La batellerie sur le Rhône à travers les siècles

- temps de lecture approximatif de 22 minutes 22 min - Modifié le 19/03/2019 par Shuy

La Maison du fleuve Rhône, pôle de compétences et de ressources entièrement consacré au fleuve Rhône, propose à partir de décembre 2012 l'exposition « Idées-Barge. L'expo qui vous transporte ». Avec une approche citoyenne et ouverte sur les nouvelles technologies, cette exposition entend montrer, à tous, les trésors d'ingéniosité dont ont fait preuve les inventeurs, ingénieurs, ou même hommes politiques pour utiliser et rentabiliser le Rhône, fleuve qualifié par Vauban de rebelle et d'indomptable. Cette exposition est l'une des nombreuses initiatives du Grand Projet Transport Fluvial 2012-2014 dont les objectifs est de mieux faire connaitre les enjeux et problématiques du transport fluvial ainsi que les perspectives dont il est porteur, de le montrer d'un point de vue culturel et patrimonial ainsi que de créer des liens entre les gens d'à terre et les gens de l'eau.

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Idées-barge. L'expo qui vous transporte


Sommaire

1. Le Rhône, 520 km de voie navigable

2. Principales embarcations ayant navigué sur le Rhône

3. Autres embarcations restant à quai

4. Techniques de navigation sur le Rhône

- Le halage
- La vapeur

5. Quelques aménagements importants…

- La loi Freycinet : 5 août 1879
- Les Epis Girardon

6. Et quelques innovations primordiales

- Le toueur
- Les bateaux-anguilles
- Le remorqueur Grappin

7. La Compagnie Nationale du Rhône

21. Le Rhône, 520 km de voie navigable

Prenant sa source au glacier de la Furka dans le Massif du Mont Saint-Gothard, en Suisse, le Rhône est le seul fleuve reliant l’Europe du Nord à la Méditerranée. Dès les Phéniciens, il constitue un axe majeur de circulation des hommes et des marchandises.

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Le Rhône vers
Brégnier-Cordon
Juillet 2012
S. B-R

Bien qu’au 4ème siècle av J.C., Aristote le mentionne comme étant une voie navigable, le Rhône est cependant un fleuve au régime torrentiel avec d’importantes crues, un courant rapide, près de 4 kilomètres à l’heure, et un dénivelé important rendant les remontes épuisantes et dangereuses.
Le fleuve sert pendant longtemps de frontière entre le Saint Empire romain germanique, rive gauche, et le Royaume de France, rive droite, d’où les expressions « Empi » et « Riaume » longtemps utilisées par les mariniers pour désigner ses deux rives. Une intense activité commerciale se développe, desservant les ports des villes situées le long du Rhône et faisant de Lyon, d’Arles et de Narbonne de grands centres économiques. A la fin du 18ème siècle le Rhône devient la voie incontournable pour le transport de céréales, fruits, café, vin, huile, bois et matériaux de construction. En raison de son impétuosité rendant toute navigation périlleuse, il est le lieu d’innombrables innovations et progrès techniques contribuant ainsi à la modernisation de la batellerie.

22. Principales embarcations ayant navigué sur le Rhône2

Bien qu’héritières de la civilisation gallo-romaine, les embarcations de la batellerie halée du Rhône sont différentes des autres bateaux de l’époque. Pour faire face aux caractéristiques particulières du fleuve, elles sont conçues pour offrir une faible résistance aux frottements et concilier chargements et tirant d’eau. Grâce à elles, le Rhône participe à une importante activité portuaire, difficilement évaluable avant le 19ème siècle.

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Le Rhône
Août 2009
S. B-R

* Radeaux : ce sont des assemblages de troncs de chênes ou de sapins essentiellement issus des forêts de Savoie. Ces plates-formes, longues de 25 à 30 mètres, sont conduites par 5 ou 6 radeleurs dirigeant deux gouvernails. Un batelet est attaché au radeau, prêt à accueillir l’équipage en cas de naufrage, les accidents étant assez fréquents en raison de la difficulté à diriger. Moyens de transport rapide et économique, les radeaux transportent principalement des pierres ou du bois de chauffage et permettent aussi d’approvisionner les chantiers de construction navale.

