Au pays des Yankees : escale littéraire en Nouvelle-Angleterre

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 16/02/2018 par gjoly

Véritable enclave au nord de la côte est des Etats-Unis, la Nouvelle-Angleterre (composée de six états : Maine, Rhode Island, Connecticut, Vermont, New-Hampshire et Massachusetts) est considérée aujourd’hui comme le berceau de la littérature américaine classique. Territoire fortement imprégné de culture européenne, elle est souvent vue, notamment au XIXe siècle, comme une région austère, peuplée de protestants puritains. Elle inspira pourtant bon nombre d’hommes et femmes de lettres et continue aujourd’hui de le faire. Petite promenade littéraire avec quelques grands noms d’hier et d’aujourd’hui, au pays de ceux que leurs compatriotes ont surnommés les « Yankees ».

Quelques mythes littéraires : puritanisme, chasses aux sorcières et baleines blanches.

 

Considérée comme l’une des plus anciennes régions des Etats-Unis, la Nouvelle-Angleterre est dotée d’un riche passé qui se mêle étroitement à la fiction.

Parmi les œuvres phares qui reviennent sur son passé, la célèbre Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne (1804-1864). Evocation d’un amour tragiquement fustigé par une société intolérante, ce roman livre un portrait sans concessions des rigides colonies du XVIIe siècle. Issu d’une de ces familles puritaines, Hawthorne connaît bien le passé, souvent tragique, de sa région natale, qu’il explora dans plusieurs de ses œuvres. A l’image de sa nouvelle Le jeune maître Brown, qui évoque une nuit de sabbat dans la ville de Salem.

Portrait de Nathaniel Hawthorne par Charles Osgood

Salem justement. Une ville devenue tristement célèbre pour sa terrible chasse aux sorcières à la fin du XVIIe siècle et dont Arthur Miller tirera une pièce de théâtre en 1953, Les sorcières de Salem.  Un fait historique bien utile pour dénoncer, avec cette œuvre, une nouvelle forme de chasse aux sorcières, le maccarthysme, qui fait alors rage aux Etats-Unis.

 

Région bordée par l’Atlantique, la Nouvelle-Angleterre entretient un rapport étroit avec le monde maritime. Tout au long de ses côtes, ports de pêches et îles se succèdent, et parmi ces dernières, celle de Nantucket, passée à la postérité grâce à Herman Melville (1819-1891) et à son Moby Dick. Ami proche de Hawthorne, Melville, avant de se tourner vers l’écriture, connaîtra une vie aventureuse, notamment en se faisant embaucher sur un baleinier en partance de Nantucket. Son expérience maritime lui inspirera plusieurs œuvres littéraires, notamment Billy Budd et surtout Moby Dick paru en 1851.

 

Moby Dick. Adaptation en bande-dessinée par Olivier Jouvray et Pierre Alary.

Récit d’une obsession destructrice, celle de son héros le capitaine Achab qui ne rêve que de la traque et de la mise à mort d’un gigantesque cachalot blanc, Moby Dick est devenu une œuvre phare de la littérature américaine. Au-delà du thème de la chasse à la baleine et l’évocation, très riche, de la vie à bord d’un baleinier, ce roman aborde des thèmes beaucoup plus universels, comme l’opposition ambigüe entre le Bien et le Mal, ou encore la lutte de l’homme face aux forces de la nature.

 

Le capitaine Achab face à Moby Dick. Illustration d’une édition américaine de 1902.

 

Poésie et nature : de Emily Dickinson à Thoreau

 

Dans le domaine de la poésie émerge la figure aussi discrète qu’énigmatique d’Emily Dickinson (1830-1886). Poétesse de l’introspection et de la nature (Emily était localement renommée pour ses talents horticoles plus que pour ses dons poétiques), elle laissa à sa mort un nombre important de poèmes, qui se distinguent par leur liberté et leur absence de toute contrainte stylistique. Peu publiée de son vivant, celle qui vivait en quasi recluse au sein de sa famille dans le Massachusetts, connaîtra après sa mort un intérêt sans cesse renouvelé au XXe siècle, au point de devenir une des figures majeures de la poésie américaine.

 

Reprise d’un daguerréotype d’Emily Dickinson vers l’âge de 16 ans.

Autre poète incontournable de l’époque, Ralph Waldo Emerson (1803-1882), un des fondateurs du mouvement transcendantaliste, résida notamment à Concord (Massachusetts), lieu emblématique de la littérature américaine, puisqu’on y trouve également l’étang de Walden, au bord duquel vécu pendant deux ans Henry David Thoreau (1817-1862). Isolé volontairement dans les bois qui entourent l’étang, Thoreau y fera l’expérience de la solitude et de la vie sauvage et en tirera Walden ou la Vie dans les bois qui paraîtra en 1854. Œuvre inclassable, à la fois journal intime, traité philosophique et ode à la nature, Walden est aussi une virulente critique de la société occidentale et de son industrialisation, alors en plein essor.

