Du Mont-de-Piété au Crédit Municipal…

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Peu de français le savent, et pourtant de plus en plus y recourent… Le Crédit Municipal, forme moderne du Mont-de-Piété, propose à tout un chacun de déposer son téléviseur, sa montre, ou sa bague de fiançailles moyennant une somme d’argent, le temps d’affronter un coup dur. Cette institution de crédit populaire fonctionne sur le principe très réglementé du prêt sur gage, dont elle a le monopole public depuis 1810.



Sommaire

Un thème d’actualité…

Un peu d’histoire…

- Monte di Pietà, ou la naissance d’une institution chrétienne
- Une législation progressive : du Mont-de-Piété au Crédit Municipal

Les jalons historiques du cas lyonnais

- Résistances et pérégrinations…
- Quand « Ma Tante » s’embourgeoise

Une figure centrale de la vie quotidienne au XIXéme siècle

- Les Monts-de-piété… au crible de la critique
- « Tout le monde en parle » : le Mont-de-piété, dans la presse et la littérature

D’hier… à aujourd’hui

- Nouveau nom, nouveaux services
- Quelques chiffres…

2Un thème d’actualité…2

Ainsi, alors que se creusent les inégalités sociales, l’activité des 18 caisses de crédit municipal de France est un bon indicateur conjoncturel de la situation économique des ménages. À Lyon, cet établissement a récemment fêté ses 200 ans, et son rapport d’activité en hausse reflète fidèlement la crise telle qu’elle se répercute au quotidien pour des milliers de foyers. Retour sur l’histoire et la vocation sociale d’une institution bancaire pas comme les autres…

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Au Mont-de-Piété (Gallica)

2Un peu d’histoire…2

[actu] Monte di Pietà, ou la naissance d’une institution chrétienne[actu]

Les premiers Monts-de-Piété apparaissent en Italie dans la seconde moitié du XVème siècle. Si ces institutions reposent sur un système de crédit populaire qui permet aux plus pauvres d’emprunter de l’argent, elles sont également fondées pour contrer -et contrôler- l’usure. Cette pratique, basée sur le principe de prêt à intérêt, pénalise en effet les plus pauvres et précarise ceux dont les activités sont directement liées aux fluctuations du marché.

L’usure est ouvertement condamnée par l’Église, qui s’appuie sur les textes des Écritures interdisant de recevoir plus que ce qu’on a donné : « Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère (…), à l’étranger tu pourras prêter à intérêt ». C’est ainsi qu’au Moyen-âge, la pratique de l’usure reste réservée à certaines communautés : Cahorsins, Lombards, et juifs qui n’ont par ailleurs pas le droit de posséder des valeurs mobilières.

Bien que très critiqués, les prêteurs ont cependant leur utilité économique et cautionnent de nombreuses transactions commerciales. Les personnages puissants et les grands marchands font souvent appel à leurs services, et les taux de prêt peuvent atteindre des pourcentages exorbitants. Cette dépendance financière et l’absence d’une réelle régulation fragilisent les classes les plus pauvres qui ne se relèvent pas des taux pratiqués par les usuriers, alors qu’un simple prêt raisonné aurait pu les sauver de la ruine.

Devant ce constat, l’Église va assouplir sa position, et envisager des solutions de financement autres que l’aumône et la charité pour venir au secours des plus nécessiteux. Et c’est en 1462, à Pérouse, qu’est fondé le premier Monte di Pietà par le moine franciscain Barnabé de Terni. L’appellation « Mont de Piété » traduit la double notion de gains (masse, accumulation des biens) et de miséricorde qui préside à la fondation de ces institutions.

L’établissement propose de prêter sans intérêt de petites sommes pour aider les plus pauvres à se sortir d’une mauvaise passe. La création des Monts-de-Piété se propage à travers toute l’Italie, et rencontre le soutien conjoint des pouvoirs urbains et de l’approbation pontificale. Bien qu’étant originellement gratuits, à partir de 1515 une bulle papale autorise les Monts-de-piété à prêter avec un faible taux d’intérêt calculé pour couvrir les frais et les dépenses de gestion des établissements.

