Les Gratte-Ciel à Villeurbanne, cœur de ville

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Les Gratte-Ciel à Villeurbanne sont à la fois un centre-ville animé d’une intense vie de quartier, le nom donné à des immeubles de logements qui font penser au Manhattan des années vingt et « l’utopie réalisée » que certains – l’architecte Morice Leroux – payèrent fort cher. L’originalité des Gratte-Ciel tient au fait que le projet architectural et urbain s’est constitué parallèlement à l’élaboration des règles, s’inventant autant sur la planche à dessin que dans le code d’urbanisme…

Il y a toujours une actualité aux Gratte-Ciel, mais un peu plus aujourd’hui, alors que le Théâtre national populaire (TNP) rouvre après quatre années de travaux et que se cogite l’extension de ce centre-ville vers le nord.

Tout l’été, les Archives municipales de Villeurbanne (Le Rize) organisent des ballades urbaines à la découverte de cette architecture et de ce projet social uniques.

Retour vers le futur pour en savoir un peu plus.



Sommaire

1. Villeurbanne entre 1850 et 1930

- Comment Villeurbanne ne devint pas le 10e arrondissement de Lyon
- Lazare Goujon (1869-1960), maire bâtisseur
- L’urbanisme dans les années 30

2. Les chantiers d’une utopie

- Un Palais du travail
- Un nouvel Hôtel-de-ville
- Un nouveau cœur de ville
- Tempête sur les Gratte-Ciel

3. A l’est, une nouvelle Confluence
- Premières études
- Le projet urbain Gratte-Ciel Nord
- Où en est-on ?

21. Villeurbanne entre 1850 et 19302

[actu] Comment Villeurbanne ne devint pas le 10e arrondissement de Lyon [actu]

La commune de Villeurbanne, qui appartenait au Dauphiné, fut rattachée au département du Rhône le 24 mars 1852. A partir de cette date et jusqu’au début du XXe siècle, Lyon tenta de l’annexer, comme Vaise, la Croix-Rousse et la Guillotière. Selon Bernard Meuret, c’est en affirmant peu à peu sa différence que Villeurbanne sut conserver son indépendance.

En 1856, le conseil d’arrondissement de Lyon demande qu’on réunisse à la Ville de Lyon, surtout dans l’intérêt d’une bonne administration, les communes de Villeurbanne, de Caluire, de Saint-Rambert et de Sainte-Foy-lès-Lyon et le territoire de la Demi-Lune, seule circonscription qui placera l’Hôtel-de-Ville et son quartier des Terreaux, c’est-à-dire son centre administratif, commercial et industriel, dans son centre-territoire…. En septembre, le conseil estime judicieux d’intégrer Ecully dans ce grand projet, qu’il réactive de nouveau en 1857, 1858, 1860 et 1862, citant en exemple d’autres grandes villes comme Paris et Marseille. En 1874, les responsables lyonnais et le préfet soumettent à enquête publique cette annexion qu’ils soutiennent de considérations militaires et économiques. Mais les opposants sont trop nombreux. En 1894, Villeurbanne cède cependant – suite au vote des députés et des sénateurs – le Parc de la Tête d’Or à Lyon contre 25 000 F.

Une banlieue ouvrière

Marc Bonneville situe le passage de Villeurbanne d’une commune rurale à une banlieue ouvrière aux alentours de 1880. Les industries déjà présentes dans les 3e et 6e arrondissements lyonnais occupent progressivement les Charpennes. D’autres industries lyonnaises sont transférées à Villeurbanne, en raison des besoins d’extension, mutations technologiques ou structurelles. C’est alors la filière textile qui prédomine. Villeurbanne passe de 8 000 habitants en 1880 à 44 000 en 1914 (141 000 aujourd’hui). Elle est devenue une banlieue ouvrière, qui s’oppose au centre lyonnais où l’on trouve les activités de prestige, de direction, de service ou de commerce, les classes moyennes ou aisées, très peu représentées à Villeurbanne.

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Les usines, depuis
les Gratte-Ciel
BML. Fonds Jules Sylvestre

Les industries textiles vont continuer leur expansion jusqu’à la crise de 1929-1932. Entre 1932 et 1935, les grèves sont nombreuses, pour protester contre les diminutions des salaires (de 10 à 22%) imposées par les patrons pour lutter contre la concurrence.