* Pirogues monoxyles : elles sont aussi parfois appelées arbre-bateau. Un spécimen fut découvert en 1862 lors de travaux de consolidation du pont de Cordon dans l’Ain. Cette embarcation, longue et étroite est creusée dans le tronc d’un chêne. Ayant intégrée les collections du Musée des Beaux-Arts de Lyon, elle est exposée au parc de la Tête d’Or à Lyon, jusqu’en 2011 date à laquelle elle rejoint le Musée Escale du Haut-Rhône à Brégnier-Cordon. On a pu identifier la période de navigation de cette pirogue, entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-âge.

* La rigue : c’est l’un des rares bateaux à naviguer sur le Haut-Rhône, partie en amont de Lyon en raison de la force du courant. Il est en sapin, mesure entre 20 à 35 mètres de longueur, jaugeant de 8 à 250 tonnes, transportant des pierres, du bois de construction ou du bois à brûler.

* La péniche : on rencontre ce bateau d’origine flamande sur le Rhône Moyen où la batellerie est constituée de bateaux à fond plat, à faible tirant d’eau, fabriqués généralement en sapin ou en chêne. Elle est l’embarcation principale d’un convoi, halée depuis la berge par des bêtes de somme et plus tard vers 1900-1920, tirée par des remorqueurs. Depuis 1879, elles sont standardisées au gabarit Freycinet lié au passage des écluses : 38,50 m de long et 5 m de large. Elles portent jusqu’à 350 tonnes en rivière profonde. Traditionnellement leur cale est divisée en trois parties non identiques avec, au centre la principale, d’environ 30 mètres destinée au chargement. A l’arrière se trouve le logement du batelier et de sa famille, le tiaume ou cabine commune réunissant cuisine, salle à manger, dortoir surmonté généralement de la cabine de pilotage.

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Croix des mariniers
Musée Escale du Haut-Rhône
Juillet 2012, S.B-R

Sur la proue de ce « bateau amiral » se dresse la Croix de l’équipage devant accorder aux hommes comme aux marchandises la protection divine. Cette croix des mariniers est en bois, sculptée et peinte durant la mauvaise saison par le patron. Chargée de tous les attributs de la profession marinière et des instruments de la passion du Christ, elle est le symbole du marinier puissant, libre et indépendant. Ses emblèmes peuvent revêtir un caractère religieux ou profane. Les dernières péniches en bois utilisées pour le transport de marchandises ont disparu après la Seconde Guerre mondiale et sont remplacées par des chalands automoteurs en fer. Beaucoup de péniches servent actuellement de logement en restant à quai.

* Les penelles sont des barques longues de 24 m sur 4,3 de large, aux extrémités relevées et percées pour le passage de deux avirons permettant à les diriger. Elles peuvent transporter jusqu’à 50 tonnes de marchandises notamment la pâture des chevaux servant au halage lors de la remonte. Ceux-ci sont transportés, lors de la descente, sur des barques appelées pilavoives ou coursiers.

* Les savoyardes sont de grosses barques à fond plat et à coque évasée, généralement longues de 50 mètres sur 8 de large. Elles n’ont qu’une des deux extrémités relevée, l’autre étant coupée verticalement. Elles peuvent transporter jusqu’à 400 tonnes de céréales, de bois ou de charbon. Fabriquées en Savoie, elles remplacent progressivement les seysselandes ou sisselandes qui ne peuvent charger au maximum que 90 tonnes à la remonte.

* Les sapines sont de petites barques en bois de sapin, participant rarement à la remonte suivante. En effet, 2 sapines sur 3 servant notamment au transport de fruits comme les châtaignes du Vivarais, sont vendues comme bois de charpente à leur arrivée à Arles.

* La barque du Rhône est l’embarcation traditionnelle de la région rhodanienne, à fond plat, présentant une levée élancée à l’avant et un tableau droit à l’arrière. Longue de 5,80 m, jadis utilisée au service du halage et du sauvetage, elle devient un outil indispensable aux riverains car ses usages sont multiples : pêche, transport de passagers, ravitaillement en cas d’inondations…

* Les diligences d’eau, à double cabine, descendaient le Rhône de Lyon à Avignon en deux jours mais remontaient d’Avignon à Lyon entre dix à douze jours selon l’état du fleuve. Il en était pratiquement de même pour les coches d’eau qui possédent une pièce pour les voyageurs et une autre pour les marchandises.

