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Les bains-douches et lavoir de Flesselles

Photographe : Antoine Cusin, 26 mai 2015

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 27/09/2016 par B. Yon

Nos contributeurs "Photographes en Rhône-Alpes" arpentent pour nous notre région et nous font découvrir ou redécouvrir le patrimoine Lyonnais et Rhône-Alpin, afin d'en garder une trace pour les générations futures et d'en suivre son évolution au fil du temps. Ce mois-ci, nous mettons en lumière le lavoir de Flesselles, grâce à des clichés d'Antoine Cusin. La récente actualité de la fermeture des bains-douches et lavoir de Flesselles, situés 4 impasse de Flesselles, dans le 1er arrondissement de Lyon, nous permet de revenir sur l'histoire des bains municipaux dans notre ville.

Lavoir et Bains-douches de Flesselles, A. Cusin, 26 mai 2015
Lavoir et Bains-douches de Flesselles, A. Cusin, 26 mai 2015

On dit des lyonnais qu’ils ont le goût pour les bains de rivières, et qu’ils savent nager avant même de savoir marcher. La situation de Lyon sur les deux fleuves, le Rhône et la Saône, y est certainement pour beaucoup. Les lyonnais sont habitués à vivre avec ses deux fleuves, et savent en exploiter tous les atouts. Nombres de métiers disparus aujourd’hui étaient liés aux fleuves : les tireurs de sable, les plattières, les exploitants de moulins, les hommes de halage.

Les “bèches” lyonnaises

Depuis le 18ème siècle, il existait déjà dans nombre de grandes villes des « bains ». Á Lyon ils étaient situés sur les fleuves. Jusqu’aux années 1870, ils étaient gérés par de puissantes familles lyonnaises, comme la famille Marmet, qui en faisaient commerce. Il s’agissait de « bèches », terme lyonnais pour désigner de petites embarcations qui permettaient de traverser les fleuves, et qui, attachées entre elles, à 4 ou 5 bèches, formaient un cercle dans lequel les baigneurs venaient nager ou se tremper en sécurité. Sur chaque bèche se tenait un gardien, nageur chevronné, qui surveillait la baignade. On allait aux « bèches ». On voit ici que ses « bains » n’avaient pas du tout la même destination que les bains-douches, ils étaient plutôt un lieu de loisirs et d’apprentissage de la nage, mais la problématique d’hygiène et de santé publique n’allait pas tarder à être au centre des préoccupations municipales.

Parallèlement, des bains pour « riches » voient le jour. Les lyonnais aisés ne voulaient pas être mélangé à la masse populaire, et des bains privés comme ceux de Sieur Raibaud, en 1806, ou de Sieur François Maderni en 1850 remporte un franc succès. Mais la classe ouvrière n’a toujours pas accès à l’hygiène.

Les bains municipaux du Parc de la Tête d’Or

La municipalité lyonnaise  va s’emparer de cette thématique à partir de 1870 et concentrer ses efforts sur l’hygiène scolaire et l’hygiène populaire dans les milieux ouvriers. En effet, l’hygiénisme domine les politiques urbaines, et le corps médical fait de plus en plus valoir les bienfaits du « bain ». La tendance est à la salubrité, à la prévention des maladies, il faut endiguer et contrôler la misère.

En 1879, après une multitude de débats entre la municipalité et le préfet, s’ouvre le premier établissement de bain municipal  du Parc de la Tête d’Or. Au départ étaient prévus trois bassins : un pour les hommes, un pour les femmes, et…un abreuvoir pour les chevaux ! Mais le coût des travaux est estimé trop élevé et le bassin pour les chevaux est abandonné. Puis c’est au tour de celui des femmes de disparaître du projet, jugé trop ostentatoire par le préfet, la proximité entre les deux bassins pouvant favoriser les comportements immoraux entre les deux sexes…les femmes se voient donc momentanément exclut de l’hygiène populaire lyonnaise…

Mais cet établissement ne remplit pas du tout ses fonctions initiales, qui étaient de réduire les pratiques de baignades sauvages, qui se font la plupart du temps nu et dans des endroits non sécurisés, et aussi d’offrir aux lyonnais un lieu d’hygiène populaire. Malgré l’existence de ce lieu, les lyonnais continuent à se baigner dans les fleuves de façon non encadrée et surtout, les conditions d’hygiène dans les bains municipaux du Parc de la Tête d’Or sont déplorables : « ceux qui y vont se baigner, au lieu de se nettoyer, sont plus exposés à y attraper du mal » (2). L’établissement de bain municipal du Parc de la Tête d’Or fermera ses portes en 1895.

Les “chalets de bain”

La question de l’hygiène populaire est étudiée à nouveau, et on va finalement quitter les fleuves, pour installer les bains par “aspersion” sur la terre ferme.

