Théâtre

Le théâtre s’en va-t-en guerre

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 07/12/2023 par Virginie J

Si les représentations de la guerre au théâtre sont l’occasion de soulever des questions et de proposer une réflexion, lorsque le théâtre se rend sur le front, l’enjeu est tout autre. Catharsis collective ou simple divertissement, les représentations théâtrales ont été, pour beaucoup de soldats de la Première Guerre Mondiale, une bouffée d’air frais dans l’ambiance viciée des tranchées.

Nous crions grâce - Jacques Chambon - Jérôme Sauvion  / © Émile Zeizig - mascarille.com
Nous crions grâce - Jacques Chambon - Jérôme Sauvion / © Émile Zeizig - mascarille.com

Confrontés à la violence de la guerre et à l’horreur des tranchées, les poilus de 14-18 doivent en sus affronter de longues heures de temps mort, loin de leurs quotidiens et de leurs proches. Le conflit qui s’éternise use considérablement le moral des troupes, ainsi les autorités militaires décident de leur offrir plus de divertissements. Le théâtre fait ainsi son apparition dans les cantonnements, et occupe une place importante dans les distractions qui tentaient de rendre la vie des troupes un peu moins dure.

Le Théâtre aux armées

Le Théâtre aux armées voit le jour en 1916 grâce à l’initiative de deux civils, Émile Fabre, administrateur de la Comédie Française, et Alphonse Séché. L’idée générale est d’organiser des tournées de spectacles dans les zones armées à destination des soldats, pour les soutenir et leurs changer les idées. Tout d’abord réticentes, les autorités militaires finissent par accepter le projet, et la première représentation a lieu le 9 février 1916 pour les troupes coloniales stationnées dans le village de Crocq au nord de Beauvais.

Cette aventure du Théâtre aux armées entraîne plus de 300 comédiens et artistes sur le front, qui donnent au total presque 1200 représentations, avec parfois trois à quatre spectacles par jour. Plus de 500 000 soldats profitent de ces représentations destinées à leur apporter un peu de joie et de légèreté. Tous les artistes sont volontaires, et de grands noms se mêlent aux inconnus, telle la grande Sarah Bernardt, Béatrix Dussane ou encore le chanteur Mayrol.

Jouer sur le front

Au départ, les conditions de représentations sont difficiles et le matériel très limité. Les artistes acceptent de se soumettre aux règlements militaires très stricts et les spectacles sont bien souvent improvisés avec les moyens du bord. De simples tréteaux sont utilisés pour faire office de scène, un rideau de fortune est accroché à quelques planches… Les œuvres choisies sont courtes, avec une distribution réduite et le sujet des pièces est le plus éclectiques possibles pour contenter un maximum de poilus, public difficile à convaincre.

Plus tard, grâce à l’invention d’un peintre militaire nommé George Scott, les artistes bénéficient d’un théâtre ambulant. Facile à démonter et à déplacer, il offre enfin la possibilité de rendre les mises en scène un peu plus sophistiquées. Les spectacles se jouent dans les cantonnements, mais aussi dans les hôpitaux, les ambulances, et parfois même dans les camps de prisonniers. Les soldats eux-mêmes s’improvisent acteurs et n’hésitent pas à monter sur les planches pour divertir leurs camarades.

Les comédiens et surtout les comédiennes, représentantes de la tendresse féminine qui fait tellement défaut dans les tranchées, repartent souvent avec des cadeaux, diplômes, certificats, dessins et autres lettres énamourées.

Au service de la nation

L’armistice, s’il sonne la fin du conflit, ne signifie pas pour autant l’arrêt des représentations. Elles se poursuivent en effet jusqu’à la dissolution de la troupe en septembre 1919, les comédiens souhaitant accompagner et soutenir les soldats jusque dans la démobilisation.

Accueillis à leurs débuts par les réticences et la méfiance des autorités militaires, les acteurs du théâtre aux armées sont finalement salués pour leur courage et leur dévouement.