A partir de 1935, les industries se diversifient : industries chimiques, mécaniques et métallurgiques, construction électrique…

Aux élections de 1892, Villeurbanne devient socialiste et décide de s’organiser en fonction des intérêts de ses nouveaux habitants. Selon Bernard Meuret, la menace d’une nouvelle annexion en 1903 va servir de catalyseur. Villeurbanne s’emploie à défendre vigoureusement une population ouvrière qui risque d’être la victime économique des intérêts lyonnais… des gens en situation de différence. Les raisons invoquées pour cette nouvelle tentative d’annexion de 1903 – Victor Augagneur est alors maire de Lyon – sont les suivantes : la ville de Lyon entretient seule ses équipements mais subit le manque d’hygiène et d’aménagement sanitaire des banlieues qui profitent par ailleurs des services éducatifs, des marchés et halles de Lyon, des services d’incendie tout en fraudant sur l’alcool. Villeurbanne n’était pas seule concernée, mais aussi Bron, Vénissieux, Saint-Fons et Vaulx-en-Velin. Le docteur Jules Grandclément, rapporteur de la commission villeurbannaise porte le « non » jusqu’à épuisement de Victor Augagneur qui ne sera jamais le leader de son grand Lyon. En 1909 (Jules Grandclément est maire de Villeurbanne et Edouard Herriot de Lyon), l’annexion est provisoirement enterrée. Une dernière tentative aura lieu en 1913.

Ayant affirmé sa différence, Villeurbanne entreprend de l’inscrire dans l’espace.

[actu] Lazare Goujon (1869-1960), maire bâtisseur[actu]

On trouve son portrait sous la plume d’Edith Traverso, qui a participé à l’ouvrage Les Gratte-Ciel de Villeurbanne, dirigé par Anne-Sophie Clémençon.

Lazare Goujon est né au Creusot en 1869, d’une famille modeste de 7 enfants. Il est bachelier en 1889, tout en travaillant pour subvenir à ses besoins. Il est reçu au concours d’externat des Hôpitaux de Lyon. Il adhére au Parti ouvrier français de Jules Guesde en 1890. Il s’installe à Lyon comme médecin en 1895. En 1905, il s’inscrit à la SFIO et s’installe à Villeurbanne en 1906. Ses qualités d’organisateur et d’initiateur, qui le guident toute sa vie, le conduisent à collaborer à une coopérative socialiste et à créer une Maison du peuple rue Magenta, idée qu’il reprendra pour le Palais du travail. Aux élections de 1922, suite aux luttes internes au sein de la SFIO qui se répercutent sur l’équipe municipale, Lazare Goujon entre au conseil municipal, dont le maire est le communiste Paul Bernard. Le gouvernement dissout le conseil municipal en 1924 et Lazare Goujon emporte la mairie, grâce à une alliance avec les radicaux. Cet affrontement avec les communistes sera une constante de sa vie politique. Il est maire de Villeurbanne en 1925, 1929, 1947, 1953, député en 1928 et 1932.

[actu] L’urbanisme dans les années 30[actu]

A la fin des années 1920, les deux préoccupations majeures de la municipalité socialiste sont l’éducation et le logement. Selon Marc Bonneville, l’urbanisme social qui se développe après 1920 peut être considéré comme une tentative de réponse ou d’adaptation à l’industrialisation croissante de la commune. Le logement souhaitable est celui qui correspond aux normes « convenables » d’hygiène et de confort et qui s’intègre dans un ensemble urbain harmonieux… La Cité, lorsqu’elle est de conception ouvrière, est aussi le lieu d’une vie associative… Cette idéologie de la maison familiale base de la vie communale est fortement influencée par divers courants : courant mutuelliste lyonnais… courant « social » d’origine chrétienne ou socialiste ; elle est aussi influencée par les initiatives du patronat « social » qui lance des « cités ». Le deuxième volet de la politique municipale, c’est l’action en faveur de l’éducation populaire susceptible de donner les éléments culturels et les valeurs devant contribuer à l’épanouissement de l’ouvrier, et par là à la justice et à la paix sociale…

