Lyon, berceau de la police technique et scientifique

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On assiste depuis plusieurs années à une recrudescence sur nos chaînes de séries américaines mettant en scène des policiers « experts » de Miami, Los Angeles ou d’ailleurs qui savent analyser le moindre indice relevé sur la scène du crime afin de confondre rapidement le coupable. Cette déferlante télévisuelle tendrait à faire penser que la police scientifique et technique vient d’outre-Atlantique. Profitons donc de la célébration du centenaire de la création du Laboratoire de police de Lyon par Edmond Locard en janvier 1910 pour retracer l’histoire de la police technique et scientifique française qui a fait école dans le monde entier.



Sommaire

1. Alexandre Lacassagne, médecin légiste et criminologue lyonnais

2. L’apport d’Alphonse Bertillon, fonctionnaire parisien très méthodique

3. Edmond Locard fonde le Laboratoire de police de Lyon

4. L’Institut national de la police scientifique d’Écully

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Tournage de la série RIS-Police scientifique

21. Alexandre Lacassagne, médecin légiste et criminologue lyonnais2

Alexandre Lacassagne (1843-1924) est universellement reconnu comme l’un des fondateurs de la médecine légale. Spécialiste de la toxicologie, de la putréfaction morbide, il est l’un des premiers à utiliser les techniques de l’autopsie et de l’identification des cadavres.

Il fonde en 1878 l’École médico-légale lyonnaise. Il fait paraître la même année un Précis de médecine judiciaire. Y figure en préambule une définition claire du rôle de la médecine légale :

Dans la rédaction de ce livre nous avons essayé de grouper toutes les connaissances médicales qui, à notre époque, peuvent être utilisées pour l’application de la loi. Le médecin, par ses études spéciales, permet souvent au magistrat d’arriver à la possession de la vérité.

Lacassagne met en pratique cette collaboration de la science médicale et du judiciaire et se fait connaître à travers plusieurs affaires, souvent largement couvertes par la presse nationale comme L’affaire Gouffé, l’affaire Jaboulay, l’autopsie du Président Carnot assassiné à Lyon…

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Alexandre Lacassagne
©Crédit photo : BM Lyon

Parallèlement il donne une impulsion décisive à l’anthropologie criminelle française, s’opposant par là à l’école italienne de Cesare Lombroso, pour lequel il existe des stigmates physiques déterminant le criminel potentiel, la prédominance de l’inné faisant que l’on naît criminel. Pour le professeur Lacassagne, c’est le milieu social qu’il faut incriminer : « La société a les criminels qu’elle mérite » dira-t-il.

En février 1921, au terme d’une longue carrière, Alexandre Lacassagne donne à la Ville de Lyon l’ensemble de ses collections manuscrites et imprimées. Au total près de 12 000 documents. Ils sont toujours à la Bibliothèque municipale Part-Dieu dans le Fonds Lacassagne

22. L’apport d’Alphonse Bertillon, fonctionnaire parisien très méthodique2

Alphonse Bertillon (1853-1914) est d’abord un simple employé chargé de classer les dossiers que la préfecture de police de Paris, puis il est nommé chef du service photographique de la Préfecture en 1882.

Il va révolutionner les techniques de fichage de la police en partant d’un concept simple mais génial : la constitution a priori d’un fichier regroupant des individus connus des services de police selon des caractéristiques physiques uniques et non modifiables.

Il crée en 1870 le système de signalisation anthropométrique. C’est un signalement à partir de mesures osseuses de la taille, des bras, des pieds, des doigts, de la tête dont Bertillon calcule une probabilité d’une chance sur 4 millions de mensurations identiques chez deux individus.

Ce système porte le nom de son inventeur : le bertillonnage.

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Alphonse Bertillon
Image Wikimedia Commons

Il n’est cependant applicable que chez les adultes dont les mensurations des os ne bougent plus et ne peut servir au fichage des adolescents.

Il introduit alors l’usage de la photographie anthropométrique (tête de face et de profil).
Puis Bertillon, d’abord réticent, adopte alors une invention anglaise pour introduire en plus la prise d’empreintes digitales qui sont comme on le sait uniques pour tout individu.
Bertillon n’est ni médecin, ni universitaire, mais sa méthode révolutionnaire de fichage méthodique participe elle aussi de l’apport de la science et de la technique au travail de l’enquête judiciaire.