En France, le premier établissement à ouvrir ses portes est le Mont-de-Piété d’Avignon, créée en 1610 par une congrégation religieuse et approuvé par le pape Paul V en 1612. Mais il faut attendre 1637, pour que le médecin protestant Théophraste Renaudot, également éditeur de La Gazette, soumette au Cardinal de Richelieu un projet officiel de “bureau de ventes à grâce” fonctionnant sur le principe du mont-de-piété.

Le principal argument de ce projet est d’offrir l’impulsion financière qui fait trop souvent défaut aux classes les plus pauvres, condamnées à la misère faute de pouvoir investir un petit capital pour lancer un commerce. Mais cette première initiative est controversée, et le Parlement de Paris y met provisoirement terme en 1644. Néanmoins l’idée fait son chemin et une réglementation sur le prêt sur gages se met progressivement en place, avec le double objectif de lutter contre l’usure désormais surveillée par l’administration policière, et de trouver une alternative économique à la simple aumône.


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Lettres patentes – 1777

[actu]Une législation progressive : du Mont-de-Piété au Crédit Municipal[actu]

Le Mont-de-Piété de Paris est finalement établi par Lettres-patentes le 9 décembre 1777, rue des Blancs-Manteaux. L’établissement parisien connaît un succès immédiat. Les sommes en jeu sont souvent modestes, et les emprunteurs n’hésitent pas à engager leurs objets quotidiens : chemises, matelas, montres ou boucles de soulier…

Dès l’origine le Mont-de Piété a une double fonction économique et sociale. Le principe du prêt sur gage à faible intérêt pratiqué incite à la prévoyance. Pour retirer son engagement, l’emprunteur doit d’abord économiser – et donc maîtriser ses revenus. Le prêt sur gage fonctionne aussi comme crédit à la consommation et/ou à la production, il soutient et dynamise l’activité économique des couches les plus modestes de la société en leur donnant une chance. Lorsqu’il présente son projet de Mont-de-Piété au Cardinal de Richelieu, Théophraste Renaudot insiste déjà sur cet aspect en soulignant l’impulsion que peut représenter un prêt temporaire pour un ouvrier qui souhaite acheter sa maîtrise ou pour un marchand qui veut lancer ses affaires.

Mais la Révolution va momentanément remettre en cause le principe des Monts-de-Piété, puisque les Lois des 11 avril et 24 août 1793 proclame la totale liberté du commerce de l’argent, considéré comme « une marchandise comme les autres », et donc sans plafonnement des taux ni encadrement du prêt sur gage. Ces lois ont pour conséquence de légaliser l’usure, et de favoriser la réapparition des officines de prêteurs.

Il faut donc attendre le décret impérial de 1804, consolidé par la promulgation du Code civil de 1810, pour reconnaître officiellement aux Monts-de-piété le monopole public du prêt sur gage au profit des pauvres, et donner un cadre juridique commun à l’ensemble des établissements implantés sur le territoire. Cette législation est longue à mettre en place, mais elle est indispensable et recouvre des réalités économiques et sociales complexes. Au XIXème siècle, elle accompagne notamment l’émergence d’une nouvelle classe sociale pauvre et laborieuse, sur fond de révolution industrielle :

« Le cadre législatif et réglementaire ayant été posé par le Consulat et l’Empire à ses débuts, la période des monarchies constitutionnelles va être très favorable à l’institution [des monts-de-piété] dont le rôle social demeure primordial alors que la fonction d’organisme de crédit apparaît essentielle dans un paysage économique favorable, mais où la banque moderne reste encore à inventer. » (CLAP Sylvestre, Du Mont-de-Piété au Crédit Municipal)

En 1850, le rapport d’Adolphe De Watteville – Inspecteur général des établissements de bienfaisance- comptabilise 45 Monts-de-Piété sur l’ensemble du territoire. Ce rapport fait notamment cas du manque d’harmonisation des pratiques d’un établissement à l’autre, leur administration étant laissée à la discrétion du directeur. Ainsi, si certains Monts-de-Piété ont conservé le principe du prêt sans intérêt, le taux moyen appliqué dans les établissements se situe plutôt autour de 8%. De Watteville réclame une administration plus rationnelle et uniforme des Monts-de-Piété, qui ne doivent pas perdre de vue leur vocation première à aider « les classes souffrantes ».

