fêtera ses 75 ans dans l’établissement de son confrère – laissant filer la rumeur – mais lui et ses invités ne s’y présentent pas.
- Georges Blanc s’implante à Lyon. Le Progrès, 21 avril 2000.
- Canular : Bocuse s’invite chez Blanc. Lyon Figaro, 12 février 2001.
- La vie en blanc : biographie et album-photo de l’artiste tout de blanc toqué.

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Philippe Gauvreau

Le voisin de Charbonnières, Philippe Gauvreau, a raflé le jackpot et « 2 étoiles » à « La Rotonde ». Par son talent et son énergie à gérer sa brigade depuis 1992, il a promu un restaurant de casino, celui du Lyon Vert, au rang des meilleures tables de France. L’année 2009 est d’ailleurs prometteuse puisqu’il prend ses aises dans un bâtiment voisin, le « Pavillon de la Rotonde ». En parallèle, le chef n’hésite pas à nouer son tablier devant des jeunes de 14 à 17 ans, pour leur prodiguer des cours de cuisine et transmettre son savoir-faire.
- Philippe Gauvreau, dix ans déjà. Le Progrès, 8 décembre 2002.

Nicolas Le Bec est un autre chef qui « monte ». Après avoir « décoiffé » La Cour des Loges, en prenant les commandes du célèbre établissement du Vieux-Lyon, le « trublion surdoué de la cuisine lyonnaise », a fondé son propre restaurant avant de poursuivre son envol à l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry. Au début de l’été 2008, L’Espace Le Bec ouvre ses portes pour proposer un certain art de vivre aux voyageurs : 200 places assises et un lounge bar en bordure de pistes. Dans l’esprit de son chef, une conviction émerge : l’idée que les gens qui voyagent et sont pressés ont, eux aussi, envie de bien manger. Et l’offre de qualité qu’il propose vise à attirer et à contenter une clientèle d’hommes d’affaires. Dans sa marmite, Nicolas Le Bec fait mijoter bien d’autres projets : la « Rue Le Bec » (1000 m² à Lyon-Confluence) doit voir le jour en décembre 2008 et le restaurant de l’Opéra-Garnier est en ligne de mire d’ici 2010. A suivre dans la presse et sur son site officiel.
- Nicolas le Bec : le Trublion surdoué de la cuisine lyonnaise

. Lyon Capitale, 6 juin 2006.
- Nicolas Le Bec ou le goût de relever les défis. AFP, 5 juillet 2008.

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Le Bec et ses 2 étoiles
© N. Le Bec

Et la jeune garde innovante se fait entendre en terre de traditions gastronomiques. La mode culinaire est à l’expérimentation des textures et des saveurs, à la création des formes et des couleurs, aux mets qui trompent le goûteur. Dans le 1er arrondissement, Samuel Desjobert introduit à Lyon la cuisine moléculaire par l’intermédiaire de l’Eskis. Ce jeune chef préfère d’ailleurs le terme de « cuisine inventive » et de « fooding ». Quoi qu’il en soit, les manipulations sont impressionnantes, pratiquées avec précaution et toutes les quantités, températures et durées sont calculées. Un exemple de résultat magique : la sphérification fait passer mangue et gelée de coco pour un œuf au plat. Le « sorcier » est à l’œuvre et il adresse particulièrement son art aux 25-55 ans.
- Un zest de cuisine moléculaire. Lyon Plus, 18 juin 2008, p. 5.

@ Gastronomie lyonnaise : des guides et outils pour se repérer

Plus qu’aux noms des chefs, l’oreille des Lyonnais est davantage habituée aux noms des restaurants réputés tels que Les Terrasses de Lyon, Les Loges, La Villa Villemanzy, Les 3 Dômes, Le Caro de Lyon, Le Théodore, la Maison Borie, Les Muses de l’Opéra …

Encore faut-il s’y retrouver. Plusieurs guides à consulter sans modération permettent de faire son choix.

Le plus ancien est créé en 1969 par l’écrivain, journaliste et homme politique André Mure, amateur de bonne chère aussi doué pour le coup de fourchette que pour le trait de plume. Avec son fils Christian, ils font progressivement de la sortie du Lyon Gourmand. un évènement dans le monde de la restauration lyonnaise. C’est ce dernier qui prend le relai suite au décès de son père en 2007. Exhaustif, à moins d’un oubli volontaire où l’omission remplace la critique, le guide signale particulièrement certaines tables par l’apposition d’1, 2 ou 3 lions empruntés au blason de la ville.

