40e anniversaire du marché de la création

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 26/06/2019 par prassaert

Manifestation artistique unique en Europe, créée en 1979 à l’initiative de Jean-Yves Loude, le marché de la création fête cette année son 40e anniversaire. Histoire d’un marché typiquement lyonnais dont le succès public ne s'est jamais démenti.

Le Marché de la création / R.Deyrail, 28 novembre 1989 [BML, FIGRP01316].
Le Marché de la création / R.Deyrail, 28 novembre 1989 [BML, FIGRP01316].

Si l’installation d’un marché de la création au cœur de Lyon remonte à 1979, il s’inscrit plus largement dans un ensemble de réflexions sur la situation culturelle de la ville engagées deux années auparavant par la municipalité lyonnaise. Quelques mois seulement après son élection à la mairie de Lyon en décembre 1976, Francisque Collomb prend ainsi l’initiative de faire établir un bilan – celle de son prédécesseur Louis Pradel, mais également les perspectives sur le mandat en cours – qui comportera à la fois une étude financière et de fonctionnement ainsi que des éléments permettant de définir la politique culturelle de la ville pour les six années à venir. Lors de la séance du 4 avril 1977 du conseil municipal, il en confie la rédaction à son adjoint Jacques Moulinier, sous la responsabilité des deux adjoints aux Affaires culturelles, Joannès Ambre, délégué à l’art lyrique, et André Mure, en charge des arts plastiques. Il en résulte la publication du Livre blanc de la Culture (1977), épais dossier en deux volumes de quelques 300 pages présentant une analyse de l’existant accompagnée de propositions et de documents statistiques.

Un marché d’un nouveau type

C’est dans ce cadre que se manifeste Jean-Yves Loude, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Lyon Poche, écrivain-ethnologue et photographe occasionnel, qui a lui-aussi une idée sur la question. Afin de faire descendre l’art dans la rue et d’associer la création artistique à la vie quotidienne des Lyonnais, il présente son projet à la municipalité : l’installation d’une “galerie” à ciel ouvert, réservée à la création, aux artistes professionnels comme aux amateurs.

Marché de la création / René Dejean, janvier 1980 [BML, P0747 002 00001]

Au début de l’année 1979, la décision concernant ce marché d’un nouveau type est donc prise par le maire de Lyon et annoncée le 10 avril par la voix d’André Mure à la salle polyvalente Marius-Mermillon du Centre d’échanges de Perrache, lieu hautement symbolique où fut créé quelques années auparavant le premier espace entièrement consacré à l’art contemporain (ELAC) que d’aucuns nommeront le “Beaubourg lyonnais” : “Tous les dimanches de l’année, de 7 heures à 12 heures, à partir du 13 mai prochain, un marché de la création sera ouvert aux créateurs et artisans qui veulent montrer et vendre leurs réalisations. Comme un marché forain, mais destiné seulement aux productions artistiques”.

Marché de la création / René Dejean, janvier 1980 [BML, P0747 002 00002]

Par ailleurs, l’adjoint profite de l’occasion pour tracer le portrait du “Lyon culturel” et des efforts portés en ce domaine depuis deux ans, de la restructuration du musée des Beaux-Arts à la réouverture progressive des salles du Musée Guimet, en passant par les commandes publiques d’œuvres d’art pour les stations de métro de l’agglomération lyonnaise jusqu’à l’implantation de nouvelles bibliothèques sur le territoire dont certaines sont déjà programmées à court terme dans les 1er, 2e et 3e arrondissement de Lyon, et à moyen terme dans les 8e et 9e. Sans oublier non plus l’évocation du Grand Prix littéraire de la Ville de Lyon qui sera décerné pour la première fois à la fin du mois de mai 1979 à Claude Bourgendre (Claude Derenbourg) pour son Tablier de sapeur.

Sous l’ombrage des platanes

Le nouveau marché non sédentaire, attendu par de jeunes artistes n’ayant pas la possibilité de diffuser et de vendre leurs œuvres hors du circuit traditionnel des galeries et des maisons d’édition, fonctionnera donc sur une portion du quai Romain-Rolland située entre la passerelle du Palais de Justice et l’ancien pont du Change. C’est en ce lieu superbe, propice à la flânerie et à proximité immédiate du quartier Saint-Jean, que le marché de la création est officiellement inauguré par Francisque Collomb le 13 mai 1979 dans le cadre des manifestations du “Mai de Lyon”.