Dans un extrait de la « Revue d’hygiène et de police sanitaire » (tome XXI, n°8, de 1899), le Docteur Gabriel Roux, professeur agrégé à la faculté de médecine de Lyon et Directeur du bureau municipal d’hygiène, fait un rapport détaillé sur ce qui existe déjà en Europe en matière de bains-douches, que l’on appelait « bains par aspersion », en vue de faire des propositions à la municipalité. Il cite Hermann Beraneck, inspecteur du chauffage et de la ventilation de la ville de Vienne : « Tout, dans l’aménagement intérieur doit éveiller l’impression agréable de propreté et de netteté et rien ne doit être dangereux au point de vue de l’hygiène ou de la transmission possible des maladies contagieuses ». Le succès de ses bains à Vienne est phénoménal. On passe de 78000 usagers en 1888 à 1.014.000 en 1897. Il cite également l’exemple de Berlin, où vraisemblablement il est remarqué que les femmes préfèrent les bains de « baignoire » plutôt que les bains par « aspersion ».

Après étude de ce rapport, la municipalité lyonnaise dota la ville de « bains-douches hygiéniques », en en finançant une bonne partie afin d’en baisser le coût un maximum pour la population et ainsi les rendre accessibles au plus grand nombre. Huit « chalets de bains » seront donc installés, essentiellement dans les quartiers où la population ouvrière est la plus importante : Perrache, Guillotière et la Croix-Rousse. Une description de ses chalets est faites dans ce même rapport : « Chalets édifiés sur cave et n’ayant qu’un rez-de-chaussée, isolés de toute habitation, et situés sur des places, des quais ou des boulevards, généralement à proximité de plantation d’arbres qui les abritent et les dissimulent quelque peu ». Il demande également à augmenter les nombres de douches pour femmes, car, contrairement aux berlinoises, les ouvrières lyonnaises sont très demandeuses des bains par « aspersion ».

Les chalets sont très fréquentés et remporte un franc succès auprès de la classe ouvrière. Mais les riverains se plaignent, dans des courriers et des pétitions envoyés à la mairie, des odeurs nauséabondes qui émanent des chalets et du tapage, diurne et nocturne, qui accompagne les douches. Les chalets vont peu à peu disparaître du paysage lyonnais.

Les lavoirs et bains-douches municipaux

Au début du 20ème, on va donc construire des bains-douches et lavoirs municipaux, dans des bâtiments en dur, complètement indépendants des habitations. L’exemple du bâtiment de Flesselles l’illustre très bien. Il ouvre ses portes en 1934, et contient à la fois un lavoir, équipé d’une blanchisserie et d’une soixantaine de lessiveuses au rez-de-chaussée, et d’une partie bains-douches au premier étage. Le bâtiment est visible de loin grâce à sa cheminée de 35 mètres de haut. Nous disposons d’assez peu de documents permettant une description précise du fonctionnement de ce lavoir en particulier. En revanche, nous disposons d’une description de celui de la rue Paul Bert, ouvert en 1928, et il est plus que probable que le fonctionnement était similaire pour chacun de ses établissements : à côté du lavoir central se trouvaient des essoreuses, des bacs à eau chaude et des séchoirs. “Le matin on voyait arriver les blanchisseuses des environs poussant leur brouette ou leur voiture à bras chargée de linge sale. Sur le trottoir d’en face la droguerie de Mme Fournier (puis de Mme Rory) approvisionnait ces travailleuses en savon, cristaux de soude, alcali, etc…Les buvettes alentours étaient là pour étancher les soifs. L’animation régnait ; les nouvelles du quartier circulaient, parfois les rires ou les cris retentissaient jusque dans la rue.“(1)

 

Bains Douches Lavoir Flesselles mai 2015

Bains Douches Lavoir Flesselles mai 2015

 Côté bains-douches, il fallait prendre un ticket au guichet en entrant. La gardienne au premier étage remettait aux utilisateurs une serviette et un morceau de savon, et les accompagnait jusqu’à une cabine vide. Il y avait un côté “homme” et un côté “femme”. Ses bains-douches étaient très utilisés dès le début, à la fois par la classe laborieuse, et par les écoles, qui emmenaient les pensionnaires tous les jeudis à la douche. Le gérant de l’établissement était logé sur place.

 

Bains Douches Lavoir Flesselles mai 2015

Bains Douches Lavoir Flesselles mai 2015

Lavoir et bains-douches de Flesselles

Lavoir et bains-douches de Flesselles

 

À partir des années 1980, on commencera a fermé les parties « lavoir », car tout le monde commence à être équipé à domicile. Mais on garde les bains-douches, qui sont d’utilité publique, tant pour les sans- domiciles que pour les personnes mal-logées, n’ayant pas de salle de bain dans leur habitation. C’est le cas du bâtiment de Flesselles, dont le lavoir fermera dans les années 80, mais dont les bain-douches resteront en activité jusqu’à l’hiver dernier. La mairie centrale a estimé que le bâtiment n’était plus aux normes d’hygiène et de sécurité et que les travaux de rénovation aurait été trop élevés. La population du quartier ainsi que la mairie du 1er a monté un comité de soutien au maintien de la structure, estimant qu’elle avait encore un rôle important a joué dans la ville.

Aujourd’hui, il reste un établissement de bains-douches municipal à Lyon, qui se trouve à Gerland, les “Bains douches Delessert”.

(1) : Revue “Rive Gauche”, n°122, sept 1992, p.24

(2) : Extrait du procès verbal de la séance du 21 février 1893 du Conseil Municipal

 

Bibliographie :

 

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