Alain Vollerin, éditeur spécialisé dans les livres d’art, possède une deuxième passion : la gastronomie. Il lui donne forme depuis 2004 avec la publication de son guide Bien manger à Lyon, dont le dernier opus vient juste de sortir. Environ 60 cuisiniers ont l’honneur de passer à travers le tamis sélectif de l’auteur qui ne mâche pas ses mots, dès son éditorial engagé sur les aléas du microcosme culinaire lyonnais. Le résultat est un guide qui soutient ses choix et privilégie des découvertes, les nouveaux cuisiniers et les cuisines hautes en saveur. La persévérance et la constance des chefs sont également saluées, ce qui permet de faire figurer des tables remarquables dans le tableau d’honneur.

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J-P Michaut vu
par B. Marty

Jean-Paul Michaut est l’un des récents éditeurs de guides gastronomiques sur la France, particulièrement en Rhône-Alpes et à Lyon. Dijonnais de naissance, provençal de cœur et lyonnais d’estomac, il possède également un appétit éditorial aiguisé, l’amenant à publier de nombreux fascicules, à petits prix, sur les bonnes tables du Rhône ou sur des thématiques culinaires variées : le chocolat, le pain, … Leur point commun : les plaisirs de la table ! Son édition globale sur Les 69 tables incontournables de Lyon dresse le panorama des meilleures adresses de la ville, par arrondissement, avec pour chacun, une photo du chef qui reçoit le convive. Car il les connaît tous, celui qui porte le nom de plume de « Grandgousier », en hommage à Rabelais et à Gargantua.

Et les guides d’envergure nationale répondent toujours présents :
- Le « Michelin », guide rouge aux étoiles convoitées, consacré aux hébergements, hôtels et restaurants, et imprimé dans le plus grand secret.
- Gault et Millau, l’autre guide le plus influent concernant la gastronomie nationale aux macarons tout autant recherchés. L’édition 2009, riche de 2500 tables, compte un Lyonnais parmi les 6 « grands de demain » : Laurent Rigal. Avec 2 toques et une note de 15/20, la place du chef de l’Alexandrin, déjà distingué d’une étoile au guide Michelin, confirme sa place dans l’élite gastronomique.

- Un rayon entier d’ouvrages consacrés à la cuisine lyonnaise est accessible dans la salle de la Documentation Lyon et Rhône-Alpes, à la côte 6900 Y3.

S’y côtoient les productions des chefs comme Lassausaie, Bocuse, Lacombe, Gauvreau, Arlette Hugon mais aussi les ouvrages de référence de Pierre Grison ou les dernières éditions des guides mentionnés et de nombreux livres de recettes lyonnaises.

Parmi eux, un livre réalisé en 2007 par Sonia Ezgulian, ancienne journaliste devenue cuisinière professionnelle. Elle publie son carnet d’adresse et partage ses coups de cœur dans Les meilleurs restos de Lyon.

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Pétoncle au naturel
Potiron mixé à l’huile d’Olive

© N. Le Bec

- Une petite fringale de cuisine ? Testez l’une des 80 recettes de chefs de Lyon Femmes Cuisine, la déclinaison gourmande du mensuel féminin lyonnais.

– Toute l’histoire de la cuisine lyonnaise et de ses ambassadeurs peut être suivie au fil des ans à travers les articles recensés dans la base Dossiers de presse et ceux du Progrès de Lyon, accessibles à la Bibliothèque via Europresse.

- A noter : Lyon, la capitale gastronome. Supplément culinaire de 52 pages au Point, n°1854 du 27 mars 2008.

Des bouchons aux innovations des jeunes Chefs, le dossier donne tous les codes de la Gastronomie lyonnaise passée et présente.

- Où manger à Lyon ?

L’office du tourisme de Lyon permet de choisir et réserver en ligne son restaurant, quelque soit sa spécialité, depuis leur site web.

- Une librairie spécialisée dans la gastronomie officie place Bellecour : La Badiane, de l’autre nom des graines d’anis.

- Des livres aux fourneaux : table-ronde sur la gastronomie lyonnaise, menée par l’éditeur gastronomique Jean-Paul Michaut.