* Les barques à voiles latines ne se rencontrent que sur le Bas-Rhône, entre Arles et la Méditerranée. Leur coque a été adaptée à la navigation en milieu peu profond, par l’adjonction d’un fond plat.

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La Maison du fleuve Rhône
sept. 2012
S. B-R

* Les bacs à traille permettent d’assurer, en l’absence de pont, la continuité du transport terrestre en faisant passer d’une rive à l’autre du fleuve les personnes, les animaux ou les objets. Un câble principal, souvent une grosse corde de chanvre tressée, est tendu, transversalement au lit du fleuve, entre des piliers construits sur chaque rive. On relie par un second câble appelé traillon, la barque au système coulissant sur le câble principal. Il suffit alors de placer le gouvernail à droite ou à gauche pour aller de l’une à l’autre rive. Une fois le Rhône canalisé, des ponts furent construits entrainant la disparition progressive des bacs à traille. Ils réapparaissent cependant momentanément à la fin de la Seconde Guerre mondiale en raison de la destruction de certains ponts.

* Les dragues : ce sont des bateaux à vapeur qui raclent le fond des cours d’eau et remontent, à l’aide d’un mécanisme à godets, du sable, des graviers. Leur intervention est indispensable car elle permet d’obtenir des voies de navigation assez profondes pour la circulation des bateaux.

* Les bateaux-mouches, conçues par l’industriel Michel Félizat dans le quartier de la mouche à Lyon, connaissent un énorme succès dès 1863 jusqu’au début du 20ème siècle. Destinés au transport de passagers mais aussi de marchandises, ces bateaux à vapeur à coque métallique, munis d’une hélice, sont choisis pour créer sur la Saône la « Compagnie des bateaux à vapeur omnibus » devenant alors la 1ère ligne de transports urbains fluviaux de France. Cette idée est exportée à Paris où elle est toujours en activité.

23. Autres embarcations restant à quai2

Le long des quais non stabilisés est amarrée toute une série d’embarcations pouvant rompre les amarres lors de crues et dériver sur le fleuve.

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Les anciens moulins
de Saint-Clair
Coll. Sylvestre BmL

* Les bateaux moulins ou bateaux à nefs : les Lyonnais ont très tôt utilisé la force du courant du Rhône comme de la Saône, pour moudre à moindre frais les grains destinés à fournir les farines servant à nourrir la population. La meule entrainée par une roue hydraulique à palettes bénéficiait de la force du fleuve. Au début du 14ème siècle, déjà plus d’une vingtaine de moulins est amarrée sur la rive droite du Rhône. Les berges n’étant pas très fiables, il est alors fréquent que les maîtres meuniers éloignent ou rapprochent leur moulin en fonction des remous ou des brusques montées d’eau.

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Les Plattes du Rhône,
vers 1900
Coll. Sylvestre BmL

* Les plattes : ce sont des bateaux à fond plat permettant de laver directement le linge au contact de l’eau froide du fleuve. Cette pratique annonçant le métier de lavandières est exercée par tous les temps, en période de sécheresse comme en temps de crue. A partir de 1860, les bateaux lavoirs sont équipés d’une chaudière devenant ainsi de véritables blanchisseries. Le linge bout dans de grandes cuves avant d’être étendu sur la partie supérieure des bateaux. Le dernier bateau lavoir à Lyon, situé sur la rive gauche du Rhône en aval du pont Lafayette, a disparu au début des années 1950.

* Les bèches : apparus bien plus tôt sur la Saône que sur le Rhône, ces grands bateaux à fond de bois permettent, vers 1825, aux Lyonnais de se baigner ou d’apprendre à nager.

* Sur la rive droite du Rhône, près de l’hôpital de l’Hôtel Dieu, est amarré, de 1850 à 1910, un bateau servant de morgue municipale. Les corps de personnes non identifiées y sont déposés en attente d’identification. Des cours d’enseignement de la médecine légale y sont même donnés.