Il faudra cependant attendre plus d’un demi-siècle pour que cette modernisation voit son aboutissement dans le décret du 24 octobre 1918. Celui-ci substitue à l’appellation originelle de Mont-de-piété, celle de Crédit Municipal. Ce changement de nom traduit également un glissement symbolique dans la représentation de ces établissements, passés du statut d’institution de bienfaisance d’origine religieuse, à celui d’organe républicain et laïc, renforcé dans ses fonctions économiques et sociales.

BIBLIOGRAPHIE

- CLAP Sylvestre, Du Mont-de-Piété au Crédit Municipal : Avignon 1610-2010, quatre cents ans d’une histoire exceptionnelle, Archives Municipales de la Ville d’Avignon, 2010

- DE WATTEVILLE, Adolphe, Rapport à Monsieur le Ministre de l’Intérieur sur l’administration des Monts-de-Piété, Statistique des établissements de bienfaisance, Paris : Imprimerie Nationale, avril 1850. Consultable en ligne sur Gallica

- Sur la pratique de l’usure et le commerce de l’argent au XVème siècle, voir :

LE GOFF, Jacques, La bourse et la vie : économie et religion au Moyen-Âge, Hachette, 1986


2Les jalons historiques du cas lyonnais2

[actu]Résistances et pérégrinations…[actu]

Dès les XVI et XVIIèmes siècles, plusieurs projets d’établissements de bienfaisance prêtant sur gages sont envisagés à Lyon, comme dans d’autres grandes villes de France. Ces projets, qui préfigurent les futurs monts-de-piété, émanent de compagnies religieuses visant à combattre les ravages de l’usure et à offrir une aide ponctuelle aux plus pauvres :

« En 1679, un Bureau de Prest charitable est établi à Lyon ; il prête sur gages, en principe pour six mois, jusqu’à 50 livres, sans prendre aucun intérêt. (…) Un article du règlement du Prest charitable manifeste pleinement les buts de moralisation de la société que la Compagnie poursuivait à travers ses œuvres. » (GUTTON Jean-Pierre, Lyon et le crédit populaire sous l’ancien régime : les projets de mont-de-piété)

L’établissement d’un véritable Mont-de-Piété qui serait indépendant d’un office de charité religieuse reste néanmoins très controversé. Divers projets sont présentés aux lyonnais au cours du XVIII[^ème^] siècle, mais ils rencontrent des oppositions farouches. La Chambre du commerce de Lyon est particulièrement réticente à l’instauration d’un mont-de-piété, elle dénonce le risque que ces prêts cautionnent la « débauche des hommes » et la « vanité des femmes » en facilitant l’engagement des biens courants contre des sommes rapidement dépensées. Elle redoute également qu’un tel établissement de crédit puisse servir à recéler des biens volés et des marchandises acquises à crédit, et ne concurrence de façon déloyale le marché drapier en revendant en dessous du cours les étoffes qui y seraient engagées.

Mais les raisons de cette hostilité résident également dans la crainte d’une remise en cause d’un système de financement des manufactures lyonnaises, fonctionnant jusqu’alors avec des prêts octroyés par des capitalistes aux commerçants :

« La Chambre de commerce manifeste clairement son hostilité à voir les « entrepreneurs de manufacture d’un ordre inférieur », c’est-à-dire probablement les maîtres-ouvriers marchands qui achètent de la soie, tissent et vendent les étoffes, se servir du mont-de-piété comme d’une banque. Il y a vraisemblablement là un épisode de la lutte des maîtres marchands de la « grande fabrique » contre les maîtres ouvriers fabriquant pour leur propre compte. » (GUTTON Jean-Pierre, Lyon et le crédit populaire sous l’ancien régime : les projets de mont-de-piété)

Il faut finalement attendre le décret impérial du 23 mai 1810, pour que le Mont-de-piété de Lyon ouvre ses portes. Il connaît tout de suite une forte activité qui le place en tête des établissements, après Paris. En 1845, le Mont-de-piété de Lyon enregistre ainsi une moyenne de 500 gages par jour, soit environ 150.000 prêts annuels :