- Une faim de Lyon : une brochure sur la gastronomie lyonnaise par et pour les enfants

@ Lyon, capitale de la gastronomie lyonnaise ?

Maurice Edmond Saillant (1872-1956), dit « Curnonsky », est le personnage qui attribue à Lyon son titre de gloire de « capitale mondiale de la gastronomie ». Pratiquant volontiers l’aphorisme à la manière de Brillat-Savarin qu’il admire beaucoup, le « Prince des Gastronomes » cherche à redonner du prestige à la cuisine bourgeoise et provinciale par opposition à la sophistication de certains grands restaurants parisiens. En 1935, lui et Marcel-E. Grancher sont les auteurs d’un ouvrage intitulé « Lyon, capitale mondiale de la gastronomie”, dans lequel il expose le trait majeur de la cuisine lyonnaise, sa simplicité. « Elle ne pose pas, elle ne sacrifie pas à la facile éloquence. Elle atteint tout naturellement et comme sans effort, ce degré suprême de l’Art : la Simplicité ».

La renommée de Lyon est proclamée et l’étiquette prestigieuse désormais liée à la ville. Toutefois, outre les dires du fondateur émérite de l’Académie des Gastronomes (1920), des faits confortent cette « aura » culinaire.

Tout d’abord, la cuisine lyonnaise a une histoire, de solides racines ancrées dans le temps et les traditions. Elle est ainsi associée à Joseph de Berchoux, né à Lay (vers Roanne) mais « d’esprit lyonnais », qui évoque la Table poétiquement dans sa profession de Foi en Cuisine (1790). C’est lui qui introduit dans la langue française le vocable de « gastronomie », marquant une complicité entre le cuisinier et ses consommateurs. Peu après, le XIXe s est lié à la cuisine bourgeoise et domestique, d’une part, et à la multiplication des restaurants en France, d’autre part. Lyon connaît un phénomène particulier, celui des « mères » déjà évoquées, qui passent des fourneaux de leur patron à ceux de leur propre établissement.

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Rassemblements de Toques lyonnaises sur la place Antonin Poncet
© Paul Bocuse

Cette tradition du bien-manger est ensuite reprise et modernisée par Paul Bocuse, véritable phare de la gastronomie lyonnaise dans le monde, et les nombreux chefs implantés dans la région, qui, à son exemple essaiment leurs savoir-faire à l’étranger. La gastronomie lyonnaise a en effet le vent en poupe. Jean-Christophe Ansanay-Alex, maestro « 2 étoiles » de l’Auberge de l’île (Barbe), a franchi la Saône pour rejoindre la Tamise et installer L’Ambassade dans l’un des quartiers huppés de Londres. Devant l’investissement financier nécessaire, il s’est associé à Jean-Michel Aulas pour réaliser ce projet ambitieux d’expatriation. L’effet Dubaï a également des retombées. Selon les desseins du richissime promoteur Budi Saaed al Gandhi, un quartier baptisé « Lyon » doit voir le jour au cœur de la capitale des Emirats arabes unis, quartier qui serait incomplet s’il lui manquait des gastronomes. Mathieu Viannay, Frédéric Berthod (ancien de Bocuse) et Christophe Marguin (Patron des Toques Blanches Lyonnaises), les 3 acolytes de la brasserie branchée « 33 Cité », sont du voyage vers Dubaï. Il y croiseront Philippe Gauvreau, conseiller culinaire pour le restaurant français « Café chic ».

De l’exportation d’établissements, les chefs prennent la casquette – ou plutôt la toque – de consultant culinaire, à l’instar de Bocuse et d’Alain Alexanian. Ce dernier, l’ex-patron de l’Alexandrin, élabore les cartes de nombreux restaurants français et est le conférencier représentant la France à Erevan (Arménie).
- La « gastronomie » de Berchoux et la région lyonnaise. Bellier, 1994.

- De Berchoux à Bocuse : brève histoire de la gastronomie lyonnaise. Rive Gauche, n°138, sept. 1996, p. 9-12.

- La cuisine lyonnaise cartonne à l’étranger : un article en ligne de LyonCapitale.fr.