Pour en savoir plus :

- Le dictionnaire des bateaux : les bateaux du monde entier et de tous les temps de Maurice Duron,

- Rigues et mariniers sur le haut Rhône : recherches et témoignages sur la descente de la pierre de carrière sur le haut Rhône dans la deuxième moitié du XIXe siècle de Paul Brun,

- Les “trois fleuves” lyonnais : Rhône, Saône et Beaujolais d’Evelyne Placet,

- Histoire et patrimoine des rivières et des canaux.

24. Techniques de navigation sur le Rhône2

La décize ou descente du Rhône est rapide malgré les courants violents et les écueils. La « remonte » lente et pénible exige, par contre, un moyen de traction et encourage, à chaque époque, les techniques les plus nouvelles. Le transport de marchandises lourdes et encombrantes ne peut se faire que par voie d’eau jusqu’à l’aménagement des routes et la création des voies de chemins de fer.

Le halage

Ce fut la seule technique de transport des marchandises par le fleuve à la « remonte » de l’époque romaine jusqu’au développement de la vapeur.
Jusqu’en 1475, des humains souvent spécialistes du fleuve pratiquent le halage au col ceignant une large bretelle de chanvre en travers de leur corps et tirant ainsi le cordage principal. Petit à petit des animaux principalement des bœufs, remplacent partiellement ou totalement les humains et vers 1550, ce type de halage disparaît totalement, les convois devenant de plus en plus importants à remonter.

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Attelage de chevaux
remontant des bateaux
sur le Rhône
Coll. Sylvestre BmL

La remontée exige de très gros attelages de chevaux. En effet les trains de bateaux sont tirés par des équipages d’énormes chevaux attelés deux par deux. Chaque équipage peut compter jusqu’à 60 chevaux.
L’itinéraire du halage n’est pas fixe, il peut varier à chaque voyage principalement en fonction des gravières et des bancs de sable plus ou moins recouverts d’eau. Il est parfois nécessaire de traverser d’une rive à l’autre, en transportant les animaux sur des barques. Cette opération entraine une augmentation du coût final du voyage en raison du retard occasionné.

Le transport par voie d’eau crée de nombreux métiers comme les fustiers, charpentiers constructeurs de bateaux, les mariniers de terre coupant les arbres et dégageant les obstacles, les compagnons de rivière employés à l’année pour effectuer les travaux d’entretien et de garde des bateaux tout au long du fleuve. Les broquiers ou brochiers spécialisés dans le recrutement et l’encadrement de haleurs étaient particulièrement nombreux à Valence, ville considérée comme capitale du halage. Quant aux haleurs, occasionnels ou spécialistes du fleuve, ils pratiquent le halage au col. La traversée de Lyon est dangereuse et nécessite des modères ou reveyrants. Ces mariniers sont organisés en une société coopérative ouvrière pour la remonte des bateaux dans Lyon. Ils doivent connaître parfaitement le Rhône à cet endroit. En effet de nombreux moulins, plattes l’encombrent et en rendent la remonte très périlleuse. Les modères participent activement au sein de la Société lyonnaise de sauvetage.

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Passage d’un convoi
de bateaux
Coll. Guy Dürrenmatt
Maison du fleuve Rhône

Le marinier désigne à l’origine la personne travaillant sur les convois de la batellerie halée, hérités des nautes de l’Antiquité. Puis ce terme s’est étendu à l’ensemble des professionnels de la navigation sur le fleuve. Aujourd’hui, le marinier est une personne salariée par opposition au batelier qui, lui, est propriétaire de son bateau.
De nombreux péages entravent le transport de marchandises par voie d’eau. Les droits de péage, détenus par des percepteurs aussi divers que : roi, prince, marquis, seigneurs, membres du clergé, pèsent lourdement sur le prix des produits transportés mais constituent une source de revenus non négligeable. Arrivés à Lyon, les patrons ou maîtres d’équipage doivent déclarer leurs marchandises, au premier bureau en entrant, et payer un droit pour chaque bateau. Un maître des ports, accompagné principalement d’un procureur du roi, d’huissiers et de nombreux gardes assermentés surveille l’entrée et la sortie des marchandises.