 

Page de titre de la première édition de Walden en 1854.

 

Une terre imprégnée de fantastique :

 

La Nouvelle-Angleterre se dévoile aussi comme une région imprégnée de fantastique et de vieilles croyances. Notamment envers les fantômes qui peuplent bon nombre de récits d’Henry James. Des fantômes souvent animés d’un esprit de revanche contre les vivants, quand ce n’est pas une maison maudite qui s’acharne à détruire une famille comme dans La maison aux sept pignons du décidément incontournable Hawthorne.

Dans un registre plus proche de l’épouvante, apparaît la figure tourmentée d’Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Natif de la ville de Providence, dans le Rhode Island, où il passera la majeure partie de sa vie, ce dernier fera de la Nouvelle-Angleterre un lieu peuplé d’entités aussi effrayantes que menaçantes que l’on retrouvera dans de nombreuses nouvelles dont, parmi les plus connues, L’appel de Cthulhu ou Le Cauchemar d’Innsmouth.

 

Couverture du Magazine Weird Tales pour Le Cauchemar d’Innsmouth.

Héritier de cette tradition littéraire d’épouvante, Stephen King, un des auteurs fantastiques les plus populaires et prolifiques de ces dernières décennies, a placé l’intrigue de la majeure partie de ses œuvres (notamment Ça, Bazaar, Les Tommyknockers, Dôme) dans les paysages de son Maine natal, faisant apparaître, dans la banalité quotidienne des petites villes, les horreurs les plus glaçantes.

 

Du coté de nos contemporains :

 

Comment ne pas citer le prolifique John Irving, natif du New-Hampshire, qui ne cesse de s’inspirer, au fil de son œuvre, de sa région natale ? De son célèbre Monde selon Garp, en passant par L’hôtel New-Hampshire, ou encore L’œuvre de Dieu, la part du Diable, il ne cesse de faire défiler, que ce soit sur les campus universitaires ou au cœur de petites villes bien closes, cadres majeurs de ses intrigues, des personnages baroques et hauts en couleurs.

 

Paysage du Vermont si cher à John Irving.

 

Dennis Lehane dépeint dans la majorité de ses ouvrages Boston, sa ville natale que l’on considère souvent comme la capitale de la Nouvelle-Angleterre. Une ville que l’on retrouve dans la majorité de ses polars, souvent adaptés au cinéma, comme Gone baby gone ou Mystic River. Loin du roman policier mais toujours dans un cadre bostonien, il livrera avec Un pays à l’aube et sa suite Ils vivent la nuit une fresque historique du Boston des années vingt, en proie aux bouleversements politiques et sociaux.

 

A signaler enfin que la Nouvelle-Angleterre ne manqua pas d’attirer quelques expatriés célèbres. Parmi eux notre première femme académicienne, Marguerite Yourcenar qui, fuyant une Europe en guerre, vivra de de longues années dans le Maine, sur l’île des Monts Déserts. Bien loin de son continent natal, c’est pourtant là qu’elle écrira ses œuvres historiques les plus célèbres comme Mémoires d’Hadrien ou L’œuvre au noir.

Ci-dessous un extrait de l’émission Apostrophes où Bernard Pivot rencontre Marguerite Yourcenar dans sa maison des Monts-Déserts.

 

https://www.youtube.com/watch?v=LGMxR93RPDk

 

Pour aller plus loin :

 

A lire :

 

Farcet, Gilles, Henry Thoreau, l’éveillé du Nouveau monde, 1998.

 

Brock, Clarke, Guide de l’incendiaire des maisons d’écrivains en Nouvelle-Angleterre, 2009.

Roman d’humour noir sur les péripéties d’un incendiaire involontaire qui va, notamment, réduire en cendres, la maison d’Emily Dickinson.

 

La maison d’Emily Dickinson à Ahmerst, Massachusetts. Toujours debout.

 

Klein, Jacques, La Nouvelle-Angleterre : de Boston à la frontière canadienne, 2011.

 

Gillyboeuf, Thierry, Henry David Thoreau : le célibataire de la nature, 2012.

 

Picon, Raphaël, Emerson : le sublime ordinaire, 2015.

 

Lambert, Stéphane, Fraternelle mélancolie, 2018.

 

A voir :

 

Au cinéma :

Davies, Terence, Emily Dickinson, a quiet passion, 2017.

 

Documentaire :

Bernard, Patrick Mario et Trividic, Pierre, Howard Philips Lovecraft : 1890-1937, 2007.

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