Sa réputation souffrira cependant de son erreur dans l’analyse graphologique d’un fameux bordereau qu’il affirme être écrit par le Capitaine Dreyfus, apportant son expertise à la charge du capitaine. Alexandre Lacassagne et Edmond Locard s’opposent à lui, ce dernier résumant bien le ressort psychologique éloignant Bertillon de la neutralité exigée de l’expert :

Je crois que c’est par un ardent patriotisme qu’il fut guidé dans l’acceptation d’une tâche à laquelle de magnifiques travaux antérieurs, d’un ordre assez différent, l’avaient insuffisamment préparé. Mais du jour où se cristallisa dans son esprit l’idée d’un devoir à accomplir en démasquant un traître, il subit une sorte d’obnubilation qui lui fit prendre pour une donnée acquise ce qui était tout précisément à démontrer.

23. Edmond Locard fonde le Laboratoire de police de Lyon2

Edmond Locard (1877-1966) poursuit de brillantes études de chirurgie orthopédique à Lyon quand la mort brutale de son maître d’études le Pr Ollier en 1900 l’amène à se réorienter vers la médecine légale.

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Edmond Locard
©Crédit photo : BM Lyon fonds Vermard

Le Pr. Alexandre Lacassagne le prend sous son aile d’abord comme étudiant, puis, après la soutenance de sa thèse, comme employé de son laboratoire de médecine légale. Il lui confie aussi une chronique dans la revue Les Archives d’Anthropologie criminelle.

Locard y aborde une question qui l’occupera jusqu’en 1909 : l’identification par la dactyloscopie (étude des empreintes digitales) et la nécessaire unification internationale des fichiers dactyloscopiques.

Toutes ses recherches sur la médecine légale et l’anthropologie criminelle poussent Edmond Locard à passer de la théorie à la coopération scientifique avec la police puisque selon son célèbre principe d’échange

Tout individu à l’occasion de ses actions criminelles dépose et emporte à son insu des traces et des indices.



Il ouvre le 24 janvier 1910 dans les combles du Palais de justice de Lyon le premier laboratoire de police scientifique et technique français (le premier de ce genre au niveau mondial selon certains auteurs). Avec au départ deux collaborateurs et un bec Bunsen !

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Plaque du Palais de Justice de Lyon
(posée le 08/04/2010)

Il réunit rapidement sous un même toit des services techniques et éléments scientifiques aidant à l’enquête policière : toxicologie, balistique, dactyloscopie, analyse de traces et poussières et expertise de documents (son domaine de prédilection).

Au fil des années, le professeur étoffe son équipe et les missions de son service vite reconnu au niveau international. Il devient célèbre pour la résolution d’affaires comme celle du « corbeau de Tulle » en confondant l’auteur d’un millier de lettres anonymes.

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Une empreinte impressionnante
©Crédit photo : Archives municipales Lyon

Tout ce travail du laboratoire lui permet de rédiger le fameux Traité de criminalistique élaboré entre 1931 et 1940 qui constituera la bible des laboratoires de police technique et scientifique.

Locard crée même au sein de son laboratoire un musée de Police technique et scientifique. Une partie des collections se trouve toujours à l’École nationale supérieure de police de Saint-Cyr-au-Mont d’or (au nord de Lyon).

Le digne professeur quitte son laboratoire à regret à 74 ans en 1951. Le laboratoire quitte le Palais de Justice en 1982 pour l’Hôtel de Police de la rue Marius Berliet (8ème arrondissement) et prend le nom de Laboratoire interrégional de police scientifique de Lyon.

24. L’Institut national de la police scientifique d’Écully 2

Après les années fastes du début du 20e siècle, la Police technique et scientifique française amorce un long déclin en France jusqu’aux années 1980. Deux affaires célèbres révèlent un système français dépassé : l’affaire Thierry Paulin et l’affaire Guy Georges pour lesquelles l’absence de fichiers d’empreintes digitales et génétiques nationaux informatisés a retardé la découverte des coupables.

La réaction politique débouchera sur la réorganisation de la Police technique et scientifique française au sein de l’Institut national de police scientifique (INPS) en 2004 dont le siège est rapidement délocalisé à Écully en banlieue lyonnaise.