[actu]La vapeur[actu]

Grâce à ce nouveau procédé, on pense dompter le Rhône, mais en vain.
Le marquis Claude de Jouffroy d’Abbans, ingénieur et architecte naval invente le Pyroscaphe ou « bateau de feu », premier bateau à vapeur en bois. Les essais ont lieu le 15 juillet 1783 remontant la Saône entre la Cathédrale Saint-Jean et l’Ile Barbe. Ils durent quinze minutes environ. Par manque de moyens financiers, ce type de bateau est abandonné.
Dès le premier tiers du 19ème siècle, les bateaux à vapeur commencent à se substituer sur le Rhône, aux trains d’embarcation que des chevaux remorquent à la remonte, portant un coup fatal aux diligences à eau. Le nombre de chevaux parcourant les chemins de halage du Bas-Rhône passe de 6000 en 1830, à 840 en 1843, et à 120 dix ans plus tard.

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Passage d’un remorqueur
Coll. Guy Dürrenmatt
Maison du fleuve Rhône

Mais ces débuts ne sont pas sans risque. En effet les bateaux ayant une coque en bois semblent trop fragiles pour supporter les machines à vapeur. Il faut attendre 1833 et les premiers bateaux avec une coque en fer, construits par deux Lyonnais, les frères Bonnardel, pour transporter des chargements plus lourds. La période de 1840 à 1850 marque l’apogée de la navigation à vapeur avec l’apparition de bateaux munis de machines françaises issues du Creusot (Saône et Loire).
Les navires dont les roues de moulin tournent par la force de la vapeur, suscitent un rapide engouement parmi les voyageurs et les affréteurs.
Pour la première fois, un bateau à vapeur « Le Pionnier » fait entre le 7 et le 11 juillet 1829, un aller-retour complet Lyon-Arles-Lyon. La descente s’effectue en 14h25 mn mais la remontée en 88 heures. Ce premier succès inaugure un service de voyages au départ de Lyon deux fois par semaine. Dès 1830, la Compagnie des Bateaux à vapeur pour la Navigation du Rhône profite de cet enthousiasme et bon nombre de passagers embarquent sur des bateaux à vapeur tel que les Aigles (1838), les Sirius (1839), et les Papins (1846), pouvant ainsi relier Lyon à Valence en 2h30. Pour la remontée, 10 heures sont néanmoins nécessaires. Les nombreuses compagnies de navigation se livrent alors à une véritable concurrence entre elles afin d’attirer la toute nouvelle clientèle des voyages fluviaux.

L’utilisation de la vapeur a aussi fait doubler, sur le Haut-Rhône, le tonnage de fret entre la fin du 18ème et le milieu du 19ème siècle. Marc Seguin étudie avec son frère Camille, le principe du pont suspendu et en 1824, les deux frères érigent à Tournon un pont enjambant le Rhône, suspendu à des câbles constitués de fils métalliques parallèles. Puis Marc Seguin, grâce à sa barque à chaudière tubulaire en 1826, réussit à raccourcir le temps de remonte du Rhône ce qui va entrainer la fin des « voituriers par eau ».

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Le remorqueur à 2 cheminées
Coll. Guy Dürrenmatt
Maison du fleuve Rhône

La seconde moitié du 19ème siècle voit l’apogée des transports fluviaux, non encore concurrencés par le rail, la route. Mais la vapeur ne tarde pas à permettre le développement du rail et le 16 avril 1855 est mis en service le tronçon ferroviaire de Valence à Lyon. Plus tard le mode de transport par route, puis par autoroute, accapare toute l’attention des politiques et les voies navigables sont alors négligées.

Les pousseurs apparaissent à partir des années 1960. Ces bateaux construits en acier sont propulsés par une hélice entraînée par un moteur diesel poussant et manœuvrant un train de barges, dépourvues de pilotes et de moteurs. Ils sont amarrés à l’arrière du convoi par des câbles en acier, serrés par des treuils de forte puissance et se comportent comme une unité complète dont la longueur avoisine, sur les voies navigables à grand gabarit, les 180 mètres de long. Les convois pouvant être constitués jusqu’à dix barges, transportent d’énormes tonnages de tout type de marchandises : graviers, céréales, hydrocarbures. Les cargos fluvio-maritimes adaptés aussi bien à la navigation sur les grands cours d’eau que sur la mer remontent le Rhône jusqu’au port Lyon Edouard Herriot. Ce procédé de transport permet de désengorger le trafic routier, réalisant par ailleurs une économie importante de personnel.