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Lazare Goujon
BML. Fonds Jules Sylvestre

Lazare Goujon, médecin et socialiste, sera particulièrement sensible à la doctrine de l’hygiénisme qui remonte à la seconde moitié du XIXe siècle. De nombreux rapports médicaux, nous dit Bernard Meuret, décrivent l’action des maladies contagieuses sur les populations ouvrières… Les quartiers bourgeois, découvrant les mécanismes de l’action microbienne, se sentent eux-mêmes menacés et s’émeuvent de ce problème. Des intérêts financiers sont en jeu à cause de la mortalité élevée de la classe prolétarienne. Les industriels et certains hommes politiques rejoignent le point de vue des militants socialistes qui, depuis plusieurs décennies, se battent pour qu’on prenne en considération le logement ouvrier, en tenant compte d’un minimum de règles d’hygiène… auxquelles les lois feront références….

Les Gratte-Ciel ne seront pas l’unique réponse aux problèmes du logement. Sous Lazare Goujon, plusieurs groupes d’Habitations à Bon Marché (HBM) furent construits, dont un à proximité des terrains où seront édifiés les Gratte-Ciel. Des lotissements avaient poussé de manière anarchique sur des terrains cédés par les agriculteurs : la municipalité entreprit d’encadrer les initiatives privées, participant au financement de certains projets, encourageant ceux des industriels tels que la Cité de la Soie, à la limite de Vaulx-en-Velin. Villeurbanne acheta un terrain aux Brosses, au-delà du boulevard de Ceinture, et le partagea entre groupes de « castors » : 16 à 18 maçons du dimanche volontaires pour construire eux-mêmes leur maison. 75 « cottages » virent le jour ainsi.

- Le socialisme municipal Villeurbanne, 1880-1982 : histoire d’une différenciation de Bernard Meuret ; préf. Charles Hernu
- Villeurbanne : naissance et métamorphose d’une banlieue ouvrière, processus et formes d’urbanisation de Marc Bonneville
- Les gratte-ciel de Villeurbanne, sous la dir. de Anne-Sophie Clémençon, avec Edith Traverso et Alain Lagier ; contributions Joëlle Bourgin, Madeleine Rebérioux, Marc Bonneville… Un somme sur la question, évoquant tous les aspects du projet, les hommes, la réglementation…
- Sur l’hygiénisme, quelques articles sarcastiques du Progrès illustré, de la plume de l’éditorialiste Charles Mauprat : Causerie du 30 juillet 1893 et du 7 janvier 1900

2 2. Les chantiers d’une utopie 2

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Les services techniques
dir. Jean Fleury
BML. Fonds Jules Sylvestre

Entre 1925 et 1929, la Compagnie d’Application Mécanique (CAM) céda à Villeurbanne plusieurs terrains entre la rue Germain (future rue Louis-Becker), Michel Servet, Paul Verlaine et Anatole France. Lazare Goujon veut y construire un vaste ensemble architectural. Il crée le service technique municipal, une commission dédié à son projet d’extension, s’entoure d’une équipe de professionnels compétents et recrute l’ingénieur Jean Fleury.



Jean Fleury est né le 21 décembre 1893 à Gien dans le Loiret. Il est ingénieur des travaux publics. Lazare Goujon l’engage en 1927 au poste de directeur des services techniques, qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1959. Ce jeune ingénieur va se révéler l’homme capital de la mise en œuvre des projets de Lazare Goujon. Le plan d’aménagement prend, sous sa direction, une nouvelle dimension… La commission évolue… Jean Fleury s’associe les représentants des administrations et des services publics ou privés qui seront les interlocuteurs de la Ville pour son aménagement. La commission va produire un Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension (PAEE) en 1931.

[actu] Un Palais du travail[actu]

Le Palais du travail, en ciment armé, est le bâtiment qui contient aujourd’hui le TNP. Le 20 mai 1927, Lazare Goujon lança une souscription pour la construction de ce temple laïque.