« Jusqu’alors aucun établissement de ce genre n’avait existé dans la ville. Le mont-de-piété ne possède pas de revenu ni de dotation. Les fonds nécessaires pour subvenir à ses opérations lui sont prêtés et, aux termes de son acte constitutif, les bénéfices qui en résultent sont versés à l’hospice de l’Antiquaille, qui lui a fourni la plus grande partie de son capital et dont les propriétés servent de garantie à ses opérations. » (CLAP Sylvestre, Du Mont-de-Piété au Crédit Municipal)

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Le vieux quartier Grôlée

A son ouverture en 1810, l’établissement connaît plusieurs localisations successives, avant d’être définitivement installé en 1891 sur le site de l’actuel Crédit Municipal, rue Duguesclin. Cette pérégrination du Mont-de-Piété dans divers quartiers de Lyon dessine à sa façon une topographie symbolique du prêt sur gage dans la ville. Le Mont-de-Piété est tout d’abord installé sur la presqu’île dans le couvent des Jacobins (actuelle place des Jacobins), puis accolé à la cathédrale dans la manécanterie du quartier Saint Jean, puis de nouveau sur la presqu’île dans le vieux quartier Grôlée, alors célèbre pour sa décrépitude :

« Vers 1880, ce quartier offrait encore un aspect rappelant les siècles révolus : ses gargotes, ses hôtels garnis, ses maisons lépreuses et mal alignées, ses rues tortueuses… » (RIVET Félix, L’aménagement du quartier Grôlée à Lyon)

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L’ancien et le nouveau Mont-de-Piété

[actu]Quand « Ma Tante » s’embourgeoise[actu]

Dans son numéro du 28 décembre 1891, L’Echo de Lyon relate l’inauguration du nouveau Mont-de-Piété en présence des notables de la ville, avec un discours du Docteur Antoine Gailleton, maire de Lyon. Cet évènement illustre non seulement les projets d’urbanisation et de modernisation de la ville, mais accompagne également une évolution du statut des Monts-de-Piété, désormais autorisés à « prêter sur titres » aux petits emprunteurs, à l’instar des banques. Comme en témoigne l’article, le nouveau bâtiment est conçu pour rationaliser le stockage des biens et s’adapter à l’accueil du public :

« Le nouveau Mont-de-Piété, construit rue Duguesclin, à l’angle de la rue de la Part-Dieu, a été inauguré hier. (…) Dans les sous-sols, on a placé les appareils de chauffage, les calorifères, le magasin des matelas et tous les objets lourds. Le rez-de-chaussée du bâtiment donnant sur la rue de la Part-Dieu, est affecté au public – là, tous les bureaux d’engagement, la caisse. Enfin, dans le bâtiment situé sur la rue Servient, se trouvent les magasins, les salles de vente et de réunion. Tout le premier étage est occupé par les meubles, sauf une grande pièce où sont les dépôts de bijoux. La valeur de ces derniers objets atteint actuellement près de cinq millions. Au deuxième étage et dans les combles sont déposés les dépôts consistant en objets légers, communément appelés « hardes ». Tous ces locaux sont parfaitement aménagés en vue de la bonne et prompte exécution du service. Un ascenseur relie les sous-sols et les combles ». L’Echo de Lyon, n°891, 28 décembre 1891

Cette installation d’un Mont-de-piété modernisé et plus fonctionnel dans des nouveaux locaux (qu’il partagera à partir de 1927 avec la Mairie du 3ème arrondissement), influence la représentation que s’en font ses usagers. Cet « embourgeoisement » de l’établissement coïncide aussi avec le développement des activités de crédit et une diminution relative des engagements de biens. C’est du moins ainsi que l’on peut lire, en 1926, le témoignage du lyonnais Pétrus Sambardier :