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Cèpes rotis entiers
Crème de Coco de Pimpol

© N. Le Bec

Autre facteur permettant à la cuisine lyonnaise d’être appétissante et gourmande : de tout temps, elle utilise des produits variés et de qualité, ayant donné lieu à de nombreuses Appellation d’Origine Contrôlées (AOC) dans la région (58 au total). L’environnement viticole de la région, des Côtes du Rhône au Beaujolais, est également un atout. Enfin, le travail des artisans du goût, qui magnifient le produit, est reconnu : outre les cuisiniers, les artistes du chocolat sont appréciés en région (voir le Point d’Actu Chocolat !.

Lyon resplendit toujours par la qualité de ses formations. Si l’Institut Bocuse fait référence, il n’est pas le seul établissement à enseigner les arts culinaires. Le prestigieux Institut Vatel est implanté en presqu’île (voir leur site web) et le lycée hôtelier François Rabelais siège à Dardilly (voir leur site web). Un système de formation qui fait ses preuves : après l’apprentissage, les élèves se lancent dans la vie active et beaucoup trouvent du travail auprès de leurs maîtres de stage. Les élèves viennent de loin pour s’inspirer des pratiques lyonnaises, dans ce secteur où – si le cosmopolitisme augmente – la France n’a pas perdu de son attractivité. Hervé Fleury, directeur de l’institut Paul Bocuse, en témoigne : les candidatures étrangères sont en constante augmentation et la moitié des 330 étudiants de l’école de cuisine est composée d’étrangers d’une trentaine de nationalités différentes. « Certes, il y a de nouveaux eldorados gastronomiques, comme l’Espagne ou l’Asie, qui font rêver les jeunes, mais la France reste la référence pour acquérir les bases du métier ».

- A noter : un site web informe les 15-55 ans des opportunités du secteur de l’hôtellerie, représentant près de 10% des offres d’emplois déposées à l’ANPE.

Les arguments confortant Lyon au firmament de la gastronomie sont donc nombreux. Toutefois, la capitale parisienne recense environ 5 fois plus d’établissements, y compris d’établissements étoilés. De plus, avec la mondialisation, les talents culinaires sont présents aux quatre coins du monde. Lyon est une grande ville mondiale de la Gastronomie mais existe-t-il toujours une capitale ?

Le débat sur la réputation lyonnaise de capitale gastronomique a été relancé par le projet de classement de la gastronomie française au patrimoine immatériel de l’humanité. Le dossier de candidature sera déposé à l’Unesco en 2009, avec comme enjeu, une reconnaissance qui pourrait augmenter de 20 à 30% la fréquentation touristique, à l’exemple des autres sites distingués. L’initiative est soutenue par des chefs, dont Paul Bocuse, Alain Ducasse, Pierre Troisgros, Marc Veyrat. Si le label est obtenu, les chefs lyonnais pourront se frotter les mains car cela sera un nouvel atout pour leur Cité déjà inscrite au Patrimoine mondial depuis 1998. Cependant, interviewé sur ce sujet, Christian Millau l’affirme, il remet en cause le titre suprême lyonnais : « Lyon n’est pas la capitale de la gastronomie : dire que la meilleure cuisine de France est lyonnaise est aussi puéril que de dire que la meilleure cuisine du monde est française ». Le cofondateur des guides Gault-Millau relativise donc la place lyonnaise, la faisant entrer dans la marmite collective des cuisines françaises, dont elle est l’une des saveurs.
- C. Millau : « Lyon n’est pas la capitale de la gastronomie ». Le Progrès, 17 octobre 2008.

Dans le coeur des Lyonnais, la Ville gardera cependant ce titre prestigieux éternellement.

A consulter :

- Gastronomie : le grand tabou : Lyon Capitale s’est également posé la question de la légitimité de Lyon au titre de capitale gastronomique et y répond par un dossier sur les dessous du milieu de la restauration lyonnaise. Lyon Capitale, décembre 2008, p. 11-33.

- La Gastronomie, emblème de Lyon

Le Grand Lyon s’est penché sur le thème de la gastronomie à Lyon et en a fait l’un des emblèmes de la Ville.

Les 55 pages de synthèse de ce groupe de travail sont en ligne. Le document évoque le contexte économie et de mondialisation croissante de la cuisine, les atouts de Lyon dans ce domaine ainsi que l’enjeu de “l’après Bocuse”.

- La restauration traditionnelle à Lyon : étude de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon, publiée en 2007. Le document présente l’évolution quantitative du secteur entre 2002 et 2006 ainsi que la typologie détaillée des restaurants, par arrondissement.

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