Selon Philipe Videlier, le processus original qui conduisit à l’édification des Gratte-Ciel trouve sa source dans une idée neuve et belle, celle du Palais du travail, idée sociale autant qu’esthétique, presque philosophique. Le rôle du Palais est de permettre aux travailleurs de se regrouper, se comprendre, et d’améliorer leurs situations respectives par l’union de toutes leurs énergies sur le terrain social… La création d’un centre d’activité intellectuelle, artistique et morale est indispensable au développement artistique de la Cité. La première solution imaginée par Goujon pour financer son projet est la création d’une association Loi 1901 qui permettrait d’échapper aux contraintes administratives et dont la mission serait de récolter des fonds auprès du public. Goujon est le président de ce « Comité de patronage ».

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Le Palais du travail
BML. Fonds Jules Sylvestre
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Le dispensaire
BML. Fonds Jules Sylvestre

Morice Leroux est choisi par le jury pour construire le Palais, jury composé de plusieurs architectes lyonnais, dont Tony Garnier. Son « Palais » comporte un corps central et deux ailes, à gauche un dispensaire et un bureau d’hygiène, à droite des salles de réunions et des bureaux pour les sociétés et autres associations. Le bâtiment central abrite un théâtre (le TNP aujourd’hui), une brasserie-restaurant et en sous-sol, une piscine.



Morice Leroux est né le 15 octobre 1896 à Domfront dans l’Orne. Ayant arrêté ses études à 14 ans, il entre comme commis d’agence dans une compagnie d’assurances. A la démobilisation, il entre dans l’entreprise Girard à Beauvais comme dessinateur et métreur, où il conduit plusieurs chantiers. En 1922, il est commis et vérificateur chez Paul Lebret à Paris, ancien condisciple de Tony Garnier. Il collabore à plusieurs chantiers et conçoit en 1928 des ateliers de ganterie à Montreuil et des maisons particulières. Il gagne le concours du Palais du travail en 1928. Edith Traverso, op. cit. « Le projet de Lazare Goujon »

Toujours selon Philippe Videlier, Morice Leroux démarra le projet en avril 1928, tandis que le Comité de patronage collectait les fonds dont le montant atteignait 169 000 F en mai. La première pierre fut posée le 20 mai 1928, saluée par ces mots d’Albert Thomas :Palais du Travail, deux mots antithétiques…[qui] à eux seuls, signifient déjà toute la volonté de renforcer, de créer.

En avril 1929, rien n’était construit et les finances manquaient. Morice Leroux édifia l’aile orientale, soit le dispensaire général d’hygiène sociale par souci pour la santé des populations…et pour attirer les subventions ministérielles. Le Comité devient une Fondation reconnue d’utilité publique le 14 mars 1929, dont Lazare Goujon est le président.

[actu] Un nouvel Hôtel-de-ville[actu]

Mais les fonds collectés sont insuffisants. Lazare Goujon choisit la montée en puissance du projet, alors que des terrains se sont libérés, et qu’un architecte (Morice Leroux) est disponible : le Palais appelle un Hôtel-de-ville, qui suppose la création d’un nouveau quartier de logements.

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Construction de
l’Hôtel de ville
BML. Fonds Jules Sylvestre
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Hôtel de ville
© Nicolas Daum 2011

Robert Giroud, proche de Tony Garnier, emporte le concours d’architecture pour le nouvel Hôtel-de-ville. Le bâtiment qui comporte un beffroi fut édifié en ciment armé. La Mairie ou « Maison commune », comprend perception, commissariat de Police, services techniques, enregistrement et timbre, services administratifs de la ville, bibliothèque… l’intérieur est bâti sur un plan très simple qui « traduit bien l’intention qui fut celle de l’Administration communale de mettre tous les organismes municipaux au « service » de chaque contribuable de la cité, de chaque « citoyen ». (Bernard Meuret, op.cit.)



Robert Giroud (1890-1943) est le classique de l’équipe. Ce fils d’architecte a suivi la voie traditionnelle : école régionale d’architecture de Lyon (atelier Tony Garnier) et école des beaux-arts de Paris (atelier Laloux). Il est diplômé par le gouvernement en 1911, premier grand prix de Rome en 1922… Il est l’homme que l’on mentionne dans la presse d’information et qui imbibe l’ensemble du projet urbain d’une respectabilité culturelle. Edith Traverso, op. cit. « Des hommes »

Extérieurement, que remarque-t’on ? un beffroi massif d’un seul jet. Il symbolise à la fois : par son élévation, la vigilance des édiles, par sa pure verticale exempte de saillie, leur volonté inflexible de « réaliser ». Conférence de M. Fleury, ingénieur-directeur des services techniques de la ville, 17 octobre 1934.