« Le Mont-de-Piété a cessé de faire des affaires brillantes depuis qu’il est installé dans un vaste bâtiment qui a l’air d’une caserne. Il était bien plus fréquenté lorsqu’il siégeait dans de vieilles bâtisses. Il fut établi en 1811, dans l’ancien couvent des Jacobins, puis transféré à la manécanterie de Saint Jean, et ensuite dans l’ancienne halle aux grains rue Ferrandière, d’où le chassa la démolition du vieux quartier Grôlée. Il avait des bureaux de ville obscurs et peu élégants. L’un était sur la place des Capucins, l’autre avenue de Saxe ; ce dernier était le mieux achalandé. Ces modestes bureaux n’intimidaient pas la clientèle. On osait emprunter cent sous à un petit guichet, devant un vitrage dépoli, fendu et raccommodé avec du papier gommé, à un caissier grincheux, dont les manches de lustrine auraient pu faire la soupe pendant quinze jours. On ne peut avoir la même audace dans le grand bâtiment aux larges couloirs, aux grilles puissantes, aux vastes vestibules. Un escalier quasi-monumental vous intimide. Peut-on oser porter une breloque en métal argenté dans une maison qui a un air de ne pouvoir accepter que des salons Louis XV, des horloges anciennes ou des titres d’emprunts russes ? » (SAMBARDIER Pétrus, La vie à Lyon de 1900 à 1937)

BIBLIOGRAPHIE

- CLAP Sylvestre, Du Mont-de-Piété au Crédit Municipal : Avignon 1610-2010, quatre cents ans d’une histoire exceptionnelle, Archives Municipales de la Ville d’Avignon, 2010

- GUTTON Jean-Pierre, « Lyon et le crédit populaire sous l’ancien régime : les projets de mont-de-piété », Studi in memoria di Federigo Melis, 1978, vol. IV, pp. 147-154

- Voir également : Les Archives des délibérations de la Chambre de commerce de Lyon (1767-1780), citées par GUTTON Jean-Pierre.

- RIVET Félix, « L’aménagement du quartier Grôlée à Lyon », Les études rhodaniennes, 1947, vol. 22, n° 22-1, pp. 155-158

- SAMBARDIER Pétrus, La vie à Lyon de 1900 à 1937, Lyon, Éditions Archat, 1937

- VACHET (Abbé), Lyon et ses œuvres, Emmanuel Vitte éditeur, Lyon, 1900

- L’Echo de Lyon, n° 854, 21 novembre 1891 ; n°891, 28 décembre 1891

- Voir également : Les origines du Crédit Municipal de Lyon, synthèse proposée sur le site web du Crédit Municipal de Lyon

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2Une figure centrale de la vie quotidienne au XIXème siècle2

Le XIXème siècle, et le processus de réglementation du prêt sur gage, marquent l’apogée du Mont-de-Piété comme institution officielle de crédit. Ses fonctions à la fois économiques et sociales en font une figure clef de la vie quotidienne. Il devient sujet littéraire, fait l’objet de campagne d’affichage, alimente les caricatures et les dessins humoristiques de l’époque ! C’est également à cette période que s’élabore un « vocabulaire du mont-de-piété » qui témoigne bien de sa popularité, et de son inscription sociale. L’institution adopte des appellations familières dans le langage courant qui l’éloignent de ses origines dévotes et charitables, car désormais on porte au clou ou on va chez Ma Tante

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Chez Ma Tante !

[actu]Les Monts-de-piété… au crible de la critique[actu]

On raille souvent le Mont-de-Piété dans la presse du XIX[^ème^] siècle ! On reproche à l’institution de faciliter le recel d’objets volés, d’avancer leurs mises aux joueurs et de prêter aux buveurs, de faire des estimations gratuites au profit des brocanteurs, et d’immobiliser des biens utiles (comme par exemple les outils des travailleurs)…

Si la vocation première du Mont-de-piété est de fournir une aide financière ponctuelle à un large éventail de la population, il lui est aussi couramment reproché d’exploiter cette situation en sous-estimant systématiquement les gages et en prêtant à peine au tiers de la valeur des objets engagés. Cette pratique défavorable aux emprunteurs favorise également le maintien de l’usure clandestine qui propose bien-souvent des estimations plus justes (mais à des taux d’intérêts supérieurs), et le trafic des reconnaissances rachetées par des brocanteurs assurés de revendre plus cher l’objet dégagé. Ainsi, les commissaires-priseurs des monts-de-piété sont très critiqués, accusés de sous-estimer les gages autant pour l’intérêt de leur établissement que par calcul personnel :

« Les huissiers-priseurs de l’Ancien Régime, devenus commissaires-priseurs, pratiquèrent sans faillir un système de sous-estimation forcée qui avait pour eux deux avantages. Les pertes à la vente étaient exclues. Des bénéfices étaient garantis par le pourcentage qui leur revenait sur les boni encaissés. » (DESCHODT Éric, Histoire du Mont-de-Piété)