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Bâtiments de l’INPS, Écully

Au sein de cet organisme se trouvent différents laboratoires de police scientifique dont celui de Lyon, descendant direct du laboratoire originel d’Edmond Locard, qui déménage du 8ème arrondissement au siège d’Écully.

Personne morale experte près la Cour d’appel de Lyon, L’INPS est chargé de procéder à

tous les examens et analyses scientifiques qui lui sont demandés par les autorités judiciaires

et les services de police ou de gendarmerie. L’INPS est composé d’un service central des

laboratoires et de 6 laboratoires : Lyon, Paris (2), Lille, Marseille, Toulouse.

Ces laboratoires peuvent aussi être sollicités pour des cas d’exception : lors du tsunami indonésien de 2006, grâce aux traces d’ADN sur les brosses à dent des victimes françaises, les spécialistes d’Écully ont pu les identifier et permettre aux familles de faire leur deuil.

En 2010, les 650 personnes dont 150 experts de l’INPS consacrent 90 % de leur activité aux analyses ADN. L’empreinte ADN joue le rôle de l’empreinte digitale du début du 20ème siècle : la reine des preuves scientifiques.

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Présentation de l’INPS
Service communication INPS

L’INPS assure aussi un rôle de formation des policiers français et étrangers dans les domaines techniques et scientifiques et participe au réseau des laboratoires européens ENFSI (European network of forensic sciences intitutes).

Avec l’INPS (mais aussi Interpol) implanté sur son territoire, la métropole lyonnaise le retrouve désormais le rôle prépondérant qu’elle a joué au début de l’apparition de la police technique et scientifique, à la charnière des 19e et 20e siècles.

Pour en savoir plus :

Emission radiophonique

Mémoires improvisées du docteur Edmond Locard, par lui-même, recueillies par André Mure, 1961. Durée totale 7h21, en accès libre sur le site de l’INA, taper mémoires improvisées Locard dans le moteur de recherche interne au site.

Ouvrages

ARTIERES Philippe , CORNELOUP Gérard ; assistés de RASSAERT Philippe, Le médecin et le criminel : Alexandre Lacassagne 1843-1924 : catalogue d’exposition, Lyon : Bibliothèque municipale, 2004

BUQUET, Alain, Manuel de criminalistique moderne et de police scientifique, 3ème éd., Paris, PUF, 2006.

JALBY, Christian, La police technique et scientifique, Paris, PUF (Que Sais-je ?),2009

LACASSAGNE, Alexandre, Précis de médecine judiciaire, Paris, Masson, 1878.

Cet ouvrage est consultable gratuitement en ligne sur Gallica :

Précis de médecine judiciaire

LACASSAGNE, Alexandre, L’affaire Gouffé, Lyon : A. Storck, Paris : Masson, 1891.

LARRIAGA, Marielle, La fabuleuse histoire d’Edmond Locard, flic de province, Brignais : Éd. des traboules, 2007

LOCARD, Edmond, Traité de criminalistique

MAZÉVET, Michel, Edmond Locard : le Sherlock Holmes français, Brignais : Éd. des traboules, 2006.

SOUCHON, Henri, Alphonse Bertillon : de l’identification des récidivistes à la recherche de preuve indiciale , Paris, École nationale supérieure de police, 1975.

Police scientifique : nouvelles techniques de recherche et d’investigation, Bath (GB) : Parragon, 2009.

Articles de périodiques

LAMY Guillaume, Les experts du crime, in Lyon capitale, n°1612, 10 avril 2007, pp 12-13.

LOCARD, Edmond, La malle à Gouffé, in La Vie lyonnaise et les Annales sportives, 12 novembre 1932, pp 8-9.

NEGRONI, Angélique, La « révolution » de la police scientifique a 100 ans, in Le Figaro, n°20427, 5 avril 2010, p.2.

PERRET, Sylvain, Police scientifique, l’enquête lyonnaise, in Le tout Lyon en Rhône-Alpes, 6 février 2010, pp 29-31.

RAGUIN, Sophie, Police technique et scientifique : le retour aux sources, in Le Progrès, 30 janvier 1999.

RENNEVILLE, Marc, Alexandre Lacassagne : un médecin-anthropologue face à la criminalité , in Gradhiva : revue d’anthropologie et de muséologie, n° 17, 1995, pp.127-140.

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