La décision de construire le nouveau centre est prise en janvier 1930.

Les difficultés financières entrainent Lazare Goujon à solliciter le privé, montant une société immobilière, la SVU qui prendrait en charge l’ensemble des constructions. Il s’allie avec le Comptoir d’entreprises et de travaux urbains (siège à Paris) dont David Winberg était l’administrateur, et qui entame une prospection auprès de financeurs. Un décret du Conseil d’Etat autorise le 18 avril 1931 Villeurbanne à garantir l’emprunt de 110 millions de francs contracté par la SVU et à recevoir à titre de redevance, des actions de la SVU pour un montant de 3,4 MF. La SVU se constituait en société anonyme au capital de 10 MF. Elle émet 50 000 obligations à l’intérêt annuel de 4,5%. Des entreprises locales sont sollicitées, tandis que le Comptoir se retire progressivement de l’affaire : la commune concédait en contrepartie de l’achèvement de l’Hôtel et du Palais, les revenus de la location de futurs logements par un bail emphytéotique de 60 ans au terme duquel ils reviendraient à la Ville. (Philippe Videlier, op.cit.)

[actu] Un nouveau cœur de ville[actu]

Morice Leroux est l’architecte de ces immeubles de logements ou Gratte-Ciel, qui sont composés de 6 blocs comportant au total 1 500 appartements de 2 à 7 pièces, qui évitent toute cour intérieure : les hygiénistes et les urbanistes savent tout le mal qu’il faut penser de la cour intérieure, puits nauséabond où, presque jamais, ne pénètre le moindre rayon de soleil. Et techniquement…les solutions nouvelles ont été rendues facilement réalisables grâce à l’emploi de la charpente métallique. Cet emploi a également permis d’obtenir un prix de revient intéressant, d’autant plus que les « blocs » sont constitués par une suite d’éléments semblables appelés « cellules » dont les charpentes sont identiques et pouvaient donc être établies à bien meilleur compte… Les Gratte-Ciel sont l’incarnation des principes socialiste : hygiène, rationalité, esthétique, économie. Les deux tours de 19 étages constituent la porte de la cité. (Bernard Meuret, op. cit.)

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Construction des Gratte-Ciel
Furure av. H. Barbusse
BML. Fonds Jules Sylvestre
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Vue de Gratte-Ciel
BML. Fonds Jules Sylvestre

Cette forêt de poutrelles métalliques, qui seront masquées par un enduit, est remplie de 3 millions de briques creuses.

Avec les Gratte-Ciel, Lazare Goujon devient un héros socialiste (pour les socialistes) et municipal pour les maires de France.

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Le Répit
© Nicolas Daum 2011

A l’entrée du nouveau centre, Jules Pendaries réalise une sculpture baptisé « Le répit » symbolisant pour les commanditaires « l’animation joyeuse et bienfaisante d’une ville ultra-moderne », copie du « Répit de l’Agriculteur ».

Le Stadium est décidé le 26 juin 1933, confié à un trio d’architectes : Leroux, Giroud et Henri Chambon. Il s’agit d’un vaste équipement sportif de 8 000 places avec une piste cycliste et des équipements pour le basket et le volley-ball, le long du cours Emile Zola. Lazare Goujon prévoit de distraire une partie des capitaux affectés à la construction des Gratte-Ciel (3,8 MF + 2 MF prélevés sur les fonds) ce qui impliquait d’ajourner les groupes 7, 8 et 9 qui fermaient la place Albert-Thomas et prolongeaient l’ensemble vers le sud. Le Stadium serait d’un rapport immédiatement avantageux car les spectateurs ne manqueraient pas d’acheter, de consommer, de dépenser dans notre ville. (Philippe Videlier, op. cit.)