Marché de la création / René Dejean, janvier 1980 [BML, P0747 002 00010]

Le seul critère pour y être admis est de ne vendre que des produits signés de sa propre création, règles d’admission d’ailleurs édictées dès la parution du Livre blanc : “Chaque créateur doit obligatoirement vendre lui-même ses créations. Le peintre ses tableaux ; le sculpteur, ses propres sculptures ; le chanteur, ses disques (ou faire “la manche”) ; l’écrivain, ses livres ; le poète, ses recueils ou ses poèmes-affiches ; idem pour le bijoutier, le potier, le tisserand, le maroquinier, le photographe…”

Marché de la création / René Dejean, 198. [BML, P0747 002 00014]

Aucun critère de sélection qualitative ne pouvant intervenir, tout amateur ou artiste professionnel peut et doit donc sortir de ses tiroirs le produit de son imagination. Un contrôle permanant est assuré par le placier chargé d’encaisser le droit d’exposition fixé à 6,40 francs par place de deux mètres linéaires. Mais les emplacements se font rares. Ainsi les créateurs ont-ils intérêt à se lever tôt s’ils veulent trouver leur place au soleil…

Marché de la création / René Dejean, 198. [BML, P0747 002 00013]

Pour accroître encore un peu plus la notoriété du marché, une première affiche réalisée d’après un collage de Jean-Yves Loude et sur une maquette d’Hervé Nègre, est vendue à 400 exemplaires. La recette de cette vente permet à la Ville de Lyon d’acquérir quelques œuvres qui sont exposées dans les vitrines de la station de métro Bellecour, avant d’être dispersées au sein des collections municipales.

Marché de la création / René Dejean, 198. [BML, P0747 002 00015]

Les dangers du succès

Le marché de la création connaît un succès public immédiat. Très rapidement, ce sont plusieurs milliers de badauds qui convergent chaque dimanche matin en direction du quai Romain-Rolland. Les platanes y tiennent lieu de cimaises, les bancs publics d’éventaires et les capots de voitures suppléent souvent au manque de place sur le bitume pour présenter la multitude d’objets artistiques.

Le Marché de la création / R.Deyrail, ca. 1988 [BML, FIGRPT0226C].

Bien que réservé à la création, la frontière reste cependant floue entre art et artisanat, entre la création véritable et la production en série. Le marché de la création souffre ainsi de l’inégale valeur des œuvres présentées. Des œuvres qui n’en sont pas toujours : banales bouteilles peintes, bimbeloterie et verroterie, articles manufacturés et autres colifichets, force est de constater que le meilleur y côtoie souvent le pire. A plusieurs reprises, la ville décide donc de renforcer son règlement en prenant des mesures plus dissuasives que prohibitives afin d’éloigner les indésirables qui sont aimablement invité à ne pas revenir. Jusqu’à embaucher un responsable artistique auprès duquel il conviendra désormais de montrer patte blanche… en attendant l’ouverture, en mai 1988, d’un second marché sur le quai Fulchiron entièrement dédié à l’artisanat.

Une vitrine pour Lyon

Instauré pour aider la promotion et la distribution d’œuvres dans un cadre qui privilégie la communication avec le public, le marché a permis de découvrir des artistes que les problèmes de diffusion renvoyaient à leur isolement. Et ils viennent parfois de loin, ces artistes qui seront révélés par le marché. Parmi eux figurent Jean-Claude Buisson, José Arcé ou le peintre Jacques Bernard (dit Berjac) qui, marché aidant, se sont fait une petite notoriété en région, et quelque fois même à l’étranger.

Marché de la création / Ph. Rassaert, 16 juin 2019.

Le marché va progressivement s’organiser jusqu’à sa forme actuelle avec un espace réservé à la création, de la passerelle du palais de Justice au pont Maréchal-Juin, et un autre plutôt orienté vers l’artisanat sur le quai de Bondy. Le commissaire d’exposition chargé de réceptionner les œuvres occupe désormais un poste stratégique en parfaite entente avec “Quai des Artistes”, l’association de défense des intérêts des artistes exposant au marché. Véritable vitrine culturelle de Lyon qui prend tout son sens depuis la réhabilitation des berges du Rhône, le marché de la création est devenu avec le temps une halte incontournable et touristique.

Les affiches du marché de la création

1re affiche du marché de la création, ca 1979 [BML, RAF001956].

 

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