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Caquet Bon-bec, 1867

Il est également courant de détourner la vocation initiale du Mont-de-piété en garde-meuble ! Avec l’apparition des automobiles, le Mont-de-piété de Paris s’adjoint un hangar pour stocker les voitures, roulottes, autocars (et même une moissonneuse-batteuse et un avion) qui ont été mis en dépôt… « Ma tante » sert ainsi de coffre-fort, de garde-meuble ou de garage, et devient un « entrepôt municipal des objets gênants » sous la plume sarcastique de Pétrus Sambardier :

« C’est chez nous que les grandes dames déposent leurs bijoux avant de partir à Nice l’hiver, à la montagne l’été ; nous entretenons les fourrures ; les fumeurs accrochent leurs pipes à nos râteliers durant les crises du tabac ; les sportifs nous confient leurs bicyclettes pendant l’hiver, et les députés leurs promesses après leur élection, pour les retirer quatre ans après. » (SAMBARDIER Pétrus, La vie à Lyon de 1900 à 1937)

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Caquet Bon-bec, 1867

[actu]« Tout le monde en parle » : le Mont-de-piété, dans la presse et la littérature[actu]

La discrétion de « Ma Tante » est légendaire, et il existe de nombreuses anecdotes sur des grands personnages qui ont recours une fois ou l’autre au prêt sur gage, ou qui déposent au Mont-de-piété des bijoux qu’ils ressortent le temps d’un bal ou d’un dîner mondain. Cette popularité partagée entre les classes en fait une figure familière dans la presse quotidienne, et alimente les caricatures des rubriques satiriques. Le Mont-de-piété concerne tout le monde, et tout le monde en parle. Les dessins humoristiques s’appuient sur les ressorts et les travers de l’institution, et jouent sur la gêne qu’elle inspire malgré tout – notamment à la bourgeoisie.

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Le Progrés illustré – 1903

Un détour par la littérature est ainsi révélateur de l’inscription sociale du Mont-de-piété et de sa fonction romanesque. Il n’est pas rare d’y retrouver les héros et héroïnes des feuilletons publiés dans les hebdomadaires de l’époque, engageant « au clou » une breloque ou un médaillon qui permettront de financer les rebondissements de l’histoire…

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Zola, L’Assomoir



La littérature du XIX[^ème^] siècle fait une grande place aux combats quotidiens de la classe ouvrière émergente. Sous la plume de Balzac, Flaubert, Hugo ou Zola, le Mont-de-Piété intervient comme un ressort aux moments cruciaux de l’intrigue. Il en est bien souvent la solution passagère… ou la chute finale ! Le passage au Mont-de-Piété marque ainsi un tournant dans le déroulé des évènements et représente une alternative aux problèmes d’argent :

« Si, pour se procurer l’argent nécessaire à son jeu, Rastignac savait acheter chez son bijoutier des montres et des chaînes d’or chèrement payées sur ses gains, et qu’il portait au Mont-de-Piété, ce sombre et discret ami de la jeunesse, il se trouvait sans invention comme sans audace quand il s’agissait de payer sa nourriture, son logement, ou d’acheter les outils indispensables à l’exploitation de la vie élégante. » (Honoré de BALZAC, Le Père Goriot)

« On ne voyait plus que maman Coupeau sur les trottoirs, cachant des paquets sous son tablier, allant d’un pas de promenade au mont-de-piété de la rue Polonceau. Elle arrondissait le dos, avait la mine confite et gourmande d’une dévote qui va à la messe ; car elle ne détestait pas ça, les tripotages d’argent l’amusaient, ce bibelotage de marchande à la toilette chatouillait ses passions de vieille commère. Les employés de la rue Polonceau la connaissaient bien, ils l’appelaient la mère « Quatre Francs » car elle demandait toujours quatre francs, quand ils lui en offraient trois, sur ses paquets gros comme deux sous de beurre. » (Emile ZOLA, L’assommoir)

« Il avait mis les cuivres de sa Flore au mont-de-piété. Il avait réduit son déjeuner à deux œufs, et il en laissait un à sa vieille servante dont il ne payait plus les gages depuis quinze mois. Et souvent son déjeuner était son seul repas. » (Victor HUGO, Les Misérables)

BIBLIOGRAPHIE

- DESCHODT Éric, Histoire du Mont-de-Piété, Le Cherche Midi éditeur, 1993

- HUELIN Roger, La vie secrète d’un Mont-de-Piété, Plon, 1966

- SAMBARDIER Pétrus, La vie à Lyon de 1900 à 1937, Lyon, Éditions Archat, 1937

… et dans les collections de la BML

- La base Presse XIX propose la consultation en ligne des collections numérisées de la presse lyonnaise du XIXème siècle, pour tous les chercheurs ou les simples curieux qui veulent mieux connaître cette période !