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La piscine sous le Palais
BML. Fonds Jules Sylvestre

L’Hôtel-de-Ville est ouvert à l’automne 1933 et le théâtre donne sa première représentation en avril 1934 (la piscine à l’automne 1933). En 1933, l’œuvre est unanimement louée, « expression fidèle de l’œuvre projetée » – probablement inhabituel en matière d’urbanisme –

ou encore « Grande œuvre d’urbanisme doublée d’une œuvre de foi plus grande encore ».

Les fêtes de l’inauguration se déroulent du 10 juin au 1er juillet 1934.

[actu] Tempête sur les Gratte-Ciel[actu]

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Manifestation
rue H. Barbusse. 1936
BML. Fonds Jules Sylvestre

En 1934, la crise économique est à son paroxysme avec la fermeture depuis 1930 de 37 grosses entreprises sur le territoire villeurbannais. Les loyers ne rentrent pas, car les appartements ne furent pas loués les deux premières années, ni les locaux commerciaux. Les charges de chauffage avaient été sous-estimées. La gestion de Lazare Goujon, celle de la SVU, celle l’office des HBM sont contestées… les finances communales sont au plus bas. Lazare Goujon et son équipe perdent les élections de mai 1935. La nouvelle équipe communiste de Camille Joly, foncièrement hostile aux Gratte-Ciel, analyse les comptes et conclut à un déficit de plus de 15 MF. Le fonctionnement de la SVU est modifié en 1939 : les rôles de maire et de président de la SVU, confondus sous Lazare Goujon, sont distingués et des contrôles de gestion sont mis en place. (Bernard Meuret, op.cit.)

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Le Stadium
BML. Fonds Jules Sylvestre

En 1935, lors de la défaite de la municipalité socialiste, le Stadium est mis en sommeil. En 1947, Lazare Goujon retrouve son fauteuil de maire. Il contacte Morice Leroux pour relancer le Stadium et fonde, sur le modèle de la SVU, la Société du Stadium de Villeurbanne. Il fut ouvert en public en 1949, quoique incomplet et sans sa toiture. Morice Leroux propose dans les années 50 de vendre les Gratte-Ciel en co-propriété pour financer le Stadium et la construction des Groupes 7 et 8. Les locataires sont consultés : sur 1450 locataires et 100 commerçants, 1211 étaient hostiles à la vente. En 1954, Etienne Gagnaire devient maire de Villeurbanne. Le Stadium ne sera jamais terminé. Lazare Goujon disparait en 1960, Morice Leroux en 1963. Les bâtiments seront démolis en 1967 pour faire un parking.

Progressivement étoffé de commerces, le centre-ville ne s’imposera qu’après 1945. Il faudra attendre les années soixante pour que se manifestent les effets classiques de la centralité : apparition d’une pression foncière et d’une rente de situation, développement des bureaux ou logements de standing… (Marc Bonneville, op. cit.)

Les années soixante et soixante-dix seront les pires pour l’urbanisme. Villeurbanne se fondait peu à peu dans l’entité lyonnaise indéfinie du pradélisme : une politique qui n’en était pas une – ni gaulliste, ni socialiste – une politique clientéliste de notables rentiers de leurs charges dans le contexte des Trente Glorieuses, une politique de laideur dans la ville, de bétonnage décervelé sur le champ ouvert de l’expansion, une conception régressive du progrès, un immobilisme global au service particulier des groupes immobiliers. Tel était Louis Pradel, successeur d’Edouard Herriot. Tel était Etienne Gagnaire, successeur de Lazare Goujon. Deux réalisations déplorables : le Monoprix (1956-1960) et le consternant ensemble Villeurbanne-2, 18 étages, construit en 1971-1979, qui brise le cadre esthétique recherché par Morice Leroux et Lazare Goujon. (Philippe Videlier, op.cit.)

Dans le même temps, nous dit Marc Bonneville, Villeurbanne est marquée par une désindustrialisation qui commence en 1963 (manque d’espace, prix des terrains) et le caractère social de sa fonction résidentielle est remis en cause, les ouvriers habitant volontiers à proximité des usines. La demande de logements sociaux est importante dans cette période, mais les postulants sont canalisés vers Vaulx-en-Velin, en particulier pour les nouveaux ménages. Le Ve plan (1966-1970) affirme par ailleurs que la rénovation urbaine ne doit pas avoir pour objectif principal la suppression de l’insalubrité par le renouvellement du patrimoine immobilier, mais la réalisation d’équipements importants permettant la restructuration de l’agglomération et la modernisation de son centre.