25. Quelques aménagements importants…2

[actu]La loi Freycinet : 5 août 1879[actu]

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Ecluse de Pierre-Bénite
Juin 2012, S. B-R

Jadis, chaque bassin de navigation avait son type de péniche dont les caractéristiques étaient adaptées aux conditions locales. Charles-Louis de Freycinet né à Foix le 14 novembre 1828, polytechnicien, est ministre des Travaux publics de 1877 à 1879. Il participe activement au développement des petites lignes de chemin de fer de province. Puis il va moderniser les voies fluviales continuant l’élan donné à la navigation intérieure par Louis Becquey (1760-1849) qui a en 1821 et 1822 promulgué deux lois, créant quelques milliers de nouvelles voies navigables et standardisant les canaux ayant jusqu’alors des gabarits disparates.
La loi Freycinet définit un gabarit unique pour toutes les voies dites de première catégorie, ce qui va entraîner d’importantes modifications sur les bateaux. Le gabarit Freycinet, nouvelle norme pour la dimension des écluses supplante dès 1879 le gabarit Becquey. De nombreux travaux sont alors entrepris dès la fin du 19ème modernisant les canaux et harmonisant la navigation fluviale. Les bateaux ont dès lors des dimensions standard afin de franchir sans difficulté les écluses. Ainsi la péniche traditionnelle la plus courante, en bois et dite gabarit Freycinet, mesure 38,50 m de long sur 5,05 m de large et peut porter de 250 à 350 tonnes de fret, pesant elle-même aux alentours de 50 tonnes.

[actu]Les Epis Girardon[actu]

Le premier aménagement systématique du fleuve de Lyon à la mer est lancé à la suite des inondations de 1840. Désirant tenir compte de l’évolution de la navigation, Henri Girardon (1844-1907), ingénieur en chef de la navigation du Rhône, décide de rassembler les eaux basses en un seul chenal par des digues submersibles en barrant certains bras, puis de donner au fleuve des courbes permettant de stabiliser les mouilles par des digues submersibles longitudinales mais aussi d’accroitre les vitesses des eaux entre les mouilles par un système d’épis.

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Passage du remorqueur France
Coll. Guy Dürrenmatt
Maison du fleuve Rhône

Grâce à ces trois actions mises en application dès 1894, le Rhône va alors creuser naturellement le chenal de navigation et la profondeur minimale sera assurée garantissant un tirant d’eau d’1,60 m minimum pendant 365 jours réduisant considérablement le chômage des eaux, période durant laquelle les bateaux ne peuvent plus naviguer. Il reste encore quelques épis visibles en certains points du fleuve. Malheureusement ces aménagements vont se révéler insuffisants et des barrages seront nécessaires.

26. Et quelques innovations primordiales2
[actu]Le Toueur[actu]

C’est un bateau symétrique à mode de propulsion par appui au sol et non par hélice et pouvant naviguer dans les deux sens. A la descente comme à la remonte, il se déplace sur une chaine, posée au fond de l’eau, à l’aide d’un treuil mu par une machine à vapeur, entraînant ainsi derrière lui plusieurs péniches. Au terme de la section d’une quinzaine de kilomètres, le toueur aval transmettait la barque qu’il tractait au toueur amont. Ce bateau participe activement à l’essor de la batellerie entre 1850 et 1950 en pouvant tracter sur de longues distances, une trentaine de bateaux chargés à 250 tonnes chacun. Pour parcourir la distance très pentue située entre Pont-Saint-Esprit et la confluence de l’Isère, la Compagnie Générale de Navigation instaure le touage à relais qui restera propre au Rhône.

[actu]Les bateaux-anguilles[actu]

Ce sont des embarcations longues et étroites, emmenées par un moteur à vapeur entrainant des roues à aubes. La flexibilité de leur structure permettant d’osciller, offre la possibilité de défier aisément les courants rapides d’un fleuve non encore aménagé et de se faufiler entre les piles des ponts. Les plus longs de ces bateaux-anguilles ont atteint 157 mètres sur 6,50 de largeur rendant impossible les demi-tours à l’exception de la Mulatière et d’Arles.