L’impact de ces représentations a été bénéfique sur le moral des troupes, grâce à la présence et la générosité des comédiens. Malgré de maigres ressources et l’environnement immédiat du front, ils n’ont pas hésité à mettre en danger leurs vies pour apporter un peu de plaisir et d’oubli aux poilus qui traversaient l’enfer. En mettant leur talent et leur enthousiasme au service de la nation, ils ont participé à leur manière à l’effort de guerre et apporté réconfort et humanité dans les tranchées.

Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter l’ouvrage de Chantal Meyer-Plantureux, Le théâtre monte au front, qui retrace dans une série d’essais la vie théâtrale entre 1914 et 1918 depuis Paris jusqu’au front.

Sélection de pièces issues du Fonds de la Guerre 14-18 de la BM de Lyon

La bibliothèque municipale de Lyon possède un fonds documentaire exceptionnel sur la Grande Guerre, le Fonds de la Guerre 14-18, dont les documents ont été rassemblés durant le conflit. Retrouvez une sélection de pièces de théâtre de l’époque, issues de cette collection historique :

- La prière dans la nuit : drame en un acte / Nozière / Dorbon / 1915 [Livre]
L’espionnage, thème en vogue pendant la première guerre mondiale.

- François-Joseph I et Guillaume II – Le front ! / P. J. de Moloy / Saïgon / 1915 [Livre]

- Jean-Pierre, brancardier : pièce en 2 actes / Le Renest de Molon / Vitte / 1915 [Livre]
Créée à Lyon en 1915, cette pièce a été représentée dans les ambulances de la 14e région.

- France et Belgique : Saynète pour trois jeunes garçons / J. P. / Vitte / 1915 [Livre]

- La nuit de Noël de 1914 : drame en un acte / Paul Claudel / Libr. de l’art catholique / 1916 [Livre]
Pièce de propagande anti-allemande qui dénonce l’absurdité du monde. Dans un village martyr, deux soldats sont morts. Le curé, mort lui aussi, est chargé de préparer les âmes au Paradis…

- Fleurs de tranchées / G. Espé de Metz / Charles-Lavauzelle / 1916 [Livre]

- L’humble offrande : pièce en un acte en vers / André Rivoire / Lemerre / 1916 [Livre]
C’est la guerre, le poète songe que sa mauvaise santé le tient éloigné du front où meurent tant de français. Sa jeune inspiratrice s’attache à lui démontrer qu’il peut jouer un rôle dans la lutte commune…
Distribution : 1 homme + 1 femme

- On les aura : pièce d’actualité en 3 tableaux / D. Valentin / D. Valentin / 1916 [Livre]
Représentée pendant la durée de la guerre aux séances offertes aux blessés des Hôpitaux et Ambulances de la région lyonnaise, aux Foyers et aux Cercles du soldat.

- L’impromptu du paquetage : pièce en un acte / Maurice Donnay / Crès / 1916 [Livre]

Pièces de théâtre sur le thème de la Première Guerre Mondiale

Enfin, voici une sélection de pièces ayant pour thème de la Première Guerre Mondiale, que vous pouvez retrouver dans les collections de la Bibliothèque Municipale de Lyon :

- Je t’embrasse pour la vie / Anonyme / Cent pages / 1987 [Livre]
Dans l’ambiance joyeuse du cabaret, cinq comédiennes interprètent des lettres authentiques de la guerre 14-18, écrites par des civils à des poilus qui ne les ont jamais reçues…
Distribution : 5 femmes

- Le feu / Henri Barbusse / Ed. Invenit / 1931 [Livre]
Ecrit sur son lit d’hôpital, Barbusse s’intéresse uniquement aux soldats de base, masse ignorante et méprisée par les chefs. Les scènes quotidiennes des tranchées, la pluie, la faim, l’absurdité des combats, les morts sont décrits avec un réalisme cru.