A la fin des années 70, Villeurbanne est bien un centre secondaire de l’agglomération, centralité renforcée par la station de métro, renforcée par le TNP.

- Gratte-ciel, de Philippe Videlier
- Désindustrialisation et rénovation immobilière dans l’agglomération lyonnaise : le cas de Villeurbanne, de Marc Bonneville

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Le crime que j’ai commis ?
Lazare Goujon
Fonds Chomarat

– Voir aussi :Le Crime que j’ai commis ? du Docteur Lazare Goujon, Ancien Député-Maire de Villeurbanne

- Voir aussi : Utopies réalisées : un autre regard sur l’architecture du XXe siècle L’originalité de Villeurbanne tient aussi au fait que le projet architectural et urbain s’est constitué parallèlement à l’élaboration des règles…Le projet s’invente autant surs la planche à dessin que dans le code d’urbanisme… L’invention de la SVU, association de fonds publics et privés préfigure celles des sociétés d’économies mixtes.

2 3. A l’est, une nouvelle Confluence2

[actu] Premières études[actu]

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Le TNP rénové
© Nicolas Daum 2011

En 1990, Villeurbanne, dont le maire est alors Gilbert Chabroux, met en place une Mission Urbanisme et Patrimoine, chargée de mener à bien une réflexion sur la mise en valeur urbaine du centre-ville, qui débouche sur la mise en place d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager. En 1993, la rénovation des Gratte-Ciel est engagée. Selon G. Chabroux, les Gratte-Ciel ont donné naissance à un centre, mais ne lui ont pas permis de se développer réellement. Le centre de Villeurbanne s’identifie plus à un centre de quartier qu’à un véritable centre-ville… A la demande de la ville, Charles Delfante et Joëlle Bourgin élaborent un projet urbain pour le quartier. Le constat est que les qualités de la composition urbaine des Gratte-Ciel n’ont pas été étendues au tissu urbain alentour, constitué de manière fragmentée et sans plan d’ensemble… Charles Delfante et Joëlle Bourgin proposent un plan global orienté sur une transformation douce et cohérente du quartier.

Le nouveau centre est fermé par rapport à la structure urbaine environnante, disait déjà Marc Bonneville. L’arrière des bâtiments résidentiels n’entretient aucun dialogue avec les rues riveraines et le Palais du travail est disposé comme une ponctuation fermant le centre du côté ouest. Ce centre, construit comme un tout cohérent en soi, tourné vers lui-même, n’était pas conçu pour être une forme évolutive pouvant être complétée progressivement… objet grandiose et surprenant, vitrine ou temple livré à l’admiration de la population ouvrière de la commune, il forçait au respect et à la reconnaissance.

Deux questions se posent alors :
- comment peut-on réhabiliter ou développer ce cœur de ville en confortant le mythe ?
- comment sauvegarder l’identité et faire en sorte que cette extension soit à la fois partie intégrante de l’ensemble, tout en développant un esprit de nouveauté qui s’inspire de celui qui a animé les inventeurs de 1930 ?

La particularité des Gratte-Ciel est d’être un manifeste de cité idéale… et un mythe qui lui vaut d’être assimilé à un centre ancien qui, cependant, n’aurait pas les caractéristiques élitistes conférées par la puissance économique…

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Les Gratte-Ciel
aujourd’hui
© Nicolas Daum 2011
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Rénovation
© Nicolas Daum 2011

La solution est d’intégrer au projet l’urbanisme des années soixante à quatre-vingt, qui s’est développé autour. Mais aussi : affirmer la personnalité et l’identité de Villeurbanne, la spécificité de son centre, cultiver l’agrément des lieux, aménager et développer les espaces publics, accueillir quelques programmes de bureaux pour concentrer les activités afin de développer une restauration digne d’un centre.