[actu]Le remorqueur Grappin[actu]

Aussi appelé bateau-crabe, ce remorqueur est mis au point en 1840 par les frères Verpilleux de Rive-de-Gier. Il est équipé d’une puissante machine à vapeur et d’une hélice de grand diamètre (6,50 m). Sur ce bateau, la machine à vapeur entraîne une grande roue à dents s’appuyant sur le fond du lit du fleuve pour propulser l’embarcation. Lorsque le niveau d’eau est trop important, la roue dentée est relevée. Ce type d’embarcation n’a existé que sur le Rhône entre Lyon et Port-Saint-Louis du Rhône et a grandement participé au lancement du remorquage sur ce fleuve.

Comme le toueur, le remorqueur est destiné à tractionner chalands et péniches sur les rivières canalisées. A l’escale, les embarcations sont rapprochées du remorqueur grâce aux treuils présents dans ses cales. Cependant les remorqueurs cessent de naviguer suite aux travaux d’aménagement du Rhône en 1950-1953, étant trop larges pour passer les écluses.

Pour en savoir plus :

- Le Rhône : halage et batellerie – la vie du Rhône autrefois de Bruno Eyrier,

- La vie lyonnaise autrefois, aujourd’hui d’Emmanuel Vingtrinier,

- Chevaux et gens de l’eau : sur les chemins de halage de René Descombes,

- Vapeurs sur le Rhône : histoire scientifique et technique de la navigation à vapeur de Lyon à la mer,

- Le Rhône, un fleuve, des hommes de Roger Dessemon,

- Sujets bateaux… embarcations sur le Rhône et la Saône en région lyonnaise de Romain Charbonnier,

- Le dictionnaire des bateaux : les bateaux du monde entier et de tous les temps de Maurice Duron,

- Histoire et patrimoine des rivières et des canaux,

- Le transport fluvial sur l’axe Rhône-Saône, conférence donnée, à la Bibliothèque municipale de Lyon le 24 janvier 2012, dans le cadre des soirées fleuves.

- Transport fluvial sur le Rhône, innovations et perspectives, conférence donnée, à la Bibliothèque municipale de Lyon le 15 mai 2012, dans le cadre des soirées fleuves.

27. La Compagnie Nationale du Rhône2

A la suite de la construction, en 1874, d’un barrage en amont de Bellegarde, destiné à l’alimentation en énergie des usines de la ville, le Rhône est alors perçu comme le moteur économique de la vallée. Ainsi en 1899, à l’initiative de la Chambre de commerce de Lyon, 27 délégués des chambres de commerce du Sud-Est de la France créent l’Office des transports qui se prononce en faveur d’un aménagement du Rhône au triple point de vue de la navigation, de l’irrigation et de l’utilisation de la force motrice afin d’en assurer le financement.
La loi du 27 mai 1921 dite « loi Rhône » approuve un programme d’aménagement du fleuve, de la frontière suisse à la mer respectant les trois objectifs. Le décret est appliqué 12 ans plus tard en 1933.

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Barrage de Génissiat
Août 2009, S. B-R

Les travaux sont confiés à la Compagnie Nationale du Rhône créée en 1933. Elle est chargée par l’Etat d’aménager et d’exploiter le Rhône selon les trois missions solidaires. En 1934, la CNR reçoit de l’Etat la concession du Rhône pour une période de 99 ans.
La construction du premier barrage sur le Rhône débute en 1937, il s’agit du barrage de Génissiat. En 1996, la CNR réalise l’aménagement de Pierre-Bénite. Le dernier des douze aménagements prévus, l’écluse de Vaugris, a été mis en service en mars 1980. Depuis le fleuve est ouvert à la navigation grand gabarit sur une longueur de 310 km.

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Le Rhône carto-guide fluvial

Elle a aménagé près d’une trentaine de sites industriels et portuaires le long du Rhône dont notamment le Port de Lyon Edouard Herriot. La compagnie poursuit maintenant l’aménagement du Rhône en amont de Lyon.
Actuellement pôle d’excellence hydraulique du groupe Suez en France, la Compagnie exploite 19 centrales et produit en moyenne 15,7 TWh certifiés d’origine 100% renouvelable, soit 25% de l’hydroélectricité nationale. Sa politique énergétique orientée vers la diversification de ses sources de production d’énergie renouvelable contribue au respect des engagements pris par la France lors de la signature du protocole de Kyoto.