- La lumière dans le tombeau / René Berton / L’Illustration 1925 [Livre]
Drame des tranchées de la guerre de 14.
Distribution : 6 hommes

- Dans le vif / Marc Dugowson / L’Avant-scène théâtre / 2004 [Livre]
Une mère morte en couches, un père mesquin, une éducation confiée à un homme d’Église hypocrite et pervers hantent l’esprit du jeune garçon lorsque survient la Grande Guerre. Terré au milieu des tranchées froides et incertaines, sortira-t-il indemne de tant d’absurdités ?
Distribution : 9 hommes + 3 femmes

- Cabaret de la Grande Guerre / Marc Dugowson / L’Avant-scène théâtre / 2011 [Revue]
Pendant la nuit de la Saint-Sylvestre, pour se réchauffer entre deux assauts, des poilus dressent Le Cabaret de la Grande Guerre. Des numéros débordant d’une puissante envie de vivre.
Distribution : 4 hommes

- La fleur au fusil : chroniques de la guerre de 14-18 / Alain Guyard / Camino Verde / 2013 [Livre + CD]
Écrite d’après des témoignages authentiques de 14-18, la pièce évoque en filigrane le syndrome de stress post-traumatique, qui a longtemps appartenu au silence.
Distribution : 1 homme

- Mourir en chantant / Victor Haïm / Éd. des Quatre-vents / 1989 [Livre]
Le déserteur Bienaimé retrouve son camarade Émile. Émile a rencontré la peur, Bienaimé l’amour… Ils attendent la fin de ce conflit auquel ils ne comprennent rien.
Distribution : 3 hommes + 1 femme

- La gueule à l’envers / Stéphanie Mangez / Lansman / 2013 [Livre]
Distribution : 7 hommes + 7 femmes
1919. Des grands blessés, des gueules cassées, dans un dortoir de fortune, attendent la visite des femmes qui sillonnent le pays dans l’espoir de retrouver un proche. Un médecin, entouré de bonnes sœurs, tente de soulager ces anciens poilus avec le peu de moyens qui reste. De l’humour comme remède au désespoir. De la solidarité aussi pour survivre dans cette promiscuité.

- Le Nègre-Dardanelles / Patrice Tacita / L’Harmattan / 2007 [Livre]
Histoire de la vie dans les tranchées d’un soldat guadeloupéen, ayant victorieusement combattu, les troupes austro-hongroises et turques durant la campagne des Dardanelles au cours de la Première Guerre mondiale.
Distribution : 12 hommes + 1 femmes

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One thought on “Le théâtre s’en va-t-en guerre”

  1. claude mccabe dit :

    Vous semblez avoir oublié le tout premier spectacle de scène de la Guerre, créé par un groupe d’officiers à l’automne 1914 et présenté aux troupes et à l’État-Major pout Noël 1914.
    Titre: TROUDUC – KULTUR » (Spectacle d’ombres)
    Pièce d’ombres en 2 actes et 17 tableaux
    Textes : Jacques de FÉRAUDY (de la Comédie Française) et Jean FORTUNA
    Dessins : Constantin FONT (Grand Prix de Rome de peinture)
    Musique : Albert WOLFF (chef d’orchestre Metropolitan Opera, Concerts Lamoureux, Opéra-Comique)

    Représentations :
    – Première : 24 décembre 1914 (Dieue-sur-Meuse)
    – Gala : 30 décembre 1914 au Quartier Général du 6ème Corps d’Armée, en présence des Généraux Sarrail et Herr
    – Autres : 25, 26, 27 déc. 1914; … 21 mars, 1915

    Voir aussi critique de : M. Jules Truffier de la Comédie-Française, ‘L’épopée de 1914-1915 : Le théâtre au Camp’, Journal de l’Université des Annales, 26 mars 1915.

    Le manuscrit (66 pages) inclut les textes (38 pages), 23 illustrations de Constantin Font (pour projections), échantillons de pages manuscrites des mains des auteurs, critique et photos.

    C’était réellement le premier spectacle de la Guerre par et pour les troupes.

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