- Villeurbanne, une histoire de gratte-ciel, racontée par Joëlle Bourgin et Charles Delfante
- Un Nouveau centre ville, Office villeurbannais d’information et d’expression
- Des nouvelles des Gratte-ciel, photographies, Anne van der Stegen ; textes, Bernard Jadot. Un photoreportage poétique au cœur des Gratte-Ciel au tout début de la rénovation, montrant les montées d’escalier et façades « dans leur jus ».
- AMC. Architecture, mouvement, continuité (1973-1989). N° 39, 1976. « Villeurbanne 1924-1934 : un centre urbain »…L’avis des architectes sur les problèmes que poserait toute évolution du quartier, a priori très difficile.

[actu] Le projet urbain actuel Gratte-Ciel Nord[actu]

L’enjeu principal de ce nouveau projet urbain, inspiré des travaux de Delfante et Bourguin, consiste à conforter le centre-ville de Villeurbanne, à le placer à l’échelle de la deuxième ville-centre de l’agglomération. Deux projets ont déjà été réalisés : la création d’un parking public souterrain sous la place Lazare-Goujon et le réaménagement de cette place. La communauté urbaine a confié à l’architecte-urbaniste en chef, Christian Devillers, la formulation et de la conduite de ce projet ambitieux, à l’étude depuis 2007.

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Un jardin provisoire
rue Bourgey
© Nicolas Daum 2011
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La rue Chomel
ZAC Nord
© Nicolas Daum 2011

La Ville envisage la construction de 900 logements avec au moins 25% de logements sociaux, intégrant les exigences du développement durable. La surface de ventre commerciale passerait de 20 000 m² à 35 000 m². Le futur lycée Brossolette reconstruit devrait être un lycée « Kyoto », à énergie positive.

- Site du Grand Lyon : Villeurbanne – Gratte-Ciel Nord
- Dossier de concertation sur le projet
- Gratte-Ciel Nord Projet urbain. Lettre n°1, novembre 2009

Où en est-on ?

La délibération du Conseil du Grand Lyon du 29 novembre 2010 a approuvé le bilan de la concertation préalable engagée par la délibération du 9 juillet 2007. Les objectifs du projet Gratte-Ciel Nord ont été précisés :
- constituer un grand centre-ville attractif et un pôle d’agglomération, en développant un programme commercial ambitieux mais aussi en calibrant et qualifiant fortement l’offre d’équipements,
- conduire une opération dans une exigence de qualité imposée par la proximité du patrimoine emblématique des Gratte-Ciel, dans le cadre des contraintes liées à la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP),
- “pacifier” le centre-ville en privilégiant les modes doux et les transports en commun,
- promouvoir une ambition forte de développement durable, en optant notamment pour des choix architecturaux et partis d’aménagement qui répondent aux exigences de haute qualité environnementale

La décision a été prise de conduire le projet dans le cadre d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) et la concertation a été lancé sur le Le périmètre concerné par le projet.

Il a été décidé le 14 mars 2011 d’engager une procédure de déclaration d’utilité publique.

A l’automne 2011, une enquête publique sera lancée, qui marquera une nouvelle étape du projet. Un aménageur sera désigné en 2012, qui pilotera les études de faisabilité pour préciser les orientations générales déjà proposées. Les premiers travaux devraient commencer en 2014…

Dans un article du 14 janvier 2011 paru dans le journal Lyon Capitale et intitulé « Gratte-Ciel Nord : Villeurbanne change la face de son centre-ville », la journaliste Marine Badoux compare le projet villeurbannais à celui de la Confluence… non pas un nouveau « morceau de ville » mais bien un nouveau « cœur de ville », sur lequel, on l’espère, soufflera le génie de Lazare Goujon, Morice Leroux, Robert Giroud et Jean Fleury.



Les photographies contemporaines sont celles de photoreporters qui contribuent au projet citoyen de collecte des mémoires urbaines entrepris par la Bibliothèque municipales de Lyon début 2011. Les photographies déposées sont indexées et versées dans la base Photographes en Rhône-Alpes. Si les originaux sont sous support physique (diapositive, tirage, plaque de verre, négatif…), ils sont numérisés puis rendus à leur propriétaire, accompagnés d’une copie numérique s’il le désire.

Un album sur la thématique des Gratte-Ciel a été réalisé, mêlant les fonds anciens de la Bibliothèque et les photographies des contributeurs.

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One thought on “Les Gratte-Ciel à Villeurbanne, cœur de ville”

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