Pour en savoir plus :

- Site de la Compagnie Nationale du Rhône

- Mariniers : histoire et mémoire de la batellerie artisanale : tome 1 de Bernard Le Sueur,

- Etudes Drômoises n°48, décembre 2011,

- Le Rhône ou les accents d’un fleuve de Raymond Grégoire et Pierre Veyrenc (2011),

- Donzère-Mondragon, symbole du relèvement national : 60 ans, édité par la Compagnie nationale du Rhône,

- Port Edouard Herriot : la plaque tournante du trafic de fret en Rhône-Alpes, Point d’Actu réalisé par la Documentation Lyon et Rhône-Alpes en décembre 2008,

- Il était une fée … électricité !

 

Documentation régionale, 2012

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7 thoughts on “La batellerie sur le Rhône à travers les siècles”

  1. Brigitte Chkouropadsky dit :

    Passionnant! Riveraine du haut Rhône je fait des recherches sur ce qui à trait à ce fleuve…merci!

  2. Yves Dubost dit :

    Excellent article;
    Je cherche de la documentation sur la navigation au temps des sissselandes, des rigues et des penelles dont quelques belles maquettes sont (étaient ?) exposées à l’O.T. de Ssyssel.
    J’avais trouvé “jadis” une belle collection de bouquins à la Maison du Fleuve Rhône à Givors, mais elle a disparu depuis.
    Grand dommage; mais peut-être savez vous où a été transféré l’important fond documentaire qui s’y trouvait ?
    A Tournon ?

  3. Documentation régionale dit :

    Bonjour,
    Acquise par l’Association Promofluvia avec le soutien de la DRAC Rhône-Alpes, la collection de la Maison du Fleuve Rhône (ouvrages du centre de documentation, collections Dürrenmatt acquise en 1998 et Rondeau acquise en 2007) a été confiée à la Bibliothèque municipale de Lyon, afin qu’elle soit inventoriée et mise à disposition des chercheurs.
    Les documents sont visibles dans le catalogue de la Bibliothèque de Lyon et consultables au 4 étage de la Part-Dieu, dans la salle de la Documentation régionale les après-midi du mardi au samedi de 13h à 19h (18h le samedi). La collection n’étant pas en libre accès, sa consultation nécessite une carte d’identité.

  4. HILD dit :

    C’est une étude interessante mais il y aurait (beaucoup trop) à dire.
    En tant qu’ancien marinier du Rhône, Je me limiterai à quelques remarques :
    * bac à traille
    * les grappins n’avaient pas une (énorme) hélice mais des roues à aubes comme les premiers remorqueurs
    * sur le Rhône, les toueurs étaient à câble qui s’ enroulait sur un tambour et non à chaîne qui reste sur le fond
    * les remorqueurs à aubes ont disparues après la construction des écluses mais ils ont été remplacés par des remorqueurs à hélices
    * les 38 m n’étaient pas vraiment des bateaux du Rhône. Ils étaient d’ailleurs surnommés canalous.
    * Le gros de la flotte rhodanienne étaient des automoteurs à hélice (s) depuis les annees 1935 environ
    * etc…

  5. Documentation régionale dit :

    Bonjour,
    Nous vous remercions pour l’attention portée à notre article et nous tenons compte de vos remarques. Cependant les informations mentionnées proviennent des différents documents qui sont cités dans cet article.
    Cordialement.

  6. miller dit :

    Bonjour, je recherche des renseignements sur une famille propriétaire de bateaux lavoirs au 19ème siècle ruinée par la grande crue de 1856. Famille Descurty

  7. Didier dit :

    Bonjour,

    Je me passionne pour la navigation sur la Saône( très inintéressante expo de photos a Trevoux située le chemin de halage)
    Je recherche le chantier naval qui a construit “le parisien”- bateau a vapeur et a aube-afin d’essayer de retrouver sa trace a la BNF
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53053327w/f1.item.r=bateau%20le%20parisien%20saone#
    Cordialement
    Didier

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