2D’hier… à aujourd’hui2

[actu]Nouveau nom, nouveaux services[actu]

Le Crédit Municipal succède au Mont-de-Piété en 1918, et cette nouvelle appellation s’accompagne d’une plus grande autonomie. Une loi de finance de 1919 sépare définitivement cette institution de l’Assistance publique, et une autre loi interdisant l’achat et la revente des reconnaissances porte un coup fatal aux prêteurs clandestins. Cette évolution renforce le Crédit Municipal qui traverse vaillamment le XX[^ème^] siècle, non sans connaître des remises en causes et des difficultés. Sa gestion revient à la municipalité, il a un statut d’ établissement public à caractère social, et son administration est assurée par un directeur soumis à un conseil composé de membres du conseil municipal et de personnalités qualifiées. Son emblème, commun à toutes les caisses de Crédit Municipal de France, est un griffon, en référence au premier Mont-de-Piété fondé en 1462 par le moine Barnabé de Terni :

« Le Mont de piété de Pérouse choisit le griffon comme emblème. Animal des mythologies antiques, doté d’un corps de lion, d’ailes et d’un bec d’aigle, le griffon gardait les mines d’or d’Apollon dans le désert de Scythie. L’image de ce cerbère sert encore d’emblème au Crédit Municipal de Lyon. » (Les origines du Crédit Municipal de Lyon, site du CML)

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Le griffon – Crédit Municipal

Aujourd’hui, les caisses de Crédit Municipal sont plus que jamais actives, et ont su diversifier et adapter leurs missions et leurs services aux besoins du public : prêt sur gage (offrant un prêt immédiat de 60 à 70% de la valeur de l’objet évalué par le commissaire-priseur), assurances, placements, service de garde et de conservation des biens précieux, vente aux enchères des objets non dégagés (env. 5% des prêts sur gage)… Et toujours dans la droite ligne des idées de Théophraste Renaudot, les offres de micro-crédit fournissent une aide ponctuelle pour favoriser l’insertion sociale ou un projet professionnel. Tout en assurant sa vocation sociale, la caisse de Crédit municipal est devenu un établissement bancaire traditionnel qui assure la gestion des comptes, propose des placements et accorde des crédits aux fonctionnaires et aux retraités.

[actu]Quelques chiffres…[actu]

Corrélativement à la crise économique, les rapports chiffrés des caisses de Crédit Municipal témoignent d’une activité en hausse. Dans une enquête récente sur le Crédit Municipal de Paris (CMP), le journal Libération livrait ainsi ces chiffres du prêt sur gage, pour l’année 2011 :

677 clients franchissent chaque jour la porte du CMP, on observe une hausse de + 20% du nombre de dépôts entre 2010 et 2011, les prêts s’élèvent en moyenne à 850 euros (et à partir de 30 euros), 90 % des objets engagés sont des bijoux, et 85% des clients sont des femmes. Actuellement, le CMP stocke ainsi plus d’un million d’objets…

BIBLIOGRAPHIE

- Les origines du Crédit Municipal de Lyon, synthèse proposée sur le site web du Crédit Municipal de Lyon

- Rapport d’activité 2011 du Crédit Municipal de Lyon

- FANSTEN Michel, “L’activité du prêt sur gage en France : un bon indicateur conjoncturel de la situation économique des ménages”, Courrier des statistiques, INSEE, n° 117-119, année 2006, pp. 65-70

- MALLAVAL Catherine, « Ma tante : une vie », Libération, 4 novembre 2011

- « Le Mont-de-Piété à travers les âges », Libération, diaporama

- Statistiques de l’INSEE sur les établissements de crédit en France

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